L’eau, probable facteur de conflits en Asie centrale

Dossier : Démographie, un monde de disparitésMagazine N°685 Mai 2013
Par Geoffroy SAINT GRÉGOIRE

REPÈRES
Le « Grand centre asia­tique » est la tra­di­tion­nelle Asie cen­trale, du Kaza­khs­tan à l’Afghanistan, aug­men­tée du sous-conti­nent indien, de la Chine et de la par­tie la plus conti­nen­tale de l’Asie du Sud-Est (Bir­ma­nie, Thaïlande).

REPÈRES
Le « Grand centre asia­tique » est la tra­di­tion­nelle Asie cen­trale, du Kaza­khs­tan à l’Afghanistan, aug­men­tée du sous-conti­nent indien, de la Chine et de la par­tie la plus conti­nen­tale de l’Asie du Sud-Est (Bir­ma­nie, Thaïlande).
Cette région compte presque 50 % de la popu­la­tion mon­diale et affronte des pro­blèmes gigan­tesques. Elle est géné­ra­le­ment en voie d’industrialisation rapide avec de nom­breux nœuds indus­triels, mais son déve­lop­pe­ment agri­cole est très inégal. Elle souffre d’un grave stress hydrique, mal­gré l’importance des pluies de mous­son. Il faut 10 000 litres d’eau pour faire un kilo­gramme de viande et 5 000 litres d’eau pour faire un kilo­gramme de riz.

Depuis les années 1970, la Chine (près de 1 400 mil­lions d’habitants) est pra­ti­que­ment auto­suf­fi­sante en matière agri­cole. Elle n’importe que 2 % de ce qui lui est néces­saire. Sa poli­tique d’achat et de culture de cen­taines de mil­liers d’hectares de terres agri­coles afri­caines va cer­tai­ne­ment la rendre exportatrice.

La Rus­sie détient 22% des réserves mon­diales d’eau douce

L’Inde (1 150 mil­lions d’habitants) est dans la même situa­tion agri­cole, avec entre 1 % et 2% d’importations, sur­tout du sucre et du blé.

Mais les autres pays de la région sont lour­de­ment défi­ci­taires. Le Kaza­khs­tan (17 mil­lions d’habitants) importe 60 % de sa nour­ri­ture et l’Ouzbékistan (29 mil­lions) en importe 80%.

L’eau, le blé et la Russie

La Jaune, la Rouge et la Bleue
La Chine est tra­di­tion­nel­le­ment divi­sée en trois grandes parties.
Au nord, sur envi­ron 400 km de large, la « Chine rouge », avec presque tous les mine­rais impor­tants, métaux pré­cieux, terres rares (yttrium, césium, etc.) indis­pen­sables aux pro­duits de haute technologie.
Plus au sud, une bande longue mais étroite, essen­tiel­le­ment le long de la val­lée du fleuve Jaune. C’est la « Chine jaune », admi­ra­ble­ment culti­vée et qui pos­sède la plu­part des terres arables.
Enfin, le reste de la Chine, avec Pékin, consti­tue la « Chine bleue », dont les grandes villes sont le but de tous les pay­sans par­tant pour l’exode rural.

C’est la Rus­sie (142 mil­lions d’habitants) qui est le grand gre­nier à blé de cette région, mais elle est dans une situa­tion démo­gra­phique dif­fi­cile avec 1,5 enfant par femme seule­ment, un vieillis­se­ment rapide et un excès des décès sur les nais­sances qui est encore de 150 000 par an.

L’importance de l’eau et du blé a conduit les Russes à rajou­ter ces deux pro­duits sur leur liste des maté­riaux stra­té­giques dans les­quels l’étranger ne peut inves­tir plus de 10%. La Rus­sie détient 22% des réserves mon­diales d’eau douce et, en 2030, envi­ron un mil­liard et demi de Ter­riens n’auront pas d’accès direct à l’eau.

Deux ou trois enfants en Chine

La poli­tique démo­gra­phique de la Chine a connu de fortes évo­lu­tions. La vieille poli­tique de l’enfant unique a été assou­plie. Les popu­la­tions rurales ont droit à un deuxième enfant depuis 1994, et même un troi­sième enfant depuis 1996.

Depuis 2002, les cita­dins ont le droit de deman­der à avoir un deuxième enfant, même si cela leur est le plus sou­vent refu­sé. Tout Chi­nois adulte doit être muni de son rocou, per­mis de rési­dence et de tra­vail. Sans lui, pas d’embauche, pas de loge­ment, pas de soins.

300 mil­lions de Chi­nois vivent en clan­des­tins dans leur pays

Mais on estime que 250 à 300 mil­lions de Chi­nois vivent en clan­des­tins dans les grandes villes, sans rocou. On estime à 150 ou 200 euros par mois ce que coûte un ouvrier, salaire et frais com­pris, à une entre­prise indus­trielle chinoise.

Les pays d’Asie du Sud-Est, Viet­nam, Cam­bodge, Laos, Thaï­lande, sont des concur­rents redou­tables avec des salaires deux à trois fois plus faibles.

L’Inde manque d’énergie

L’Inde est presque auto­suf­fi­sante pour sa nour­ri­ture, mais elle importe 80 % de son éner­gie. Avec son taux de 2,6 enfants par femme, même len­te­ment décrois­sant, on estime qu’elle aura 1 400 mil­lions d’habitants en 2030. Elle compte encore 60 % de pay­sans. Son sys­tème de castes a une consé­quence inat­ten­due : l’exode rural est bien plus faible qu’en Chine, car il est de courte durée et est le plus sou­vent sui­vi d’un retour au vil­lage d’origine.

Analphabétisme et opium

Le Pakis­tan (180 mil­lions d’habitants, 3,6 enfants par femme) compte encore 80 % d’analphabètes, ce qui freine son déve­lop­pe­ment. Il a une par­ti­cu­la­ri­té unique dans les pays de la région : il est eth­ni­que­ment très homogène.

L’Afghanistan, le « tom­beau des Empires » (33 mil­lions d’habitants ; 6,3 enfants par femme) était auto­suf­fi­sant pour sa nour­ri­ture jusque vers 1965, mais il ne pos­sède que 1 % de terres arables. Aujourd’hui, il pro­duit essen­tiel­le­ment de l’opium : 90% de l’opium du monde. Com­ment, du reste, en serait-il autre­ment quand un agri­cul­teur afghan voit ses reve­nus mul­ti­pliés par dix quand il passe du blé à l’opium ?

Les mal lotis
Les pays de l’Asie cen­trale tra­di­tion­nelle ont d’autres pro­blèmes spécifiques.
Près de la moi­tié de la popu­la­tion du Kaza­khs­tan est rus­so­phone (les « Sla­vons »), mais leur pro­por­tion dans la popu­la­tion kaza­khe est décrois­sante et un nou­veau pro­blème de déco­lo­ni­sa­tion se pro­file à l’horizon.
L’Ouzbékistan sort de la guerre civile.
Le Kir­ghizs­tan, le Tad­ji­kis­tan et le Turk­mé­nis­tan ne sont guère mieux lotis.

Des problèmes vitaux

Les pro­blèmes majeurs de cette région essen­tiel­le­ment conti­nen­tale ne sont pas seule­ment des pro­blèmes poli­tiques (Cache­mire, Tibet, Sin-Kiang, confins rus­so-chi­nois, dic­ta­tures, isla­misme et tali­bans, etc.), ce sont des pro­blèmes vitaux : recherche d’une démo­gra­phie équi­li­brée, ni débor­dante, ni insuf­fi­sante ; déve­lop­pe­ment et alpha­bé­ti­sa­tion ; auto­suf­fi­sance agri­cole, ou du moins pro­duc­tion agri­cole suf­fi­sante et met­tant à l’abri des à‑coups.

Et, sur­tout, ce pro­blème essen­tiel dont on devine chaque jour davan­tage l’importance, la maî­trise de cette den­rée vitale mais très inéga­le­ment répar­tie : l’eau.

Quelques questions​

Y aura-t-il demain un mar­ché de l’eau, comme il y a un mar­ché de chaque matière première ?
Près de 60% de l’eau douce mon­diale se trouvent dans quatre pays : la Rus­sie, le Cana­da, le Groen­land et les États-Unis. Trans­por­ter l’eau, par des aque­ducs, coûte beau­coup moins cher que des­sa­ler l’eau de mer. Il semble inévi­table que s’établisse un mar­ché mon­dial de l’eau.

Quelle est la situa­tion de la Mongolie ?
Coin­cée entre deux géants et à peine peu­plée (3 mil­lions d’habitants), la Mon­go­lie ne peut que s’appuyer sur l’un pour ne pas être écra­sée par l’autre. Elle a, de longue date, choi­si l’alliance russe. Elle fut la deuxième répu­blique sovié­tique (1922), le russe est sa langue admi­nis­tra­tive et elle a fait une demande d’admission dans l’Organisation de coopé­ra­tion de Shanghai.

La Sibé­rie peut-elle être une pomme de dis­corde entre la Rus­sie et la Chine ?
On dénombre 150 000 Chi­nois en Sibé­rie, mais les Russes veillent à ce que ce nombre n’augmente pas. Pour la plu­part, les immi­grants chi­nois n’aiment pas le cli­mat sibé­rien et ne pensent qu’à ren­trer au pays une fois for­tune faite.

Commentaire

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Denis Gar­nierrépondre
29 mai 2013 à 10 h 10 min

La démo­gra­phie, pro­bable fac­teur de conflits en Asie centrale ?

« L’Inde est presque auto­suf­fi­sante pour sa nour­ri­ture, mais elle importe 80% de son éner­gie. Avec son taux de 2,6 enfants par femme, même len­te­ment décrois­sant, on estime qu’elle aura 1.400 mil­lions d’habitants en 2030. »


On pour­rait même ajou­ter ceci, en 2050 l’Inde comp­te­ra 1,7 mil­liards d’ha­bi­tants : à lui seul, ce pays (grand comme six fois la France, et repré­sen­tant seule­ment 2,2% des terres émer­gées) aura le même nombre d’ha­bi­tants que la pla­nète dans son ensemble avait au début du XXe siècle ! Avec la den­si­té qu’elle connaî­tra alors (515 hab/km²), la France comp­te­rait 284 mil­lions d’ha­bi­tants (soit 200 mil­lions de plus que pré­vus). Com­ment un pays SIX fois plus éten­du que le nôtre fera-t-il pour que sa popu­la­tion vive en har­mo­nie avec elle-même et avec son environnement ?


Et que dire de son voi­sin le Ban­gla­desh qui est le pays (digne de ce nom) le plus den­sé­ment peu­plé au monde (1.100 hab/km²). Avec sa den­si­té actuelle, nous serions déjà 600 mil­lions et avec la den­si­té qui y est pré­vue en 2050 : 866 mil­lions !!! Recon­nais­sons que le Pakis­tan voi­sin (grand comme une fois et demi la France), même s’il est mieux loti, n’est pas très brillant non plus : avec la den­si­té qui y est pré­vue en 2050 nous serions 218 mil­lions. Avec comme voi­sin l’Af­gha­nis­tan, ce pays et plus glo­ba­le­ment cette région du monde est, et sera sans doute plus encore, une poudrière…

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