Quelques échelles d’observation d’un résineux

Le bois, écomatrériau par excellence

Dossier : Le boisMagazine N°578 Octobre 2002Par Francis CAILLIEZ (60)
Par Joseph GRIL (78)
Par Bernard THIBAUT (68)

Un matériau naturel très variable

Un matériau naturel très variable

Les carac­té­ris­tiques du bois sont très variables car il pro­vient d’un être vivant : deux arbres de la même espèce fabriquent des bois dif­fé­rents car un arbre est unique en ce sens qu’il est l’ex­pres­sion d’un patri­moine géné­tique dans un milieu (sol, cli­mat) et que ce patri­moine et ce milieu sont propres à cet arbre. De plus, au sein d’un même arbre, la nature du bois fabri­qué varie au cours de la sai­son de végé­ta­tion et deux pièces de même géo­mé­trie que l’on en extrait peuvent avoir des pro­prié­tés assez dif­fé­rentes si leur bois n’a pas été fabri­qué pen­dant les mêmes années.

À ces varia­bi­li­tés » intra-arbre » et » inter-arbres » du bois d’une même espèce s’a­joute l’é­norme diver­si­té des espèces : on éva­lue à envi­ron 30 000 le nombre de celles qui pro­duisent du bois et à 500 celui des espèces com­mer­cia­li­sées pour le bois (à ce maté­riau qui pro­vient des arbres, il faut ajou­ter ceux sem­blables pro­ve­nant des pal­miers, des bam­bous, de lianes telles que le rotin, etc.). Les hommes ont su très tôt tirer pro­fit de chaque niveau de cette varia­bi­li­té natu­relle et ils la diver­si­fient sans cesse par dif­fé­rents moyens -, la créa­tion de varié­tés, le trans­fert d’es­pèces en dehors de leur aire d’o­ri­gine, la conduite du déve­lop­pe­ment des arbres (syl­vi­cul­ture) -, de sorte que par­ler du maté­riau bois est en réa­li­té très sim­pli­fi­ca­teur tant est large le spectre des essences qui forment la grande classe de maté­riaux que consti­tuent les bois.

Leurs pro­prié­tés de base peuvent varier autant entre les extrêmes qu’au sein de l’en­semble des métaux et alliages : par exemple, la den­si­té du bois (masse volu­mique rap­por­tée à celle de l’eau) passe de 0,1 (bal­sa d’A­mé­rique latine et des Caraïbes) à 1,3 (amou­rette de Guyane) et celle des métaux de 2,4 (alu­mi­nium) à 21,4 (pla­tine).

Un matériau étonnamment moderne

Contrai­re­ment à la métal­lur­gie qui fait beau­coup appel à des tech­niques comme la cris­tal­lo­gra­phie pour l’a­na­lyse de la struc­ture des métaux, l’ob­ser­va­tion et l’é­tude du bois relèvent de l’a­na­to­mie, dis­ci­pline plu­tôt pra­ti­quée dans les sciences du vivant.

Aujourd’­hui, les dif­fé­rences s’at­té­nuent beau­coup dès qu’il s’a­git de pro­gres­ser dans la connais­sance intime des maté­riaux avec l’u­sage géné­ra­li­sé des outils d’in­ves­ti­ga­tion tels que le micro­scope élec­tro­nique, le micro­scope à force ato­mique, la dif­fu­sion ou la dif­frac­tion X (figure 1), les ima­ge­ries ultra­so­nores ou la réso­nance magné­tique nucléaire.

Figure 1

Quelques échelles d’observation d’un résineux.

À gauche : volume élé­men­taire repré­sen­ta­tif du bois maté­riau, conte­nant un nombre suf­fi­sant de cernes annuels et assez éloi­gné de la moelle pour que l’on puisse négli­ger leur cour­bure (échelle de quelques mil­li­mètres pour un cerne).
Au centre : échelle micro­sco­pique fai­sant appa­raître la struc­ture en nid‑d’abeilles (échelle de quelques dizaines de micro­mètres pour les dia­mètres d’une alvéole).
À droite : ultra­struc­ture parié­tale mon­trant la struc­ture mul­ti­couche d’une paroi cel­lu­laire, chaque sous-couche étant carac­té­ri­sée par des ren­for­ce­ments de cel­lu­lose cris­tal­line orien­tés dif­fé­rem­ment (échelle de quelques dizaines de nano­mètres pour les nano­fibres élé­men­taires ou “ microfibrilles ”).


En pas­sant de l’é­chelle de la simple loupe à gros­sis­se­ment 10 jus­qu’aux échelles de la dizaine de nano­mètres, le bois révèle des choix d’é­la­bo­ra­tion qui sont ceux des maté­riaux les plus avan­cés d’aujourd’hui.

C’est d’a­bord une espèce de nid- d’a­beilles tri­di­men­sion­nel très per­fec­tion­né où la nature s’est éver­tuée à jouer à l’in­fi­ni avec quelques élé­ments de base (fibres, vais­seaux, paren­chymes) dont la géo­mé­trie et la poro­si­té peuvent varier dans de très larges pro­por­tions. Chaque essence de bois (cor­res­pon­dant géné­ra­le­ment à une espèce végé­tale) est ain­si dotée d’un sché­ma d’or­ga­ni­sa­tion qui lui est propre (plan ligneux) et qui per­met au spé­cia­liste de l’i­den­ti­fier par­mi plu­sieurs mil­liers d’autres (figure 2).

Figure 2
Organisation du bois en type nid-d’abeilles

Orga­ni­sa­tion de type nid‑d’abeilles pour un bois feuillu pré­sen­tant une asso­cia­tion d’éléments de grand dia­mètre ( ≈ 200 μm) et de petit dia­mètre ( ≈ 30 μm) avec des épais­seurs de paroi variables.

Ce choix d’é­la­bo­ra­tion per­met de dis­po­ser d’un très bon rap­port entre pro­prié­tés méca­niques et quan­ti­té de matière utilisée.

Les parois des alvéoles de ce nid- d’a­beilles sont à leur tour des com­po­sites à fibre pré­sen­tant un astu­cieux nap­page en couches suc­ces­sives avec des orien­ta­tions croi­sées des fibres per­met­tant d’ob­te­nir une très grande résis­tance par uni­té de masse dans la direc­tion prin­ci­pale de char­ge­ment pour l’arbre ou pour les poutres que nous en tirons.

L’é­chelle élé­men­taire de ce réseau n’est que de quelques dizaines de nano­mètres comme dans les maté­riaux dits » nano­struc­tu­rés » objets de déve­lop­pe­ments actuels.

Le bois est une mémoire

L’his­toire de l’arbre est ins­crite dans son bois. Les nœuds rap­pellent les branches qui ren­seignent elles-mêmes sur le pas­sé du voi­si­nage de l’arbre et les varia­tions de fil du bois qu’ils entraînent se tra­duisent par des ondu­la­tions sur les faces des débits (figure 3). Les frac­tures et les fentes signalent les fortes contraintes internes liées à des épi­sodes cli­ma­tiques vio­lents (foudre, gel, coups de vent…).

La cica­tri­sa­tion des bles­sures dues aux ani­maux (écor­çages et frot­tis…) et aux insectes et cham­pi­gnons laisse des traces diverses (poches de résine, colo­ra­tions par­ti­cu­lières…). Ces sin­gu­la­ri­tés et alté­ra­tions dépré­cient sou­vent le bois mais cer­taines per­mettent de le valo­ri­ser (ébé­nis­te­rie, lutherie…).

Un matériau vertueux et doué

Comme chaque grande classe de maté­riaux, les bois ont des atouts qui ont été déter­mi­nants à cer­taines époques ou pour cer­tains usages et des han­di­caps qui l’ont fait régres­ser dans d’autres.

Dans cer­tains cas les atouts deviennent des han­di­caps avec les évo­lu­tions de la socié­té : le plus bel exemple est l’ap­ti­tude extra­or­di­naire du bois à être tra­vaillé avec très peu de puis­sance (ou d’éner­gie), mais beau­coup de matière grise. C’é­tait le maté­riau uni­ver­sel de l’é­poque pré­in­dus­trielle avec la myriade de métiers du bois basés sur l’u­ti­li­sa­tion d’ou­tils à mains tels que scies, ciseaux à bois, rabots et gouges…

C’est deve­nu la bête noire des indus­tries où l’éner­gie est gra­tuite et la main-d’œuvre qua­li­fiée trop chère et où il faut ban­nir la varia­bi­li­té pour satis­faire la robo­ti­sa­tion. Mais c’est à nou­veau le chou­chou du bri­co­leur, pour qui le hob­by est pas­sion et le temps n’est plus de l’argent.

Les atouts peuvent être clas­sés en deux grandes catégories.

Figure 3
Relation entre le tronc et une branche, origine des noeuds dans le bois.

Rela­tion entre le tronc et une branche, ori­gine des noeuds dans le bois. PHOTO B. CHANSON

Les atouts socié­taux sont aujourd’­hui évi­dents et sont évo­qués aus­si dans d’autres articles de ce numé­ro. Il s’a­git de l’im­pact très posi­tif sur le bilan car­bone de notre atmo­sphère, du bilan envi­ron­ne­men­tal et éner­gé­tique très favo­rable pour le bois, maté­riau indé­fi­ni­ment renou­ve­lable dans le cas d’une saine ges­tion de la forêt (n’ou­blions pas que l’u­sine à bois, c’est la forêt), ou de l’im­pact sur l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire du maillage des indus­tries du bois et de leur apti­tude à res­ter un sec­teur de main-d’œuvre.

Les atouts tech­niques sont indé­niables aus­si pour qui se pré­oc­cupe de la sélec­tion de maté­riaux pour la concep­tion de divers pro­duits. Ils découlent de la longue marche d’in­ven­tion de la nature pour trou­ver le maté­riau apte à résoudre des pro­blèmes de méca­nique des struc­tures qui sont loin d’être tri­viaux ; un arbre par­vient en effet à éla­bo­rer puis main­te­nir pen­dant des siècles contre vents, pluie et neige une archi­tec­ture très auda­cieuse : son­geons en effet à un arbre ayant un volume de houp­pier de 3 000 m3 à 8 000 m3 et un tronc de 50 à 100 mètres de haut, sau­rait-on construire de façon plus per­for­mante un édi­fice ayant de telles résis­tances mécaniques ?

De tous les maté­riaux de struc­ture uni­ver­sels, les bois sont les plus légers. Ils ont des per­for­mances en termes de ratio résis­tance méca­nique sur poids com­pa­rables aux com­po­sites à fibre per­for­mants d’au­jourd’­hui et aucun maté­riau n’a encore mon­tré une meilleure résis­tance à la fatigue méca­nique (ata­visme). Comme tous les maté­riaux poreux, ils offrent de bonnes solu­tions d’i­so­la­tion ther­mique auto­por­tantes. Leur capa­ci­té à se mettre en équi­libre avec l’hu­mi­di­té de l’air en fait aus­si d’ex­cel­lents régu­la­teurs d’am­biance, ce qui explique leur suc­cès jamais démen­ti en amé­na­ge­ment inté­rieur des loge­ments. Ils sont insen­sibles à la cor­ro­sion, sur­tout la cor­ro­sion acide, ce qui explique aus­si leur suc­cès dans les bâti­ments d’élevage…

Enfin, pour des rai­sons dif­fi­ciles à quan­ti­fier pour le scien­ti­fique, ils consti­tuent sans doute la classe de maté­riaux la plus » douée » pour les métiers de l’art : musique, sculp­ture, arts déco­ra­tifs, ébé­nis­te­rie, peut-être aus­si parce que si la varia­bi­li­té extrême des bois déses­père l’in­dus­trie moderne, de l’u­ni­for­mi­té naît l’ennui.

Cepen­dant, l’in­dus­trie du bois ne résiste pas tou­jours bien à ses concur­rents et par­mi les nom­breuses rai­sons qui l’ex­pliquent, il en existe qui sont dues au maté­riau lui-même car le bois a des fra­gi­li­tés qu’il faut savoir maîtriser.

Durabilité et préservation

Une fois l’arbre abat­tu, le bois frais est expo­sé à l’at­taque d’a­gents bio­lo­giques et il en est de même au cours des phases suc­ces­sives de débit et de mise en œuvre. La plu­part des bois sont durables quand ils sont immer­gés ou, à l’in­verse, pla­cés dans une atmo­sphère très sèche, leur durée de vie se mesure alors en siècles. Mais tous les bois craignent à des degrés divers une humi­di­té inter­mit­tente asso­ciée à une mau­vaise ven­ti­la­tion car ces condi­tions sont par­ti­cu­liè­re­ment favo­rables aux cham­pi­gnons ou ter­mites qui attaquent le bois.

La capa­ci­té du bois à tra­ver­ser avec suc­cès ces épreuves qua­li­fie sa dura­bi­li­té natu­relle qui est très variable entre les espèces. Elle dépend sur­tout des com­po­sés chi­miques secon­daires pro­duits lors du pas­sage de l’au­bier au bois par­fait, qui déter­minent aus­si la plu­part des pro­prié­tés sen­so­rielles du bois (cou­leur, odeur, saveur…). Pla­cés dans des condi­tions très dif­fi­ciles, par exemple au contact du sol comme une tra­verse de che­min de fer, cer­tains bois sont for­te­ment atta­qués en moins d’un an alors que d’autres peuvent tenir jus­qu’à 50 ans.

On peut pro­té­ger le bois avec des pro­duits insec­ti­cides et fon­gi­cides où les prin­cipes actifs sont le cuivre, le chrome, le bore, le fluor et l’ar­se­nic ou de nom­breuses molé­cules orga­niques. Les pro­cé­dés d’ap­pli­ca­tion sont nom­breux, à sec ou en solu­tion, par trem­page ou injec­tion en auto­clave sous vide et pres­sion. Cette indus­trie de la pré­ser­va­tion est très régle­men­tée du fait de la toxi­ci­té des pro­duits (cuivre et arse­nic surtout).

Les prin­ci­paux domaines actuels de la recherche indus­trielle sont la dif­fu­sion de ces pro­duits dans le sol, l’air et l’eau, et l’é­tude de pro­duits et de méthodes d’ap­pli­ca­tion moins dan­ge­reux pour l’en­vi­ron­ne­ment et la san­té : uti­li­sa­tion d’ex­trac­tibles natu­rels pré­sents dans les essences durables (huiles essen­tielles aux pro­prié­tés anti­bio­tiques, tan­nins, qui­nones du teck…), explo­ra­tion des méthodes bio­lo­giques (ex : uti­li­sa­tion de souches de cham­pi­gnons entrant en com­pé­ti­tion avec les cham­pi­gnons de bleuis­se­ment), ou incor­po­ra­tion de bio­cides dans les pro­duits de revê­te­ment (ver­nis, pein­tures, lasures).

La pro­tec­tion chi­mique du bois ne dis­pense évi­dem­ment jamais de prendre des pré­cau­tions dans les tech­niques construc­tives, notam­ment en ce qui concerne les assem­blages (bois/bois, bois/métal…) et le contact avec l’eau. Quand il doit être détruit, le bois trai­té peut par­tir dans la filière éner­gie mais il y néces­site une inci­né­ra­tion spé­ciale pour fil­trer les sels métalliques.

Si la pro­tec­tion chi­mique est actuel­le­ment domi­nante, la voie ther­mo­chi­mique pro­gresse : le bois réti­fié est pro­duit par chauf­fage aux alen­tours de 250 °C en atmo­sphère et pres­sion contrô­lées, et il existe des pro­cé­dés à des tem­pé­ra­tures plus éle­vées. Le bois réti­fié est sté­ri­li­sé et contient des inhi­bi­teurs d’a­gents bio­lo­giques de dégra­da­tion, il est aus­si moins hygro­sco­pique et donc de meilleure sta­bi­li­té dimen­sion­nelle ; par contre, il devient plus cassant.

Solidité et sensibilité

Figure 4
Influence de la densité sur les propriétés mécaniques du bois

Influence de la den­si­té sur les pro­prié­tés méca­niques (source : CIRAD-Forêt).
Ici elle explique 85% des varia­tions de résis­tance à la com­pres­sion d’échantillons de bois sans défauts

Figure 5
Influence de la densité sur le retrait volumique du bois

Influence de la den­si­té sur le retrait volu­mique du bois (source : CIRAD-Forêt).br /> Ici elle n’explique que 26 % des varia­tions de retrait total au séchage en rai­son notam­ment d’un nombre assez impor­tant de bois très denses à faible retrait, par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant pour cer­tains usages.

Un bois lourd est pré­su­mé solide, c’est glo­ba­le­ment vrai, la den­si­té d’un bois est en effet sa carac­té­ris­tique phy­sique majeure car elle pré­dit assez bien ses pro­prié­tés méca­niques : dure­té, résis­tance à la flexion, à la trac­tion, à la com­pres­sion, au cisaille­ment, au choc… (figure 4).

La den­si­té reflète la masse de bois conte­nue dans un volume de bois uni­taire. Mais le bois contient de l’eau sous deux formes : l’eau libre (c’est celle qui s’é­va­pore natu­rel­le­ment car elle rem­plit le vide des cel­lules) et l’eau liée aux parois des cel­lules. La den­si­té du bois varie donc avec son taux d’hu­mi­di­té. Ce der­nier, défi­ni par le rap­port entre le poids d’eau et la masse du bois sec, est égal à 0 % pour le bois anhydre, il est de l’ordre de 30 % quand toute l’eau libre est par­tie et qu’il ne reste que l’eau liée et il peut dépas­ser lar­ge­ment 100 % dans un bois très poreux com­plè­te­ment satu­ré d’eau.

On uti­lise le plus sou­vent comme den­si­té de réfé­rence celle du bois à 12 % d’hu­mi­di­té qui per­met de défi­nir des types de bois allant de » très léger » (moins de 0,3) à » très lourd » (plus de 0,9). Cer­tains dépassent 1,2 et beau­coup ne flottent pas (den­si­té supé­rieure à 1). Cette den­si­té de réfé­rence n’est pas constante dans une même espèce car elle dépend de nom­breux para­mètres liés à la géné­tique ou l’his­toire de l’arbre (vitesse de crois­sance par exemple). C’est ain­si que la den­si­té du chêne peut varier de 0,55 à 0,85.

Après la den­si­té, la deuxième grande carac­té­ris­tique phy­sique du bois est sa rétrac­ti­bi­li­té qui qua­li­fie les chan­ge­ments de volume et de dimen­sions des pièces liés aux varia­tions de leur taux d’hu­mi­di­té, lequel dépend de l’am­biance dans laquelle il se trouve. Le bois » joue » ou » tra­vaille » et les pièces se déforment car les varia­tions dimen­sion­nelles sont anisotropes.

Il faut donc mani­pu­ler le taux d’hu­mi­di­té du bois tout au long de la chaîne de trans­for­ma­tion de façon que les retraits s’ef­fec­tuent suf­fi­sam­ment len­te­ment pour ne pas pro­vo­quer de fentes, d’où l’im­por­tance du séchage ini­tial pour pas­ser de l’é­tat vert à l’é­tat d’é­qui­libre avec le milieu ambiant.

La rétrac­ta­bi­li­té aug­mente en moyenne avec la den­si­té du bois mais la cor­ré­la­tion est beau­coup plus faible qu’entre den­si­té et pro­prié­tés méca­niques (figure 5).

Il existe des bois très denses et très stables comme l’i­pé du Bré­sil. On dit sou­vent que ce carac­tère syn­thé­tise assez bien la notion de » sen­si­bi­li­té » du bois. Lui aus­si dépend for­te­ment des molé­cules secon­daires pré­sentes dans le bois et la sta­bi­li­té dimen­sion­nelle peut être amé­lio­rée sen­si­ble­ment par des trai­te­ments chi­miques dans la masse, outre les trai­te­ments ther­miques déjà mentionnés.

Conductibilités

Le bois est un bon iso­lant élec­trique sur­tout quand il est sec. Dans l’in­dus­trie élec­trique par exemple, les ins­tal­la­tions et équi­pe­ments de basse ten­sion le mettent en œuvre après pro­tec­tion (ver­nis, impré­gna­tion…) pour qu’il ne reprenne pas d’hu­mi­di­té. La varia­tion très forte de la conduc­ti­bi­li­té (de 1017 ohm-cm pour le bois anhydre à 105 ohm-cm pour le bois à 30 % d’hu­mi­di­té) est uti­li­sée cou­ram­ment dans les appa­reils per­met­tant de mesu­rer cette humidité.

Le bois conduit mal la cha­leur ; sa conduc­ti­bi­li­té dépend sur­tout de sa den­si­té, de la direc­tion de la trans­mis­sion et elle aug­mente très vite avec le taux d’hu­mi­di­té. Le bois est donc un très bon iso­lant, sur­tout s’il est sec et que la cha­leur arrive ortho­go­na­le­ment aux fibres. Dans ce cas, un bois de rési­neux est par exemple 8 fois plus iso­lant que le béton (rap­port des coef­fi­cients de conduc­ti­bi­li­té ther­mique). Les bois légers sont en moyenne les plus iso­lants car ils contiennent plus d’air qui est moins conduc­teur que la matière ligneuse pro­pre­ment dite. Ce pou­voir iso­lant est un atout dans cer­tains sec­teurs comme l’in­dus­trie du froid et sur­tout celle du bâti­ment où il offre de bonnes solu­tions d’i­so­la­tion sans pont thermique.

Quand la tem­pé­ra­ture aug­mente for­te­ment, le bois sèche mais il ne perd qua­si­ment pas ses pro­prié­tés méca­niques jus­qu’à près de 300 °C. Au-delà il com­mence à se trans­for­mer en char­bon en déga­geant des gaz qui s’en­flamment rapi­de­ment. C’est tou­jours un bon com­bus­tible avec un pou­voir calo­ri­fique voi­sin de 4 500 kcal/kg de matière sèche. Du fait de son bon pou­voir iso­lant ren­for­cé encore dans les zones qui ont com­men­cé à » char­bon­ner « , une poutre mas­sive en bois conti­nue tou­jours à résis­ter en pro­por­tion de l’i­ner­tie rési­duelle qui dimi­nue dou­ce­ment pen­dant l’in­cen­die. Ceci explique pour­quoi les pom­piers pré­fèrent les char­pentes mas­sives en bois aux struc­tures acier ou béton car le temps d’in­ter­ven­tion sécu­ri­sé est plus long.

L’avenir : bois homogénéisés et matériaux composites

Dans l’in­dus­trie, le bois mas­sif reste uti­li­sé comme bois rond (poteaux, mobi­lier urbain…) mais il est sur­tout frag­men­té par sciage, tran­chage, dérou­lage, déchi­que­tage et, comme pour tout maté­riau, il s’a­git alors de trou­ver de bonnes stra­té­gies pour opti­mi­ser le ren­de­ment matière, le coût éner­gé­tique de la trans­for­ma­tion, la fia­bi­li­té (constance des pro­prié­tés phy­siques et méca­niques), la sou­plesse d’emploi.

Dans les scie­ries modernes auto­ma­ti­sées à haut débit, on relève en temps réel avant sciage (cap­teurs, camé­ras, scan­ners) la géo­mé­trie et les défauts externes de la grume pour opti­mi­ser la posi­tion du trait de scie et les retour­ne­ments de la bille. Aus­si­tôt après sciage, les pièces sont clas­sées par des machines qui font appel à dif­fé­rentes méthodes (méca­niques, vibra­toires, micro-ondes, ultra­sons). Les normes de clas­se­ment sont éta­blies à l’is­sue de longues dis­cus­sions inter­na­tio­nales où chaque par­te­naire s’at­tache à ne pas péna­li­ser sa res­source. Les pays de l’Eu­rope moyenne comme la France y ont fort à faire car leurs forêts contiennent beau­coup plus d’es­pèces que les forêts nor­diques de Scan­di­na­vie, du Cana­da et de la Russie.

Pour élar­gir la gamme des pos­si­bi­li­tés du bois mas­sif et pour mieux cor­ri­ger ses fai­blesses, il faut pou­voir pro­duire des pièces très longues ou courbes, très plates (pan­neaux) ou com­pli­quées (pièces mou­lées, extrudées…).

Des tech­niques dont les pré­mices sont par­fois très anciennes consistent à assem­bler des élé­ments de bois entre eux ou à d’autres matériaux.

Les inno­va­tions indus­trielles sont per­ma­nentes et donnent lieu à une très grande varié­té de pro­duits qui com­binent la géo­mé­trie des élé­ments assem­blés (bois scié, dérou­lé ou tran­ché, copeaux, fibres, sciure…), le mode d’as­sem­blage (col­lage, abou­tage), le type de bois (espèces pures ou en mélange), l’in­cor­po­ra­tion d’autres maté­riaux (fibres syn­thé­tiques, pailles ou autres matières végé­tales, ciment, plâtre, poly­mères, métaux…), les adju­vants (igni­fuges, anti-UV, biocides…).

On range ces pro­duits dans de grandes caté­go­ries dési­gnées de façon à ren­sei­gner sur leur consti­tu­tion : lamel­lé-col­lé, pan­neau lat­té, pan­neau contre­pla­qué, pan­neau de par­ti­cules, pan­neau de fibres, bois baké­li­sé, bois-ciment, bois-car­bone…, mais ils ne sont sou­vent com­mer­cia­li­sés que sous des noms de marques qui ren­seignent peu sur leur nature pré­cise. Les meilleures pers­pec­tives d’a­ve­nir du maté­riau bois se situent assu­ré­ment dans toute cette gamme qui va du bois mas­sif recons­ti­tué aux maté­riaux com­po­sites conte­nant du bois (voir l’ar­ticle de Daniel Guinard).

Quand la biodiversité rejoint la flexibilité

La varia­bi­li­té au sens large est pro­ba­ble­ment le han­di­cap majeur pour le bois dans sa com­pé­ti­tion avec les autres maté­riaux indus­triels. Elle est la tra­duc­tion directe de la bio­di­ver­si­té : diver­si­té des espèces, diver­si­té géné­tique au sein d’une espèce, diver­si­té his­to­rique durant la vie de l’arbre qui s’a­dapte à son environnement.

Aujourd’­hui le main­tien de la bio­di­ver­si­té est deve­nu un cre­do des socié­tés des pays indus­tria­li­sés. Cela signi­fie que la ten­dance qui sem­blait iné­luc­table et lourde de rem­pla­cer les forêts natu­relles par des plan­ta­tions amé­lio­rées géné­ti­que­ment (voire clo­nées) res­te­ra limi­tée à cer­tains espaces. Une bonne par­tie de la res­source en bois pro­vien­dra donc tou­jours de forêts où le mélange des essences est la règle (jus­qu’à plus de 200 essences arbo­rées dif­fé­rentes dans un hec­tare de forêt tro­pi­cale guyanaise).

Par ailleurs, il est deve­nu tout à fait cou­rant dans les indus­tries uti­li­sa­trices de maté­riaux et chez les concep­teurs de jon­gler avec des mil­liers de réfé­rences ren­voyant à des bases de don­nées de pro­prié­tés, usages, prix, disponibilité…

Les outils infor­ma­ti­sés de sélec­tion des maté­riaux et de concep­tion de com­po­sants per­mettent une réac­ti­vi­té et une créa­ti­vi­té qui rap­pellent celles des arti­sans du bois d’antan.

Il y a donc une révo­lu­tion qui n’est pas encore faite dans le monde du bois. Il paraît de plus en plus indis­pen­sable de dépas­ser le couple » essence de bois + expé­rience de l’ar­ti­san » par le tan­dem » fiche tech­nique de la pièce de bois consi­dé­rée (réper­to­riée dans une base de don­nées) + exper­tise de l’in­gé­nieur concep­teur (ou de l’ar­ti­san moderne) « . Cela per­met­trait de résoudre un double pro­blème de tra­ça­bi­li­té à l’ordre du jour : tra­ça­bi­li­té éco­lo­gique (ori­gine, ges­tion fores­tière, trai­te­ment par des pes­ti­cides) et tra­ça­bi­li­té tech­nique (den­si­té, module, dura­bi­li­té, sta­bi­li­té dimen­sion­nelle, couleur…).

Les uti­li­sa­teurs et concep­teurs de nou­veaux com­po­sants et pro­duits pour­raient ain­si soit uti­li­ser indif­fé­rem­ment un nombre impor­tant d’es­sences dif­fé­rentes pour un même usage pour­vu que la fiche tech­nique des pièces de bois uti­li­sées réponde au cahier des charges, soit opti­mi­ser leur uti­li­sa­tion dans des objets (du pan­neau sand­wich à la construc­tion de bâti­ment) où le » bon bois » serait uti­li­sé au » bon endroit » en fonc­tion de ses atouts.

Cela sup­pose un tra­vail consi­dé­rable pour que les bases de don­nées sur les bois et les sys­tèmes de mar­quage des pièces élé­men­taires de bois (planches, poutres, pla­cages…) se rap­prochent de ce qui se fait aujourd’­hui pour beau­coup d’autres matériaux.

Formation supérieure et recherche scientifique

L’en­sei­gne­ment supé­rieur sur le bois est dis­pen­sé dans trois écoles d’in­gé­nieurs, l’É­cole supé­rieure du Bois (Nantes), l’É­cole natio­nale des sciences, tech­niques et indus­tries du Bois (Épi­nal), l’É­cole natio­nale supé­rieure des Arts et Métiers (centre de Clu­ny) et dans deux uni­ver­si­tés (Nan­cy I et Bor­deaux I) qui coopèrent dans le DEA natio­nal » sciences du bois « .

On éva­lue à envi­ron 100 équi­va­lents temps plein le nombre de cher­cheurs qui étu­dient le bois. Ils sont répar­tis dans une dizaine de sites rele­vant d’é­ta­blis­se­ments publics (INRA, CIRAD, CNRS), d’un Centre tech­nique (CTBA) et de labo­ra­toires uni­ver­si­taires. Bien que ces ensei­gnants et ces cher­cheurs soient for­te­ment asso­ciés dans divers réseaux natio­naux et euro­péens, réseaux eux-mêmes asso­ciés à des réseaux spé­cia­li­sés dans la recherche fores­tière, cet effec­tif est faible en com­pa­rai­son de l’ef­fort scien­ti­fique consa­cré aux autres matériaux.

Les objets de recherche vont de l’arbre sur pied à la molé­cule, et les grandes dis­ci­plines concer­nées relèvent à la fois des sciences du vivant (phy­sio­lo­gie et bio­chi­mie végé­tale, zoo­lo­gie, ento­mo­lo­gie, patho­lo­gie…) et des sciences des maté­riaux (phy­sique, méca­nique, chi­mie…), l’im­bri­ca­tion de ces dis­ci­plines sur l’ob­jet aty­pique qu’est le bois ne faci­li­tant pas l’in­ser­tion de la recherche dans les struc­tures de la science académique.

Il existe de nom­breux et beaux ouvrages sur le bois, en voi­ci deux récents :

L’Atlas du Bois, sous la direc­tion de Patrick Gay, 2001. Édi­tions de Mon­za, 251 p.

► Bois de Marine, Jean-Marie Bal­lu, 2000. Édi­tions du Ger­faut, 153 p.

Il n’est pas pos­sible d’é­nu­mé­rer ici les thèmes de recherche de la com­mu­nau­té scien­ti­fique mais cet article per­met d’en entre­voir un cer­tain nombre.

En guise de conclu­sion, signa­lons une grande ambi­tion cares­sée par la recherche : com­prendre les méca­nismes de la for­ma­tion du bois au niveau cel­lu­laire et en déduire par démarche ascen­dante le fonc­tion­ne­ment des organes supé­rieurs pour arri­ver à pré­dire le com­por­te­ment du maté­riau extrait d’un arbre. Des avan­cées notables sont déjà réa­li­sées, par exemple en matière de méca­nique cel­lu­laire grâce aux nanotechnologies. 

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