À Wallis-et-Futuna

Les fonds marins nouvel Eldorado

Dossier : LA MER : Énergies et ressourcesMagazine N°714 Avril 2016
Par Francis VALLAT

Les océans recèlent dans leurs pro­fon­deurs d’énormes richesses miné­rales. On connaît depuis long­temps les nodules poly­mé­tal­liques, mais d’autres sédi­ments semblent main­te­nant plus prometteurs.
La France est le seul pays à pou­voir pro­po­ser la pano­plie com­plète de ser­vices indus­triels néces­saire, pour explo­rer et valo­ri­ser les futurs gise­ments. Les Alle­mands ont sou­hai­té déve­lop­per une coopé­ra­tion avec les Fran­çais et ont signé deux accords en octobre 2015.

Les mine­rais pré­sents dans les fonds marins pré­sentent des carac­té­ris­tiques variées. Les nodules poly­mé­tal­liques sont des boules sombres de 5 à 10 cen­ti­mètres de dia­mètre com­po­sées prin­ci­pa­le­ment d’hydroxydes de man­ga­nèse et de fer, dont la teneur en cuivre, nickel et cobalt peut être équi­va­lente ou supé­rieure à celle des gise­ments actuel­le­ment exploités.

“ Treize permis internationaux d’exploration ont été attribués, dont un à la France ”

Ils contiennent éga­le­ment de faibles teneurs de cer­tains métaux rares (terres rares, lithium, thal­lium, tel­lure, molyb­dène, etc.). Ils sont loca­li­sés sur de vastes zones à la sur­face des sédi­ments des plaines abys­sales, entre 3 000 et 5 500 mètres de profondeur.

Les plus fortes den­si­tés de nodules ont été décou­vertes il y a une qua­ran­taine d’années le long d’une cein­ture est-ouest dans le Paci­fique nord. Cette zone, dite de Cla­rion-Clip­per­ton, fait l’objet de treize per­mis inter­na­tio­naux d’exploration, dont un attri­bué à la France.

REPÈRES

Comme le rappelle la feuille de route de la “ Stratégie nationale pour l’exploration et l’exploitation minières des grands fonds marins ”, publiée par l’État en coopération avec le Cluster maritime français fin 2015, les explorations scientifiques des dernières décennies ont permis de détecter dans les fonds marins (de moins de 1 000 à 2 000 ou 3 000 mètres ou plus) des phénomènes géologiques ou géochimiques favorisant la concentration des métaux.
Certains sont connus, comme les nodules polymétalliques, d’autres le sont moins, comme les sédiments riches en terres rares, ou surtout les encroûtements cobaltifères et les amas sulfurés, mais sont plus prometteurs. Toutes ces ressources nouvelles pouvant représenter des concentrations beaucoup plus importantes que celles des mines terrestres, ouvrant ainsi de nouveaux champs très prometteurs.

Potentiel économique

Les encroû­te­ments cobal­ti­fères sont des croûtes pou­vant mesu­rer jusqu’à 25 cen­ti­mètres d’épaisseur et loca­li­sées au niveau de monts sous-marins (400 à 4 000 mètres) et d’élévations intraplaques.

“ Il faut savoir comment orienter les efforts, et surtout vers quel type de minerai ”

Com­po­sés d’hydroxydes de fer et d’oxydes de man­ga­nèse, ils pré­sentent de fortes teneurs en cobalt, et par­fois en pla­tine et tel­lure, ain­si que des élé­ments mineurs tels que les terres rares, titane, thal­lium, zir­co­nium, molyb­dène, etc.

Ces encroû­te­ments res­tent mal connus, même si l’on sait que les dépôts pré­sen­tant le plus fort poten­tiel éco­no­mique sont situés dans le Pacifique.

D’anciennes zones volcaniques

D’une façon géné­rale, les zones pou­vant repré­sen­ter un inté­rêt éco­no­mique, au sens fort du déve­lop­pe­ment durable (c’est-à- dire pou­vant per­mettre une exploi­ta­tion pro­fi­table tout en pré­ser­vant l’environnement), sont prin­ci­pa­le­ment d’anciennes zones vol­ca­niques, inac­tives et dépour­vues d’activité hydrothermale.

Ces zones sont en outre d’un grand inté­rêt pour les indus­triels du fait de leur plus grande acces­si­bi­li­té et de la moins grande sen­si­bi­li­té de la faune et de la flore, qui y foi­sonnent moins que dans les zones actives.

Orienter les efforts

Une des ques­tions essen­tielles, au regard des coûts énormes d’exploration, de recherche, et ulté­rieu­re­ment d’exploitation (au total, des cen­taines de mil­lions d’euros au mini­mum), est natu­rel­le­ment de savoir com­ment orien­ter prio­ri­tai­re­ment les efforts, et sur­tout vers quel type de minerai.

AMAS SULFURÉS

Les amas sulfurés, situés le long des 60 000 km de dorsales océaniques et au niveau de sites volcaniques sous-marins, sont principalement constitués de sulfures de fer. Ils peuvent présenter de forts enrichissements en métaux de base (cuivre, zinc) et métaux rares (or, argent, indium, germanium, etc.). On les trouve à des profondeurs variables, entre 800 et 5 000 mètres.

Or, contrai­re­ment à ce que pour­raient lais­ser pen­ser aus­si bien des déci­sions euro­péennes récentes au titre du pro­gramme H2020 (consa­crant quelque finan­ce­ment aux nodules), que des déci­sions du gou­ver­ne­ment fran­çais pro­lon­geant son inté­rêt pour la zone de Cla­rion-Clip­per­ton, les nodules ne sont plus le « pre­mier choix ».

Du reste, la France s’est en fait enga­gée a mini­ma à Clip­per­ton (en fai­sant savoir clai­re­ment qu’elle n’effectuerait pas la moindre cam­pagne sup­plé­men­taire), alors que de son côté la Com­mis­sion – via la DGMare – écri­vait dans un rap­port récent : « L’exploitation des mélanges sul­fu­rés des grands fonds semble avoir la meilleure via­bi­li­té com­mer­ciale, celle des nodules appa­rais­sant douteuse. »

Une filière prometteuse

La France et l’Allemagne, dont les indus­triels com­pé­tents consi­dèrent aus­si que les mélanges sul­fu­rés sont la meilleure chance, se sont rap­pro­chées pour consti­tuer une filière nou­velle, spé­cia­li­sée dans ce type de mine­rais et res­pec­tueuse du déve­lop­pe­ment durable.

“ À Berlin, on a compris que les grands fonds marins constituent un potentiel considérable ”

Mais en fait c’est la France, par­ti­cu­liè­re­ment bien posi­tion­née, qui a été sol­li­ci­tée par l’Allemagne et qui a l’initiative.

Avec l’Ifremer (si cet ins­ti­tut arrive à avoir la visi­bi­li­té et les moyens néces­saires, au-delà de ses prio­ri­tés mini­males que consti­tue la zone dor­sale atlan­tique récem­ment réser­vée par la France), et des socié­tés comme Tech­nip, CGG, Bour­bon, Comex, Total, Era­met, Louis-Drey­fus Arma­teurs, DCNS, Créo­céan, Alca­tel- Lucent Sub­ma­rine Net­works, mais aus­si Das­sault sys­tèmes et plus d’une ving­taine d’autres acteurs, son indus­trie mari­time est en effet la seule au monde à pos­sé­der des lea­ders inter­na­tio­naux pour les dix phases de tra­vaux, iden­ti­fiées par le groupe de tra­vail ad hoc du Clus­ter mari­time fran­çais, pour explo­rer et valo­ri­ser les futurs gisements.

De ce fait la France est le seul pays à pou­voir pro­po­ser aux autres pays inté­res­sés (Chine, Rus­sie, Japon, Corée, d’autres encore dont cer­tains ont aus­si des cham­pions, mais par­tiels) la pano­plie com­plète de ser­vices indus­triels nécessaire.


© LAURENT33 / FOTOLIA.COM

À Wallis-et-Futuna, les industriels français souhaitent mener rapidement une (troisième) campagne d’exploration, pour mieux identifier les ressources des sols en amas sulfurés et déterminer les conditions du respect de l’environnement marin – projet pour lequel nos professionnels sont prêts à engager la moitié des 22 millions d’euros nécessaires.

Une source majeure de développement

Cette situa­tion pour­rait et devrait être pour nous, à l’avenir, une source majeure de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social. Notre pays pos­sède en outre le second espace mari­time mon­dial et son immense zone éco­no­mique exclu­sive (11 mil­lions de km², sans comp­ter les sur­faces sup­plé­men­taires devant résul­ter bien­tôt des négo­cia­tions dites Extra­plac) regorge d’opportunités en matière d’exploitation sous-marine.

Enfin, la France a fait réser­ver par pré­cau­tion des zones d’exploration sur la dor­sale atlan­tique auprès de l’Autorité inter­na­tio­nale des grands fonds, même si elle ne peut pour l’instant mettre en ligne les moyens per­met­tant vrai­ment d’avancer.

Coopération franco-allemande

Autant d’atouts en termes de tech­no­lo­gie, d’expertise, de géo­gra­phie et d’obtention de per­mis qui n’ont pas échap­pé à l’Allemagne. À Ber­lin, on a bien com­pris que les grands fonds marins consti­tuaient un poten­tiel d’activité et de richesses consi­dé­rables pour les années à venir (à dix, voire vingt ans).

Prag­ma­tiques, les Alle­mands ont sou­hai­té déve­lop­per une coopé­ra­tion avec les Fran­çais. Car, s’ils ne béné­fi­cient pas d’un domaine mari­time tel que celui de la France ni de l’expertise glo­bale des cham­pions tri­co­lores, ils dis­posent d’une indus­trie navale et mari­time puis­sante, à même par exemple de prendre sa part – aux côtés des Fran­çais et sous réserve d’apporter eux-mêmes de légi­times contre­par­ties, telles que du finan­ce­ment – dans la concep­tion et la fabri­ca­tion des futurs outils indus­triels nécessaires.

Leur inté­rêt est très mar­qué, comme l’ont prou­vé les visites à Paris de deux ministres fédé­raux, pour y ren­con­trer nos pro­fes­sion­nels coor­don­nés par le Clus­ter mari­time français.

Signature de l'accord franco-allement pour l'exploitation des fonds marins
Le 20 octobre 2015, la France et l’Allemagne ont offi­ciel­le­ment signé un pro­to­cole d’accord liant le Clus­ter mari­time fran­çais et la Deep Sea Mining Alliance (DSMA) allemande.
© KATHRIN HELLER – BUNDESMINISTERIUM FÜR WIRTSCHAFT UND ENERGIE

UNE AMBITION COMMUNE

Les choses commencent à bouger côté État, qui a bien résumé l’ambition commune dans sa récente feuille de route : « La France poursuit un triple objectif : valoriser ses atouts dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation minières des grands fonds marins ; contribuer à l’émergence d’une filière industrielle d’excellence créatrice de richesses, d’innovations technologiques et d’emplois tout en préservant les écosystèmes marins de grands fonds ; préserver, pour l’avenir, un élément clé de notre indépendance stratégique en métaux et de notre développement économique. »

Leadership français

Dans le même temps, les pou­voirs publics fran­çais, très atten­tistes sur le sujet ces der­nières années (mal­gré trois CIMER depuis 2011 et la recom­man­da­tion de la com­mis­sion « Inno­va­tion 2030 », pré­si­dée par Anne Lau­ver­geon, de comp­ter les « grands fonds » par­mi les sept ambi­tions stra­té­giques prio­ri­taires pour la France) semblent enfin prendre conscience des énormes pers­pec­tives qu’offrirait une filière nou­velle sous lea­der­ship national.

Et cela même s’il appa­raît qu’à ce jour seuls de grands prin­cipes ont été adop­tés tan­dis que la par­ti­ci­pa­tion de fonds publics reste pro­blé­ma­tique (à l’exception de quelques méca­nismes fis­caux), comme la réso­lu­tion des conflits de com­pé­tence entre l’État et les pou­voirs locaux dans nos ter­ri­toires d’outre-mer les plus prometteurs.

Deux accords

C’est en tout cas dans cette pers­pec­tive que la France et l’Allemagne ont offi­ciel­le­ment signé deux accords le 20 octobre 2015 à Bre­me­rha­ven. D’une part une décla­ra­tion d’intention entre les gou­ver­ne­ments, mais aus­si et sur­tout un pro­to­cole d’accord liant le Clus­ter mari­time fran­çais et la Deep Sea Mining Alliance (DSMA) allemande.

Et c’est le 2 février 2016 qu’a eu lieu, au Clus­ter à Paris, la pre­mière réunion de tra­vail des­ti­née à étu­dier les moda­li­tés d’une coopé­ra­tion pro­fi­table pour les deux pays.

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