Les câbles sous-marins, cœur des réseaux de télécommunications

Dossier : Les métiers de la merMagazine N°644 Avril 2009
Par Alain SUARD (70)

REPÈRES

REPÈRES
En 1851 est posée la pre­mière liai­son entre la France et le Royaume-Uni. Plu­sieurs années furent ensuite néces­saires pour sur­mon­ter les pro­blèmes méca­niques pro­vo­qués par les pro­fon­deurs de 4 000 à 5 000 mètres ren­con­trées dans la tra­ver­sée de l’Atlantique. La pre­mière ten­ta­tive eut lieu entre l’Irlande et Terre-Neuve en 1858, mais elle ne fonc­tion­na que vingt jours. Une seconde ten­ta­tive se dérou­la en 1865 sur le pre­mier grand navire câblier, le Great Eas­tern, et ce fut éga­le­ment un échec. Mais lorsque ce der­nier revint affron­ter les élé­ments un an plus tard en 1866, il connut le suc­cès. Le pre­mier câble trans­at­lan­tique télé­gra­phique était posé ; cette tech­nique allait per­du­rer près d’un siècle, puisque ce n’est qu’en 1958 qu’est posé le pre­mier câble coaxial trans­at­lan­tique de télé­pho­nie ana­lo­gique, le TAT1. Trente ans plus tard, le pre­mier câble numé­rique en fibre optique, le TAT8, fai­sait son appa­ri­tion. Aucune autre tech­nique n’est venue contes­ter sa domination. 

La créa­tion de la flotte câblière remonte aux années 1850 avec le déve­lop­pe­ment des câbles sous-marins télé­gra­phiques. Dès que le télé­graphe élec­trique est appa­ru dans les liai­sons ter­restres, l’homme a vou­lu lui faire fran­chir les mers et le seul moyen connu alors était le câble. C’est la mise au point d’un iso­lant d’o­ri­gine végé­tale, la gut­ta-per­cha, bien adap­té à l’im­mer­sion pro­lon­gée, qui a ren­du la chose possible.

S’affranchir des Anglais pour relier métro­pole et colonies

La France s’est tou­jours inté­res­sée aux câbles sous-marins. Et pour cause, elle fut l’une des deux grandes puis­sances colo­niales, et les câbles télé­gra­phiques appor­taient la solu­tion pour diri­ger les colo­nies à par­tir de la métro­pole. Le déve­lop­pe­ment du réseau fut modeste au tout début, mais à comp­ter de 1893 et jus­qu’en 1914 l’ef­fort fut consi­dé­rable, et per­mit de s’af­fran­chir des Anglais pour relier métro­pole et colonies.


Le pre­mier navire câblier fran­çais, l’Ampère, sa pre­mière pose : le câble Oran-Carthagène.

En 1939, le réseau fran­çais comp­tait envi­ron 60 000 km et était essen­tiel­le­ment orien­té vers la Médi­ter­ra­née et vers l’A­frique occi­den­tale, avec deux tra­ver­sées Atlan­tique Nord et Atlan­tique Sud. Le réseau mon­dial, quant à lui, cer­clait le globe d’en­vi­ron un demi-mil­lion de kilo­mètres de câbles télégraphiques.

La volon­té de la France d’être pré­sente dans la pose et la main­te­nance des câbles sous-marins se tra­dui­sit en 1862 par le lan­ce­ment du pre­mier navire câblier fran­çais, l’Am­père.

L’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise main­tint, jus­qu’à la fin du XXe siècle, une flotte câblière de deux, trois ou quatre uni­tés ; au cours de cette période, un câblier est construit tous les huit ans en moyenne ; le dix-hui­tième du nom est le Fres­nel lan­cé en 1997. Le navire ami­ral est aujourd’­hui le Des­cartes, le dix-neu­vième, lan­cé en 2002.

Du mot au térabit, en cent cinquante ans


Le navire câblier Léon Thé­ve­nin, basé à Brest, est dédié à la main­te­nance sur l’Atlantique où se trouvent posés 180000 km de câble. Avec 175 inter­ven­tions, il est le plus « capé » sur cet océan, plus du quart des réparations.

Le navire câblier René Des­cartes est un navire de pose ; il ras­semble les toutes der­nières tech­no­lo­gies recen­sées en matière de câbliers ; 22000 CV le dotent d’une force de trac­tion supé­rieure à 100 tonnes. Depuis son lan­ce­ment en 2002, il a posé 8000 km de câbles, dont 3500 ensouillés, aux îles Cro­zet, en Médi­ter­ra­née et en mer de Chine.


Au com­men­ce­ment était le verbe, certes, mais avec beau­coup de len­teur. Ain­si fal­lait-il une heure pour trans­mettre 100 mots. Par­fois, et avec l’ap­pui de notre chère Albion, cela pou­vait prendre des mois. Puis avec le pre­mier câble coaxial, 36 com­mu­ni­ca­tions télé­pho­niques simul­ta­nées furent pos­sibles, soit l’é­qui­valent de deux modestes méga­bits. Rapi­de­ment on atteint 500 Mb sur ce même sup­port. Comme par le pas­sé où la TSF, télé­gra­phie sans fil, a concur­ren­cé le câble sous-marin dès la fin du xixe siècle, le satel­lite dans cette gamme de débit intro­duit le doute sur le futur des câbles avec une pre­mière liai­son trans­at­lan­tique en 1962.

La tech­nique des fibres optiques met­tra un terme à cette inter­ro­ga­tion, car outre le fait que les câbles sont par­fai­te­ment adap­tés à l’é­change bila­té­ral à la dif­fé­rence du satel­lite bien adap­té à la dif­fu­sion, le débit per­mis sur ces câbles sous-marins de der­nière géné­ra­tion est désor­mais de l’ordre du téra­bit, soit une capa­ci­té de trans­mis­sion un mil­lion de fois supé­rieure à celle du satel­lite. Aujourd’­hui, plus de 99 % des com­mu­ni­ca­tions s’a­che­minent sur câbles sous-marins.

Le câblier type du début du XXIe siècle

De 25 à 250 km par jour
Typi­que­ment une opé­ra­tion de pose d’un câble se décom­pose en un tiers de char­ge­ment à l’u­sine, un tiers de tran­sit et un tiers de pose effec­tive. Les vitesses de pose varient de 250 km par jour pour la pose en sur­face, à 25 km pour l’ensouillage.

Les navires câbliers de la der­nière géné­ra­tion, longs de 150 m, dis­posent d’une puis­sance de plus de 20 000 che­vaux. Des moteurs élec­triques actionnent deux hélices de pro­pul­sion, deux trans­verses à l’a­vant et deux à l’ar­rière. Un logi­ciel de posi­tion­ne­ment dyna­mique per­met, grâce au GPS dif­fé­ren­tiel, qui dans 95 % des cas donne une posi­tion avec une erreur infé­rieure à 2,5 m, de suivre une route pré­dé­fi­nie, pour la pose d’un câble, de tenir une posi­tion lors d’une épis­sure finale, ou encore de suivre à dis­tance un robot sous-marin. Ce logi­ciel gère la pro­pul­sion en fonc­tion des para­mètres opé­ra­tion­nels, qui viennent d’être énon­cés, et en tenant compte des élé­ments, vent et courant.

Une capa­ci­té de trans­mis­sion un mil­lion de fois supé­rieure à celle du satellite

Typi­que­ment un câblier peut char­ger plus de 5 000 tonnes de câbles, soit l’é­qui­valent d’un trans­at­lan­tique en câble grand fond. Le poids uni­taire au mètre varie de moins d’un kilo­gramme à près de dix kilo­grammes, selon que le câble est dit grand fond avec une seule pro­tec­tion de poly­éthy­lène, ou armé, sim­ple­ment dou­ble­ment ou même rock armo­red pour l’at­ter­ris­se­ment sur les côtes bri­tan­niques. Pour être com­plet il faut pré­ci­ser que l’un des types se nomme fish bite, en réfé­rence à des câbles rele­vés et por­tant l’in­crus­ta­tion de dents de requin. Ce câble est d’une pro­tec­tion immé­dia­te­ment supé­rieure à celle du grand fond.

La pose des câbles sous-marins, ou l’art de la gestion du mou


Élo­die, construite par SIMEC, filiale de FT Marine, ensouille les câbles jus­qu’à 3 mètres et à des sondes pou­vant atteindre 2000 mètres de profondeur.

La pose des câbles sous-marins doit résoudre le pro­blème de la ges­tion de deux vitesses, celle du navire et celle du câble. En effet, un câble bien posé doit par­fai­te­ment épou­ser le relief des fonds marins pour évi­ter toute ten­sion et toute sus­pen­sion, qui pour­raient endom­ma­ger celui-là. Tout le secret de la pose tient donc dans la ges­tion du mou ! Une autre règle de l’art vise à une ten­sion lon­gi­tu­di­nale qua­si nulle pen­dant la des­cente du câble depuis le navire jus­qu’au tou­cher final. Au niveau de l’i­mage, un tapis à la sur­face de l’eau, sur lequel repo­se­rait le câble, et qui se déro­be­rait sous ce même câble, réa­li­se­rait cette pose idéale sans ten­sion lon­gi­tu­di­nale. Le poids des répé­teurs, tous les 50 km, de l’ordre de plu­sieurs cen­taines de kilo­grammes, induit néan­moins des ten­sions de cette nature, et la célèbre droite de pose sous cet effet se déforme pour don­ner nais­sance à une figure proche du vol d’un goé­land. Le logi­ciel d’aide à la pose, » Myo­so­tis « , le met clai­re­ment en évi­dence. La pose d’u­ni­tés de déri­va­tion à trois branches oblige cette fois-ci à appli­quer des ten­sions adap­tées pour évi­ter d’a­voir au fond des boucles par ren­ver­se­ment de ces mêmes uni­tés. Pen­dant les quatre glo­rieuses de 1998 à 2001, 150 000 km de câbles furent posés en moyenne chaque année.

Pen­dant ces quatre années plus de 30 câbliers poseurs sillon­nèrent les mers. L’op­ti­misme était uni­ver­sel ; des dizaines de câbliers furent com­man­dées ; elles furent livrées après l’é­cla­te­ment de la bulle Inter­net en 2001 ; ain­si sur 100 câbliers plus de 60 durent quit­ter l’ac­ti­vi­té par mise à la casse, retour à l’off­shore, ou trans­for­ma­tion. La tra­ver­sée du désert a duré cinq ans, et ce n’est qu’en 2007 que l’ac­ti­vi­té reprit réel­le­ment. Aujourd’­hui les opé­ra­teurs inves­tis­seurs sont deve­nus beau­coup plus rai­son­nables. Les ambi­tions de cer­cler la terre avec cha­cun son propre réseau » sans cou­ture » appar­tiennent au pas­sé. Les consor­tiums sont rede­ve­nus la norme.

Des anciens qui ont mar­qué leur temps
Le plus célèbre d’entre eux est Louis Leprince- Rin­guet (20) de l’A­ca­dé­mie des sciences et de l’A­ca­dé­mie fran­çaise. Gérard Thé­ry (52) ancien direc­teur géné­ral des Télé­com­mu­ni­ca­tions, est le père du Mini­tel et des réseaux en fibres optiques.

La maintenance des câbles sous-marins, une activité de tous les jours


Les robots sous-marins, appe­lés ROV (Remote Ope­ra­ted Vehicle) par­ti­cipent à l’ins­pec­tion, la main­te­nance et l’en­souillage des câbles. Les ROV Hec­tor, fabri­qués par SIMEC, filiale de FT Marine, peuvent opé­rer jus­qu’à des pro­fon­deurs de 2 000 mètres et dis­posent de bras arti­cu­lés pour sai­sir, cou­per, tenir. Cinq ROV Hec­tor sont en opé­ra­tion dans le monde.

Les cha­luts, les ancres, le balan­ce­ment des câbles en sus­pen­sion sous l’ef­fet des cou­rants sont autant de causes de fautes sur les câbles sous-marins. Il y a chaque année plu­sieurs cen­taines d’in­ter­ven­tions sur l’en­semble du globe. En Médi­ter­ra­née, il n’est pas rare d’a­voir deux inter­ven­tions en moyenne par mois par exemple. Les télé­lo­ca­li­sa­tions des défauts per­mettent par des mesures élec­triques ou optiques de limi­ter la zone de recherche. Vient alors la drague pour récu­pé­rer le câble, direc­te­ment ou pré­cé­dée d’une drague cou­pante. Alors que la pose s’ef­fec­tue sans la moindre ten­sion, la relève d’un câble est sujette au poids des deux par­ties de câble en sus­pen­sion, au frot­te­ment de l’eau et à l’ac­tion du cou­rant. Tous ces effets peuvent conduire à des ten­sions au point de croche de plus de 10 tonnes.

Ain­si l’in­gé­nie­rie d’un câble sous-marin doit prendre en compte les aspects de main­te­nance. Il est arri­vé que ce point ayant été oublié, la répa­ra­tion d’un câble par 4 000 m de sonde fût ren­due des plus dif­fi­ciles. Autre point déli­cat, l’a­bra­sion au point de touche en pré­sence de cou­rant. Dans ce cas de figure, et au moment d’une épis­sure, il convient de faire avan­cer et recu­ler le navire pour évi­ter ce phé­no­mène. La répa­ra­tion elle-même consiste après avoir récu­pé­ré sur le pont une extré­mi­té à éclair­cir le défaut, autre­ment dit à sup­pri­mer la par­tie du câble en faute. Puis il est pro­cé­dé à l’ad­jonc­tion d’une » baguette de câble » en géné­ral de deux fois la sonde avec une pre­mière épis­sure appe­lée » ini­tiale » ; la durée de l’é­pis­sure varie entre dix et vingt heures, selon le nombre de paires de fibres optiques et le type de pro­tec­tion avec ou sans armure. Inter­viennent ensuite la récu­pé­ra­tion de l’autre extré­mi­té sur bouée et le rac­cor­de­ment des deux avec l’é­pis­sure » finale « . La mise à l’eau de la finale relève d’un exer­cice déli­cat, car là comme par­tout ailleurs, il faut évi­ter de faire des boucles, les » coques » (câble ser­ré) étant, quant à elles, stric­te­ment interdites.

Char­rues et héli­co­ptères sous-marins
Les acti­vi­tés de pêche, mais aus­si les navires à l’ancrage ont conduit à pro­té­ger le câble sur les pla­teaux conti­nen­taux jusqu’à des pro­fon­deurs de 2000 m. Ain­si des char­rues sous-marines ont été conçues à cet effet. Ce sont des engins de 30 à 40 tonnes de poids dans l’air et qui ensouillent jusqu’à 3 m. Dans des endroits pré­cis, tels les atter­ris­se­ments à Sin­ga­pour, Hong­kong ou Shan­ghai, des engins spé­ciaux ensouillent les câbles à 10 m. À l’occasion de croi­se­ments de câbles, de pipe­lines, voire pour évi­ter des obs­tacles, la char­rue est rele­vée quelques cen­taines de mètres de part et d’autre. Il y a donc lieu de ter­mi­ner l’ensouillage par un engin non plus trac­té mais pos­sé­dant l’autonomie de dépla­ce­ment pour pos­ten­souiller. Ce sont les ROV (Remote Ope­ra­ted Vehicle) qui rem­plissent cette fonc­tion d’inspection puis de figno­lage de l’ensouillement. Beau­coup plus agiles que les char­rues, ces engins sont de véri­tables héli­co­ptères des fonds marins. Leur uti­li­sa­tion ne se limite pas à la seule pose. Par des sondes infé­rieures à 2 000 m, ils peuvent ins­pec­ter les câbles pour repé­rer les défauts, cou­per les câbles, sai­sir les deux extré­mi­tés et les remon­ter à bord. Après mise à l’eau de la finale, une ins­pec­tion est pra­ti­quée pour véri­fier le bon éta­le­ment de cette finale sans roue de bicy­clette ver­ti­cale par exemple, et pour réen­souiller le câble, s’il l’était à l’origine.

Les opérations spéciales de récupération de boîtes noires

FT Marine main­tient le cap
Avec plus de cent cin­quante ans d’ex­pé­rience, FT Marine, filiale du groupe France Télé­com, est l’un des deux inva­riants avec Glo­bal Marine, alias C & W Marine, de cette acti­vi­té mari­time aux cycles impré­vi­sibles. FT Marine, avec plus de 130 000 kilo­mètres de câbles sous-marins en fibres optiques posés, dont 13 000 ensouillés et avec un pal­ma­rès de 300 opé­ra­tions de main­te­nance effec­tuées sur fibre optique, a main­te­nu sa posi­tion et repré­sente tou­jours plus de 10 % du mar­ché mon­dial des navires câbliers.


La droite de pose se déforme au pas­sage d’un répé­teur et donne au câble une forme bap­ti­sée « effet goéland ».


Les opé­ra­tions spé­ciales péri­phé­riques aux acti­vi­tés câblières peuvent revê­tir des aspects dra­ma­tiques ; ain­si en 1971, les navires Ampère 3 et Alsace récu­pèrent les restes de la cara­velle Ajac­cio-Nice abî­mée en mer en 1970 ; en 1985, le Thé­ve­nin est envoyé au large de l’Ir­lande pour retrou­ver les boîtes noires du 747 d’Air India ; en 2004, le robot sous-marin Scor­pio 2000 ramène les boîtes noires du 737 de Flash Air­lines au large de Charm el-Cheikh.

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