Le laboratoire PMC : réunir chimistes et physiciens

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par François OZANAM (81)

Une pre­mière carac­té­ris­tique sou­vent asso­ciée à l’échelle nano­mé­trique est l’émergence de com­por­te­ments quantiques.

La taille carac­té­ris­tique à laquelle ces effets appa­raissent dépend des maté­riaux consi­dé­rés, mais il est appa­ru depuis pra­ti­que­ment trente ans que les carac­té­ris­tiques de l’émission lumi­neuse de col­loïdes de taille suf­fi­sam­ment petite dépen­daient de la taille des billes de maté­riaux consti­tuant le col­loïde (le plus sou­vent des semi-conduc­teurs binaires comme, par exemple, cer­tains sul­fures ou séléniures).

Cet effet a moti­vé un grand nombre de tra­vaux, tant pour étu­dier le phé­no­mène au plan fon­da­men­tal que pour en tirer par­ti dans diverses applications.

REPÈRES

Les nanosciences constituent l’un des deux axes fédérateurs principaux décrivant l’activité du Laboratoire de physique de la matière condensée (PMC) de l’École. Comme c’est le cas dans la plupart des thématiques relevant des nanosciences, la possibilité de réaliser des objets ou des systèmes comprenant une ou plusieurs dimensions à l’échelle nanométrique ouvre de nouvelles possibilités en termes de propriétés ou de performances : certaines lois de la physique changent en dessous de longueurs caractéristiques à l’échelle de quelques nanomètres, certaines barrières deviennent perméables en deçà des mêmes limites.

Une stratégie originale

Au labo­ra­toire, nous avons adop­té une stra­té­gie un peu dif­fé­rente. Le groupe de chi­mie du solide s’est spé­cia­li­sé dans la syn­thèse de nano­par­ti­cules d’oxydes dopées par des ions terres rares.

NOUVEAUX TRACEURS BIOLOGIQUES

Les nanoparticules développées par le PMC sont actuellement utilisées pour différentes applications. En particulier, en modifiant la terminaison chimique des nanoparticules, il est possible de les faire se coupler sélectivement à une molécule biologique cible (par exemple une protéine). La faible taille des nanoparticules (quelques nanomètres) est alors un atout permettant d’éviter de marquer l’objet ciblé avec un autre objet beaucoup plus gros que lui.
En collaboration avec le Laboratoire d’optique et biosciences de l’École, ces nanoparticules sont ainsi utilisées comme traceurs dans des expériences de microscopie avancée pour étudier la dynamique d’interaction de toxines avec des membranes cellulaires.

Ces maté­riaux sont connus pour émettre la lumière avec un très bon ren­de­ment ; les ions terres rares émettent une lumière avec une lon­gueur d’onde très bien défi­nie, contrai­re­ment aux maté­riaux habi­tuels. Les nano­par­ti­cules sont obte­nues par des pro­cé­dés à basse tem­pé­ra­ture en solution.

Dans ce domaine, le groupe « chi­mie du solide » a effec­tué une per­cée remar­quée en ima­gi­nant un pro­cé­dé par­ti­cu­lier pour amé­lio­rer la cris­tal­li­ni­té des nano­par­ti­cules et atteindre ain­si de hauts ren­de­ments d’émission lumi­neuse. Cette amé­lio­ra­tion exige de por­ter les nano­par­ti­cules à haute tem­pé­ra­ture, ce qui habi­tuel­le­ment pro­voque leur agglo­mé­ra­tion (ce qu’on appelle le « frit­tage » dans le domaine des céramiques).

“ La taille à laquelle les effets quantiques apparaissent dépend des matériaux ”

Pour rendre pos­sibles de tels trai­te­ments ther­miques en conser­vant l’intégrité des nano­par­ti­cules, les cher­cheurs du labo­ra­toire ont ima­gi­né de les immo­bi­li­ser dans une matrice réfrac­taire solu­bi­li­sable. Cette matrice per­met de main­te­nir les nano­par­ti­cules sépa­rées les unes des autres durant le trai­te­ment ther­mique, et peut ensuite être dis­soute chi­mi­que­ment pour réob­te­nir des nano­par­ti­cules libres ou dis­per­sées en solution.

Stockage d’information à haute densité

Une autre ver­tu des struc­tures de taille nano­mé­trique est leur capa­ci­té poten­tielle pour sto­cker de l’information avec une très haute densité.

Image par micro­sco­pie à effet tun­nel en milieu élec­tro­chi­mique d’une couche mono­ato­mique de nickel recou­vrant à 70 % une sur­face d’or. La lar­geur de l’image est d’environ 80 nm.

Dans cette pers­pec­tive, cer­tains cher­cheurs du labo­ra­toire tra­vaillent à com­prendre les phé­no­mènes phy­siques limi­tant l’accès aux échelles ultimes, pour pou­voir les dépasser.

Un aspect sou­vent mécon­nu de la course à la très haute den­si­té de sto­ckage de l’information est qu’il ne suf­fit pas d’être capable de défi­nir un bit de sto­ckage de très petite taille, mais il faut l’inclure dans une archi­tec­ture au milieu d’un très grand nombre de bits sem­blables et être capable de chan­ger ou de lire son état en dis­si­pant le moins d’énergie possible.

Dans les disques durs clas­siques, l’enregistrement est magné­tique et lec­ture et écri­ture se font par l’intermédiaire d’une tête qui se déplace très près de la sur­face du disque. Les cher­cheurs tentent actuel­le­ment d’imaginer des struc­tures magné­tiques per­met­tant de s’affranchir de ces têtes de lecture/écriture. La lec­ture ne pose pas de pro­blème trop sévère si l’on s’appuie sur le phé­no­mène de magné­to­ré­sis­tance géante déjà exploi­té dans les têtes de lec­ture actuelles.

Maîtriser l’écriture

L’écriture sou­lève des défis beau­coup plus dif­fi­ciles. Pour y arri­ver, les cher­cheurs essaient actuel­le­ment de pilo­ter élec­tri­que­ment l’état de couches magné­tiques très fines (de l’ordre d’un nano­mètre) qui sont au cœur des struc­tures pré­sen­tant le phé­no­mène de magné­to­ré­sis­tance géante.

“ Des structures magnétiques permettant de s’affranchir des têtes de lecture/écriture ”

Cela se révèle très dif­fi­cile actuel­le­ment dans les dis­po­si­tifs solides que l’on sait fabri­quer. Au sein du groupe « Élec­tro­chi­mie et couches minces » du labo­ra­toire, les cher­cheurs ont appris à fabri­quer et étu­dier par des tech­niques élec­tro­chi­miques des couches magné­tiques ultra­fines pré­sen­tant les carac­té­ris­tiques adé­quates pour être uti­li­sées dans les struc­tures pré­sen­tant une magné­to­ré­sis­tance géante.

Il n’est évi­dem­ment pas envi­sa­gé d’utiliser le milieu élec­tro­chi­mique pour faire fonc­tion­ner des dis­po­si­tifs de sto­ckage de l’information.

Néan­moins, cet envi­ron­ne­ment pos­sède de nom­breux avan­tages par rap­port aux struc­tures solides pour sou­mettre les struc­tures à des sol­li­ci­ta­tions élec­triques variées et étu­dier ain­si la pos­si­bi­li­té et les limites du pilo­tage de l’aimantation d’une couche magné­tique ultra­mince par un cou­rant ou un poten­tiel électrique.

C’est l’un des axes actuels de tra­vail des cher­cheurs du laboratoire.

Plus de lumière avec moins d’énergie

Diode électroluminescente en nitrure de gallium
Pho­to­gra­phie d’une diode élec­tro­lu­mi­nes­cente en nitrure de gal­lium émet­tant de la lumière dans un dis­po­si­tif sous ultra­vide au labo­ra­toire PMC carac­té­ri­sant l’origine des pertes de rendement.

Des enjeux de pre­mière impor­tance en termes d’économies d’énergie sont asso­ciés aux dis­po­si­tifs émet­teurs de lumière et à leur uti­li­sa­tion dans le domaine de l’éclairage. Il est donc essen­tiel à la fois de com­prendre les limi­ta­tions des dis­po­si­tifs actuels, et de les dépasser.

Ces limi­ta­tions peuvent être pré­sentes à la fois dans les par­ties actives du maté­riau (asso­ciées aux pro­ces­sus inter­ve­nant dans l’émission de la lumière) ou dans les par­ties pas­sives (les pro­ces­sus per­met­tant à la lumière de sor­tir du maté­riau pour l’utilisation).

Le récent prix Nobel de phy­sique a mis en valeur de tels enjeux en dis­tin­guant les tra­vaux de cher­cheurs ayant per­mis des avan­cées déci­sives dans le domaine des maté­riaux actifs, en par­ti­cu­lier pour les maté­riaux à base de nitrure de gal­lium. Les dis­po­si­tifs à l’état de l’art uti­li­sant ces maté­riaux souffrent néan­moins encore de cer­taines limi­ta­tions, dont la plus gênante est la baisse d’efficacité de l’émission lumi­neuse lorsque les dis­po­si­tifs deviennent trop brillants.

En col­la­bo­ra­tion avec les meilleures équipes au plan inter­na­tio­nal de l’université de Cali­for­nie à San­ta Bar­ba­ra, des cher­cheurs du groupe « Élec­trons-Pho­tons-Sur­faces » du labo­ra­toire ont récem­ment iden­ti­fié sans ambi­guï­té la cause de cette perte d’efficacité. Les tra­vaux se pour­suivent actuel­le­ment pour ima­gi­ner com­ment contour­ner cette limitation.

Les atouts de l’interdisciplinarité

Les concepts et les réa­li­sa­tions dans le domaine des nanos­ciences inté­ressent un grand nombre d’enjeux. L’exploration de ces ques­tions mobi­lise une grande par­tie des équipes du labo­ra­toire PMC.

La nature inter­dis­ci­pli­naire du labo­ra­toire, à la fron­tière entre phy­sique et chi­mie, repré­sente un véri­table atout pour appor­ter des contri­bu­tions ori­gi­nales dans les domaines abordés.

Couche mince émettant de la lumière

MIEUX EXTRAIRE LA LUMIÈRE

Des chercheurs du groupe « Électrons-Photons-Surfaces » ont travaillé depuis plusieurs années pour comprendre comment, en structurant la surface des dispositifs (leur partie « passive »), on pouvait améliorer l’extraction de la lumière du matériau. Il s’agit de contourner une limitation majeure due aux lois de l’optique géométrique qui contraignent la majorité de la lumière émise au coeur du matériau à rester piégée au sein de celui-ci.
En créant des motifs structurés adéquats en surface du matériau, l’interaction entre ces motifs et la lumière permet à cette dernière de s’échapper du matériau. Le groupe « Chimie du solide » du laboratoire a tiré profit de ces travaux en nanostructurant par embossage des couches émettrices qu’il a fabriquées. Ce moyen très peu onéreux se révèle améliorer spectaculairement l’efficacité d’extraction de la lumière.
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Image d’une couche mince émettant de la lumière sur un substrat transparent. La lumière est émise uniformément au sein de la couche, mais n’est extraite efficacement que dans la partie centrale nanostructurée.

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