Les grands ports français seront-ils au cœur du renouveau ?

Dossier : Le fret ferroviaireMagazine N°699 Novembre 2014
Par Renaud SPAZZI (91)

Les grands ports mari­times fran­çais connaissent une phase de pro­fonde muta­tion. Alors que leur déve­lop­pe­ment a été frei­né pen­dant plu­sieurs décen­nies par un défi­cit de com­pé­ti­ti­vi­té et sur­tout de fia­bi­li­té sociale, la réforme por­tuaire de 2008 a don­né aux grands ports mari­times fran­çais les moyens de leur déve­lop­pe­ment, en per­met­tant la mise en place de sché­mas d’exploitation fiables et performants.

“ Pénétrer un hinterland le plus large possible ”

Inver­se­ment, les muta­tions indus­trielles de notre pays affectent ses ports. La fra­gi­li­sa­tion de cer­taines indus­tries lourdes néces­si­tant des appro­vi­sion­ne­ments mari­times mas­sifs de matières pre­mières, comme la sidé­rur­gie, et sur­tout la restruc­tu­ra­tion de l’activité de raf­fi­nage pétro­lier sont à l’origine de réduc­tions sen­sibles de cer­tains tra­fics jusqu’à pré­sent pour l’essentiel cap­tifs et sur les­quels repo­sait lar­ge­ment l’activité des ports fran­çais (le tra­fic de pro­duits pétro­liers repré­sente envi­ron 40 % de l’activité des ports français).

Conquérir de nouveaux marchés

SEPT PORTS PRINCIPAUX

Dunkerque, Le Havre, Rouen, Nantes- Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille réunissent environ 80 % du trafic total transitant par les ports français. Ils sont gérés par des établissements publics de l’État, autrefois appelés « ports autonomes » et maintenant dénommés « grands ports maritimes ».
Les ports d’importance secondaire (Cherbourg, Brest, Bayonne, Sète, Toulon, etc.) sont désormais gérés par les collectivités territoriales, principalement les régions.

Le déve­lop­pe­ment des ports fran­çais repose aujourd’hui sur la conquête de nou­veaux mar­chés, pour l’essentiel sur le seg­ment du trans­port de pro­duits manu­fac­tu­rés et notam­ment du tra­fic de conte­neurs, qui a l’avantage de géné­rer une impor­tante valeur ajou­tée sur le ter­ri­toire traversé.

L’un des enjeux majeurs de déve­lop­pe­ment, face à une concur­rence euro­péenne très vive, consiste pour les ports à péné­trer un hin­ter­land le plus large pos­sible, et pour cela à déve­lop­per des chaînes logis­tiques opti­mi­sées repo­sant sur les modes de trans­port les plus adap­tés, et en par­ti­cu­lier sur le mode fer­ro­viaire par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nent pour les trans­ports à longue distance.

Un retard sensible sur les segments en développement

Le trans­port mari­time de pro­duits manu­fac­tu­rés, et notam­ment le trans­port de conte­neurs, a connu une crois­sance spec­ta­cu­laire ces der­nières décen­nies, notam­ment en pro­ve­nance d’Asie. Hor­mis pen­dant la crise éco­no­mique mon­diale de 2008–2009, les flux mon­diaux de conte­neurs ont connu une crois­sance conti­nue com­prise entre 5 % et 10 % par an.

Les prin­ci­paux béné­fi­ciaires de cette crois­sance ont bien enten­du été les ports asia­tiques (les dix plus grands ports à conte­neurs mon­diaux sont main­te­nant en Asie, dont sept en Chine), mais aus­si les ports euro­péens qui ont su se posi­tion­ner sur ce mar­ché en développement.

Force est de consta­ter à cet égard que les ports fran­çais ont accu­mu­lé depuis plu­sieurs années un retard sen­sible : au clas­se­ment 2013 des prin­ci­paux ports à conte­neurs euro­péens, le port du Havre, pre­mier port fran­çais pour les conte­neurs, ne se classe que hui­tième, et Mar­seille treizième.

REPÈRES

La loi portant réforme portuaire du 4 juillet 2008 a mis fin à un mode d’exploitation historique généralisé dans les ports français, dans lequel le déchargement des marchandises faisait appel conjointement à des entreprises privées, responsables de l’exploitation des terminaux, et à l’établissement portuaire, propriétaire et exploitant des outillages (grues, portiques à conteneurs, etc.). Cette dichotomie était la source de dysfonctionnements récurrents et de tensions sociales fortes.
La loi a conduit les grands ports maritimes à céder aux opérateurs privés la propriété des outillages et à leur transférer les personnels d’exploitation et de maintenance. L’unicité de pilotage et de commandement sur les terminaux portuaires garantit aujourd’hui cohérence et efficacité dans les opérations de manutention.

Reconquérir l’hinterland

Les ports qui ont su tirer le meilleur par­ti de la crois­sance du trans­port conte­neu­ri­sé et qui se trouvent aujourd’hui les mieux pla­cés dans la concur­rence euro­péenne sont, d’une part, des ports d’Europe du Nord (Rot­ter­dam, Anvers, Brême, Ham­bourg, etc.), situés au débou­ché direct du cœur éco­no­mique de l’Europe et qui ont su construire des chaînes logis­tiques irri­guant l’ensemble de la « banane bleue », d’autre part des ports médi­ter­ra­néens (Algé­si­ras en Espagne, Gioia Tau­ro en Ita­lie, dans une moindre mesure Valence en Espagne, etc.), situés sur la route mari­time entre Suez et Gibral­tar et qui ont déve­lop­pé des plates-formes de transbordement.

Parts modales des tra­fics conte­neu­ri­sés des prin­ci­paux ports euro­péens (hors transbordement)

Les ports fran­çais, rela­ti­ve­ment excen­trés par rap­port à ces grands flux conti­nen­taux, sont posi­tion­nés prin­ci­pa­le­ment sur leur hin­ter­land natu­rel (la métro­pole pari­sienne pour le port du Havre, les métro­poles mar­seillaise et lyon­naise pour le port de Marseille).

Assez natu­rel­le­ment, les ports fran­çais, des­ser­vant des mar­chés de rela­tive proxi­mi­té, s’appuient sur des chaînes logis­tiques courtes prin­ci­pa­le­ment rou­tières ; a contra­rio, les ports du nord de l’Europe, dans une logique de conquête de mar­ché à l’échelle du conti­nent, ont construit des chaînes logis­tiques recou­rant mas­si­ve­ment au fer ou au fleuve.

Les parts modales des ports fran­çais res­tent ain­si davan­tage tour­nées vers la route (au-des­sus de 80 %) que celles de leurs prin­ci­paux concur­rents européens.

Dynamiser les dessertes massifiées

Le gou­ver­ne­ment et les diri­geants des grands ports mari­times ont défi­ni des plans stra­té­giques de déve­lop­pe­ment, s’appuyant sur dif­fé­rents leviers : le retour à la ratio­na­li­té et la fia­bi­li­té des pro­ces­sus d’exploitation via la loi de réforme por­tuaire de 2008, le déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures mari­times (via des inves­tis­se­ments struc­tu­rants tels que les nou­veaux ter­mi­naux de Port 2000 au Havre ou de Fos 2XL à Mar­seille), mais aus­si celui des des­sertes ter­restres en par­ti­cu­lier sur les modes mas­si­fiés, fer­ro­viaire et fluvial.

“ Des ports français davantage tournés vers la route ”

L’objectif de report modal vise tout autant l’amélioration de la per­for­mance et l’élargissement des mar­chés des grands ports mari­times que la réduc­tion des consom­ma­tions éner­gé­tiques et la pré­ser­va­tion de l’environnement.

C’est à ce titre que la loi du 3 août 2009 dite « loi Gre­nelle I » pré­voit en son article 11.III que « l’amélioration de la com­pé­ti­ti­vi­té des ports mari­times fran­çais dans la concur­rence inter­na­tio­nale et de leur des­serte mul­ti­mo­dale per­met­tra l’accroissement du trans­port de fret et des acti­vi­tés de logis­tique, créa­teurs d’emplois et res­pec­tueux de l’environnement.

L’objectif est de dou­bler la part de mar­ché du fret non rou­tier pour les ache­mi­ne­ments à des­ti­na­tion et en pro­ve­nance des ports d’ici à 2015. »

Selon un adage bien connu dans le monde mari­time, « la bataille des ports se gagne à terre ».

Des pistes de modernisation multiples mais complexes

Le déve­lop­pe­ment de flux mas­si­fiés de mar­chan­dises, notam­ment conte­neu­ri­sées, implique un degré de com­pé­ti­ti­vi­té et de fia­bi­li­té des chaînes logis­tiques com­pa­rable à ceux de véri­tables sys­tèmes indus­triels. C’est dans cette exi­gence de per­for­mance que s’inscrit la des­serte fer­ro­viaire des ports mari­times, à l’interface entre les deux sys­tèmes fer­ro­viaire et por­tuaire, eux-mêmes com­plexes par de mul­tiples aspects.

Les leviers d’action se struc­turent autour de plu­sieurs axes com­pre­nant notam­ment l’évolution du mode de ges­tion des réseaux fer­rés por­tuaires ; le déve­lop­pe­ment, la moder­ni­sa­tion ou l’optimisation des infra­struc­tures fer­ro­viaires dans l’enceinte por­tuaire ou dans l’hin­ter­land ; l’organisation des des­sertes fer­ro­viaires ter­mi­nales ; la mise en place de points de mas­si­fi­ca­tion multimodaux.

Gérer les infrastructures autrement

Les ports fran­çais dis­posent de connexions fer­ro­viaires amé­na­gées bien sou­vent depuis plu­sieurs décen­nies, mais qui n’ont pas tou­jours connu des déve­lop­pe­ments, ni même des actions de main­te­nance, en rap­port avec les flux qu’elles étaient sus­cep­tibles de voir transiter.

“ Les investissements sont maintenant déconnectés de RFF ”

En effet, le sta­tut des voies fer­rées por­tuaires était jusqu’à une date récente incer­tain : construites his­to­ri­que­ment le plus sou­vent par les éta­blis­se­ments por­tuaires, entre­te­nues par la SNCF puis par Réseau fer­ré de France, elles ne béné­fi­ciaient des prio­ri­tés ni de RFF, ni des ports. Le gou­ver­ne­ment a réso­lu cette ques­tion en 2005 par le trans­fert en pleine pro­prié­té des voies fer­rées por­tuaires aux éta­blis­se­ments por­tuaires, deve­nu effec­tif en 2008.

Depuis cette date, les grands ports mari­times sont deve­nus ges­tion­naires de réseaux fer­rés secon­daires, évi­dem­ment sans com­pa­rai­son avec le réseau fer­ré natio­nal mais por­teurs mal­gré tout d’enjeux impor­tants. Ce nou­veau dis­po­si­tif repré­sente une charge nou­velle pour les grands ports mari­times, mais leur per­met de déter­mi­ner libre­ment leur poli­tique de main­te­nance et sur­tout de déve­lop­pe­ment et de moder­ni­sa­tion de leur réseau.

En par­ti­cu­lier, les inves­tis­se­ments sont main­te­nant décon­nec­tés des pro­ces­sus d’instruction et de déci­sion de RFF, libé­rant les ini­tia­tives en faveur des des­sertes por­tuaires indé­pen­dam­ment des arbi­trages com­plexes propres au sec­teur ferroviaire.

Moderniser les infrastructures

Un axe majeur de déve­lop­pe­ment des des­sertes fer­ro­viaires consiste à moder­ni­ser les infra­struc­tures, en pre­mier lieu à l’intérieur des enceintes por­tuaires. Dans ce cadre, chaque contrat de plan État-région pré­voit la mobi­li­sa­tion d’investissements publics, en com­plé­ment des finan­ce­ments propres des grands ports mari­times ; divers pro­jets sont sur le point d’être ins­crits dans les contrats de plan 2014–2020, actuel­le­ment en cours de négociation.

La ques­tion se pose dans des termes plus com­plexes pour la moder­ni­sa­tion des cor­ri­dors fer­ro­viaires ali­men­tés par les ports, où se super­posent le plus sou­vent avec le fret des tra­fics fer­ro­viaires grandes lignes ou TER. C’est le cas pour l’axe en direc­tion de Paris et en pro­ve­nance du Havre, pour la tra­ver­sée de Lyon en pro­ve­nance de Mar­seille, ou pour la tra­ver­sée de Lille en pro­ve­nance de Dunkerque.

Les inves­tis­se­ments néces­saires pour résor­ber les gou­lets d’étranglement peuvent être consi­dé­rables, se chif­frant en cen­taines de mil­lions voire en mil­liards d’euros. L’état des finances publiques ne per­met­tant pas d’envisager de tels inves­tis­se­ments à terme rap­pro­ché, l’enjeu prin­ci­pal porte sur le par­tage des capa­ci­tés exis­tantes et sur l’arbitrage entre les cir­cu­la­tions de voya­geurs et les trans­ports de fret.

Déchargement de conteneur dans le port de Marseille

DES PROJETS MAJEURS

Deux projets sont actuellement en cours de développement dans les ports français : le terminal multimodal du Havre et le terminal de transport combiné de Mourepiane dans le port de Marseille ; un projet analogue sera prochainement mis à l’étude sur le site de Fos-sur-Mer.

Réorganiser les dessertes terminales

Autant le mode fer­ro­viaire est éco­no­mi­que­ment per­for­mant pour un trans­port mas­si­fié sur une longue dis­tance, autant il peut être lourd et coû­teux pour les mou­ve­ments dif­fus de courte dis­tance, et en par­ti­cu­lier pour les des­sertes ter­mi­nales à l’intérieur de la zone por­tuaire. Le trans­port de mar­chan­dises sur les der­niers kilo­mètres du par­cours, voire les der­niers hec­to­mètres, peut alors faire appel à un ser­vice de col­lecte et dis­tri­bu­tion fer­ro­viaire à l’échelle du port et le cas échéant du ter­ri­toire adjacent.

C’est ici que peut inter­ve­nir un OFP (« opé­ra­teur fer­ro­viaire de proxi­mi­té » ou « opé­ra­teur fer­ro­viaire por­tuaire »), véri­table « PME du fer­ro­viaire », dis­po­sant de moyens de trac­tion adap­tés aux mou­ve­ments de courte dis­tance et aus­si peu coû­teux que pos­sible, connais­sant par­fai­te­ment le réseau por­tuaire et ses condi­tions d’exploitation, et conso­li­dant le cas échéant son équi­libre éco­no­mique par la réa­li­sa­tion de mis­sions com­plé­men­taires (ser­vices divers aux entre­prises fer­ro­viaires, voire main­te­nance ou exploi­ta­tion d’infrastructures).

Aménager des terminaux de transport combiné

Les flux de mar­chan­dises sus­cep­tibles d’être trans­por­tées par voie fer­rée sont issus des dif­fé­rents sites por­tuaires, ter­mi­naux, zones logis­tiques, entre­pôts, etc. Cha­cun de ces sites génère le plus sou­vent un tra­fic insuf­fi­sant pour per­mettre à lui seul le rem­plis­sage de trains com­plets, pri­vi­lé­giant natu­rel­le­ment le recours au trans­port rou­tier. Le recours au rail peut deve­nir per­ti­nent si les mar­chan­dises sont regrou­pées depuis ces dif­fé­rents sites sur un point d’injection unique sur le réseau ferroviaire.

L’outil le plus adap­té à cet objec­tif est alors un ter­mi­nal de trans­port com­bi­né, situé au cœur de la zone por­tuaire : ce ter­mi­nal recueille les conte­neurs col­lec­tés sur les dif­fé­rents sites por­tuaires, trans­por­tés sur quelques kilo­mètres par voie rou­tière ou par navettes fer­ro­viaires ; il dis­pose d’équipements de manu­ten­tion per­met­tant de regrou­per ces mar­chan­dises pour consti­tuer des trains com­plets qui sont alors injec­tés sur le réseau ferroviaire.

Des perspectives encourageantes

Les tra­fics glo­baux des ports fran­çais res­tent incer­tains ces der­nières années, fra­gi­li­sés par les muta­tions indus­trielles de leur hin­ter­land.

“ Le trafic conteneurisé des ports français a progressé de 6 % en 2013 ”

En revanche, la réforme por­tuaire porte ses fruits dans le domaine du trans­port par conte­neurs : le tra­fic conte­neu­ri­sé des ports fran­çais a pro­gres­sé de 5 % en 2012 et de 6 % en 2013. Or, les parts modales se main­tiennent glo­ba­le­ment à l’échelon natio­nal, per­met­tant ain­si au fret fer­ro­viaire de béné­fi­cier de cette croissance.

Cette pro­gres­sion est à mettre en regard de la crois­sance du volume glo­bal de fret fer­ro­viaire conte­neu­ri­sé (+ 12 % en 2012, + 4,5 % en 2013).

Ces ten­dances sont évi­dem­ment trop récentes, et trop proches des bou­le­ver­se­ments issus de la crise éco­no­mique de 2008–2010 pour être plei­ne­ment repré­sen­ta­tives ; elles illus­trent néan­moins les syner­gies à recher­cher entre trans­port mari­time et trans­port ferroviaire.

Transport de conteneurs par voie ferrée

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