Le régime de Vichy

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°522 Février 1997Par : Marc-Olivier BARUCH (75)

L’auteur a la par­ti­cu­la­ri­té d’appartenir à la géné­ra­tion des “ qua­dras ” d’aujourd’hui, et dans celle-ci, à ceux qui se sentent inter­pel­lés par “ la résur­gence d’un débat de mémoire ”, encore “ réac­tua­li­sé (par) d’autres évo­lu­tions récentes propres à notre pays ”. Baruch y apporte sa culture double d’X diplô­mé de l’ENA, culture qu’il a encore pous­sée dans le domaine de l’histoire par un doc­to­rat, sou­te­nu sur un sujet tou­chant déjà à la période 1940–1944.

Un livre de plus sur Vichy à cette heure tar­dive ? – diront quelques-uns. Ceux-là appren­dront que dans sa longue biblio­gra­phie, Baruch cite plus de soixante-douze ouvrages publiés entre 1990 et 1996 sur des sujets se rap­por­tant à Vichy. Mais son livre, lui, n’a pour autant rien d’une compilation.

C’est, en peu de pages, une véri­table somme. On ne sau­rait lui décer­ner meilleur hom­mage. Ce livre n’est pas un pam­phlet, les faits parlent d’eux-mêmes.

La genèse de ce régime né de la défaite et qui, dès l’origine, s’est vou­lu une réac­tion à la Répu­blique, est bros­sée ici à grands traits, annon­çant clai­re­ment quelles sortes de gens accou­raient s’adjuger les parts du pou­voir nou­veau, dans quel esprit, et ce qu’on pou­vait en attendre. On lira, le cœur ser­ré, à quel point le pire fut atteint.

Pour­tant, à part l’acceptation “ sans état d’âme ” de la mise à l’index des prin­cipes répu­bli­cains – et donc, de son per­son­nel poli­tique (pré­fets com­pris) – ceux qui s’attelèrent les pre­miers à ser­vir, pen­sant sim­ple­ment œuvrer au relè­ve­ment natio­nal, réunis­saient sans doute un nombre non négli­geable de “ compétences ”.

Et pour ceux qui, légi­ti­me­ment, s’attachent à mettre à leur juste place celles des réa­li­sa­tions de Vichy qui furent rete­nues dans l’ordre socio-éco­no­mique de l’après-guerre, citons par­mi elles la créa­tion de l’ordre des méde­cins et sur­tout l’esquisse d’une pla­ni­fi­ca­tion de la pro­duc­tion et des infra­struc­ture mise en œuvre par des ministres qui ne consi­dé­raient la col­la­bo­ra­tion éco­no­mique et tech­nique que comme un moyen d’assurer l’insertion de la France dans un nou­vel ordre euro­péen façon­né par l’Allemagne, sans per­ce­voir les impli­ca­tions poli­tiques de ce choix.

On aper­ce­vra, der­rière la scène où s’agitent les per­son­nages qui s’imaginent auto­nomes, la pré­sence rap­pro­chée, constante et vigi­lante du vain­queur et occu­pant qui saigne le pays à blanc en argent comme en mar­chan­dises, qui joue avec les nerfs du pays dans ses pro­fon­deurs en main­te­nant le sus­pense cruel d’espérance de rapa­trie­ments impor­tants de pri­son­niers (ce mil­lion d’hommes le plus sou­vent conduits à la démo­ra­li­sa­tion, par­fois à la sou­mis­sion), qui se fait livrer les étran­gers de “ race juive ” inter­nés au titre de la légis­la­tion de Vichy, y com­pris les enfants, Laval “ se dés­in­té­res­sant de leur sort ” ; et qui contrôle les nomi­na­tions de ministres, déci­dant direc­te­ment du choix du ministre de la répres­sion, le capi­taine Waf­fen SS fran­çais Darnand.

Fin 1943, Pétain se vit même inter­dire par l’autorité alle­mande de pro­mul­guer un acte consti­tu­tion­nel com­plé­men­taire, de sa seule com­pé­tence, et dut, à par­tir de ce moment, accep­ter “ la pré­sence per­ma­nente auprès de lui d’un diplo­mate alle­mand, von Renthe- Fink, char­gé de sur­veiller ses faits et gestes ”.

Lors du débar­que­ment en Nor­man­die, le mes­sage de Pétain à la nation, radio­dif­fu­sé aus­si­tôt, et appe­lant les Fran­çais au calme, lui avait été ordon­né par les Alle­mands et enre­gis­tré trois mois plus tôt, en pré­vi­sion de cette cir­cons­tance. Ce sont eux qui veillèrent à sa mise à l’antenne.

Bref on ver­ra l’inexorable glis­sade de la “Révo­lu­tion natio­nale ”, mani­pu­lée par un enne­mi en guerre contre le monde libre, enne­mi avec lequel on n’avait ces­sé d’amplifier la “ col­la­bo­ra­tion ” en pariant sur sa victoire.

Comme si, rap­pelle Baruch dans sa conclu­sion, on avait vou­lu alors croire “ qu’on pou­vait rele­ver un pays avant de le libé­rer… recons­truire sa mai­son pen­dant qu’elle flambe ” (Fran­çois Valen­tin, ancien direc­teur géné­ral de la Légion, ral­lié à de Gaulle).

S’il avait vou­lu pla­cer une épi­graphe en tête de son livre, Baruch aurait pu choi­sir ce texte de Thu­cy­dide venu d’un autre temps à pro­pos d’une autre guerre : “ L’absence de mer­veilleux dans mon his­toire pour­ra, je le crains, lui enle­ver quelque peu de son agré­ment ; il me suf­fit qu’elle soit jugée utile par ceux qui recherchent une exacte connais­sance du pas­sé, afin de mieux inter­pré­ter l’avenir. ”

Forte phrase que l’on retrouve dans un autre livre, La Paix calom­niée (Gal­li­mard NRF, 1946), écrit pen­dant ces sombres années de Vichy, par un jeune Fran­çais – Étienne Man­toux – doc­teur en droit et offi­cier de réserve, durant son escale aux USA, en route pour la reprise du com­bat, où il per­dit la vie.

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