Jean Salmona (56) écoute le Quatuor de Fauré en trempant une madeleine dans le thé.

Les 400 chroniques discographiques de Jean SALMONA (X56)

Dossier : TrajectoiresMagazine N°708 Octobre 2015
Par Jean SALMONA (56)
Par Hubert JACQUET (64)

Depuis plus de cin­quante ans, Jean Sal­mo­na pro­pose aux lec­teurs de La Jaune et la Rouge des décou­vertes musi­cales tou­jours déli­cieuses et quel­que­fois sur­pre­nantes. Au fil des années, ce sont quelque quatre cents chro­niques qui ont été publiées, ce qui fait de leur auteur le plus ancien et le plus pro­lixe des contri­bu­teurs de la revue.
Et il ne compte pas s’arrêter là.

Jean Salmona (56) improvise régulièrement avec Frédéric Morlot.(01)
Jean Sal­mo­na impro­vise régu­liè­re­ment avec Fré­dé­ric Morlot.

Dès l’âge de trois ans, Jean Sal­mo­na a com­men­cé à tapo­ter sur un pia­no : le début d’une aven­ture musi­cale qui l’amènera à deve­nir pia­niste de jazz ama­teur. Il impro­vise régu­liè­re­ment avec le vio­lo­niste Fré­dé­ric Mor­lot (2001) au Petit Jour­nal Mont­par­nasse dans le cadre du groupe Jazz‑X ani­mé par le cla­ri­net­tiste Claude Aba­die (38).

Une vocation musicale précoce

Cette pas­sion pour la musique l’habite depuis tou­jours : il a besoin d’elle pour vivre, à tel point que chaque jour il se fait réveiller par une œuvre choi­sie la veille dans sa dis­co­thèque. Car si, comme tout mélo­mane, il aime jouer et entendre des concerts, il a éga­le­ment besoin d’écouter des disques.

Or, au début des années 1960, les 33 tours en vinyle sont coû­teux. Alors, il se lance dans la publi­ca­tion de tri­bunes musi­cales, d’abord dans L’Étudiant et Grandes Écoles puis, à la fin de 1961, dans La Jaune et la Rouge.

Cette acti­vi­té lui per­met d’enrichir sa dis­co­thèque des disques que lui offrent les éditeurs.

“ Le monde émerveillé découvrit qu’on pouvait jouer la musique de Bach de manière personnelle ”

Dix fois par an, Jean Sal­mo­na s’immerge tota­le­ment pen­dant un dimanche entier dans l’écoute des disques qu’il a choi­sis pour sa pro­chaine tri­bune. Ces disques, il les sélec­tionne dans les cata­logues que les mai­sons de disques lui envoient régulièrement.

Ses choix sont géné­ra­le­ment gui­dés par l’originalité de l’œuvre ou de l’interprétation. À cette sélec­tion s’ajoutent aus­si des œuvres adres­sées spon­ta­né­ment par les édi­teurs. Son impres­sion­nante dis­co­thèque – envi­ron quatre mille vinyles et autant de CD – lui per­met de com­pa­rer les interprétations.

Pour la revue, c’est près de cinq mille disques qui ont été écou­tés, sou­vent plu­sieurs fois. Ceux qu’il juge d’un inté­rêt médiocre ou d’une qua­li­té insuf­fi­sante ne sont pas signalés.

Une mise en perspertive

Vient ensuite la rédac­tion des chro­niques. Les disques sélec­tion­nés sont géné­ra­le­ment pré­sen­tés dans une double pers­pec­tive : la façon dont l’œuvre se situe aus­si bien dans le réper­toire de l’auteur que dans la créa­tion de l’époque ; ensuite, celle de l’interprétation et de son évo­lu­tion au fil des ans.

C’est ain­si qu’il nous rap­pe­lait dans le numé­ro de mai der­nier qu’il fut long­temps consi­dé­ré comme incon­ve­nant d’interpréter Bach : « Il fal­lait le jouer méca­ni­que­ment […]. Puis vint Glenn Gould, et le monde émer­veillé décou­vrit qu’on pou­vait jouer la musique de Bach de manière personnelle. »

La musique et la vie

Pour Jean Sal­mo­na, la musique n’est pas un art comme les autres, encore moins un simple diver­tis­se­ment : elle est indis­pen­sable au mélo­mane comme l’oxygène qu’il res­pire. Plus encore, elle est un consti­tuant majeur de notre vie.


LE COIN DU DISCOPHILE

C’est sous ce titre que paraissent les pre­mières tri­bunes écrites par Jean Sal­mo­na dans La Jaune et la Rouge, ano­nymes et signées J.S. (56). La toute pre­mière date de décembre 1961. Elle invite le lec­teur à décou­vrir des œuvres inédites comme la Messe alle­mande de Schu­bert et des com­po­si­teurs fran­çais peu connus comme Bodin de Bois­mor­tier et Dauvergne.

On note­ra que, suite aux crises suc­ces­sives et aux fusions qu’a connues le sec­teur de l’édition musi­cale, sur cinq mai­sons de disques citées (Boîte à musique, Vega, Dis­co­philes fran­çais, Phi­lips et Deutsche Gram­mo­phon), seule sur­vit aujourd’hui Deutsche Gram­mo­phon, au sein du groupe Universal.


Comme nous pou­vons écou­ter et réécou­ter une œuvre, revi­vant ain­si à volon­té le même moment, elle fige le temps, s’oppose au prin­cipe d’entropie et nous donne un ins­tant le sen­ti­ment fal­la­cieux mais exquis de notre immor­ta­li­té. En outre, la musique, infi­ni­ment plus riche que le lan­gage par­lé ou écrit, exprime l’indicible.

Aus­si, dit Jean, écou­ter de la musique n’est jamais neutre. C’est la rai­son pour laquelle il évoque presque tou­jours, dans ses chro­niques, des sujets appa­rem­ment exté­rieurs à la musique pro­pre­ment dite mais qui lui sont sous-jacents, intro­duits, en exergue, par une cita­tion des­ti­née à inter­pel­ler le lecteur.

Un appel aux cinq sens, exalté dans un livre

L’audition d’un disque, dit Jean, ne mobi­lise qu’un sens, l’ouïe, tan­dis que la dégus­ta­tion met en jeu tous les autres. Alors, pour mobi­li­ser les cinq sens pen­dant le moment de bon­heur que doit être l’écoute d’une belle œuvre, il aime dégus­ter un mets et une bois­son « en situation ».

“ Mobiliser les cinq sens pendant le moment de bonheur que doit être l’écoute d’une belle œuvre ”

C’est ce qui l’amène à sug­gé­rer d’écouter, par exemple, le Qua­tuor de Fau­ré en trem­pant une made­leine dans du thé blanc de Chine, la Sonate Pul­ci­nel­la de Per­go­lèse en goû­tant une sfo­glia­tel­la ric­cia accom­pa­gnée d’un Lacry­ma Chris­ti, ou Pre­lude to a kiss, de Duke Elling­ton avec un verre de bour­bon Jack Daniels.

Il a du reste illus­tré ces cor­res­pon­dances entre la musique et les plai­sirs de la chair dans un petit roman, Une fugue de Bach1, his­toire de l’initiation par un Bach hédo­niste d’une jeune dis­ciple surdouée.


DE L’HARMONIE DES NOTES À CELLE DE L’INFORMATION

Dans le monde de la musique, Jean Sal­mo­na s’affirme ama­teur ; mais dans celui des sta­tis­tiques et de leur uti­li­sa­tion éclai­rée, il est un pro­fes­sion­nel aver­ti. Ayant choi­si le corps de l’Insee, il fait l’Ensae et Sciences-po. Très tôt, il prend conscience du rôle essen­tiel que pour­rait jouer l’information éco­no­mique si elle était mieux connue et exploi­tée par les divers agents éco­no­miques. C’est l’objet de l’Observatoire éco­no­mique médi­ter­ra­néen qu’il crée sous l’égide de la Datar et de la délé­ga­tion à l’informatique.

Il observe par la suite que de nom­breux minis­tères, dans leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, col­lectent des infor­ma­tions (sur les per­sonnes, les entre­prises, les bâti­ments, par exemple) qui sont sou­vent redon­dantes et qui pour­raient par ailleurs être uti­li­sées à des fins sta­tis­tiques. Il lance alors une opé­ra­tion pilote inter­mi­nis­té­rielle pour mon­trer qu’il est pos­sible de faire col­la­bo­rer les minis­tères afin de réduire la col­lecte d’informations admi­nis­tra­tives et de consti­tuer ain­si des bases de don­nées inter­mi­nis­té­rielles qui pour­ront éga­le­ment être uti­li­sées pour enri­chir l’information économique.

Fidèle à ses racines mar­seillaises, c’est dans la cité pho­céenne qu’il crée le Cesia – Centre d’études des sys­tèmes d’information des admi­nis­tra­tions. Cet éta­blis­se­ment public devient un orga­nisme de conseil en sys­tèmes d’information et se trans­forme en socié­té ano­nyme – déte­nue par l’État. L’équipe est alors com­po­sée d’une cen­taine de spé­cia­listes répar­tis entre Paris et Mar­seille. Après l’entrée au capi­tal du Cré­dit Lyon­nais et de Coge­ma, l’entreprise est pri­va­ti­sée et ven­due en 1998 à Unilog.

Jean Sal­mo­na rejoint alors AXA Pri­vate Equi­ty, deve­nu depuis Ardian, une socié­té fran­çaise de capi­tal- inves­tis­se­ment diri­gée par Domi­nique Séné­quier (72), qui gère plus de 50 mil­liards de dol­lars d’actifs, et où il est aujourd’hui conseiller senior.

En 2010, il lance par ailleurs, avec Fran­cis Mer (59), Claude Bébéar (55) et Fran­çois Aille­ret (56), Paris­Tech Review (qui devait être à l’origine École poly­tech­nique Review) dont il pré­side le comi­té édi­to­rial, revue en ligne qui a aujourd’hui une édi­tion chi­noise et d’ici fin 2015 des édi­tions indienne et africaine.

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1. Édi­tions Wild­pro­ject. Voir la recen­sion dans La Jaune et la Rouge de juin-juillet 2015

Voi­ci une copie de la pre­mière chro­nique parue dans le n°155 de La Jaune et la Rouge, décembre 1961

Le 1er article de Jean SALMONA dans La Jaune et la Rouge
Le 1er article de Jean SALMONA dans La Jaune et la Rouge (suite et fin)

Inter­view de Pierre SCHAEFFER (29) par Jean SALMONA (56)- La Jaune et la Rouge n° 310 avril 1976

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