Le territoire des hommes

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°607 Septembre 2005Par : Jean Poulit (57)Rédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Notre cama­rade Jean Pou­lit (X 57, Ponts 62) nous fait par­ta­ger son expé­rience dans des domaines nom­breux et variés (éco­no­mies d’énergie, nui­sances, sécu­ri­té rou­tière, villes nou­velles, Marne-la-Val­lée, sché­ma direc­teur de l’Île-de-France) ; cet ancien direc­teur géné­ral de l’IGN connaît admi­ra­ble­ment l’importance de la géo­gra­phie et de la démo­gra­phie. Il traite de l’aménagement du ter­ri­toire à tra­vers la ques­tion fon­da­men­tale des trans­ports dont il est deve­nu l’un de nos meilleurs spé­cia­listes. Saluons son réa­lisme, son opti­misme, son éner­gie à com­battre les idées fausses.

Il s’intéresse à la mobi­li­té des êtres humains et à l’importance du ter­ri­toire poten­tiel auquel ils peuvent accé­der, d’abord en uti­li­sant leurs jambes, puis le che­val, enfin les moyens méca­niques qu’ils ont eux-mêmes inven­tés (navire, train, auto, avion). Sa théo­rie est en gros la sui­vante : l’homme se déplace pour recher­cher des biens ou des ser­vices qu’il ne peut se pro­cu­rer sur place ; plus il y a de biens dans une zone, plus il y a de rai­sons de s’y rendre, mais plus le tra­jet est long, plus il est coû­teux, et moins sa des­ti­na­tion est attrac­tive : la diver­si­té de l’ensemble des biens et ser­vices acces­sibles dans une zone tra­duit la “créa­tion de valeur” du ter­ri­toire qui entoure cette zone. Jean Pou­lit est sen­sible à la conti­nui­té qui existe entre les ter­ri­toires ruraux et urbains (un “ espace unique de vie ”), sans igno­rer pour autant l’hétérogénéité des ter­ri­toires et des urbanisations.

Il nous fait part des résul­tats d’observations faites scru­pu­leu­se­ment depuis vingt-cinq ans :

• un peu par­tout dans le monde, la vitesse des dépla­ce­ments s’accroît, ce qui fait gagner de l’espace, en outre les dépenses de trans­ports expri­mées en uni­tés de niveau de vie ne varient pas,

• les habi­tants de grandes villes consacrent tou­jours à peu près le même temps à par­cou­rir le ter­ri­toire dans lequel ils vivent : 3,5 dépla­ce­ments par jour en moyenne, trente à cin­quante minutes de dépla­ce­ment moto­ri­sé (à Paris, à Londres, à Los Angeles) aux­quelles il faut ajou­ter vingt minutes à pied qu’il convient de dou­bler pour tenir compte de sa péni­bi­li­té. Temps total soixante-dix à quatre-vingt-dix minutes.

Il tente le bilan des nui­sances induites par l’homme : les acti­vi­tés agri­coles, indus­trielles et rési­den­tielles engendrent dif­fé­rentes pol­lu­tions (les sols, les eaux, l’air). Il s’intéresse aux nui­sances induites par les trans­ports (insé­cu­ri­té, nui­sances sonores, pay­sages, pol­lu­tion atmo­sphé­rique). Il croit utile de mesu­rer les poids res­pec­tifs de cer­taines actions (ou évé­ne­ments) : poids de la créa­tion de valeur, 100 ; poids du coût géné­ra­li­sé du trans­port (valo­ri­sa­tion du temps et de l’argent), 30 ; poids des nui­sances induites par les échanges, 3. Il estime que l’homme par son intel­li­gence et la qua­li­té de sa tech­nique est capable de réduire sub­stan­tiel­le­ment la plu­part de ces nui­sances, et pro­pose une liste presque exhaus­tive des moyens à mettre en oeuvre (je n’ai noté que deux oublis, l’utilisation des OGM, pour dimi­nuer l’emploi des pes­ti­cides, la cap­ture du gaz carbonique).

Il rap­pelle qu’il y a trois types d’espaces à orga­ni­ser : natu­rels, bâtis, réseaux de trans­ports. Il s’intéresse par­ti­cu­liè­re­ment à ceux du troi­sième type (réseaux de trans­ports) qui cor­res­pondent à un besoin modeste mais essen­tiel, car indis­pen­sable aux échanges (et sans échanges, il n’y a pas de vie). Il sou­ligne la com­plé­men­ta­ri­té natu­relle entre trans­ports col­lec­tifs et indi­vi­duels, les pre­miers étant orien­tés vers la des­serte de zones for­te­ment urba­ni­sées, les seconds vers la des­serte de zones de faible densité.

Il s’est spé­cia­li­sé dans l’harmonisation des méthodes d’évaluation des grandes infra­struc­tures et il nous invite à par­ta­ger ses conclu­sions qui vont contre­dire nombre d’idées reçues pro­pa­gées par les éco­lo­gistes pro­fonds : il nous démontre notam­ment que les infra­struc­tures satu­rées sont en même temps les plus utiles, que la pol­lu­tion de l’air en zone urbaine s’améliore d’année en année.

Il s’est employé à convaincre tant à Paris qu’à Bruxelles dif­fé­rents déci­deurs de l’efficacité de sa méthode d’évaluation des pro­jets. Il est en quelque sorte le “ père ” de l’instruction cadre du 25−03−04 du ministre des Trans­ports sur la méthode de la créa­tion de valeur dans l’évaluation des grandes infra­struc­tures de trans­port. Il a obte­nu l’adhésion de la pré­si­dente et du direc­teur des Études de la RATP pour appli­quer muta­tis mutan­dis la même méthode à la RATP. Il pense n’avoir pas eu le même suc­cès à Bruxelles : il pré­sente des objec­tions sur le Livre blanc sur les trans­ports de l’Union euro­péenne (qui sera rema­nié par l’excellent Karel Van Miert). S’il n’a pas réus­si à convaincre le cabi­net du Com­mis­saire euro­péen à l’action régio­nale de l’intérêt de sa méthode, en revanche, il a reçu un excellent accueil à la direc­tion des Sta­tis­tiques et auprès de la Com­mis­saire char­gée des trans­ports et de l’énergie.

Il nous fait par­ta­ger son excel­lente connais­sance de la Région Île-de-France, et son admi­ra­tion pour deux grands vision­naires qui ont joué un rôle émi­nent dans la concep­tion des sys­tèmes de trans­ports pari­sien et fran­ci­lien, Ful­gence Bien­venüe et Paul Delou­vrier, et il nous pré­sente les amé­na­ge­ments récem­ment adop­tés (du moins dans leurs prin­cipes) : exten­sion du réseau du métro pari­sien, et refonte (réa­li­sée par ses soins) du sché­ma direc­teur de l’Île-de-France.

Il nous pro­pose enfin les actions à rete­nir dans les prin­ci­paux domaines d’intervention : les sché­mas d’urbanisme (et les plans locaux d’urbanisme), la réduc­tion des nui­sances (et la pro­tec­tion des espaces), l’accueil des hommes (à tra­vers les loge­ments, bureaux, locaux indus­triels et com­mer­ciaux), le sou­tien de la mobi­li­té (moteur sobre, pot cata­ly­tique, filtre à par­ti­cules, pers­pec­tives plus loin­taines mais pro­met­teuses de l’utilisation de l’hydrogène dans les transports).

En guise de conclusion

Jean Pou­lit, ce tech­ni­cien effi­cace et com­pé­tent, est aus­si un mili­tant au ser­vice de la mobi­li­té en laquelle il voit un ampli­fi­ca­teur phé­no­mé­nal des choix éco­no­miques et ergo­no­miques. J’ai éprou­vé un immense plai­sir à lire son livre, et je crois pou­voir dire que je par­tage très lar­ge­ment ses prin­ci­pales convictions :

• élé­ment impor­tant de la chaîne du vivant, l’homme est un être social tou­jours capable de s’adapter,
• l’homme immo­bile ne peut pas pro­duire de richesse,
• l’indispensable mobi­li­té peut et doit être assu­rée par des modes de trans­port non nuisants,
• si l’on met la tech­nique au ser­vice de la lutte contre les nui­sances, on est sûr de gagner.

Nous sommes quo­ti­dien­ne­ment l’objet de mul­tiples actions de dés­in­for­ma­tion (catas­tro­phisme à pro­pos des nui­sances, mise en accu­sa­tion de la science et de la tech­nique). Son livre contri­bue­ra à réta­blir la véri­té dont nous avons le plus grand besoin.

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