Le plan solaire méditerranéen, un catalyseur de développement

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Michel LAFFITTE (80)
Par Philippe LOREC

REPÈRES

REPÈRES
L’Union pour la Médi­ter­ra­née (UPM) a mis en place un par­te­na­riat ren­for­cé entre pays rive­rains de la Médi­ter­ra­née et l’Union euro­péenne, par lequel qua­rante-trois États col­la­borent sur un pied d’égalité pour lan­cer des pro­jets à dimen­sion régio­nale. Six « ini­tia­tives-clés » sont à mettre en oeuvre en prio­ri­té, le Plan solaire médi­ter­ra­néen (PSM) consti­tuant l’une d’entre elles. Les deux prin­ci­paux domaines d’action du PSM sont la construc­tion de capa­ci­tés addi­tion­nelles de pro­duc­tion d’électricité bas car­bone, en par­ti­cu­lier solaire, dans les pays du pour­tour médi­ter­ra­néen, pour une puis­sance totale de 20 giga­watts (GW) à l’horizon 2020, et le déve­lop­pe­ment des lignes d’interconnexion, notam­ment vers l’Europe. Deux objec­tifs com­plé­men­taires viennent s’y ajou­ter : la pro­mo­tion de pro­jets d’efficacité éner­gé­tique et de limi­ta­tion de la demande d’énergie et la créa­tion d’une pla­te­forme régio­nale de recherche et déve­lop­pe­ment, éta­blie dans plu­sieurs pays, qui per­met­trait de faci­li­ter les trans­ferts de tech­no­lo­gie en matière d’énergie solaire. Plus lar­ge­ment, le PSM per­met­tra de limi­ter les émis­sions de gaz à effet de serre et de réduire la vul­né­ra­bi­li­té du sys­tème éner­gé­tique de chaque pays et de la région dans son ensemble. 

À l’ho­ri­zon 2025, la demande d’éner­gie pri­maire pour­rait se trou­ver mul­ti­pliée par 1,5 sur le pour­tour médi­ter­ra­néen. Les pays du sud et de l’est de la région connaissent des taux de crois­sance de leur demande éner­gé­tique quatre fois plus éle­vés que ceux du Nord, sous l’ef­fet notam­ment de la démo­gra­phie, de l’ac­crois­se­ment du niveau de vie et des besoins des entreprises.

La consom­ma­tion d’énergie va dou­bler d’ici 2025 dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée

L’offre est domi­née par les éner­gies fos­siles (tota­li­sant 80 % de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique des pays) dont dis­posent cer­tains pays expor­ta­teurs dans la région (Algé­rie, Libye, Égypte) et dont dépendent for­te­ment tous les autres. Face à cette dépen­dance et à un prix du pétrole dura­ble­ment éle­vé et de plus en plus vola­til, des efforts en matière de maî­trise de la demande, de déve­lop­pe­ment des éner­gies alter­na­tives et de créa­tion d’un mar­ché éner­gé­tique régio­nal s’im­posent. Mal­gré des condi­tions cli­ma­tiques favo­rables, les éner­gies renou­ve­lables (ENR) sont encore peu exploi­tées dans la région, comp­tant pour seule­ment 4 % du bilan éner­gé­tique des pays médi­ter­ra­néens (hydro­élec­tri­ci­té incluse). 

Une croissance des risques

Le PSM inter­vient donc dans un sec­teur de l’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine ENR en forte crois­sance, avec un besoin d’in­ves­tis­se­ment com­pris entre 40 et 45 mil­liards d’eu­ros d’i­ci 2020. Un tel scé­na­rio ten­dan­ciel annonce une crois­sance des risques envi­ron­ne­men­taux, les émis­sions de CO2 issues de la consom­ma­tion d’éner­gie devant plus que dou­bler dans les pays du sud et de l’est de la Médi­ter­ra­née d’i­ci à 2025.

Le PSM modi­fie­ra en pro­fon­deur les rela­tions entre pays euro­péens et méditerranéens

À cet hori­zon, leurs émis­sions, bien que repré­sen­tant aujourd’­hui 1,8 fois moins par habi­tant que celles des pays du Nord, pour­raient atteindre la moi­tié des émis­sions du bas­sin, contre le tiers en 2006. L’éner­gie solaire contri­bue, comme toutes les éner­gies renou­ve­lables, à la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et pro­cure des avan­tages finan­ciers liés aux éco­no­mies de CO2 qu’elle peut générer.

Le PSM par­ti­cipe à cette approche, aus­si bien dans le cadre du paquet éner­gie-cli­mat de l’U­nion euro­péenne qu’au titre des objec­tifs propres des autres pays membres de l’UPM.

Des conditions climatiques favorables

La région médi­ter­ra­néenne pré­sente des condi­tions cli­ma­tiques très favo­rables pour les tech­no­lo­gies solaires. De nom­breux pays dis­posent en outre de vastes espaces pou­vant accueillir des cen­trales solaires de taille impor­tante. Le PSM sera axé autour des tech­no­lo­gies solaires qui créent cette » réponse col­lec­tive » de tous les pays de la Médi­ter­ra­née : d’un côté, les cen­trales solaires pho­to­vol­taïques (PV) et de l’autre, les cen­trales solaires à concen­tra­tion (CSP).

Des indus­tries jeunes
Au niveau indus­triel, les tech­no­lo­gies solaires sont encore peu déve­lop­pées. Elles repré­sentent un poten­tiel impor­tant pour la créa­tion de nou­veaux mar­chés et sont pro­met­teuses en termes de créa­tion d’emplois, de trans­fert tech­no­lo­gique et donc de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social. Les deux sec­teurs concer­nés par le PSM (éolien et solaire) sont consti­tués d’in­dus­tries jeunes, extrê­me­ment dyna­miques et for­te­ment expor­ta­trices, qui ont béné­fi­cié jus­qu’à fin 2008 d’une très forte crois­sance, sti­mu­lée notam­ment par des obli­ga­tions et des tarifs d’a­chat d’élec­tri­ci­té favo­rables, notam­ment en Europe.


Les tech­no­lo­gies solaires ont en effet atteint un stade de matu­ri­té tech­no­lo­gique suf­fi­sant (baisse des coûts, amé­lio­ra­tion des ren­de­ments, etc.) pour per­mettre un déve­lop­pe­ment à grande échelle. Le moment est venu pour réa­li­ser un grand pro­jet médi­ter­ra­néen autour de ces tech­no­lo­gies, le PSM en étant le vec­teur. Elles offrent par ailleurs un poten­tiel de gains de pro­duc­ti­vi­té impor­tants. Enfin, les cen­trales solaires peuvent, en lien avec des tech­no­lo­gies de sto­ckage de l’éner­gie déjà exis­tantes pour le solaire à concen­tra­tion, contri­buer à la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té de base ou de semi-base.

Une impulsion décisive

Le PSM est un pro­jet dans le sec­teur de l’éner­gie, mais il sera aus­si le cata­ly­seur du déve­lop­pe­ment de toute une région, en sti­mu­lant l’é­co­no­mie des pays du bas­sin méditerranéen.

Faire le PSM, c’est donc aus­si contri­buer à l’in­té­gra­tion éco­no­mique de la région médi­ter­ra­néenne. L’ob­jec­tif quan­ti­ta­tif de 20 GW de capa­ci­tés addi­tion­nelles de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té bas car­bone est suf­fi­sam­ment impor­tant pour répondre à une par­tie de l’aug­men­ta­tion de la demande (envi­ron 20 %), pour faci­li­ter la créa­tion d’une filière ENR locale et pour entraî­ner par son volume une baisse sen­sible des coûts en rai­son d’ef­fets d’échelle.

Servir les besoins locaux

S’ap­puyant sur le par­te­na­riat que consti­tue l’UPM, le PSM est avant tout un pro­jet de déve­lop­pe­ment par­ta­gé, allant bien au-delà de la seule pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té au sud de la Médi­ter­ra­née. La seule logique de mar­ché ne peut dic­ter la réa­li­sa­tion : conce­voir le PSM comme le moyen pour les pays euro­péens d’im­por­ter de l’élec­tri­ci­té bas car­bone en pro­ve­nance du Sud pour leur per­mettre de satis­faire les objec­tifs qu’ils se sont fixés en matière d’ENR serait à cet égard une erreur, d’où la néces­si­té que ces nou­veaux moyens de pro­duc­tion servent éga­le­ment, et majo­ri­tai­re­ment, les besoins des popu­la­tions locales.

Un nouveau mode de gouvernance

L’i­ni­tia­tive que consti­tue le PSM trans­for­me­ra sur­tout l’am­bi­tion et modi­fie­ra en pro­fon­deur l’ap­proche des rela­tions entre les pays euro­péens et médi­ter­ra­néens, sur la base de quelques prin­cipes simples : l’é­la­bo­ra­tion de pro­jets concrets, la créa­tion de soli­da­ri­tés » de fait » entre les deux rives et l’at­ten­tion poli­tique au plus haut niveau qui leur sera por­tée. Le pro­jet dépasse le cadre de la coopé­ra­tion telle qu’on l’a connue jus­qu’i­ci. Il ras­sem­ble­ra les États membres de l’UPM, la Com­mis­sion euro­péenne, les entre­prises, ins­ti­tu­tions de recherche et ONG du sec­teur, et de nom­breux inves­tis­seurs publics et pri­vés et ins­ti­tu­tions financières.

Photo de panneaux solaires Expor­ter vers l’Europe

La direc­tive euro­péenne sur les ENR, en per­met­tant l’ex­por­ta­tion d’une par­tie de l’élec­tri­ci­té verte pro­duite vers l’Eu­rope, pour­rait amé­lio­rer la ren­ta­bi­li­té des pro­jets tout en per­met­tant un abais­se­ment signi­fi­ca­tif du prix de rachat local de la pro­duc­tion : son uti­li­sa­tion reste tou­te­fois condi­tion­née à l’exis­tence d’in­ter­con­nexions per­met­tant cette expor­ta­tion, et sup­pose la mise en place d’une régu­la­tion spé­ci­fique afin d’é­vi­ter les effets d’op­por­tu­ni­té ou de dis­tor­sion de marché.

Un modèle financier

Par rap­port à un scé­na­rio de réfé­rence basé sur une pro­duc­tion car­bo­née, le sur­coût actua­li­sé de pro­duc­tion du PSM peut être esti­mé entre 14 et 32 mil­liards d’eu­ros sur l’en­semble de la durée de vie des cen­trales. Ce sur­coût pour­rait être nota­ble­ment réduit par le recours à la vente de cré­dits car­bone. Pour impor­tants qu’ils soient, ces mon­tants doivent être rela­ti­vi­sés à l’é­chelle régio­nale, en rai­son notam­ment de la forte aug­men­ta­tion pré­vue de la consom­ma­tion d’élec­tri­ci­té au sud et à l’est de la Méditerranée :

Amé­lio­rer la ren­ta­bi­li­té des pro­jets et assu­rer leur financement

rap­por­té à la taille du mar­ché, le sur­coût annuel de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té verte devrait être com­pris entre 0,5 et 1,3 % à l’ho­ri­zon 2020. De fait, les pro­jets rete­nus seront vrai­sem­bla­ble­ment mon­tés en recou­rant à la tech­nique du finan­ce­ment de pro­jet : ils doivent donc pré­sen­ter une ren­ta­bi­li­té suf­fi­sante pour les inves­tis­seurs et être menés dans un envi­ron­ne­ment juri­dique adap­té. La pro­blé­ma­tique du PSM est donc double : il s’a­git d’une part d’a­mé­lio­rer la ren­ta­bi­li­té des pro­jets en jouant sur le prix d’a­chat de l’élec­tri­ci­té, tant local qu’à l’ex­por­ta­tion et en fai­sant appel à des res­sources conces­sion­nelles, des sub­ven­tions ou des cré­dits car­bone, et d’autre part d’as­su­rer leur finan­ce­ment, tant en fonds propres – qui devrait être assu­ré si la ren­ta­bi­li­té est suf­fi­sante et les risques contrô­lés – qu’en dette d’ins­ti­tu­tions finan­cières de déve­lop­pe­ment dans un pre­mier temps (BEI, AFD, KfW, BERD, Banque mon­diale et Banque afri­caine de déve­lop­pe­ment), puis de banques commerciales.

Des réalisations concrètes

D’autres ini­tia­tives
Le concept du PSM béné­fi­cie d’un enri­chis­se­ment per­ma­nent d’autres ini­tia­tives lan­cées sur les ENR dans la région. Ain­si en est-il, par exemple, du pro­jet Deser­tec, sou­te­nu par de grandes entre­prises et ins­ti­tu­tions finan­cières, mais éga­le­ment des tra­vaux menés par les asso­cia­tions d’in­dus­triels du sec­teur tels qu’ES­TE­LA ou EPIA, ou encore des études réa­li­sées par l’OME. Ces ini­tia­tives per­met­tront d’a­van­cer dans la défi­ni­tion pré­cise, l’é­vo­lu­tion et la mise en œuvre du grand pro­jet de déve­lop­pe­ment sur les éner­gies renou­ve­lables que consti­tue le PSM, au béné­fice tant des pays du sud et de l’est de la Médi­ter­ra­née que de l’Europe.

Avant fin 2009, l’é­bauche d’un plan d’ac­tion devra per­mettre d’i­den­ti­fier les étapes et les moyens néces­saires pour atteindre l’ob­jec­tif fixé en 2020. Paral­lè­le­ment à cette vision à long terme, dès 2009 débu­te­ra la construc­tion, dans dif­fé­rents pays, de quelques cen­trales pilotes avec des tech­no­lo­gies éprou­vées. Par leur retour d’ex­pé­rience, elles per­met­tront de défi­nir les modes opé­ra­toires pour déve­lop­per, à moyen terme, des pro­jets plus impor­tants, et notam­ment des grandes cen­trales solaires à concen­tra­tion. La réunion minis­té­rielle de Paris du 25 juin 2009 a per­mis de réaf­fir­mer l’en­ga­ge­ment des Par­ties dans le pro­ces­sus ini­tié à Paris le 13 juillet 2008. Quatre pro­jets ont été lan­cés et une pre­mière liste de 150 pro­jets est en cours d’a­na­lyse tech­nique et finan­cière. Par ailleurs, les ins­ti­tu­tions finan­cières ont rap­pe­lé leurs enga­ge­ments finan­ciers au PSM. 

Un facilitateur

Le PSM ne consti­tue pas un quel­conque label qui don­ne­rait accès à des res­sources conces­sion­nelles addi­tion­nelles pour le finan­ce­ment de pro­jets de créa­tion de cen­trales ENR. En fait, le PSM doit agir en tant que faci­li­ta­teur du pro­ces­sus d’é­la­bo­ra­tion et de matu­ra­tion d’un pro­jet, en amont des inter­ven­tions des bailleurs, en appor­tant son assis­tance dans la rela­tion entre les auto­ri­tés locales et le por­teur de projet.

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