Le drone Northrop Grumman X-47B apponte

Les drones aériens investissent l’espace maritime

Dossier : Les dronesMagazine N°718 Octobre 2016
Par Marc GROZEL

La mise en œuvre de drones dans l’espace mari­time sup­pose le réso­lu­tion de dif­fi­cul­tés spé­ci­fiques. On a tes­té des drones cata­pul­tés, des héli­co­ptères « dro­ni­sés », des avions sans pilote sur porte-avions. Si les pro­blèmes tech­niques sont en passe d’être réso­lus, il n’y a pas encore de doc­trine d’emploi universelle. 

Les drones aériens sont aujourd’hui d’un emploi cou­rant dans l’espace de bataille aéro­ter­restre. Mais qu’en est-il de l’espace maritime ? 

Pour mettre en œuvre des drones aériens dans l’espace mari­time, de nom­breux pro­blèmes sont à résoudre : 

“ Mettre en œuvre un drone à partir d’une plate-forme navale n’est pas facile
  • la plate-forme de décol­lage et de récu­pé­ra­tion est mobile selon trois axes ; l’environnement élec­tro­ma­gné­tique est très dense et sou­vent contraint ; 
  • les condi­tions météo­ro­lo­giques sont sou­vent sévères ; 
  • l’ambiance saline est éle­vée, la place res­treinte et les contraintes de sécu­ri­té sévères. 

Les dif­fé­rentes forces aéro­na­vales ont réso­lu ces pro­blèmes et maî­trisent par­fai­te­ment ces don­nées, mais avec des pilotes à bord. Dans le cas du drone, l’équipage est encore pré­sent, mais il est dépor­té avec toutes les nou­velles contraintes que cela induit. 

De plus, le drone arri­vant le der­nier, c’est à lui de s’adapter, bien qu’il soit pro­bable qu’apparaissent à terme des bâti­ments uni­que­ment conçus pour des drones (qui pour­raient être aériens, de sur­face ou sous-marins). 

REPÈRES

Les mers et les océans recouvrent 71 % de notre planète. Le trafic maritime représente, en 2015, 80 % du commerce mondial en volume, et aujourd’hui plus de 50 % de la population mondiale vit à moins de 100 km des côtes. Cette proportion devrait être de 75 % en 2035. Les mers et les océans recèlent d’immenses ressources naturelles qui attisent toutes les convoitises.
Enfin, l’espace maritime au-delà des 200 miles nautiques des côtes reste encore un espace de liberté. D’où l’intérêt militaire des grands États de disposer de marines puissantes.


Le Nor­throp Grum­man X‑47B apponte sur le CVN-77 USS GHW Bush.

DES APPORTS DE CAPACITÉ INTÉRESSANTS

Mettre en œuvre un drone aérien à par­tir d’une plate-forme navale n’est donc pas facile. Alors, pour­quoi le faire ? Avant tout parce que cela apporte des capa­ci­tés mili­taires intéressantes. 

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA CATAPULTE

Les premiers drones embarqués étaient lancés par catapulte ou booster, et récupérés à la mer dans un filet. Ce principe est encore utilisé par quelques UAV comme l’Aerosonde, le Fulmar, le Bat ou le Vultur. Toutefois, il reste limité à des appareils de masse réduite. De plus, la récupération finale, une fois l’appareil dans le filet, est parfois problématique.

Un drone peut voler plus long­temps qu’un appa­reil pilo­té, sans ravi­taille­ment en vol. Un drone, par nature « per­dable », peut péné­trer dans des espaces non per­mis­sifs sans mettre en dan­ger son équipage. 

Un drone est sou­vent plus petit et donc plus dis­cret, ce qui a un inté­rêt tac­tique évident. Pour tous ces élé­ments, un drone aérien est très com­plé­men­taire d’un appa­reil embarqué. 

Ain­si, au drone les mis­sions longues de veille, de sur­veillance, de pis­tage ; à l’appareil pilo­té les mis­sions plus com­plexes de lutte anti-sous-marine, d’attaque, etc. Dans ces domaines, l’intelligence humaine n’est pas encore surpassée. 

Enfin, der­nier point et non le moindre, ce type de sys­tème per­met d’optimiser finan­ciè­re­ment le coût de sur­veillance d’une zone. Le coût glo­bal (acqui­si­tion, sou­tien et main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle) d’un sys­tème de drone devrait, de par sa taille et sa com­plexi­té, être moindre que celui d’un appa­reil piloté. 

DE LA CATAPULTE AU DÉCOLLAGE-APPONTAGE VERTICAL

Un sys­tème un peu plus évo­lué a été déve­lop­pé par Insi­tu (filiale de Boeing) avec un lan­ce­ment par cata­pulte et une récu­pé­ra­tion le long d’un câble (sys­tème Sky­hook). C’est la méthode employée par le Scan Eagle, emblé­ma­tique aujourd’hui du drone tac­tique à voi­lure fixe embarqué. 

Catapultage d'un drone sur porte-avion
Sys­tème Scan Eagle : cata­pulte et skyhook.

Si ce sys­tème est effi­cace, il est loin d’être opti­mum : sa faible masse limite sa capa­ci­té en charge utile. Le suc­ces­seur du Scan Eagle, qui reprend ses carac­té­ris­tiques de mise en œuvre, le RQ-21 Bla­ck­jack, est lui aus­si de masse réduite, avec des limi­ta­tions un peu assouplies. 

La solu­tion la plus évi­dente est d’utiliser un drone héli­co­ptère (UAV VTOL). Dès le milieu des années 1960, l’US Navy et un peu plus tard la marine japo­naise ont mis en œuvre ce type de sys­tème avec le QH-50 DASH (Drone Anti-Sub­ma­rine Heli­cop­ter) de Gyro­dyne. Tou­te­fois, la tech­no­lo­gie était limi­tée, avec des per­for­mances réduites et un taux d’attrition éle­vé qui ont réduit la durée de ser­vice du système. 

À la fin des années 1990, l’US Navy a tes­té le Cana­dair CL-227, puis le CL-327 (dit « caca­huète volante »), mais le sys­tème, bien qu’ayant réus­si à appon­ter, n’a pas démon­tré sa fia­bi­li­té et ses per­for­mances. Il ne fut pas retenu. 

Néan­moins, l’US Navy cher­chait tou­jours un sys­tème plus per­for­mant, ce qui abou­tit au Nor­throp Grum­man VTUAV (pour VTOL tac­tique UAV) MQ-8A/B Fire Scout qui appon­ta dès 2006. Actuel­le­ment, le MQ-8B (poids maxi­mum au décol­lage : 1,4 tonne, endu­rance 5 heures) est en ser­vice dans l’US Navy. Mais, pour celle-ci, le MQ-8A/B est encore limi­té et elle se pré­pare à mettre en ser­vice le MQ-8C (2,7 tonnes, endu­rance 10 heures). 

“ DRONISER ” DES HÉLICOPTÈRES

Ces deux UAV sont fon­dés sur la même phi­lo­so­phie : trans­for­mer un héli­co­ptère fiable et maî­tri­sé en UAV (le Schwei­zer 333 pour le MQ-8A/B et le Bell 407 pour le MQ-8C). Cette méthode est rapide, limite les risques, mais donne nais­sance à des UAV gros, com­plexes, avec des impacts impor­tants en termes de volume et de coûts. 

“ Le coût global d’un drone devrait être moindre que celui d’un appareil piloté ”

À ce jour, seule l’US Navy a fait ce choix, même si Nor­throp Grum­man espère tou­jours vendre son sys­tème à l’exportation.

Dans cet esprit, en France, Air­bus Heli­cop­ters (AH) étu­die la « dro­ni­sa­tion » du drone léger Guim­bal Cabri qui devrait don­ner nais­sance au sys­tème de drone VSR 700/Orka d’une taille inter­mé­diaire (700 kg, endu­rance 8 heures). 

Le drone Serval (Schiebel S-100)
Le drone Ser­val (Schie­bel S‑100) sur L’Adroit.

Dans le domaine du VTOL embar­qué, l’autre sys­tème emblé­ma­tique est le Schie­bel S‑100, qui cor­res­pond à une phi­lo­so­phie radi­ca­le­ment dif­fé­rente : conce­voir un UAV tac­tique VTOL à par­tir d’une feuille blanche pour obte­nir un petit appa­reil tac­tique (200 kg, endu­rance 6 heures). Le S‑100 a été déve­lop­pé ini­tia­le­ment pour les armées de terre (il est notam­ment en ser­vice aux Émi­rats arabes unis, qui en ont par ailleurs finan­cé le déve­lop­pe­ment ini­tial), mais aus­si pour appon­ter. Le S‑100 a réa­li­sé des démons­tra­tions à par­tir de navires en Alle­magne, en Inde ou au Pakis­tan, etc. 

Plu­sieurs marines emploient ou emploie­raient le S‑100 à par­tir de navires, par­mi les­quelles la Chine (bien qu’officiellement les forces chi­noises ne confirment pas la pos­ses­sion de S‑100), les Émi­rats arabes unis, les forces spé­ciales américaines. 

Ce sys­tème offre des capa­ci­tés inté­res­santes notam­ment en rai­son de sa taille qui per­met d’envisager son inté­gra­tion à bord d’une fré­gate avec un héli­co­ptère embar­qué de taille moyenne. 

UN PROGRAMME POUR LA MARINE NATIONALE

La France n’a pas encore de drone embar­qué, mais elle mène dif­fé­rentes expé­ri­men­ta­tions et conti­nuer à pré­pa­rer le futur pro­gramme SDAM (Sys­tème de drone aérien pour la Marine) qui devrait entrer en ser­vice au début de la pro­chaine décen­nie. Depuis 2011, la Marine mène le pro­gramme SERVAL (Sys­tème embar­qué de recon­nais­sance, vec­teur aérien léger). 

Elle est la seule marine euro­péenne à mettre en œuvre en auto­no­mie totale et sur la durée ce type de drones sur un bâti­ment. Les autres marines euro­péennes qui ont mené ce genre d’expérimentation l’ont toutes fait sur de courtes périodes et avec l’assistance d’industriels.

VERS L’APPONTAGE D’AVIONS SANS PILOTE

LE X‑47B

Le X‑47B a volé pour la première fois à partir d’un porte-avions (CVN-77) en 2013. Il a été, en avril 2015, le premier UAV à être ravitaillé en vol. Ce système devait être une première étape vers l’UCLASS (Unmanned Carrier Launched Airborne Surveillance and Strike), qui vise à mettre en service un drone de combat sur porte-avions vers 2020.

Les États-Unis n’ont jamais aban­don­né l’idée de faire appon­ter des UAV à voi­lure fixe sur porte-avions et ont même tes­té, sans suc­cès, un MQ‑5 Hun­ter sur un porte-hélicoptères. 

Fina­le­ment, l’US Navy a lan­cé le pro­gramme N‑UCAS (Naval UCAS) qui a don­né nais­sance au Nor­throp Grum­man X‑47B (MTOW 20 t). 

En février 2016, l’US Navy a annu­lé le pro­gramme UCLASS au pro­fit du pro­gramme CBARS (Car­rier-Based Aerial- Refue­ling Sys­tem). Cette annu­la­tion n’est pas un échec tech­nique mais une déci­sion prag­ma­tique : l’US Navy a besoin d’un ravi­tailleur rapi­de­ment et il s’agira d’une étape. Il ne fait aucun doute que l’avenir de sa flotte aérienne sera une flotte mixte UAV/avions pilotés. 

VAINCRE LES RÉTICENCES HUMAINES

Le seg­ment des drones mari­times est en plein déve­lop­pe­ment. La majo­ri­té des pro­blèmes tech­niques sont aujourd’hui réso­lus ou en cours de réso­lu­tion, notam­ment l’intégration phy­sique et fonc­tion­nelle opti­male, mais il reste encore des étapes à fran­chir avant que les drones se géné­ra­lisent sur les bâtiments. 

“ Les États-Unis n’ont jamais abandonné l’idée de faire apponter des UAV à voilure fixe sur porte-avions ”

Il reste encore des réti­cences humaines à abo­lir face à la robo­ti­sa­tion de cet espace, mais aus­si face à l’opposition des pilotes (comme pour les armées de l’air) et plus géné­ra­le­ment des habitudes. 

La ques­tion n’est pas de savoir si les drones (pas seule­ment aériens, mais aus­si de sur­face et sous-marins) seront déployés un jour sur les bâti­ments, mais quand. 

Demain, il y aura les marines de pre­mier rang qui met­tront en œuvre des drones, et les autres. 

Essais du drone X‑47b de Nor­throp Grum­man à bord d’un porte-avion de l’US NAVY
On pour­ra zap­per sur les minutes 5 à 14 qui s’é­ter­nisent sur le gru­tage de l’en­gin à bord du porte-avions
pour admi­rer ensuite le pilo­tage, le décol­lage et l’appontage 

Poster un commentaire