Le FFJE, forum franco-japonais des étudiants, un réseau d’avenir

Dossier : ExpressionsMagazine N°589 Novembre 2003
Par Alexandre MICHON (02)

Il faut reti­rer ses chaus­sures et les ran­ger dans les casiers pré­vus à cet effet ; de légers pan­neaux cou­lis­sants, en bois et en papier épais, cloi­sonnent le res­tau­rant en petites pièces intimes au par­quet ver­ni : c’est là, autour d’une table basse, que nos amis japo­nais nous ont invi­tés pour fêter notre der­nier dîner ensemble.

En effet, après deux semaines bien rem­plies, le forum fran­co-japo­nais des étu­diants (FFJE) touche à sa fin. Saké, bière kirin et thé vert, tous les verres se sou­lèvent dans un enthou­siasme géné­ral : “kam­paï (san­té) pour le franc suc­cès de l’édition 2003 et pour sa réus­site en 2004 ! ”

L’esprit du FFJE s’est plei­ne­ment dévoi­lé durant cette soi­rée. Ses valeurs, comme l’amitié entre indi­vi­dus ou la sym­pa­thie plus géné­rale pour la culture de l’autre, se sont clai­re­ment affi­chées et, de façon plus pro­fonde, c’est toute une volon­té com­mune pour conti­nuer à les péren­ni­ser qui s’est fait jour.

Les Principes du FFJE

Groupe des étu­diants fran­çais et japo­nais devant le grand Boud­dha de Kamakura.

Fon­dé en 2000, le FFJE consiste en un échange entre étu­diants fran­çais (X, HEC) et japo­nais (uni­ver­si­tés de Tôdai, Keio, Wase­da, Hitot­su­ba­shi et Sophia). Outre les dis­cus­sions régu­lières le long de l’année sur notre site Inter­net (www.ffje.org), nous orga­ni­sons, pour les nou­veaux membres, un voyage de deux semaines qui se déroule chaque sep­tembre en France ou au Japon alter­na­ti­ve­ment. C’est notre “ mis­sion ” ; elle per­met de res­ser­rer les liens d’une part entre les groupes de chaque pays, et d’autre part, entre au moins deux géné­ra­tions suc­ces­sives de par­ti­ci­pants. Elle s’articule autour de dis­cus­sions sur des thèmes d’actualité pré­dé­ter­mi­nés et donne lieu à un rap­port où se des­sinent les visages contem­po­rains de la France et du Japon. De nom­breuses acti­vi­tés com­plé­men­taires viennent étof­fer ce pro­gramme pour que cha­cun soit ame­né à mieux connaître la culture de l’autre.

Apprendre à dialoguer entre Français et Japonais

C’est ain­si que, cette année, les débats ont, par exemple, por­té sur le rôle social de l’État, les pro­blèmes de démo­cra­tie ou l’organisation du monde du tra­vail, et ce, dans des pers­pec­tives com­pa­ra­tives. L’apport immé­diat est clair : se fami­lia­ri­ser avec la façon dont chaque culture inter­prète et adapte des notions ou des sys­tèmes uni­ver­sels. Mais plus pro­fon­dé­ment, nous avons expé­ri­men­té sans fard les pro­blèmes de com­mu­ni­ca­tion qui se posent sans aucun doute dans toute entre­prise fran­çaise implan­tée au Japon ou sa réciproque.

La pre­mière dif­fi­cul­té vient de la bar­rière lin­guis­tique ; l’anglais n’y pal­lie que moyen­ne­ment, étant don­né que cela reste une langue dif­fi­cile à apprendre pour un Japo­nais. Et la deuxième vient de l’écart des habi­tudes cultu­relles : par exemple, le franc-par­ler et l’individualisme plus déve­lop­pé des Occi­den­taux se heurtent faci­le­ment à la plus grande rete­nue et à l’esprit de concer­ta­tion des Orien­taux. L’expérience ain­si reti­rée sera très pro­fi­table pour des pers­pec­tives plus professionnelles.

Découverte en profondeur d’une culture

Nos débats auraient sans doute man­qué de beau­coup de clair­voyance, si la “ mis­sion ” ne pro­di­guait pas, en outre, les moyens de confron­ter leurs ensei­gne­ments à la réalité.

On ne peut pas entiè­re­ment com­prendre un Fran­çais ou un Japo­nais d’aujourd’hui sans le recul d’une connais­sance plus glo­bale des moeurs et de l’histoire de son pays.

Nous avons ain­si été ame­nés à appré­hen­der les deux facettes qui ont for­gé le Japon actuel : son atta­che­ment à la tra­di­tion et son goût pour la moder­ni­té. Nous avons donc visi­té des musées, des vieux quar­tiers typiques de Tokyo ou des villes emblé­ma­tiques de la reli­gion boud­dhiste, comme Kama­ku­ra. Nous avons aus­si par­cou­ru les endroits où s’exprime le mieux la moder­ni­té japo­naise, comme Shi­buya et ses mille néons ou Shin­ju­ku et ses gratte-ciel, dont le siège de l’administration de Tokyo, où nous avons été reçus. Dans cet esprit d’ouverture la plus large pos­sible, le prin­cipe bien éta­bli du loge­ment des étu­diants chez des familles d’accueil a gran­de­ment par­ti­ci­pé à l’authenticité de cette découverte.

Des entreprises entre la France et le Japon

Nous avons éga­le­ment effec­tué de nom­breuses visites d’entreprises, afin d’avoir un point de vue éco­no­mique sur le Japon tout en pré­pa­rant le ter­rain pour avoir des contacts pro­fes­sion­nels et des idées de futurs stages.

Toyo­ta nous a ain­si com­men­té l’implantation de son usine à Valen­ciennes, Onward, grand groupe de confec­tion, nous a expli­qué son inté­rêt pour des marques fran­çaises comme Jean-Paul Gaul­tier, dont il conçoit et fabrique les col­lec­tions, et Ban­daï, qui inonde le mar­ché fran­çais des jouets, nous a sen­si­bi­li­sés à la pro­blé­ma­tique de l’adaptation cultu­relle de ses produits.

Ces quelques entre­prises, prises par­mi d’autres, prouvent, en nous confiant les dif­fi­cul­tés sur les­quelles elles achoppent, qu’il y a un réel besoin de per­sonnes capables de faire le lien entre nos deux pays.

Rem­plir ce rôle, c’est notre moti­va­tion à tous : aus­si bien les X, qui font au moins un stage de deux mois au Japon dès la fin de la deuxième année, que les élèves d’HEC dont les stages sont sou­vent plus longs et que les Japo­nais, dont la plu­part sont pas­sés à Science Po ou dans d’autres uni­ver­si­tés françaises.

Groupe des étudiants français et japonais à l’ambassade de France au Japon.
Groupe des étu­diants fran­çais et japo­nais à l’ambassade de France au Japon, avec de gauche à droite, M. Okabe, vice-pré­sident de la Mai­son fran­co-japo­naise, M. Seki­mo­to, admi­nis­tra­teur de la Mai­son fran­co-japo­naise, et M. Mont­fer­rand, ambas­sa­deur de France au Japon.

Projets d’avenir

Nous croyons en l’avenir de notre forum : il y a une demande, parce que, comme on a pu l’expérimenter, le rap­pro­che­ment cultu­rel et la com­pré­hen­sion mutuelle ne vont pas de soi entre la France et le Japon. Mais le FFJE est aujourd’hui dans une phase cru­ciale de maturation.

Alors qu’il trou­vait jusqu’à pré­sent son bud­get dans la Mai­son fran­co-japo­naise, il doit désor­mais assu­rer qua­si inté­gra­le­ment son finan­ce­ment par d’autres moyens. Si, bien sûr, nous comp­tons sur le sou­tien de nos écoles, des col­lec­ti­vi­tés locales et de nos ambas­sades, très inté­res­sées par ce pro­jet, c’est tout natu­rel­le­ment vers les entre­prises que por­te­ra l’essentiel de nos efforts, car elles en seront les pre­miers bénéficiaires.

Aujourd’hui plus que jamais, il faut que nous fas­sions com­prendre à quel point il s’avérera ren­table d’investir dans la per­pé­tua­tion de ce forum et de son développement.

Le Japon a tout inté­rêt à se rap­pro­cher d’un des piliers de l’Europe, sur­tout qu’elle s’élargit, comme la France ver­ra le sien en s’affirmant davan­tage chez un acteur clef d’une zone stra­té­gique, que la Chine s’apprête à trans­for­mer en troi­sième pôle éco­no­mique de la planète.

C’est pour­quoi je vou­drais insis­ter sur l’importance du long terme dans ce forum. D’un par­te­na­riat entre HEC, Poly­tech­nique et diverses pres­ti­gieuses uni­ver­si­tés de Tokyo, il est appe­lé à être l’embryon d’un réseau de contacts entre nos deux nations, éten­dant pro­gres­si­ve­ment sa noto­rié­té, son recru­te­ment et son influence.

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