Usine du secteur parapétrolier.

Le rôle de l’État et des collectivités publiques

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Jean-Baptise AVRILLIER (96)

La fonc­tion de Com­mis­saire au redres­se­ment pro­duc­tif ( un par région) a été créée en 2012. Il recherche à détec­ter à temps les socié­tés en dif­fi­cul­té et jouer alors le rôle de média­teur en rap­pro­chant les acteurs intéressés.

Il est essen­tiel de détec­ter de façon pré­coce les entre­prises en dif­fi­cul­té. Quand on est sai­si à temps, on peut étu­dier la situa­tion de l’entreprise et la conseiller uti­le­ment : on arrive à trou­ver une solu­tion posi­tive dans un cas sur deux.

Des alertes variées

De plus en plus d’entreprises nous contactent direc­te­ment, spon­ta­né­ment. Nous sommes éga­le­ment sol­li­ci­tés par les élus, les fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles, les chambres consu­laires, etc.

Mais il existe aus­si des « voyants d’alerte » qui nous per­mettent de détec­ter qu’une entre­prise ren­contre des difficultés.

“ On aide les entreprises qui peuvent s’en sortir, on ne fait pas d’acharnement thérapeutique ”

D’une part, les défaillances en matière de paie­ment des coti­sa­tions sociales et contri­bu­tions fis­cales font l’objet, dans chaque dépar­te­ment, d’une revue devant la Com­mis­sion dépar­te­men­tale d’examen des pro­blèmes de finan­ce­ment des entre­prises (CODEFI) avec, autour du pré­fet, les ser­vices sociaux, fis­caux et de l’emploi (la DIRECCTE, direc­tion régio­nale des entre­prises, de la concur­rence, de la consom­ma­tion, du tra­vail et de l’emploi).

D’autre part, des entre­prises sol­li­citent une auto­ri­sa­tion d’activité par­tielle lorsqu’une baisse d’activité est consta­tée ou pré­vue. La Banque de France nous alerte éga­le­ment quand elle observe une dégra­da­tion signi­fi­ca­tive de la cote d’une entreprise.

REPÈRES

La fonction de CRP (commissaire au redressement productif) a été instituée en 2012. Il y en a un par région. Leur mission est de mobiliser les services de l’État pour porter assistance aux entreprises en difficulté et d’animer une cellule régionale de veille et d’alerte précoce.
Cette fonction a très vite été intégrée par le tissu économique, grâce à un portage politique fort par le ministre en charge du Redressement productif : « Le poste a été créé en juin 2012, mais depuis ma nomination en juillet 2013 je n’ai jamais eu à expliquer ma mission à mes interlocuteurs. »
Image utilisée par une radio nationale : ce sont « des “couteaux suisses” pour entreprises abîmées, capables de chercher un repreneur, de discuter avec les créanciers, de débloquer un dossier gelé par l’administration ».


On ne dis­pose pas en revanche d’alerte sur les dif­fi­cul­tés de paie­ment de four­nis­seurs, infor­ma­tions qui ne sont publiées ni par les clients ni par les fournisseurs.

Nous dis­po­sons tou­te­fois d’un outil très utile, la média­tion des entre­prises, mise en place pour régler les litiges entre client et four­nis­seur, qui portent sou­vent sur des retards de paie­ment. Ces média­tions sont stric­te­ment confi­den­tielles, et pro­duisent de bons résul­tats (envi­ron 80 % de réussite).

Pour ce qui concerne les créances publiques (fis­cales et sociales), la com­mis­sion dépar­te­men­tale des chefs des ser­vices finan­ciers (CCSF), où siègent le Tré­sor public et l’URSSAF, exa­mine les éta­le­ments pos­sibles. Il peut en résul­ter, par exemple, l’établissement de moratoires.

Un accompagnement adapté

Dans une région comme les Pays-de-la- Loire, il sur­vient envi­ron 2 200 défaillances d’entreprises par an. 90 % d’entre elles concernent de très petites entre­prises de moins de dix salariés.

UN MÉTIER D’URGENTISTE

L’action du CRP se déploie le plus souvent dans la durée, en accompagnant l’entreprise jusqu’à ce qu’elle ait stabilisé sa situation. Mais il faut parfois aussi intervenir en urgence, comme dans ces deux cas où les entreprises n’avaient plus que quelques jours pour finaliser leurs plans de reprise et les déposer au tribunal de commerce.
Dans le premier cas, une banque traînait pour rendre sa décision quant à sa participation à un tour de table ; une action de notre part a permis une réponse rapide.
Dans le second, vingt-quatre heures avant le délai fixé par le tribunal de commerce, une banque a réduit le montant de sa participation de 50 %. Ce dédit au dernier moment faisait tomber tout le tour de table financier.
Notre intervention a permis le retour de la banque à sa parole, et l’affaire a été réglée. Si notre structure n’existait pas, ces deux situations auraient couru à l’échec à cause de simples grains de sable dans les rouages.
À nous de faire pencher la balance du bon côté.

L’État peut inter­ve­nir à par­tir de dix à quinze sala­riés, ce qui repré­sente envi­ron deux cents entre­prises par an. Or nos ser­vices en traitent cent à cent cin­quante par an, preuve de l’efficacité des alertes.

Une action effi­cace repose sur une bonne arti­cu­la­tion entre les dif­fé­rents inter­ve­nants. Au sein de l’État déjà, où les CRP béné­fi­cient d’une rela­tion directe et d’excellente qua­li­té avec le cabi­net du ministre de l’Économie.

Nous tra­vaillons éga­le­ment avec la direc­tion géné­rale des entre­prises et avec le CIRI (Comi­té inter­mi­nis­té­riel de restruc­tu­ra­tion indus­trielle), qui dépend de la direc­tion géné­rale du Tré­sor, et qui s’intéresse aux entre­prises de plus de 400 sala­riés – il effec­tue le même type d’action, en réunis­sant dans chaque cas banques, ser­vices fis­caux, ser­vices emploi, URSSAF, créan­ciers concer­nés, dans un pro­ces­sus de conci­lia­tion stric­te­ment confidentiel.

Mais l’accompagnement des entre­prises en dif­fi­cul­té ne repose pas sur les seules épaules de l’État : tous les acteurs éco­no­miques sont mobi­li­sés, notam­ment pour les entre­prises de moins de dix à quinze sala­riés. Nous tra­vaillons en étroite col­la­bo­ra­tion avec les experts-comp­tables, les chambres consu­laires, les fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles ou les collectivités.

Une intervention pragmatique

Dans tous les cas, l’intervention ne se met en place que s’il existe un inté­rêt éco­no­mique avé­ré : la pre­mière étape consiste à effec­tuer un diag­nos­tic des atouts de l’entreprise, de ses savoir-faire, sur lequel il sera pos­sible de s’appuyer pour construire une solu­tion positive.

C’est la com­pé­tence prin­ci­pale des char­gés de mis­sion du minis­tère de l’Économie regrou­pés au sein des DIRECCTE, qui inter­viennent pour le compte du CRP. En résu­mé, on aide les entre­prises qui peuvent s’en sor­tir, on ne fait pas d’acharnement thérapeutique.

Difficultés matérielles

“ Il y a un besoin de montée en compétence des salariés, mais aussi des dirigeants ”

Ces der­nières années, on a obser­vé une dété­rio­ra­tion impor­tante dans plu­sieurs sec­teurs d’activité : BTP, nucléaire, machines agri­coles et der­niè­re­ment le sec­teur para­pé­tro­lier. Cette dété­rio­ra­tion, due au contexte macroé­co­no­mique, ne peut être réso­lue par une action locale.

En revanche, nous accom­pa­gnons les entre­prises de ces sec­teurs pour trou­ver avec cha­cune d’elles les solu­tions à mettre en place pour faire face à cette conjoncture.

De manière plus géné­rale, cer­taines entre­prises ont accu­mu­lé des pertes plu­sieurs années durant depuis la crise de 2008. Elles se retrouvent de ce fait avec un niveau de fonds propres insuf­fi­sant et sont confron­tées à de grandes dif­fi­cul­tés de trésorerie.

Lutter contre l’isolement


Der­niè­re­ment, on a obser­vé une dété­rio­ra­tion impor­tante du sec­teur para­pé­tro­lier. © GILLES PAIRE / FOTOLIA.COM

Nous lut­tons éga­le­ment contre la bar­rière psy­cho­lo­gique et cultu­relle qui entraîne bien sou­vent des situa­tions de déni de la part de chefs d’entreprise. Pour lut­ter contre cet iso­le­ment ou cette ten­dance natu­relle au repli sur soi, il faut com­mu­ni­quer vers eux pour dédra­ma­ti­ser et leur indi­quer les acteurs pri­vés et publics qui sont à leur dis­po­si­tion pour une écoute, en toute confi­den­tia­li­té, et une orien­ta­tion vers les dis­po­si­tifs pertinents.

Les dif­fi­cul­tés sont aus­si par­fois dues à des erreurs de ges­tion. Il est impres­sion­nant d’observer le nombre de PME qui fonc­tionnent sans outils de pilo­tage éco­no­mique et financier.

D’où un pro­blème rela­tion­nel avec les banques : ces entre­prises ne savent pas pré­sen­ter leurs cas de manière trans­pa­rente et convain­cante à leurs banquiers.

Dans ces situa­tions, nous pou­vons aider au pro­ces­sus rela­tion­nel, notam­ment en fai­sant appel à la média­tion du cré­dit, qui fonc­tionne très bien. Mais si le pro­blème rela­tion­nel vient de la per­son­na­li­té du chef d’entreprise, il n’existe pas de remède miracle.

Des mesures d’amélioration

Il y a mani­fes­te­ment un fort besoin de for­ma­tion, de mon­tée en com­pé­tence. Des sala­riés bien sûr, pour ce qui concerne l’évolution des pro­duits et des tech­no­lo­gies de l’entreprise ; mais aus­si des diri­geants, qui sont sou­vent des ingé­nieurs ou tech­ni­ciens connais­sant bien le métier et l’activité de leur entre­prise, mais mal armés pour s’occuper de ges­tion finan­cière ou de res­sources humaines.

Il faut éga­le­ment amé­lio­rer les rela­tions entre don­neurs d’ordres et four­nis­seurs, faci­li­ter les conci­lia­tions, etc.

Enfin, il faut noter l’amélioration qu’apporte la loi Macron quant à la diver­si­fi­ca­tion du finan­ce­ment des entre­prises : la pos­si­bi­li­té de finan­ce­ment entre entre­prises sans lien capi­ta­lis­tique. Aux États- Unis, les banques n’assurent qu’environ 20 % des besoins, le reste pro­ve­nant d’autres sources, notam­ment le finan­ce­ment inter­en­tre­prises ou le finan­ce­ment participatif.

Actuel­le­ment, en France, c’est 80 % à 90 % pour les banques, mais l’évolution du cadre légis­la­tif est en cours pour per­mettre d’ouvrir ces autres pos­si­bi­li­tés de financement.

Flexibiliser sans licencier

AFFACTURAGE INVERSÉ

Le dispositif d’affacturage inversé monte actuellement en puissance en France : il s’agit pour un client de confier ses factures fournisseurs à un factor qui les paie immédiatement, puis qui se fait rembourser par le client à l’expiration du délai de paiement légal.
Ce dispositif est surtout intéressant lorsqu’une entreprise importante dispose d’une multitude de petits fournisseurs, car cela fait peser le risque financier sur le client, qui peut obtenir des conditions financières intéressantes auprès du factor.
Je n’ai pas connaissance d’une application dans le domaine public, mais il ne semble pas y avoir d’impossibilité.

Plu­sieurs dis­po­si­tifs existent pour limi­ter le reten­tis­se­ment sur l’emploi des dif­fi­cul­tés des entre­prises. Tout d’abord, le dis­po­si­tif d’« acti­vi­té par­tielle » est très favo­rable aux entre­prises en cas de baisse de charge temporaire.

Les sala­riés dont l’activité est sus­pen­due reçoivent une rému­né­ra­tion équi­va­lant à 70 % de leur salaire brut, à laquelle l’État contri­bue à hau­teur de 7,74 euros par heure. La prise en charge atteint même 100 % si le sala­rié par­ti­cipe à un plan de for­ma­tion. Ce dis­po­si­tif est tem­po­raire (jusqu’à 1 000 heures par sala­rié par an) mais inté­res­sant lorsqu’il s’agit d’un « trou d’air » pas­sa­ger. Il est très attrac­tif : il y a de plus en plus de recours.

Une autre solu­tion est la mise à dis­po­si­tion de sala­riés entre entre­prises. En Ven­dée, par exemple, nous obser­vons une soli­da­ri­té phé­no­mé­nale. Cela peut aus­si pas­ser par le cadre légal des grou­pe­ments d’employeurs, qui per­met de par­ta­ger des sala­riés entre plu­sieurs entre­prises de façon flexible.

Relations de bon voisinage

Il faut que les entre­prises se parlent, qu’elles déve­loppent leurs rela­tions de bon voi­si­nage. Cela ne doit pas se limi­ter à la Ven­dée, mais s’étendre à tout le ter­ri­toire français.

À titre d’exemple, même si cela concerne davan­tage le finan­ce­ment inter­en­tre­prises, nous avons connu le cas d’une entre­prise ayant un besoin immé­diat de 400 000 euros et qui, ne pou­vant le faire cou­vrir par ses banques, a lan­cé une sous­crip­tion auprès des entre­prises voi­sines : en vingt-quatre heures, le mon­tant était levé.

Le cas des clients publics

Les dif­fi­cul­tés entre clients et four­nis­seurs concernent bien sûr par­fois des clients publics.

“ Il faut que les entreprises développent des relations de bon voisinage ”

Depuis 2012, un nou­vel outil, la média­tion des mar­chés publics, fonc­tionne très bien. Comme tou­jours dans ces situa­tions, le pro­ces­sus est stric­te­ment confi­den­tiel. On y observe 70 % de réus­site, et dans la plu­part des cas d’échec c’est parce que l’acheteur public, à tort ou à rai­son, refuse d’entrer en médiation.

Contrai­re­ment à une idée reçue assez com­mune, les ache­teurs publics ne sont pas plus res­pon­sables de retards de paie­ment que d’autres.

Il faut noter que l’État s’engage actuel­le­ment à res­pec­ter un délai de paie­ment de trente jours, quand sou­vent il est bien supé­rieur dans les mar­chés privés.

UNE FISCALITÉ DÉMOTIVANTE

Depuis juillet 2012, une subvention financière accordée par une société A à une autre société B n’est plus déductible de l’impôt sur les sociétés (IS) dans la société A, sauf dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il s’agit d’empêcher les optimisations fiscales intragroupes consistant à « éponger » des déficits reportables de filiales ou à transférer des bénéfices vers des pays à taux d’IS plus faible, comme l’Irlande.
La subvention reste bien sûr fiscalisée à l’IS dans la société B qui en bénéficie. Résultat : dans le cas d’une restructuration, le groupe qui veut aider à la reprise d’une activité en difficulté par une subvention de 100 doit payer 33 d’impôts, et la société qui reçoit paiera également 33 d’impôt. Elle ne recevra donc que 67 après impôts.
Et le coût pour le donateur aura été de 133. Démotivant pour privilégier une reprise de l’activité plutôt que des licenciements, qui deviennent alors une solution moins coûteuse et moins risquée. La législation pourrait-elle être modifiée pour que cette déductibilité reste effective dans les cas où la subvention est faite à un tiers indépendant du groupe donateur et a une contrepartie sociale significative au regard du montant de la subvention accordée ?
Hubert Kirchner (80)

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