Barrage en Afrique

L’énergie : Comment concrétiser la modernisation du continent

Dossier : L'AfriqueMagazine N°716 Juin/Juillet 2016
Par Bruno BENSASSON (92)

Le pro­blème de la pro­duc­tion et la dis­tri­bu­tion de l’élec­tri­ci­té, comme le montre l’ac­ticle pré­cé­dent, est en voie d’a­mé­lio­ra­tion. Dans un sec­teur équi­valent, celui des télé­com­mu­ni­ca­tions, l’A­frique a pu mon­trer sa capa­ci­té à sau­ter les étapes, comme celle de la télé­pho­nie fixe. Ces déve­lop­pe­ments néces­sitent des emplois locaux et les gou­ver­ne­ments doivent accroître la for­ma­tion pour créer les com­pé­tences nécessaires. 

Dans un contexte mon­dial mar­qué par une fai­blesse de la demande, l’Afrique se démarque : sur­ca­pa­ci­tés au nord de la Médi­ter­ra­née, sous-capa­ci­tés au sud. En résultent des prix éle­vés – jusqu’à 300 €/MWh pour un groupe die­sel sol­li­ci­té en urgence contre 25 €/MWh sur le mar­ché européen. 

“ La croissance soutenue dont bénéficie le continent nécessite quantité d’électricité ”

Rien d’étonnant à cela : la crois­sance sou­te­nue dont le conti­nent béné­fi­cie en moyenne depuis vingt ans et qu’il faut lui sou­hai­ter pour l’avenir, néces­site quan­ti­té d’électricité, pour satis­faire les besoins des ménages – éclai­rage mais pas seule­ment – et ceux des entre­prises, l’électricité irri­guant tous les sec­teurs, bien au-delà de son poids direct de quelques pour cent du PIB. 

REPÈRES

L’Afrique réunit cinquante-quatre pays très différents par leurs cultures, leurs géographies, etc. Toute généralisation est une simplification réductrice.
La puissance électrique installée en Afrique est en ordre de grandeur celle de l’Allemagne. Et 69 % de cette puissance se concentre en Afrique du Nord et en Afrique du Sud.
La puissance raccordée dans le reste de l’Afrique équivaut à celle du Portugal. Près de 65 % de la population n’a pas accès à l’électricité et ce chiffre peut dépasser 85 % en zones rurales.

UNE OFFRE ÉNERGÉTIQUE INSUFFISANTE

Alors que l’Afrique est dotée d’immenses res­sources en éner­gie, elle ne béné­fi­cie que de peu d’électricité. Non seule­ment l’offre est faible, mais elle n’a pas crû au rythme de l’économie.

Un para­doxe et un frein à la diver­si­fi­ca­tion sou­hai­tée des éco­no­mies. Si les choses n’ont pas chan­gé assez vite, ce n’est pas faute d’un sen­ti­ment d’importance ni d’urgence pré­sent chez la majo­ri­té des chefs d’État.

Ce n’est pas non plus faute d’argent : l’épargne mon­diale est consi­dé­rable, elle va de plus en plus vers l’Afrique, mais pas encore assez vers l’Afrique électrique. 

Cela tient sans doute d’abord à la gou­ver­nance mais cela pour­rait changer. 

INNOVATION ET COÛTS EN BAISSE

AVANTAGE AU SOLAIRE DOMESTIQUE

Par comparaison aux moteurs diesel, l’autonomie, la qualité de l’alimentation, mais aussi la réduction du bruit et du coût sont des facteurs importants du développement du solaire domestique. Une famille rurale qui passe d’un système d’éclairage à base de kérosène au solaire économiserait en moyenne 70 dollars par an, à raison d’un coût de 0,5 dollar par jour.

Les faibles den­si­tés de popu­la­tion aug­mentent les coûts de trans­port. Ce n’est pas nou­veau. Ce qui l’est, c’est la baisse des coûts de pro­duc­tion, baisse conjonc­tu­relle des éner­gies fos­siles, baisse struc­tu­relle des renou­ve­lables en par­ti­cu­lier de l’éolien et du solaire. 

Ces deux éner­gies, qui fai­saient figure de solu­tions de luxe pour pays riches il y a trois ans, ont vu leurs coûts chu­ter spec­ta­cu­lai­re­ment, d’un fac­teur cinq au moins pour le solaire. Au Maroc, de l’éolien a même été pro­po­sé à 28 €/MWh. Qui plus est, ces moyens peuvent être pla­cés à proxi­mi­té des lieux de consom­ma­tion et évi­ter le coût de réseaux natio­naux par des solu­tions de mini-réseaux ou hors réseaux. 

Ce n’est pour­tant pas la solu­tion uni­ver­selle. Il appar­tient à chaque pays de faire ses choix de mix en fonc­tion de ses res­sources, de sa vision de l’intégration régio­nale, de ses choix d’aménagement du ter­ri­toire, de ses besoins, notam­ment pour satis­faire la demande per­ma­nente, dite « de base ». 

Mais il reste que les renou­ve­lables, l’hydraulique mais aus­si le solaire, etc., en com­bi­nai­son avec le gaz et le sto­ckage, ont un rôle crois­sant à jouer. 

LE MÊME DÉVELOPPEMENT QUE LE TÉLÉPHONE MOBILE ?

Le déve­lop­pe­ment des télé­com­mu­ni­ca­tions est un point de com­pa­rai­son inté­res­sant : sec­teur capi­ta­lis­tique, indus­trie de réseau, ser­vice inter­mé­diaire et final. 

Il illustre la capa­ci­té de l’Afrique à sau­ter des étapes, comme celle de la télé­pho­nie fixe, pour aller direc­te­ment vers des solu­tions modernes. 

Si l’on pousse la com­pa­rai­son, on peut ima­gi­ner l’émergence d’un sys­tème élec­trique fon­dé sur des solu­tions à la fois cen­tra­li­sées et décentralisées. 

D’un côté, de grandes ins­tal­la­tions rac­cor­dées au réseau natio­nal pour ali­men­ter les méga­lo­poles et les grandes indus­tries, de l’autre des solu­tions décen­tra­li­sées, mix d’énergies renou­ve­lables, de sto­ckage et de (bio)gaz, pour ali­men­ter les sites iso­lés, les vil­lages et villes moyennes, clé d’un amé­na­ge­ment har­mo­nieux du territoire. 

L’exemple ne vaut pas que pour cela. Il montre aus­si qu’une offre com­pé­ti­tive sait trou­ver sa demande : des mil­liards d’euros y ont été inves­tis, qui obtiennent leur rému­né­ra­tion dans un chiffre d’affaires dûment et libre­ment payé – et même pré­payé grâce au digi­tal –, pour des mon­tants de quelques euros par mois. 

Les usages pre­miers de l’électricité ne requièrent pas davantage. 

DE NOMBREUSES INITIATIVES PUBLIQUES

Il n’est pas un plan de déve­lop­pe­ment qui ne donne une large part à l’augmentation des capa­ci­tés électriques. 

“ Il appartient à chaque pays de faire ses choix de mix en fonction de ses ressources ”

Une prio­ri­té, qui vise à répondre aux attentes des entre­prises comme des popu­la­tions, exas­pé­rées par les cou­pures fré­quentes ou l’absence d’électricité , sen­ti­ment repris par des mou­ve­ments de reven­di­ca­tion tels que « Y’en a marre » au Sénégal. 

Du Séné­gal au Kenya, de l’Égypte à l’Afrique du Sud, les ini­tia­tives sont nom­breuses. Elles vont du niveau local (les cli­niques et les écoles, prio­ri­tés du Mozam­bique ou du Kenya), au niveau natio­nal et au-delà : les pays osent l’échange inter­na­tio­nal, source de spé­cia­li­sa­tion, d’économies d’échelle et de rési­lience, par exemple entre le Gha­na et la Côte‑d’Ivoire.

APPORTER L’ÉNERGIE NÉCESSAIRE

Une dyna­mique posi­tive est enga­gée : des méga­bar­rages construits de gré à gré et au pas de course par Chi­na Cor­po­ra­tion au tis­su de start-ups, afri­caines ou non, déve­lop­pant les solu­tions domes­tiques de lea­sing solaire pré­payé, en pas­sant par les appels d’offres inter­na­tio­naux pour des parcs renou­ve­lables, des choses se passent. 

Peut-on aller plus vite et plus loin ? 


Alors que l’Afrique est dotée d’immenses res­sources en éner­gie, elle ne béné­fi­cie que de peu d’électricité.
© NATALY REINCH / FOTOLIA.COM

AMÉLIORER LA GOUVERNANCE

Il n’y a pas de solu­tion uni­ver­selle mais on peut repé­rer des modèles inté­res­sants conci­liant le rôle sou­ve­rain des États et les mérites de la concur­rence. On en trouve hors d’Afrique – au Chi­li ou au Pérou – et en Afrique – au Maroc ou en Afrique du Sud par exemple. 

“ Répondre aux attentes des entreprises comme des populations, exaspérées par les coupures fréquentes ”

S’agissant des moyens de pro­duc­tion, on observe le suc­cès d’organisations fon­dées sur une concur­rence non pas « par le mar­ché » comme en Europe mais « pour le mar­ché » : un État se donne un plan de déve­lop­pe­ment à cinq ans inté­grant un mix éner­gé­tique et lance des appels d’offres pour concré­ti­ser ce plan, au mieux-disant technico-économique. 

Les com­pé­ti­teurs, des consor­tiums d’entreprises étran­gères et locales, indus­trielles et finan­cières, conjuguent savoir-faire tech­nique et ancrage territorial. 

Ils inves­tissent avec le sou­ci d’obtenir l’assurance rai­son­nable d’un pro­fit rai­son­nable, tiré de la vente de l’électricité à un ache­teur fiable, une socié­té dis­po­sant de la garan­tie de l’État et éven­tuel­le­ment de celle de la Banque mondiale. 

PLUS DE CONFIANCE ET MOINS DE RISQUES

Ce sys­tème de garan­ties est utile mais non suf­fi­sant. Pour que ces garan­ties tiennent lieu d’assurances et non de sou­tiens sys­té­ma­tiques vite épui­sés, il faut que les prix de l’électricité reflètent ses coûts. 

DES INITIATIVES INTERNATIONALES

Les initiatives internationales se multiplient, à l’image du nouveau programme de la Banque africaine de développement, qui a fait de l’électricité sa priorité.
La liste est longue : programme SE4ALL de l’Onu, Electrifi de l’Union européenne, Power Africa des États-Unis, fondation Énergies pour l’Afrique portée par Jean-Louis Borloo, etc.
Si ce foisonnement d’initiatives paraît parfois décousu, elles peuvent aider à la mise en œuvre de programmes nécessairement nationaux en aidant à partager les meilleures pratiques de gouvernance, en soutenant financièrement les projets qui le nécessitent, et en sécurisant les investisseurs par le droit.

Sans sur­prise, pour que le pro­duc­teur pro­duise, il faut que quelqu’un le paye : soit un dona­teur (espèce rare), soit l’État (au bud­get ser­ré), soit l’investisseur (à ses dépens), soit le client (usuel­le­ment).

Est-ce pos­sible ? L’exemple des télé­com­mu­ni­ca­tions sug­gère une réponse posi­tive et on ne voit pas de bonnes rai­sons pour que les choses soient dif­fé­rentes pour l’électricité. Sans pré­ju­dice des poli­tiques sociales et d’aménagement du territoire. 

Avec à la clé un cercle ver­tueux : plus de confiance et moins de risques impliquent un capi­tal moins cher et plus de créa­tion de valeur ; pour l’investisseur ils impliquent plus d’investissements et plus de crois­sance pour l’Afrique.

DE BONNES COMPÉTENCES REQUISES

La ques­tion des com­pé­tences requises vaut pour toute l’économie : c’est par une for­ma­tion adap­tée à ses besoins et par l’entreprenariat que l’Afrique sau­ra tra­duire la crois­sance de sa popu­la­tion active en amé­lio­ra­tion du niveau de vie, qu’elle sau­ra réduire le chô­mage et tirer le pro­fit du « divi­dende démographique ». 

Le déve­lop­pe­ment de l’électricité néces­site des emplois majo­ri­tai­re­ment locaux, pour la construc­tion et l’exploitation des systèmes. 

Les gou­ver­ne­ments doivent accroître la for­ma­tion pour créer ces com­pé­tences locales. Les centres de com­pé­tence pour l’évaluation des res­sources renou­ve­lables dans les uni­ver­si­tés font leur appa­ri­tion et il y a un nombre crois­sant de connais­sances via des ins­ti­tu­tions d’experts africains. 

La connexion de ces ins­ti­tu­tions peut faci­li­ter le déve­lop­pe­ment des atlas natio­naux et la concep­tion des poli­tiques de déploie­ment spécifiques. 

Téléphonie mobile en Afrique
Le déve­lop­pe­ment des télé­com­mu­ni­ca­tions illustre la capa­ci­té de l’Afrique à sau­ter des étapes, comme celle de la télé­pho­nie fixe, pour aller direc­te­ment vers des solu­tions modernes. © DPREEZG / FOTOLIA.COM

ET LE CLIMAT ?

L’Afrique n’est pas res­pon­sable du chan­ge­ment cli­ma­tique mais, iro­nie du sort, elle en sera la pre­mière vic­time. Elle a inté­rêt à s’y adap­ter, mais peut-elle aus­si contri­buer à le limiter ? 

“ Pour que le producteur produise, il faut que quelqu’un le paye ”

Cha­cun com­pren­dra que les pays afri­cains aient pour prio­ri­té l’accès à une éner­gie com­pé­ti­tive pour accom­pa­gner leur crois­sance. Et jusqu’il y a peu des experts inter­na­tio­naux ima­gi­naient pour 2030 une Afrique ali­men­tée en majo­ri­té à par­tir d’énergies fos­siles, éolien et solaire ne repré­sen­tant guère plus de 10 % des capa­ci­tés exploi­tées à cet hori­zon pour 5 % de l’électricité produite. 

Les choses pour­raient chan­ger avec la baisse du coût des renou­ve­lables – hydrau­lique et bio­masse mais aus­si géo­ther­mie en Afrique de l’Est, éolien et solaire – qui per­met de des­si­ner des mix com­pé­ti­tifs plus diver­si­fiés et moins émet­teurs de CO2.

Le déve­lop­pe­ment de sys­tèmes éco­nomes en éner­gie dans l’industrie, les bâti­ments et les trans­ports devrait aus­si y contribuer. 

Et si ces solu­tions n’étaient pas tou­jours com­pé­ti­tives, sou­hai­tons que le sou­tien inter­na­tio­nal, pro­mis à la COP 21, puisse se concré­ti­ser et com­bler cet écart, par une soli­da­ri­té bien­ve­nue entre peuples et entre générations. 

La COP 22, qui se tien­dra cet automne au Maroc, don­ne­ra l’occasion de concré­ti­ser ces enga­ge­ments, en Afrique et pour l’Afrique.

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