Les associations locales, acteurs majeurs dans les pays en développement

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Cédric BAECHER

Le rôle des asso­cia­tions locales dans l’accès aux ser­vices essen­tiels consti­tue un sujet de pre­mière impor­tance pour l’ensemble des acteurs du développement.

REPÈRES
Les « Objec­tifs du mil­lé­naire », adop­tés en sep­tembre 2000 par 189 nations, donnent à l’eau et à l’assainissement une place très par­ti­cu­lière. Cha­cun des huit objec­tifs a des liens avec le sec­teur de l’eau et de l’assainissement. L’objectif por­tant sur la dura­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale le concerne direc­te­ment en visant à « réduire de moi­tié, d’ici à 2015, la pro­por­tion de la popu­la­tion n’ayant pas accès de manière durable à un appro­vi­sion­ne­ment en eau potable et à un sys­tème d’assainissement de base » (l’année de réfé­rence étant fixée en 1990). Cela concerne près de 40% de la popu­la­tion mon­diale (envi­ron 2,5 mil­liards de personnes).

Faciliter le dialogue

Les asso­cia­tions locales peuvent appor­ter, selon les res­sources et com­pé­tences dont elles dis­posent, un appui impor­tant à toutes les étapes des projets.

Impli­quer les popu­la­tions bénéficiaires

Par exemple, faci­li­ter le dia­logue avec les com­mu­nau­tés (média­tion entre les dif­fé­rents acteurs impli­qués, iden­ti­fi­ca­tion de relais locaux, etc.). Ou bien impli­quer les popu­la­tions béné­fi­ciaires (mobi­li­sa­tion com­mu­nau­taire : par­ti­ci­pa­tion à des tra­vaux, etc.), créer des condi­tions favo­rables à une bonne accep­ta­tion de nou­velles infra­struc­tures (concer­ta­tion : choix des lieux d’installation, des moda­li­tés d’usage, etc.), ren­for­cer l’efficacité des pro­jets dans la durée (sen­si­bi­li­sa­tion des popu­la­tions, orga­ni­sa­tion d’activités de main­te­nance, for­ma­tion d’opérateurs locaux, par­ti­ci­pa­tion à des démarches d’évaluation des résul­tats, etc.). Ou encore, contri­buer à la pré­ven­tion des conflits d’usage.

Une dynamique vertueuse

Des exemples obser­vés sur le ter­rain tendent à démon­trer que, sous cer­taines condi­tions, de réelles dyna­miques ver­tueuses peuvent s’instaurer entre les dif­fé­rentes familles d’acteurs, confiant un rôle impor­tant aux asso­cia­tions locales.

Dia­lo­guer en Méditerranée
Le Water think tank Médi­ter­ra­née, lan­cé lors du cin­quième Forum mon­dial de l’eau à Istan­bul en mars 2009, a pour objec­tif de créer un espace de dia­logue entre les acteurs impli­qués dans la ges­tion inté­grée des res­sources en eau pour les dif­fé­rentes caté­go­ries d’usagers en Méditerranée.
Les par­te­naires fon­da­teurs incluent notam­ment la Fon­da­tion Prince-Albert-II-de- Mona­co, l’Institut des Nations unies pour la for­ma­tion et la recherche (UNITAR), le Plan Bleu, l’Office inter­na­tio­nal de l’eau et Veo­lia Environnement.

Aux Phi­lip­pines, qua­trième étape du tour du monde « Aqua tu penses ? » (voir enca­dré ci-contre), on a pu obser­ver de telles dyna­miques, par exemple dans le cadre du pro­gramme « Bayan Tubig » (eau pour les communautés).

Ces pro­jets, ini­tia­le­ment des­ti­nés à ins­tal­ler des points d’accès com­mu­nau­taires à l’eau dans les bidon­villes de l’ouest de Manille, ont fina­le­ment été éten­dus pour per­mettre des bran­che­ments indi­vi­duels. Au total, ce sont plus de 400 000 per­sonnes qui ont béné­fi­cié de ce programme.

Établir des passerelles

Les asso­cia­tions locales peuvent éga­le­ment contri­buer à éta­blir des « pas­se­relles » entre pro­jets et ini­tia­tives com­plé­men­taires menés à l’échelle d’un même ter­ri­toire ou entre ter­ri­toires proches, favo­ri­sant une approche trans­ver­sale des enjeux du déve­lop­pe­ment (eau et assai­nis­se­ment, sécu­ri­té ali­men­taire, accès à l’énergie, etc.). Les asso­cia­tions sus­cep­tibles de rem­plir cette fonc­tion ont géné­ra­le­ment déjà acquis une cer­taine dimension.

À Mada­gas­car, on peut citer à titre d’exemple une asso­cia­tion de droit mal­gache, dis­po­sant d’un siège à Anta­na­na­ri­vo, mais s’appuyant sur un réseau de plu­sieurs antennes locales dans tout le pays pour mener à bien sa mis­sion d’information et d’appui aux opé­ra­teurs éco­no­miques (arti­sans, agri­cul­teurs, micro-entre­pre­neurs, PME) mais aus­si aux col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales (com­munes, régions) et plus géné­ra­le­ment à la socié­té civile.

Distribution d'eau en Inde
De réelles dyna­miques ver­tueuses peuvent s’instaurer entre les dif­fé­rentes familles d’acteurs. Ici, en Inde© NOMADÉIS

Un maillon clé

Relier les pro­jets complémentaires

Les asso­cia­tions locales doivent être prises en compte dans les efforts d’assemblage de com­pé­tences. Elles peuvent ain­si jouer un rôle de maillon clé dans les « chaînes de valeur » pour accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment d’un accès durable aux ser­vices essen­tiels, en par­ti­cu­lier ceux de l’eau et l’assainissement. Dans une logique de bonne gou­ver­nance ter­ri­to­riale et démo­cra­tique, leur impli­ca­tion per­met de ren­for­cer la par­ti­ci­pa­tion des usa­gers citoyens, et plus lar­ge­ment de la socié­té civile, aux efforts de réduc­tion de la pauvreté.

Décentraliser

« Aqua tu penses ? »
Il y a dix ans, l’auteur a effec­tué un tour du monde de huit mois, avec trois cama­rades de l’Essec, sur le thème de l’eau et la pau­vre­té urbaine, avec le par­rai­nage de Jacques Atta­li. Cette aven­ture les a conduits dans six pays, dix villes et vingt bidon­villes, avec le sou­tien d’un opé­ra­teur de ser­vices (Veo­lia Envi­ron­ne­ment), d’une ins­ti­tu­tion inter­na­tio­nale (l’Unesco) et d’une asso­cia­tion fran­çaise œuvrant pour l’accès à l’eau et à l’assainissement dans les pays en déve­lop­pe­ment (le pro­gramme Solidarité-eau).
Ils ont créé une asso­cia­tion dénom­mée « Aqua tu penses ? », dans le cadre de laquelle ont été menés près de 200 entre­tiens. Leur « rap­port d’étonnement » sou­li­gnait la néces­si­té de mener des démarches col­lec­tives, res­pec­tueuses de chaque contexte socio­cul­tu­rel et lais­sant une place signi­fi­ca­tive à la par­ti­ci­pa­tion com­mu­nau­taire, pour faci­li­ter une appro­pria­tion locale des actions menées.
L’implication des asso­cia­tions pré­sentes sur place res­sor­tait comme un fac­teur clé de suc­cès pour les pro­jets d’accès à l’eau et à l’assainissement, qu’ils soient menés à l’initiative d’ONG, d’opérateurs de ser­vices (publics ou pri­vés) ou des pou­voirs publics eux-mêmes.

Le rôle des asso­cia­tions locales peut éga­le­ment être ana­ly­sé à la lumière du ren­for­ce­ment des pro­ces­sus de décen­tra­li­sa­tion et de trans­fert des com­pé­tences en matière de ges­tion des ser­vices d’eau et d’assainissement vers les col­lec­ti­vi­tés locales, que l’on peut obser­ver depuis une dizaine d’années dans de nom­breux pays en développement.

À ce titre, il n’est pas ano­din que le pro­gramme des Nations unies pour les éta­blis­se­ments humains (ONU-Habi­tat) ait fait le choix de regrou­per ses lignes direc­trices inter­na­tio­nales sur la décen­tra­li­sa­tion d’une part, et sur l’accès aux ser­vices de base pour tous d’autre part.

Au cha­pitre « Gou­ver­nance et démo­cra­tie à l’échelon local », ce docu­ment, approu­vé par les États membres des Nations unies, appelle à recon­naître les dif­fé­rentes com­po­santes de la socié­té civile et à « faire en sorte que toutes soient par­ties pre­nantes dans le déve­lop­pe­ment pro­gres­sif de leur com­mu­nau­té et de leur quar­tier », y com­pris les asso­cia­tions locales.

Réformer

Les réformes des cadres ins­ti­tu­tion­nels entre­prises dans cer­tains pays au cours des cinq der­nières années pour accom­pa­gner les muta­tions des sec­teurs de l’hydraulique ont pris en compte, à cer­taines étapes de leur déve­lop­pe­ment, cette com­plé­men­ta­ri­té des rôles entre auto­ri­tés et asso­cia­tions locales.

Une maî­trise d’ouvrage locale en matière d’eau et d’assainissement

Au Mali, par exemple, pour cla­ri­fier le rôle des dif­fé­rents acteurs impli­qués dans les pro­jets rela­tifs à l’eau et à l’assainissement, les réformes ont pré­vu de for­ma­li­ser le sta­tut et le rôle des asso­cia­tions d’usagers, qui assu­maient par­fois un rôle opé­ra­tion­nel proche de celui des comi­tés de ges­tion, sans pour autant avoir de recon­nais­sance explicite.

En Tuni­sie, les nou­velles poli­tiques hydrau­liques lan­cées au début des années 1990 visant une ges­tion plus par­ti­ci­pa­tive de la res­source en eau ont, quant à elles, favo­ri­sé la créa­tion d’associations locales, pour encou­ra­ger la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des usagers.

En tout état de cause, des besoins signi­fi­ca­tifs se font res­sen­tir en matière de ren­for­ce­ment des capa­ci­tés, et l’implication des asso­cia­tions peut per­mettre de faci­li­ter la capi­ta­li­sa­tion locale des ensei­gne­ments pour contri­buer à la péren­ni­té des projets.

Distribution d'eau au Mali
Au Mali, les réformes for­ma­lisent le rôle des asso­cia­tions d’usagers © NOMADÉIS

Main­te­nir l’eau potable
Au Came­roun, on peut citer à titre d’exemple un pro­gramme qui a impli­qué depuis 2006 une asso­cia­tion de la dia­spo­ra came­rou­naise, l’Association inter­na­tio­nale des maires fran­co­phones, l’Agence de l’eau Seine- Nor­man­die, le syn­di­cat inter­dé­par­te­men­tal pour l’assainissement de l’agglomération pari­sienne et la Fon­da­tion Veo­lia Envi­ron­ne­ment. Ce pro­gramme, mené à Ban­gang­té (150000 habi­tants répar­tis en onze vil­lages), vise à réha­bi­li­ter à grande échelle des sys­tèmes d’eau potable réa­li­sés dans les années 1980, à l’arrêt faute de sui­vi et de com­pé­tences pour assu­rer leur opé­ra­tion et leur maintenance.

Nord et Sud

Les asso­cia­tions locales du Sud sont par ailleurs deve­nues des acteurs majeurs de nom­breux pro­grammes de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, en lien avec leurs homo­logues des pays du Nord, par­fois avec l’implication des dia­spo­ras (impli­ca­tion sou­te­nue par les poli­tiques publiques reliant migra­tions et déve­lop­pe­ment, et favo­ri­sant la mobi­li­sa­tion de finan­ce­ments inno­vants pour le déve­lop­pe­ment durable des pays du Sud).

Dans le cadre spé­ci­fique de la coopé­ra­tion décen­tra­li­sée, les asso­cia­tions locales peuvent prendre une part active à des pro­grammes plu­ri­an­nuels de coopé­ra­tion « de ter­ri­toire à ter­ri­toire ». Le lien avec les asso­cia­tions locales, en par­ti­cu­lier les comi­tés de ges­tion, s’est révé­lé essen­tiel pour accom­pa­gner l’émergence d’une maî­trise d’ouvrage locale en matière d’eau et d’assainissement.

Une grande rigueur

Distribution d'eau au Niger
Les attentes sont fortes concer­nant l’action des asso­cia­tions. Ici, au Niger.  © NOMADÉIS

La diver­si­té des contextes d’intervention et des pro­fils des asso­cia­tions, déjà évo­qués, appelle à la plus grande rigueur dans le choix des par­te­naires sus­cep­tibles d’être impli­qués dans la durée. La par­ti­ci­pa­tion des asso­cia­tions locales ne consti­tue pas une fin en soi, mais l’un des outils mobi­li­sables pour pro­gres­ser dans le sens des « Objec­tifs du millénaire ».

Leur mobi­li­sa­tion doit inter­ve­nir dans le cadre d’un jeu d’acteurs glo­bal, en lien avec l’ensemble des par­ties pre­nantes, au pre­mier rang des­quelles les auto­ri­tés publiques res­pon­sables des ser­vices d’eau et d’assainissement.

Des objectifs concrets

Par­te­na­riat, prag­ma­tisme, professionnalisme

L’étape de contrac­tua­li­sa­tion, néces­saire pour défi­nir clai­re­ment les rôles et les res­pon­sa­bi­li­tés des dif­fé­rents acteurs, est sou­vent déli­cate du fait des dif­fé­rences « cultu­relles » entre familles d’acteurs (pou­voirs publics, opé­ra­teurs, ONG inter­na­tio­nales et asso­cia­tions locales, etc.).

L’un des prin­ci­paux enjeux consiste, au fond, à s’accorder autour d’objectifs concrets en pla­çant l’intérêt géné­ral au cœur de l’action, et en s’attachant à récon­ci­lier des tem­po­ra­li­tés par­fois fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rentes, selon les res­sources et les hori­zons propres à chacun.

L’espoir des jeunes générations

BIBLIOGRAPHIE

Lignes direc­trices inter­na­tio­nales sur la décen­tra­li­sa­tion et l’accès aux ser­vices de base pour tous (ONU-Habi­tat, ISBN : 978−92−1−132174−6).

Déve­lop­pe­ment durable et soli­da­ri­té Nord-Sud : quels finan­ce­ments ? publié conjoin­te­ment par l’Arène Île-de-France et la Fon­da­tion pour la nature et l’homme, sur la base d’une étude pro­duite par Noma­déis (ISBN EAN : 978−2−911533− 04–4).

► « Loi du 7 décembre 2006 », per­met­tant aux com­munes, éta­blis­se­ments publics de coopé­ra­tion inter­com­mu­nale, syn­di­cats mixtes char­gés de l’eau et de l’assainissement et aux ser­vices publics de dis­tri­bu­tion d’électricité et gaz de pré­le­ver jusqu’à 1 % du bud­get de ces ser­vices pour mener des actions de coopé­ra­tion avec les col­lec­ti­vi­tés étran­gères dans le cadre de la loi Thiol­lière (2007).

► « Sce­na­Rio 2012 », enquête réa­li­sée par Noma­déis et Fon­da­pol, avec le sou­tien d’une com­mu­nau­té de par­te­naires réunis­sant des entre­prises (Caisse des dépôts et consi­gna­tions, EDF, Saint- Gobain, Veo­lia Envi­ron­ne­ment) et des ins­ti­tu­tions (Nations unies, Fran­co­pho­nie), avec le par­rai­nage de S.A.S. le prince Albert II de Mona­co et sa Fondation.

Les attentes sont fortes concer­nant l’action des asso­cia­tions, par­ti­cu­liè­re­ment par­mi les jeunes géné­ra­tions, comme le démontre la récente enquête « Sce­na­Rio 2012 », menée par Noma­déis et la Fon­da­tion pour l’innovation poli­tique en pré­pa­ra­tion du Som­met des Nations unies « Rio + 20 » (30 000 jeunes âgés de 16 à 29 ans inter­ro­gés dans 30 pays).

Les ONG et les orga­ni­sa­tions de soli­da­ri­té affichent ain­si les plus hauts niveaux de confiance pour faire face aux défis reliant envi­ron­ne­ment, déve­lop­pe­ment et gou­ver­nance, avec des scores supé­rieurs à 80% dans de nom­breux pays, par­mi les­quels l’Inde, le Séné­gal ou encore le Kenya.

Partenariat et pragmatisme

Par­te­na­riat, prag­ma­tisme, pro­fes­sion­na­lisme sont des enjeux clés pour ren­for­cer demain l’efficacité de l’action des asso­cia­tions locales, dans un contexte de ten­sion sur les res­sources (natu­relles, mais aus­si financières).

Tout en conser­vant leur ancrage ter­ri­to­rial et l’esprit de leur objet social, ces der­nières doivent être impli­quées à la mesure de leurs moyens, et apprendre à tra­vailler en bonne intel­li­gence avec l’ensemble des par­ties pre­nantes concer­nées selon les besoins et les prio­ri­tés locales : col­lec­ti­vi­tés et ins­ti­tu­tions publiques, opé­ra­teurs de ser­vices, PME, bailleurs et acteurs de la soli­da­ri­té internationale

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