Les filières ENR peuvent-elles être compétitives ?

Dossier : Dossier FFEMagazine N°697 Septembre 2014
Par Fabrice CASSIN

On s’autorisera deux obser­va­tions limi­naires, tenant, d’une part, la diver­si­té et l’hétérogénéité des filières concer­nées et, d’autre part, la dif­fi­cul­té à mesu­rer la com­pé­ti­ti­vi­té de filières énergétiques.

D’une part, l’article L. 211–1 du code de l’énergie recense des sources non fos­siles renou­ve­lables mais qui usent de tech­no­lo­gies dif­fé­rentes et pro­duisent des éner­gies différentes.

Ces tech­no­lo­gies peuvent, en effet, ser­vir à la pro­duc­tion d’électricité et/ou de cha­leur (bio­masse, bio­gaz, pompes à cha­leur aéro­ther­mique et géo­ther­mique, éner­gies solaire et géo­ther­mique) ou seule­ment à la pro­duc­tion d’électricité (éner­gies éolienne, hydrau­lique, marémotrice/ houlomotrice).

En 2011, la pro­duc­tion de cha­leur repré­sen­tait 59,4 % de la pro­duc­tion totale d’énergie renou­ve­lable en France devant la pro­duc­tion d’électricité (40,6 %). Ces pro­por­tions ne devraient pas évo­luer de façon signi­fi­ca­tive à l’horizon 2020, selon le rap­port remis en juillet 2013 par la Cour des comptes.

Par ailleurs, au sein des éner­gies renou­ve­lables, la part de l’éolien pas­se­rait de 6,2 % à 15,2 % entre 2011 et 2020 et celle de l’hydroélectricité bais­se­rait de 30,2 % à 16,9 %.

D’autre part, le pre­mier cri­tère pour mesu­rer la com­pé­ti­ti­vi­té de filières éner­gé­tiques reste le coût de pro­duc­tion. Mais il faut com­pa­rer le coût de pro­duc­tion de l’énergie élec­trique ou ther­mique aux tech­no­lo­gies aux­quelles elle se sub­sti­tue et tenir compte de l’offre exis­tante, notam­ment du mix éner­gé­tique et du réseau dans lequel elle s’inscrit, ain­si que des exter­na­li­tés qu’elle induit (déchets, besoins en capa­ci­tés de secours, émis­sions de gaz à effet de serre, de pol­luants atmosphériques…).

Le deuxième cri­tère d’évaluation est la satis­fac­tion de la demande. La com­pé­ti­ti­vi­té dépend enfin des condi­tions d’exploitation liées à la géo­gra­phie d’implantation et aux gise­ments acces­sibles, ou encore du contexte régle­men­taire et des exi­gences envi­ron­ne­men­tales et de sûre­té en vigueur. Ain­si, la com­pé­ti­ti­vi­té d’une tech­no­lo­gie est liée au contexte éner­gé­tique, au lieu géo­gra­phique, au cadre régle­men­taire et au ser­vice rendu.

L’actualité reflète la mon­tée en com­pé­ti­ti­vi­té des éner­gies renou­ve­lables (I). Mais au-delà de ce constat, il reste que cette évo­lu­tion est pro­gres­sive et pro­gram­mée sur le long terme, dans un mar­ché de l’énergie faus­se­ment concur­ren­tiel, lui-même en muta­tion (II).

I) Une compétitivité affirmée

A par­tir des direc­tives euro­péennes, la France a déve­lop­pé une poli­tique en faveur des éner­gies renou­ve­lables, véri­table levier de com­pé­ti­ti­vi­té de la filière ENR, visant des objec­tifs ambi­tieux (A) et struc­tu­rée autour des méca­nismes de sou­tien nom­breux et variés (B).

A) Des objectifs ambitieux partiellement atteints

La France est enga­gée par de nom­breux trai­tés et accords com­mu­nau­taires et inter­na­tio­naux tou­chant à la poli­tique éner­gé­tique. Deux élé­ments struc­turent, en par­ti­cu­lier, son enga­ge­ment dans la tran­si­tion éner­gé­tique : son adhé­sion aux objec­tifs inter­na­tio­naux de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, à tra­vers le Pro­to­cole de Kyo­to et ses suites, et sa par­ti­ci­pa­tion aux objec­tifs que s’est fixée l’Union euro­péenne à l’horizon 2020, trans­po­sés en 2010 dans un plan d’action natio­nal en faveur des éner­gies renou­ve­lables, qui assigne à la France un objec­tif mini­mum de 23 % d’énergies renou­ve­lables dans la consom­ma­tion d’énergie finale en 2020.

Les prin­ci­pales lois en vigueur dans le domaine de l’énergie intègrent et com­plètent ces enga­ge­ments euro­péens et inter­na­tio­naux. Il s’agit notam­ment de la loi de pro­gramme adop­tée dès 2005, et des lois dites Gre­nelle 1 et 2, entrées en vigueur res­pec­ti­ve­ment en 2007 et 2009.

La France a défi­ni des objec­tifs chif­frés en matière d’installation d’unités de pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables pour 2020 : 5,4 GW ins­tal­lés en solaire, 2,3 GW sup­plé­men­taires en bio­masse hors bio­gaz, 19 GW ins­tal­lés en éolien ter­restre, 6,0 GW ins­tal­lés en éolien en mer et éner­gies marines, 3 GW sup­plé­men­taires en hydraulique.

Depuis 2005, les émis­sions de gaz à effet de serre ont bais­sé en France de plus de 13 % et sont de 474 Mteq CO2 en 2011. L’objectif du pro­to­cole de Kyo­to, rela­tif à la sta­bi­li­sa­tion des émis­sions sur la période 2008–2012 par rap­port à leur niveau de 1990 (559 Mteq CO2) sera donc lar­ge­ment dépassé.

La France figure aujourd’hui en bonne posi­tion par rap­port à ses voi­sins euro­péens. Pour autant, les pre­miers retards enre­gis­trés dès 2011 dans la pro­duc­tion d’énergies de sources renou­ve­lables et le niveau des efforts à four­nir pour atteindre les objec­tifs fixés en 2020 éloignent la pers­pec­tive de les atteindre.

En effet, les sup­plé­ments de pro­duc­tions à réa­li­ser dans les sec­teurs de l’électricité et de la cha­leur renou­ve­lables entre 2011 et 2020 repré­sentent six et sept fois ce qui a été res­pec­ti­ve­ment réa­li­sé entre 2005 et 2011, selon la Cour des Comptes.

B) Des mécanismes de soutien nombreux et variés

Les ENR sont deve­nus com­pé­ti­tives grâce au sou­tien des pou­voirs publics. Dans tous les pays euro­péens, l’État incite à la pro­duc­tion (sou­tien à l’investissement, tarifs d’achat, cer­ti­fi­cat vert…) et à la consom­ma­tion (avan­tage fis­caux) d’énergies renou­ve­lables, et il finance la recherche dans ce domaine.

Ce volon­ta­risme a incon­tes­ta­ble­ment per­mis un déve­lop­pe­ment rapide de ces éner­gies, notam­ment des filières éolienne et solaire. L’obligation d’achat est le prin­ci­pal outil de la poli­tique de sou­tien à la pro­duc­tion d’électricité renouvelable.

En appli­ca­tion de l’article L.314–1 du code de l’énergie, les four­nis­seurs his­to­riques d’électricité sont tenus d’acheter aux pro­duc­teurs l’électricité pro­duite à par­tir de sources d’énergies renou­ve­lables. L’achat est réa­li­sé au tarif arrê­té par le ministre char­gé de l’énergie après avis de la CRE, ou au tarif fixé dans le contrat d’achat dans le cas des appels d’offres.

Ces dis­po­si­tifs sont cepen­dant appe­lés à évo­luer voire à dis­pa­raître au fur et à mesure de l’atteinte des objec­tifs en termes de pro­duc­tion renou­ve­lable, d’efficacité éner­gé­tique et de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre mais éga­le­ment de la matu­ri­té des tech­no­lo­gies concernées.

II) Une compétitivité à renforcer

Pour main­te­nir cette com­pé­ti­ti­vi­té, l’État doit ration­na­li­ser les méca­nismes de sou­tien (A) et struc­tu­rer les filières (B).

A) réformer le système d’aides d’État

Dans son rap­port de juillet 2013, la Cour des comptes exa­mine les poli­tiques de déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables et émet des doutes sur la pos­si­bi­li­té de tenir les objec­tifs fixés en la matière.

Elle sou­ligne le coût, « 37 mil­liards d’euros d’investissements éner­gé­tiques chaque année, sou­te­nus par près de 20 mil­liards € de cré­dits publics ou liés (tarifs, contri­bu­tion au ser­vice public de l’électricité, prêts boni­fiés…), dont 3,6 mil­liards € de cré­dits bud­gé­taires d’État ».

Le coût du finan­ce­ment est une des clés de la com­pé­ti­ti­vi­té des ENR. Le concours finan­cier doit être davan­tage cor­ré­lé aux prix du mar­ché et doit contri­buer à rendre les sources d’énergie renou­ve­lables davan­tage compétitives.

Il s’agirait de réorien­ter les aides « vers les filières les moins coû­teuses au méga­wat­heure pro­duit » (éolien ter­restre, bio­masse…) tout en veillant aux avan­tages indus­triels qu’elles pro­curent à la France.

Le futur pro­jet de loi de tran­si­tion éner­gé­tique, dans sa ver­sion pro­vi­soire, réforme notam­ment les méca­nismes de sou­tien. Si les tarifs d’achat pré­fé­ren­tiels sont main­te­nus, ils devraient être arti­cu­lés avec un nou­veau contrat d’achat avec « com­plé­ment de rému­né­ra­tion », pour don­ner plus de flexi­bi­li­té au sys­tème qui repo­se­rait sur des « dis­po­si­tifs de sou­tien sous la forme d’une aide ver­sée en com­plé­ment de la vente sur le mar­ché de l’électricité pro­duite par les éner­gies renou­ve­lables ».

Ain­si les tarifs de l’électricité verte pour­raient être plus flexibles, plus proches des prix de mar­ché. Le com­plé­ment de rému­né­ra­tion per­met­trait de cibler davan­tage telle ou telle éner­gie renou­ve­lable. C’est une approche annon­cée dans les nou­velles lignes direc­trices euro­péennes sur les aides aux éner­gies renouvelables.

A mesure qu’elles gagnent en matu­ri­té, les tech­no­lo­gies doivent être pro­gres­si­ve­ment expo­sées au prix du mar­ché et in fine, le sou­tien devra être tota­le­ment sup­pri­mé. Le pilo­tage admi­nis­tra­tif de l’évolution des dis­po­si­tifs doit être le plus réac­tif pos­sible et doit assu­rer la sécu­ri­té des investisseurs.

B) Structuration de filières dans un marché concurrentiel

Le mar­ché unique euro­péen de l’énergie doit être par­ache­vé en 2014, ce qui néces­site une ouver­ture du sec­teur éner­gé­tique des États membres à la concur­rence. Ce nou­veau mar­ché se veut com­pé­ti­tif, trans­pa­rent et inté­gré pour que les consom­ma­teurs tant par­ti­cu­liers qu’industriels res­sentent le béné­fice d’une concur­rence loyale et de prix de l’énergie plus bas possible.

Par­mi les défis que ren­contre cette ouver­ture, le moindre n’est pas celui des rup­tures tech­no­lo­giques qui lui sont néces­saires. Le pre­mier d’entre eux est celui du sto­ckage des éner­gies renou­ve­lables inter­mit­tentes, qui est l’un des enjeux essen­tiels de l’avenir. Ce sto­ckage peut être par exemple par une trans­for­ma­tion de l’électricité en gaz (métha­ni­sa­tion) et sto­ckage du gaz.

L’interconnexion accrue des réseaux élec­triques afin d’assurer l’équilibre offre/demande d’électricité à un niveau euro­péen est éga­le­ment indispensable.

Les réseaux intel­li­gents et la ges­tion de la consom­ma­tion sont encore des sujets de recherche qui seront pri­mor­diaux pour les éner­gies renouvelables.

Les éner­gies fos­siles doivent enfin sup­por­ter un véri­table signal prix avec une valo­ri­sa­tion des quo­tas CO2.

Il sera alors pos­sible de façon­ner un mix intel­li­gent et équi­li­bré entre les renou­ve­lables et le nucléaire, mix qui per­met­tra lui seul de faire de la tran­si­tion éner­gé­tique un levier de com­pé­ti­ti­vi­té durable.

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