Les compagnies low-cost vont-elles concurrencer les grandes ?

Dossier : Le transport aérienMagazine N°645 Mai 2009
Par François COLLET (69)

REPÈRES
La pre­mière com­pa­gnie consi­dé­rée comme une réfé­rence pour le modèle low-cost est la com­pa­gnie Sou­th­west Air­lines créée au Texas en 1971. Aujourd’hui, Sou­th­west a une flotte de 500 B‑737 et a fran­chi le cap des 100 mil­lions de pas­sa­gers par an, ce qui en fait la pre­mière com­pa­gnie du monde en nombre de pas­sa­gers, mais pas en pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés ni en chiffre d’affaires.

L’es­sor des com­pa­gnies low-cost en Europe est récent. La pion­nière, Rya­nair, a été créée en 1985, mais elle s’est d’a­bord cher­chée et n’a véri­ta­ble­ment adop­té son modèle actuel de déve­lop­pe­ment et pris son essor qu’à par­tir du milieu des années quatre-vingt-dix.

L’autre pion­nière euro­péenne est la bri­tan­nique Easy­jet créée en 1995. C’est aujourd’­hui la pre­mière com­pa­gnie euro­péenne en nombre annuel de pas­sa­gers avec un chiffre de 50 mil­lions par an, mais est encore loin d’Air France-KLM, de Luf­than­sa ou de Bri­tish Air­ways en pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés et en chiffre d’af­faires. Au cours des années 2000, ces pion­nières ont consi­dé­ra­ble­ment déve­lop­pé leur tra­fic et de nou­velles com­pa­gnies se sont lan­cées sur le cré­neau avec des suc­cès variables. Le modèle s’est par ailleurs éten­du à l’A­sie, et plus géné­ra­le­ment à l’en­semble du monde (Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amé­rique du Sud, Aus­tra­lie, etc.).

En Europe, on compte plus d’une tren­taine de com­pa­gnies low-cost significatives

En Europe, on compte aujourd’­hui plus d’une tren­taine de com­pa­gnies low-cost consi­dé­rées comme signi­fi­ca­tives, bien que cer­taines soient fra­giles. Elles émanent notam­ment d’Ir­lande et du Royaume-Uni (Rya­nair, Easy­jet, Flybe, bmi­ba­by, Jet2.com, Air Sou­th­west), d’Al­le­magne (Air Ber­lin, TUI­fly, Ger­man­wings), d’Es­pagne (Cli­ckair, Vue­ling), d’I­ta­lie (My Air), de Slo­va­quie (Sky Europe), de Pologne (Wizz Air), du Dane­mark (Ster­ling), de Nor­vège (Nor­we­gian), de Suède (Sve­rige Flyg), des Pays-Bas puis de France (Transavia.com, filiale du groupe Air France-KLM).

Cer­taines ont été créées ex nihi­lo ; d’autres pro­viennent de la recon­ver­sion d’an­ciennes com­pa­gnies à voca­tion plus géné­ra­liste de taille moyenne ou petite. Des regrou­pe­ments, comme l’a­chat de Buzz par Rya­nair ont par ailleurs déjà eu lieu.

LE MODÈLE

Abaisser les coûts

Le modèle low-cost se défi­nit dans le trans­port aérien par un cer­tain nombre de carac­té­ris­tiques que l’on retrouve de façon très nette chez cer­tains trans­por­teurs et un peu moins chez d’autres. En d’autres termes, une com­pa­gnie aérienne peut être plus ou moins low-cost, ce qui se com­prend car il ne s’a­git pas d’un métier mais d’un posi­tion­ne­ment concur­ren­tiel choisi.

Simples et sans gadgets
La Com­mis­sion euro­péenne classe les trans­por­teurs aériens en quatre caté­go­ries : Full Ser­vice Net­work Car­riers (FSNC) ; Low-Cost Car­riers (LCC) ; Regio­nal Car­riers (Regio­nals) et Char­ters. La caté­go­rie des Low-Cost Car­riers est défi­nie comme com­pre­nant des com­pa­gnies qui pro­posent des prix bas pour la majo­ri­té de leurs vols ; opèrent prin­ci­pa­le­ment sur des liai­sons à courte et moyenne dis­tance ; ont des frais de struc­ture réduits ; ont un coef­fi­cient de rem­plis­sage rela­ti­ve­ment éle­vé ; pro­posent aux pas­sa­gers un ser­vice no frills, ce que l’on peut tra­duire par simple et sans gad­gets (repas et bois­sons à bord sup­pri­més ou payants).

Ces carac­té­ris­tiques com­munes sont autant de moyens d’a­bais­ser à la fois les coûts directs d’ex­ploi­ta­tion, les coûts com­mer­ciaux et les frais de struc­ture. Citons l’ho­mo­gé­néi­té de la flotte (un seul type d’a­vion) ; l’ho­mo­gé­néi­té des lon­gueurs d’é­tapes (seg­ment type, en temps de par­cours, consom­ma­tion de car­bu­rant, temps de char­ge­ment ; chaque avion revient à sa base le soir, il n’y a donc pas de frais d’hé­ber­ge­ment pour les équi­pages) ; la concen­tra­tion sur les vols point à point (jamais de vols en cor­res­pon­dance) ; le rem­plis­sage des avions (sièges res­ser­rés, une seule classe de pas­sa­gers) ; le mode de tari­fi­ca­tion (tarifs pro­mo­tion­nels ; allers simples et non rem­bour­sables) ; la réser­va­tion et la vente en ligne (les billets ne sont ven­dus que par Inter­net, ce qui per­met que la recette soit encais­sée avant le vol) ; le choix des aéro­ports (rede­vances moindres, moins d’at­tentes) ; les temps de rota­tion (aug­men­ta­tion du nombre de rota­tions effec­tuées avec un même avion et un même équi­page) ; le concept » no frills » et les reve­nus annexes (ser­vice mini­mum, salles spar­tiates, esca­beaux tra­di­tion­nels) ; la pré­émi­nence de l’offre sur la demande (le contraire d’une com­pa­gnie charter).

Choisir des niches

La posi­tion acquise par une com­pa­gnie low-cost sur un seg­ment de mar­ché n’est solide que si elle est réel­le­ment et dura­ble­ment moins chère que ses concur­rentes poten­tielles sur ledit seg­ment. Cela sup­pose de manière assez évi­dente une part de mar­ché impor­tante en volume.

En effet, le pou­voir de négo­cia­tion avec les construc­teurs d’a­vions, avec les aéro­ports, avec les four­nis­seurs de car­bu­rant, les moyens consa­crés au mar­ke­ting et à la publi­ci­té, le rap­port entre le coût des outils infor­ma­tiques et le chiffre d’af­faires consti­tuent autant d’élé­ments qui per­mettent à celui qui dis­pose du plus grand volume de tra­fic d’of­frir le ser­vice pro­po­sé au meilleur coût.

Il ne peut donc pas y avoir véri­ta­ble­ment et dura­ble­ment de petite com­pa­gnie low-cost, sauf sur des niches, comme, par exemple, les aéro­ports qui ont des pistes trop courtes pour accueillir les avions de type A‑320 ou B‑737.

LES CHIFFRES

Deux leaders européens aux stratégies différentes


Car­cas­sonne, béné­fi­ciaire du low-cost

Rya­nair est incon­tes­ta­ble­ment le numé­ro un en Europe, par son taux de crois­sance, son chiffre d’af­faires et sa ren­ta­bi­li­té. Son tra­fic a été mul­ti­plié par plus de 7 entre 2000 et 2008. Au cours de son exer­cice clos le 31 mars 2008, la com­pa­gnie a trans­por­té plus de 50 mil­lions de pas­sa­gers, et des­ser­vi 653 routes. Son taux de marge nette de 18 % est très supé­rieur à celui des com­pa­gnies géné­ra­listes comme Air France, Luf­than­sa ou Bri­tish Airways.

L’une des par­ti­cu­la­ri­tés de sa stra­té­gie et de son déve­lop­pe­ment est d’a­voir créé son propre mar­ché, en ouvrant des liai­sons inter­na­tio­nales directes au départ ou à des­ti­na­tion d’aé­ro­ports secon­daires, et en évi­tant du même coup d’af­fron­ter les com­pa­gnies tra­di­tion­nelles sur leur ter­rain. Aujourd’­hui encore Rya­nair ne des­sert ni Charles-de-Gaulle, ni Orly, ni Lyon. Easy­jet, le numé­ro deux, a éga­le­ment connu une forte crois­sante, mais avec des taux plu­tôt moins éle­vés que ceux de Rya­nair et n’a pas une ren­ta­bi­li­té aus­si forte. La com­pa­gnie a trans­por­té 37,2 mil­lions de pas­sa­gers sur 289 routes au cours de son exer­cice clos le 30 sep­tembre 2007.

Aéro­ports Francais AF-KLM et filiales EASYJET RYANAIR
CDG
Orly
Nice
Lyon
Marseille
Bâle-Mulhouse
Bordeaux
Nantes
Beauvais
Montpellier
Strasbourg
Lille
Bastia
Ajaccio
Biarritz
Pau
Brest
Perpignan
Toulon
Clermont-Ferrand
Rennes
Metz-Nancy
Lourdes
Grenoble
Carcassonne
Nîmes
Béziers
Bergerac
Limoges
Rodez
Poitiers
Tours
La Rochelle
Angoulême
Dinard


À la dif­fé­rence de Rya­nair, Easy­jet s’est atta­quée dès le début à des liai­sons exis­tantes à fort tra­fic, à par­tir des grands aéro­ports, se posant ain­si en chal­len­ger des acteurs en place. En France, Easy­jet concur­rence ain­si Air France sur les grandes radiales comme Orly-Tou­louse ou Orly-Nice, et main­te­nant sur des liai­sons au départ de Lyon.

La vente en ligne per­met d’encaisser la recette long­temps avant le vol

Il s’a­git véri­ta­ble­ment d’un autre che­min stra­té­gique de crois­sance. Cela étant dit, plus les deux com­pa­gnies pour­suivent leur déve­lop­pe­ment, plus elles sont ame­nées à se confron­ter, à la fois entre elles et avec les trans­por­teurs tra­di­tion­nels, car les réserves de crois­sance poten­tielle inex­plo­rées se font plus rares. C’est ain­si que Rya­nair des­sert Nice, Mar­seille, Bâle-Mul­house ou Nantes, alors que ses pre­mières des­ti­na­tions en France étaient uni­que­ment des aéro­ports secondaires.

Un impact économique

Retom­bées et contreparties
Ber­ge­rac ou Car­cas­sonne, qui sont de petites villes, et accueillent cha­cune main­te­nant plu­sieurs cen­taines de mil­liers de pas­sa­gers aériens par an, sont tout à fait repré­sen­ta­tives d’un déve­lop­pe­ment éco­no­mique lié au tra­fic aérien low-cost. En contre­par­tie, les col­lec­ti­vi­tés concer­nées aident finan­ciè­re­ment l’é­qui­pe­ment et l’ex­ploi­ta­tion des aéro­ports consi­dé­rés, dans le cadre d’un cal­cul coûts-avan­tages qu’elles jugent toutes net­te­ment bénéficiaire.

En France, une quin­zaine d’aé­ro­ports régio­naux, presque tous situés dans la moi­tié sud de la France, sont des­ser­vis par Rya­nair alors qu’ils ne sont pas reliés au réseau du groupe Air France-KLM. De plus, d’autres aéro­ports encore, comme Cham­bé­ry, Avi­gnon, Deau­ville, sont des­ser­vis par des com­pa­gnies low-cost qui uti­lisent des avions plus petits (Flybe, Sky­south). Dans tous les cas, ces aéro­ports accueillent un tra­fic tou­ris­tique récep­teur en pro­ve­nance de Grande-Bre­tagne ou d’autres pays d’Eu­rope du Nord.

Non seule­ment ce tra­fic fait vivre les aéro­ports en ques­tion, mais il est géné­ra­teur de retom­bées éco­no­miques directes, indi­rectes et induites pour les villes et régions récep­trices qui repré­sentent, selon des études récentes, une cen­taine de mil­liers d’emplois.

L’AVENIR

Vers une concurrence accrue

Le déve­lop­pe­ment du réseau des com­pa­gnies low-cost euro­péennes peut encore se pour­suivre un cer­tain temps à un rythme supé­rieur à la crois­sance moyenne du trans­port aérien intraeu­ro­péen dans son ensemble, car le nombre de nou­velles liai­sons pos­sibles en joi­gnant deux à deux des aéro­ports déjà des­ser­vis est très grand. Rya­nair pré­voit ain­si d’at­teindre 82 mil­lions de pas­sa­gers en 2012 contre 50 en 2008, tout en sup­po­sant une inflexion de son taux de crois­sance à par­tir de 2010. Cela étant dit, le poten­tiel de tra­fic n’est pas infi­ni et la consti­tu­tion des réseaux va arri­ver à matu­ri­té, ce qui ne signi­fie­ra pas stag­na­tion mais crois­sance en pas­sa­gers de 4 % ou 4,5 % par an, comme pour le reste du tra­fic intraeuropéen.

Easy­jet s’est atta­quée dès le début à des liai­sons exis­tantes à fort trafic

Concrè­te­ment, cela se tra­dui­ra par une aug­men­ta­tion pro­gres­sive des fré­quences et une lente aug­men­ta­tion ten­dan­cielle de l’emport moyen des avions, sans nou­velles ouver­tures de lignes. La concur­rence directe avec les trois grands groupes, Air France-KLM, Luf­than­sa et Bri­tish Air­ways-Ibe­ria, par recou­vre­ment de leurs mar­chés-cibles, semble donc iné­luc­table, car les pro­duits ne pour­ront être que très proches dès lors que le trans­port aérien éco­no­mique inté­resse la plus grande par­tie des pas­sa­gers potentiels.

Des vols long-courriers low-cost ?

Quels seront les relais de crois­sance pour des entre­prises comme Rya­nair et Easy­jet lorsque les réseaux intraeu­ro­péens seront à matu­ri­té ? Rya­nair com­mence à pen­ser au tra­fic long-cour­rier, ce qui consti­tue­rait une évo­lu­tion de son métier et de son modèle économique.

La concur­rence directe avec les grands groupes semble inéluctable

Les com­pa­gnies long-cour­riers qui se disent aujourd’­hui low-cost tiennent plus un dis­cours com­mer­cial qu’elles ne se dif­fé­ren­cient par un modèle éco­no­mique véri­ta­ble­ment affir­mé. Quelques ini­tia­tives seront cepen­dant inté­res­santes à obser­ver, notam­ment de la part de com­pa­gnies issues de pays émer­gents, comme Air Asia en Malai­sie, qui a déjà trans­po­sé le modèle Rya­nair, et semble avoir l’am­bi­tion d’al­ler plus loin.

Fon­da­men­ta­le­ment, les choix qui ont per­mis de mini­mi­ser les coûts en trans­port court-cour­rier de point à point ne sont pas trans­po­sables au tra­fic long-cour­rier. Par­ler sérieu­se­ment de la fai­sa­bi­li­té d’un modèle low-cost dans ce domaine sup­pose donc de ne pas se conten­ter de cher­cher à élar­gir ce qui a fonc­tion­né, mais de se pla­cer dans une véri­table logique de recherche d’in­no­va­tions visant à tirer par­ti de l’é­vo­lu­tion des règles du jeu et des pro­grès technologiques.

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