Le monde sur deux roues en quittant le point zéro

Dossier : ExpressionsMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Florian COUPÉ (06)

Nous avons entre­pris un grand voyage au rythme lent et serein des coups de pédale de nos bicy­clettes. Jeunes mariés, et encore sans enfant, nous avons sau­té le pas et enfour­ché nos vélos pour un grand périple, une sorte de long voyage de noces.

“ Nous nous donnons un an pour voyager, jusqu’où nous le pourrons ”

Nous nous don­nons un an pour voya­ger, jusqu’où nous le pour­rons. Avec nous, nous empor­tons beau­coup de livres de voya­geurs sur une liseuse, un appa­reil pho­to, le maté­riel de route et de camp, nos envies, nos curio­si­tés et nos carac­tères pour vivre la plus grande explo­ra­tion de notre vie.

Le départ est don­né le 9 août sur le par­vis de Notre-Dame à Paris, point zéro des routes de France. Nos familles et nos amis sont là, le soleil aus­si. Nous pre­nons les bords de la Marne pour quit­ter l’Île-de- France.

Par­tant de chez nous, nous enten­dons col­ler autant que pos­sible à la route, évi­ter autant que pos­sible les rup­tures pro­vo­quées par l’avion ou autres moyens méca­ni­sés, car c’est ain­si que l’on découvre beau­coup de choses qui pas­se­raient inaper­çues. Cette tra­ver­sée de l’Europe de l’Ouest est l’occasion d’un bon échauf­fe­ment, pour régler les habi­tudes du voyage et de la vie en couple.

Cap à l’est

La cure d’amaigrissement se pour­suit tout au long du voyage.
(Le long de la Marne)

À tra­vers la Cham­pagne crayeuse, avec ses champs de céréales, à tra­vers le Bar­rois et ses val­lons, puis en tra­ver­sant les Vosges le long du canal de la Marne au Rhin, nous appre­nons vite à nous frayer un che­min à l’aide de la topo­gra­phie et à trou­ver la ligne de moindre pente. Comme nous mesu­rons chaque jour l’énergie néces­saire pour se dépla­cer sur le relief, nous com­pre­nons vite l’histoire et la géo­gra­phie des pay­sages traversés.

Quand il s’agissait de se dépla­cer à pied ou à che­val, on ne s’étonnera guère que les armées aient pré­fé­ré balayer et reba­layer la Bel­gique et le nord de la France plu­tôt que la ligne bleue des Vosges.

La météo est mau­vaise, nous sommes « rin­cés » à de nom­breuses occa­sions. De quoi nous endur­cir, dit-on pour se récon­for­ter, ou nous démo­ra­li­ser quelquefois.

Au-delà des Alpes

Après le sas de l’Alsace, nous entrons dans le monde ger­ma­nique en sui­vant le Rhin par la Suisse et la ville de Bâle. Comme à Genève, le dyna­misme suisse draine de nom­breux fron­ta­liers dans de for­mi­dables dépla­ce­ments pendulaires.

L’ALLEMAGNE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Sur les contreforts des Alpes, les mollets souffrent et les forêts de conifères apparaissent. Dans la campagne bavaroise, l’œil du consultant énergie-climat est impressionné par l’ampleur des toitures photovoltaïques qui se déploient sur les toitures des granges et hangars d’une architecture toute traditionnelle.
Côté chaleur renouvelable, le bois est ici inscrit dans le paysage et la culture. En effet, sur les maisons proprettes, les bûches sont utilisées ici comme un véritable ornement. Taillées et découpées avec une rigueur toute germanique, elles décorent les habitations et se voient partout.
La visibilité, voici probablement une différence de taille avec d’autres contrées en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables.

À voir les tarifs pro­hi­bi­tifs de la ville alé­ma­nique, nous com­pre­nons vite pour­quoi et fuyons vers le lac de Constance, le bud­get étant un peu ser­ré pour le voyage d’un an que nous effec­tuons. En che­min, nous sommes impres­sion­nés par l’activité que nous obser­vons sur notre route hel­vète. Par­tout nous voyons des entre­prises flo­ris­santes, petites, moyennes ou grandes, dans une cam­pagne ver­doyante et soignée.

La cure d’amaigrissement se pour­suit tout au long de la route, et nous per­dons notam­ment près de 7 kilos avant la tra­ver­sée des Alpes par l’Autriche. Il ne s’agit pas d’un embon­point qui se serait vola­ti­li­sé mais d’un colis que nous ren­voyons chez nos familles. Gad­gets, livres et vête­ments inutiles sont éli­mi­nés. Le voyage est une ascèse salu­taire pour se débar­ras­ser du superflu.

Le monde alle­mand est un para­dis pour le vélo. La plu­part des grandes routes inter­ur­baines sont dou­blées d’une piste cyclable large et confor­table, ce qui est par­fait pour nous. Le bali­sage rend tout éga­re­ment impos­sible avec un pan­neau ou panon­ceau tous les 100 mètres. Google Maps ne s’y est pas trom­pé, puisque la firme de Moun­tain View pro­pose de cal­cu­ler les par­cours spé­cia­le­ment pour les cyclistes, ce qu’on ne retrou­ve­ra pas ensuite.

Lorsque nous pas­se­rons en Ita­lie, la situa­tion se dégra­de­ra au fur et à mesure que l’influence du voi­sin teu­ton s’amenuisera.

Une Italie sans poésie

Nous pas­sons la fron­tière entre Autriche et Ita­lie par le col du Bren­ner. En des­cen­dant dans la val­lée de l’Adige nous visons la pre­mière ville ita­lienne sur notre route, qui se nomme Vipi­te­no. Ce nom tout en lettres rondes et sonores nous semble sans aucun doute par­fai­te­ment latin et chan­tant, mais nous décou­vrons vite qu’il vaut mieux par­ler de la ville de Ster­zing, telle qu’elle se nomme en allemand.

Le long du canal de la Marne au Rhin,
Le long du canal de la Marne au Rhin.

En effet, si nous sommes effec­ti­ve­ment en Ita­lie, nous tra­ver­sons un vil­lage encore typi­que­ment autri­chien. La région s’appelle du reste Haut-Adige en ita­lien mais Sud-Tyrol dans la langue de Goethe, qui a ici sta­tut de seconde langue. C’est une obser­va­tion que nous n’avons pas fini de faire dans les zones fron­ta­lières, et qui fait tout l’intérêt du voyage à vélo.

Bien loin d’être une limite exacte, la fron­tière se révèle sou­vent être un peu floue. Quand il s’agit du Sud-Tyrol ita­lien et ger­ma­no­phone ou de l’Istrie croate et un peu ita­lienne, le sort des mino­ri­tés ne pose pas trop de pro­blème ; il pour­ra en être autre­ment dans la suite de notre voyage à tra­vers les Balkans.

La plaine du Pô est affreuse. On peut s’imaginer une ban­lieue des confins de l’Île-de-France, de ces recoins qui ne sont ni tout à fait la cam­pagne, ni tout à fait la ville, où les champs sont mités par les routes et les zones com­mer­ciales, où le pay­san semble un intrus dans la ville, où le cita­din semble un intrus dans la campagne.

Cette éten­due plate et fer­tile, sillon­née de traits de maca­dam, res­semble à cela, mais à l’échelle de toute une région. L’Italie agro-indus­trielle, l’Italie qui se lève tôt se déploie dans un pay­sage d’une mono­to­nie sans poésie.

“ Le voyage est une ascèse salutaire pour se débarrasser du superflu ”

Nous qui des­cen­dons des mon­tagnes n’avons plus aucune pers­pec­tive : l’immense ciel bleu ne répond qu’à des champs de maïs brû­lés. Aucun repère, aucun but à atteindre pour le cycliste habi­tué au rythme ras­su­rant des cols et des crêtes des Alpes. Il n’y a là rien d’autre à faire que péda­ler, bêtement.

Les indi­ca­tions kilo­mé­triques pour Trieste sont tota­le­ment décon­cer­tantes. Entre la sor­tie et l’entrée d’un rond-point on peut gagner ou perdre 10 kilo­mètres. Nous voyons à peu près dans cet ordre les pan­neaux 70, 85, 75, 68, 60, 72, 55, 48, 40, 50, 35, 40, 42, 27, 18, etc. Nous res­tons quelque peu her­mé­tiques à cette poé­sie routière.

Nous attei­gnons enfin le grand port de l’Adriatique alors que la nuit tombe, notre der­nière étape avant les Balkans.

Poster un commentaire