L’eau et l’assainissement, moteurs de l’économie verte

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Béatrice ARBELOT (91)
Par Pierre BONARDET (99)

Chaque jour, 200 000 êtres humains sup­plé­men­taires viennent accen­tuer la pres­sion sur les res­sources, et nous serons 9 mil­liards en 2050, prin­ci­pa­le­ment dans les villes. Dans ce contexte, il ne peut y avoir de déve­lop­pe­ment éco­no­mique sans un accès à l’eau et à l’assainissement.

Accé­der à une eau de qua­li­té, éloi­gner les eaux usées des habi­tants, pré­ser­ver l’environnement aqua­tique des pol­lu­tions urbaines et indus­trielles et gérer les eaux plu­viales, tout cela néces­site, certes, des inves­tis­se­ments lourds.

Mais les consé­quences externes posi­tives géné­rées pour l’économie sont très éle­vées. Les tra­vaux de l’OMS dans les pays émer­gents montrent qu’un dol­lar inves­ti dans l’eau génère un béné­fice de deux dol­lars pour la socié­té. Dans l’assainissement, le rap­port est de cinq pour un.

REPÈRES
La hausse démo­gra­phique, l’urbanisation du monde, le chan­ge­ment cli­ma­tique et ses impacts ain­si que la dimi­nu­tion des res­sources natu­relles mettent à mal le modèle sur lequel s’est fon­dée la pros­pé­ri­té éco­no­mique des socié­tés occidentales.
Le déve­lop­pe­ment d’une « éco­no­mie verte » n’est pas un luxe, mais une néces­si­té. La crise s’installant, le concept semble cepen­dant s’étioler, et même le som­met de la Terre « Rio + 20 » n’a pas plei­ne­ment réus­si à ancrer ce concept dans le concret.
Les débats sont foca­li­sés à pré­sent, en France en par­ti­cu­lier, sur l’industrialisation et la créa­tion d’emplois, en sem­blant oublier par­fois la cou­leur de la croissance.

Un développement économique et sociétal

Des­sa­ler l’eau de mer
La plus grande usine de des­sa­le­ment d’eau de mer vient d’être mise en route en Aus­tra­lie, à Mel­bourne. Cette tech­nique a long­temps été consi­dé­rée comme éner­gi­vore, avec un impact non négli­geable sur l’environnement. Les inno­va­tions tech­no­lo­giques per­mettent aujourd’hui de la rendre attrac­tive et compétitive.
À Mel­bourne, la consom­ma­tion d’énergie est réduite à moins de 3 kWh/m3, et elle est « verte » puisque assu­rée par un champ d’éoliennes

Ces effets sont le résul­tat de gains de temps liés à l’accès à l’eau et à l’assainissement, de gains sur la san­té (mor­ta­li­té et mala­dies en baisse, arrêts de tra­vail réduits, pro­duc­ti­vi­té) ain­si que de la pos­si­bi­li­té de déve­lop­per des acti­vi­tés éco­no­miques grâce à la meilleure ges­tion des res­sources en eau (tou­risme, industrie).

Un ter­ri­toire qui dis­pose de ser­vices publics d’eau per­for­mants, peu sen­sible au chan­ge­ment cli­ma­tique et qui sait se pro­té­ger des risques d’inondation ou de stress hydrique est ain­si plus attrac­tif pour les indus­tries et les acti­vi­tés éco­no­miques qui veulent s’y développer.

Dans une période où les villes sont en com­pé­ti­tion, gérer effi­ca­ce­ment ses ser­vices d’eau est donc un atout majeur pour un déve­lop­pe­ment har­mo­nieux du territoire.

Le premier défi de la croissance verte

L’eau et l’assainissement, sources d’innovations pour rendre la crois­sance plus verte

Pour faire face aux enjeux de la crois­sance verte, les métiers de l’eau innovent sur l’ensemble du cycle natu­rel de l’eau. De nom­breuses solu­tions, qu’elles soient tech­niques ou socié­tales, ont été déve­lop­pées pour pré­ser­ver et diver­si­fier les res­sources en eau, trai­ter les nou­velles formes de pol­lu­tion, pro­té­ger la bio­di­ver­si­té, mais aus­si construire une gou­ver­nance réno­vée avec les col­lec­ti­vi­tés et œuvrer pour une plus grande soli­da­ri­té dans l’accès aux ser­vices d’eau et d’assainissement.

En ce qui concerne l’usage de res­sources alter­na­tives, un panel de solu­tions existe. Il va de la recharge arti­fi­cielle de nappes (comme c’est le cas dans les usines de l’Ouest pari­sien de la Lyon­naise des eaux), à la réuti­li­sa­tion des eaux usées trai­tées (tech­nique sous-uti­li­sée en France, mais qui per­met de mobi­li­ser pour des usages agri­coles ou indus­triels prin­ci­pa­le­ment une res­source de bonne qua­li­té à moindre coût). À l’autre bout de la chaîne, le déve­lop­pe­ment de comp­teurs intel­li­gents per­met à cha­cun de mieux maî­tri­ser sa consommation.

À Malte, Suez Envi­ron­ne­ment a ain­si ins­tal­lé 250 000 comp­teurs intel­li­gents pour faire face aux enjeux de ges­tion de la res­source en eau sur l’île. Ces inno­va­tions requièrent le déve­lop­pe­ment de nou­veaux métiers et savoir-faire, en par­ti­cu­lier dans le domaine des NTIC appli­quées à l’eau et à l’environnement et dans celui de l’ingénierie écologique.

Optimiser les flux

La crois­sance verte repose éga­le­ment sur une opti­mi­sa­tion glo­bale de la ges­tion des flux : eau, déchets, éner­gie. Les sta­tions d’épuration ont voca­tion à deve­nir des uni­tés de pro­duc­tion de bioénergie.

Accom­pa­gner les PME
Les groupes inter­na­tio­naux orga­nisent autour d’eux une filière éco-indus­trielle à laquelle par­ti­cipent de nom­breuses PME et PMI : on aurait tort de cher­cher à les opposer.
L’innovation a besoin de nou­veaux talents, de nou­velles com­pé­tences et de capi­taux. Il faut encou­ra­ger la créa­tion et l’entrepreneuriat, valo­ri­ser les réus­sites et ne pas stig­ma­ti­ser les échecs.
Parce qu’ils reposent sur une large base de clients et de mar­chés poten­tiels, les grands groupes doivent accom­pa­gner les PME et PMI et agir en cata­ly­seur de l’innovation.

À Suz­hou, en Chine, ce prin­cipe d’économie cir­cu­laire a été mis en œuvre en cou­plant à une cen­trale ther­mique exis­tante un centre de séchage de boues d’épuration. L’énergie de la cen­trale per­met de sécher les boues, qui sont à leur tour valo­ri­sées en com­bus­tible alter­na­tif au char­bon pour pro­duire de l’électricité.

À As Sam­ra, en Jor­da­nie, l’usine d’assainissement est auto­nome en éner­gie grâce à la pro­duc­tion de bio­gaz et à la récu­pé­ra­tion de l’énergie hydrau­lique des effluents.

À Cannes, la nou­velle sta­tion d’épuration, Aqua­vi­va, sèche les boues et les valo­rise en com­bus­tible alter­na­tif en cimen­te­rie. Une par­tie de l’énergie néces­saire est éga­le­ment pro­duite sur place à l’aide de pan­neaux solaires. Ces solu­tions locales per­mettent à la sta­tion d’afficher un bilan car­bone neutre.

À San­tia­go du Chi­li, le bio­gaz pro­duit par le trai­te­ment des eaux est réin­jec­té dans le réseau de gaz de ville.

Ces exemples illus­trent la néces­si­té de mettre en œuvre des solu­tions adap­tées à un contexte local et de connec­ter les dif­fé­rents flux (eau, déchets, éner­gie) dans une approche sym­bio­tique des ser­vices urbains. La ges­tion de l’eau sous toutes ses formes (potable, usée, plu­viale, récréa­tive, réser­voir de bio­di­ver­si­té, etc.) est ain­si une com­po­sante essen­tielle des « villes durables », concept exi­geant de ras­sem­bler l’ensemble des acteurs de la ville autour d’une approche intégrée.

Promouvoir l’innovation

Les métiers de l’eau repré­sentent en France 33 000 emplois directs et 46 000 indirects

L’innovation, par les solu­tions qu’elle per­met de déve­lop­per, est donc le prin­ci­pal moteur de la crois­sance verte. Celle-ci n’est pas seule­ment le fruit des centres de recherche des grands groupes, mais se niche éga­le­ment dans les uni­ver­si­tés, start-ups, PME et PMI. L’émergence « d’écosystèmes inno­va­tions » et de « filières éco-indus­trielles » per­met­tront de trans­for­mer des inno­va­tions en solu­tions indus­trielles pérennes.

C’est toute l’ambition en France des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té et des IEED (ins­ti­tuts d’excellence pour les éner­gies « décar­bo­nées ») aux­quels par­ti­cipent de grandes entre­prises aux côtés de PME et PMI innovantes.

Vers une croissance plus vertueuse

L’amélioration des per­for­mances envi­ron­ne­men­tales par l’innovation tech­no­lo­gique n’est qu’un des piliers néces­saires à une crois­sance ver­tueuse. Celle-ci s’appuie éga­le­ment sur une plus juste répar­ti­tion des richesses et doit per­mettre le déve­lop­pe­ment har­mo­nieux des ter­ri­toires et de leur attrac­ti­vi­té. Les métiers de l’eau sont créa­teurs d’emplois directs et indi­rects, ain­si que d’externalités posi­tives fortes, créa­trices de valeur.

Le der­nier rap­port du BIPE pour les entre­prises de l’eau (2012) estime ain­si qu’un emploi chez les opé­ra­teurs génère envi­ron 1,4 emploi dans l’économie. À l’échelle de la France, cela repré­sente 33 000 emplois directs et 46 400 emplois engen­drés, en majo­ri­té des emplois locaux.

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