Deux satellites construit par le centre spatial étudiant de l'École polytechnique

Le centre spatial étudiant : une aventure polytechnicienne

Dossier : Vie du PlateauMagazine N°727 Septembre 2017
Par Florian MARMUSE (12)
Par Vivien CROES (10)
Par Adrien BRESSY (15)

C’est l’his­toire d’un binet aty­pique dont le tra­vail a duré 10 ans, assu­ré chaque année par une nou­velle pro­mo­tion qui ne devait pas à chaque fois tout remettre en ques­tion. Fina­le­ment le 17 mai der­nier, un satel­lite déve­lop­pé par ce binet était mis sur orbite par la sta­tion spa­tiale inter­na­tio­nale. Pour la suite, les pro­jets ne manquent pas. 

La forme actuelle du centre spa­tial étu­diant de l’X a com­men­cé à ger­mer en 2007 sous l’impulsion de Yan­nick d’Escatha (66), alors pré­sident du conseil d’administration de l’École et du Centre natio­nal d’études spa­tiales (CNES).

Au cours des pre­mières années, plu­sieurs pos­si­bi­li­tés furent envi­sa­gées pour le nom­mer : Centre spa­tial Jean-Fran­çois Cler­voy, Ins­ti­tut Le Ver­rier, Centre spa­tial éducatif… 

Fina­le­ment deux noms coha­bitent aujourd’hui et témoignent des évo­lu­tions de l’organisme : Centre spa­tial étu­diant (CSE) et AstronautiX. 

AU COMMENCEMENT ÉTAIT L’ASTRONOMIE

His­to­ri­que­ment, les pre­mières acti­vi­tés concer­naient les obser­va­tions astro­no­miques et le binet se nom­mait X‑Astro. Puis les X2002 ont com­men­cé à réa­li­ser des pro­jets spa­tiaux et ont alors fon­dé Astro­nau­tiX suite à la sélec­tion de leur expé­rience Para­bul­liX par l’Agence spa­tiale euro­péenne (ESA).

“ Le spatial est devenu un outil éducatif au service de la formation des élèves ”

La machine lan­cée, d’autres pro­jets sui­virent, à chaque fois rete­nus par le CNES ou l’ESA pour par­ti­ci­per à des vols Zéro‑G. Il faut cepen­dant attendre 2009 pour que les pre­mières réflexions sur la créa­tion d’un véri­table centre spa­tial étu­diant sou­te­nu par les labo­ra­toires, le dépar­te­ment de recherche et la direc­tion du cycle poly­tech­ni­cien appa­raissent, por­tées par Thi­bault Gouache (2004) et le Labo­ra­toire de phy­sique des plas­mas (LPP) de l’X, dont Lau­rence Rezeau est alors la directrice. 

Le CSE est fina­le­ment créé en 2010 par Mathieu Blan­chard (2008), d’abord comme enti­té à part entière avant d’être rat­ta­ché à Astro­nau­tiX à par­tir de la pro­mo­tion X2013. 

L’IMPULSION VINT DE L’INSTITUT VON KARMAN

Tou­te­fois, l’événement fon­da­teur du centre spa­tial étu­diant a été la par­ti­ci­pa­tion au pro­jet euro­péen QB50, orga­ni­sé par l’Institut von Kar­man (VKI) de Bruxelles. Ce pro­jet consis­tait à faire construire une constel­la­tion de satel­lites par les étu­diants de 50 uni­ver­si­tés de par le monde, alors que le VKI fabri­que­rait les ins­tru­ments de mesure à embarquer. 

LE CENTRE SPATIAL ÉTUDIANT :
UN SUCCÈS POUR L’ÉCOLE

Aujourd’hui présidé par Adrien Bressy (2015), le centre spatial étudiant compte plus de quatre-vingts élèves (15 % d’une promotion) et mène une douzaine de projets spatiaux. Face à ce succès, la direction de l’enseignement et de la recherche vient de nommer cet été une ingénieure pour diriger les futurs projets.

L’appel à par­ti­ci­pa­tion avait été remar­qué par Luc Dar­mé (2009), qui l’avait ensuite pro­po­sé comme Pro­jet scien­ti­fique col­lec­tif (PSC) pour la pro­mo­tion X2010. 

Une pre­mière équipe s’est alors for­mée autour de Vivien Croes (2010), Gré­goire Bon­nat (2010) et Arnaud Jaoul (2010) pour poser les bases finan­cières, orga­ni­sa­tion­nelles et tech­niques du projet. 

L’idée était alors de struc­tu­rer, autour de ce pro­jet de satel­lite et du CSE, l’École, ses élèves et ses labo­ra­toires, mais aus­si les ins­ti­tu­tions et les indus­triels du secteur. 

Le spa­tial deve­nait ain­si un outil édu­ca­tif au ser­vice de la for­ma­tion des élèves, le centre spa­tial étu­diant en étant la pla­te­forme et l’outil de com­mu­ni­ca­tion. Si les labo­ra­toires, LPP et LMD (Labo­ra­toire de météo­ro­lo­gie dyna­mique), le CNES et Thales Ale­nia Space ont rapi­de­ment répon­du pré­sent, la direc­tion de l’École s’est mon­trée plus réti­cente à un pro­jet consi­dé­ré par cer­tains comme trop « spé­cia­li­sant », trop « ingé­nieur » pour le cycle polytechnicien. 

Heu­reu­se­ment, la moti­va­tion des étu­diants, avec l’appui du CNES, a su venir à bout des diverses rigi­di­tés administratives. 

IL A FALLU APPRENDRE LA FINANCE

Sur le plan bud­gé­taire, le pro­jet QB50 a été finan­cé par l’Union euro­péenne, au tra­vers de l’Institut von Kar­man, qui a éga­le­ment contri­bué à une grosse par­tie de nos frais de lancement. 

“ Il a fallu aussi prendre en charge des activités non techniques de recherche de partenaires, de communication… ”

Concer­nant notre satel­lite X‑CubeSat, le finan­ce­ment pour les coûts maté­riels et humains est venu dans un pre­mier temps de Thales Ale­nia Space (10 000 euros la pre­mière année), puis plus mas­si­ve­ment du CNES (125 000 euros) via son pro­jet Janus (Jeunes en appren­tis­sage pour la réa­li­sa­tion de nano­sa­tel­lites au sein des uni­ver­si­tés et des écoles de l’enseignement supérieur). 

L’École poly­tech­nique a mis à dis­po­si­tion des locaux au LPP et a finan­cé deux CDD à temps par­tiel. Il a donc fal­lu aus­si nous orga­ni­ser pour prendre en charge des acti­vi­tés non tech­niques de recherche de par­te­naires, de communication… 

MONTÉE EN PUISSANCE VERS X‑CUBESAT

Au fil du temps, l’équipe s’est étof­fée : il y a eu ain­si un groupe plus par­ti­cu­liè­re­ment char­gé de l’objet phy­sique lui-même, un autre pre­nant en charge le sys­tème de contrôle d’attitude, quand un der­nier s’occupait de la station-sol. 

Flo­rian Mar­muse indique : « Quand j’ai pris le pro­jet en charge pour le compte de ma pro­mo­tion (X2012), nous étions 21 élèves. Nous avons ter­mi­né de défi­nir le desi­gn du satel­lite et c’est aus­si à ce moment que nous avons réa­li­sé la sta­tion-sol, située à l’École, dans les locaux du centre spa­tial étudiant. » 

Ensuite, les X2013 et X2014 ont eu à construire concrè­te­ment le sys­tème, appro­vi­sion­ner les com­po­sants, les cartes élec­tro­niques, rédi­ger la docu­men­ta­tion et assu­rer la livrai­son du satel­lite en sep­tembre 2016. 

La pro­mo­tion X2015 a enfin déve­lop­pé les logi­ciels de trai­te­ment des don­nées au sol et a assu­ré la cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion à l’approche du lancement. 

Et puis l’ensemble des pro­mo­tions a eu l’immense satis­fac­tion de voir notre satel­lite X‑CubeSat enfin mis en orbite le 17 mai der­nier depuis la Sta­tion spa­tiale inter­na­tio­nale, deve­nant ain­si le pre­mier satel­lite étu­diant fran­çais à être opé­ra­tion­nel. Il avait rejoint l’ISS le 22 avril 2017, à bord du vais­seau de ravi­taille­ment Cygnus lan­cé par une fusée Atlas 5. 

Le satel­lite devrait voir sa charge utile acti­vée cet été, les pre­miers résul­tats étant atten­dus au mois d’août. Il sera alors contrô­lé à par­tir de notre sta­tion- sol sur le Pla­teau de Saclay et sui­vi par de nom­breuses équipes scien­ti­fiques et radio­ama­teurs, en par­ti­cu­lier à l’université de Mont­pel­lier, qui dis­pose aus­si d’un centre spa­tial uni­ver­si­taire renommé. 

C’est donc une aven­ture de presque quinze ans, dont six consa­crés au déve­lop­pe­ment du satel­lite, qui aura mobi­li­sé 57 élèves mais aus­si plu­sieurs ensei­gnants, cher­cheurs et membres de la direc­tion de l’École, dont Patrick Le Qué­ré (74), ancien direc­teur adjoint de l’enseignement et de la recherche à Poly­tech­nique, et aus­si direc­teur de recherche au CNRS. 

En par­ti­cu­lier, le satel­lite n’aurait pu exis­ter sans le sou­tien de Gérard Auvray, ancien ingé­nieur d’Alcatel et pré­sident de l’association de radio­ama­teurs Amsat France, notre chef de projet. 


Deux satel­lites réa­li­sés par des élèves de l’X (à droite) ou par leurs enca­drants (à gauche).

X‑CUBESAT

Au sein d’une constellation de 36 nanosatellites construits par des universités de 23 pays, X‑CubeSat a pour mission d’analyser le taux d’oxygène atomique de la thermosphère, l’une des couches atmosphériques les moins étudiées. Il est placé à la même altitude que la Station spatiale internationale, 415 kilomètres au-dessus de la Terre.
Les données recueillies permettront d’améliorer les modèles de l’atmosphère terrestre ainsi que les prédictions de rentrées atmosphériques des satellites. Il fait partie du projet QB50 piloté par le VKI et financé par l’Union européenne.

LA CONTINUITÉ : PREMIÈRE DIFFICULTÉ

Pour concré­ti­ser cette aven­ture, nous avons néan­moins dû faire face à de nom­breux obs­tacles. De mon point de vue, la prin­ci­pale dif­fi­cul­té de ce pro­jet était d’assurer la tran­si­tion d’une pro­mo­tion à la sui­vante. En effet, l’organisation du cycle ingé­nieur poly­tech­ni­cien obli­geait chaque équipe à recru­ter ses suc­ces­seurs alors que ceux-ci sor­taient à peine de leur stage FHM (For­ma­tion humaine et mili­taire) de pre­mière année, bien avant leur spé­cia­li­sa­tion d’études.

Il fal­lait donc bien anti­ci­per sur ce choix. Quand j’ai été recru­té par la pro­mo­tion X2011, nous étions d’abord un noyau de cinq ou six élèves de la X2012, nous avons ensuite por­té la bonne parole auprès de nos cama­rades et nous sommes arri­vés au bout du compte ! Pour recru­ter la pro­mo­tion X2013, nous avions davan­tage com­mu­ni­qué et avons dû orga­ni­ser des entre­tiens pour sélec­tion­ner les élèves qui par­ti­ci­pe­raient au pro­jet. Et ain­si de suite d’année en année… 

Il fal­lait ensuite assu­rer la bonne trans­mis­sion des dos­siers et infor­ma­tions rela­tifs au pro­jet d’une pro­mo­tion à la sui­vante : nous uti­li­sions pour ce faire une Drop­box, avec toute une archi­tec­ture docu­men­taire qui avait mis quelque temps à s’imposer.

Mais nous n’étions pas à l’abri des mau­vaises sur­prises : ain­si lorsqu’un élève quit­tant le pro­jet a eu la mal­en­con­treuse idée de vider ce qu’il croyait être « sa » Drop­box, il a par la même occa­sion effa­cé toutes les don­nées du pro­jet ! Heu­reu­se­ment, nous avons retrou­vé une sau­ve­garde datant d’un mois ou deux et nous avons pu limi­ter la casse… 

CONFRONTER LES X AU RÉALISME TECHNOLOGIQUE

Nous avons dû faire face à une autre dif­fi­cul­té : les élèves qui rejoi­gnaient le pro­jet devaient rapi­de­ment et direc­te­ment se plon­ger dans sa tech­ni­ci­té, ce qui est en géné­ral très éloi­gné des approches théo­riques aux­quelles ils ont été habi­tués. Le contact avec la réa­li­té tech­no­lo­gique est rude, et la for­ma­tion des X ne les y a guère préparés. 

Ce n’est pas seule­ment une ques­tion de for­ma­tion, mais aus­si d’approche intel­lec­tuelle : le poly­tech­ni­cien fraî­che­ment inté­gré, fort de ses capa­ci­tés de rai­son­ne­ment, a une ten­dance natu­relle à tout ques­tion­ner, tout remettre en cause, et ce sont d’infinis « pour­quoi ceci ? », « pour­quoi faire comme cela ? », « ne pour­rait- on pas faire autrement… ? » 

Cette atti­tude cri­tique fait toute la richesse du pro­fil poly­tech­ni­cien, mais elle s’accommode mal de la conti­nui­té d’un pro­jet se dérou­lant sur plu­sieurs années et pro­mo­tions suc­ces­sives. Il faut bien admettre que des choix ont été faits, que des solu­tions indus­trielles sont là et qu’il n’est pas effi­cace de tout remettre en ques­tion à chaque étape. Dif­fi­cile exer­cice d’humilité !

Le binet AstronautiX. de l'École polytechnique
Le binet AstronautiX.

LES PROJETS NE MANQUENT PAS

Nous sommes très fiers d’être l’une des 36 équipes uni­ver­si­taires, sur les 50 ini­tia­le­ment rete­nues par l’Institut von Kar­man, qui ont réus­si à aller au bout et à mettre leur satel­lite sur orbite. 

“ Le contact avec la réalité technologique est rude, et la formation des X ne les y a guère préparés ”

Pour pro­mou­voir ce suc­cès, à la fois auprès de la com­mu­nau­té scien­ti­fique et des élèves sur le cam­pus, Adrien Bres­sy (2015) et Agathe Bou­taud (2015) ont orga­ni­sé dans le Grand Hall de l’École une pré­sen­ta­tion des pro­jets spa­tiaux étu­diants de l’X, dont X‑CubeSat, au pro­fes­seur Charles Ela­chi, direc­teur du NASA Jet Pro­pul­sion Labo­ra­to­ry (JPL) de 2001 à 2016 et ancien vice-pré­sident de Caltech. 

Celui qui a diri­gé les mis­sions les plus pres­ti­gieuses de la conquête spa­tiale, par­mi les­quelles le rover Curio­si­ty, les a encou­ra­gés à conti­nuer d’entreprendre pour faire rêver et for­mer les poly­tech­ni­ciens grâce au centre spa­tial étudiant. 

Pour la suite, les pro­jets ne manquent pas : d’abord, bien sûr, un nou­veau nano­sa­tel­lite. Plus gros que X‑CubeSat, il sera doté d’un sys­tème de pro­pul­sion et équi­pé d’une charge utile déve­lop­pée par le LPP. 

Mais aus­si, un autre Cube­Sat sera com­men­cé par les X2016 pour l’étude des décharges élec­tro­ma­gné­tiques (ESD) avec l’Onera ; un groupe tra­vaille­ra sur un simu­la­teur d’atterrisseur avec le CNES, dans le cadre de son pro­jet Per­seus ; une équipe se pen­che­ra sur le recy­clage des débris spa­tiaux avec la start-up « Share My Space » fon­dée par Romain Lucken (2012) ; un pro­jet de bal­lon-sonde du Lat­mos ana­ly­se­ra les décharges élec­triques dans l’atmosphère…

Bref, la relève est déjà assurée ! 

Propos recueillis par Robert RANQUET (72)

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