L’aéroport bloquera-t-il le développement du transport aérien ?

Dossier : Trafic aérienMagazine N°535 Mai 1998
Par Marc PÉLEGRIN (43)
Par Éric FÉRON (86)
Par Bertrand DELCAIRE (Mines Paris 93)

L’aé­ro­port est le point cri­tique du sys­tème de trans­port aérien com­mer­cial, où pas­sa­gers et fret (qui sont la rai­son d’être de ce sys­tème et des orga­nismes qui le régulent) rejoignent ou quittent l’a­vion et son équipage.

De la bonne ges­tion de l’aé­ro­port dépend en grande par­tie le suc­cès du trans­port aérien com­mer­cial. En effet, la crois­sance actuelle du sys­tème mène sou­vent les aéro­ports à être l’élé­ment satu­rant du système.

Aux États-Unis, les com­pa­gnies aériennes estiment qu’en­vi­ron 90 % des retards subis par les vols régu­liers sont impu­tables à l’aé­ro­port et son envi­ron­ne­ment immé­diat, la zone terminale.

En Europe, la pré­sence d’un tra­fic aérien pour moi­tié en phase d’as­cen­sion ou de des­cente, cou­plée avec une poli­tique d’é­qui­pe­ment en aéro­ports nou­veaux, tend à réduire ce pour­cen­tage. La conges­tion des aéro­ports est néan­moins lar­ge­ment res­sen­tie dans le tra­fic à des­ti­na­tion ou pro­ve­nant de Londres-Hea­throw ou Francfort.

Face à ces nou­veaux besoins, plu­sieurs options sont envi­sa­geables. On peut tout d’a­bord construire de nou­veaux aéro­ports. Cet exer­cice se révèle tou­te­fois périlleux : bien que géné­ra­teur d’une extra­or­di­naire acti­vi­té éco­no­mique, un aéro­port construit près d’une grande ville est sou­vent mis à l’in­dex par les com­mu­nau­tés rive­raines en rai­son des nui­sances sonores. À l’in­verse, la construc­tion d’aé­ro­ports situés à grande dis­tance des villes est sou­vent un pis-aller, néces­si­tant l’ins­tal­la­tion d’in­fra­struc­tures lourdes per­met­tant le tran­sit rapide des pas­sa­gers de l’aé­ro­port vers la ville et vice ver­sa. Par ailleurs, le déve­lop­pe­ment d’un aéro­port nou­veau néces­site envi­ron vingt ans depuis sa concep­tion jus­qu’à sa mise en ser­vice, une période de temps pro­ba­ble­ment trop longue quand on consi­dère la crois­sance actuelle du tra­fic aérien à court terme.

Une solu­tion com­plé­men­taire, l’a­mé­lio­ra­tion de l’ex­ploi­ta­tion des aéro­ports exis­tants, si elle est pos­sible, est pro­ba­ble­ment une voie éco­no­mi­que­ment et poli­ti­que­ment plus rai­son­nable. Dans cet article, on se concentre donc essen­tiel­le­ment sur les façons d’a­mé­lio­rer le mou­ve­ment des avions autour de l’aé­ro­port, gar­dant néan­moins à l’es­prit qu’une des­crip­tion com­plète de l’aé­ro­port doit aus­si consi­dé­rer les aspects liés au confort du pas­sa­ger et à la ges­tion des accès au ter­mi­nal. Cette res­tric­tion faite, le fonc­tion­ne­ment d’un aéro­port peut être décrit par les contraintes affec­tant l’es­pace aérien d’ap­proche, les pistes de décol­lage et d’at­ter­ris­sage, les taxi­ways et les portes d’embarquement. Il est aus­si décrit par les besoins des hommes char­gés de sa ges­tion. On iden­ti­fie­ra donc les pro­blèmes qui se posent à ces dif­fé­rents niveaux, puis les moyens de modé­li­sa­tion et les amé­lio­ra­tions en cours.

Les rela­tions gou­ver­nant le fonc­tion­ne­ment d’un aéro­port sont très com­plexes, avec plu­sieurs échelles de temps, de mul­tiples sources d’in­for­ma­tion et des points de contrôle mul­tiples. En consé­quence, seule une approche de type » sys­tème » est vrai­ment capable d’ex­pri­mer la nature de ces inter­ac­tions com­plexes et en déduire des méca­nismes de ges­tion efficaces.

Dynamique et contraintes associées à la gestion des aéroports

Aspects macroscopiques

À l’é­chelle du sys­tème de trans­port aérien dans son ensemble, la per­for­mance d’un aéro­port est défi­nie par sa capa­ci­té, mesu­rée en termes de volume d’o­pé­ra­tions com­bi­nées (décol­lages et atter­ris­sages) pou­vant être effec­tuées par heure sans délais excessifs.

Figure 1
Enve­loppe de capa­ci­té pour des condi­tions météo­ro­lo­giques données.
Cas du grand aéro­port amé­ri­cain uti­li­sant plu­sieurs pistes sur les­quelles décol­lages et atter­ris­sages peuvent être combinés.
Figure 2
Enve­loppe de capa­ci­té pour des condi­tions météo­ro­lo­giques données.
Cas du gra​nd aéro­port euro­péen fonc­tion­nant constam­ment en condi­tions de vol aux ins­tru­ments et ne com­bi­nant pas décol­lages et atter­ris­sages sur une même piste.

La connais­sance de la capa­ci­té d’un aéro­port est essen­tielle à la ges­tion de l’es­pace aérien entier : la sécu­ri­té impose d’an­ti­ci­per la for­ma­tion poten­tielle d’embouteillages dans l’es­pace d’ap­proche d’un grand aéro­port. De nom­breuses méthodes ont donc été déve­lop­pées afin de cal­cu­ler la capa­ci­té des aéro­ports. Celle-ci est fonc­tion de plu­sieurs fac­teurs, prin­ci­pa­le­ment les condi­tions météo­ro­lo­giques (cou­ver­ture nua­geuse et vents), les types d’a­vion uti­li­sés et les pro­por­tions de décol­lages et d’at­ter­ris­sages. Comme ce der­nier para­mètre évo­lue au cours d’une jour­née, une repré­sen­ta­tion simple de la capa­ci­té d’un aéro­port dans des condi­tions météo­ro­lo­giques don­nées est don­née par l’in­té­rieur d’une courbe convexe comme mon­trée ci-dessous.

De telles courbes peuvent être obte­nues soit par mesures expé­ri­men­tales au seuil de piste, soit ana­ly­ti­que­ment par l’exa­men de la confi­gu­ra­tion des pistes de l’aé­ro­port et des pro­cé­dures (dis­tances mini­males de sépa­ra­tion entre avions). Les courbes de capa­ci­té des aéro­ports euro­péens res­semblent sou­vent à des rec­tangles, et varient peu avec les condi­tions météo­ro­lo­giques, comme on peut le voir ci-dessous.

Ces enve­loppes de capa­ci­té sont rec­tan­gu­laires parce que les grands aéro­ports euro­péens uti­lisent des pistes dif­fé­rentes pour les décol­lages et les atter­ris­sages, tan­dis que les Amé­ri­cains com­binent sou­vent décol­lages et atter­ris­sages sur les mêmes pistes. L’in­va­riance en fonc­tion des condi­tions météo­ro­lo­giques est due au fait que la plu­part des aéro­ports euro­péens uti­lisent constam­ment les pro­cé­dures les plus strictes (approche aux ins­tru­ments, » IFR »). Au contraire, les aéro­ports amé­ri­cains uti­lisent des pro­cé­dures moins strictes dès que le temps le per­met. En consé­quence, pour une confi­gu­ra­tion de pistes iden­tique et par beau temps, la capa­ci­té d’un aéro­port amé­ri­cain sera beau­coup plus éle­vée, comme le montre la courbe poin­tillée. Par mau­vais temps, les deux courbes auront ten­dance à se superposer.

Cette dif­fé­rence de stra­té­gie a au moins deux sources : une atti­tude dif­fé­rente du pas­sa­ger face au voyage en avion et les incer­ti­tudes qui y sont asso­ciées, et des condi­tions météo­ro­lo­giques plus favo­rable aux États-Unis. Les périodes de faible visi­bi­li­té sont en géné­ral plus fré­quentes en Europe. Par ailleurs, l’ap­proche amé­ri­caine intègre un fac­teur de risque impor­tant : une forte capa­ci­té par beau temps et des délais consi­dé­rables par mau­vais temps. Ain­si, le tra­fic dans l’en­semble des États-Unis a été for­te­ment per­tur­bé au cours du mois de jan­vier 1998 lors­qu’une zone météo­ro­lo­gique stable, géné­ra­trice de brouillards s’est fixée sur la côte Est.

La zone terminale

L’es­pace aérien envi­ron­nant un aéro­port impor­tant est orga­ni­sé de façon à faci­li­ter la mise en ordre pré­cise du tra­fic par les contrô­leurs aériens. Cette tâche est effec­tuée par le contrôle d’ap­proche (TRACON, pour Ter­mi­nal Radar Area CONtrol en anglais). Ce contrôle se situe à l’in­ter­face entre les centres en route (cf. l’ar­ticle de Joël Rault et Jean-Renaud Gély dans ce numé­ro) et la tour de contrôle de l’aéroport.

La sécu­ri­té est la pré­oc­cu­pa­tion essen­tielle des contrô­leurs en charge des mou­ve­ments aériens à proxi­mi­té de l’aé­ro­port. Cette sécu­ri­té est garan­tie par la sépa­ra­tion du tra­fic, sépa­ra­tion qui est plus dif­fi­cile dans cette zone puisque l’aé­ro­port concentre le tra­fic aérien. La sépa­ra­tion du tra­fic est réa­li­sée de manière pro­cé­du­rale : les avions à l’at­ter­ris­sage n’u­ti­lisent pas les mêmes volumes de l’es­pace aérien que les avions au décol­lage et les volumes d’es­pace aérien sous le contrôle d’a­gents dif­fé­rents sont dis­joints. Cela per­met une struc­tu­ra­tion natu­relle du tra­fic et la sépa­ra­tion des res­pon­sa­bi­li­tés au plan humain.

Ain­si, le contrôle d’ap­proche finale consiste à espa­cer pré­ci­sé­ment les avions afin de ne pas satu­rer la piste à l’at­ter­ris­sage. Cet espa­ce­ment est actuel­le­ment réa­li­sé par un humain, et subit dès lors des contraintes signi­fi­ca­tives. En effet, pour obte­nir un espa­ce­ment conve­nable, l’hu­main observe la posi­tion radar des avions et les fait pas­ser par des points géo­gra­phiques pré­cis nom­més » fee­ders » où il peut véri­fier leur espacement.

Les incon­vé­nients asso­ciés à cette orga­ni­sa­tion sont, outre l’im­po­si­tion de longs détours pour cer­tains avions (tous doivent pas­ser par le » fee­der »), une sen­si­bi­li­té mar­quée aux évé­ne­ments météo­ro­lo­giques : la pré­sence d’un petit orage au-des­sus d’un de ces » fee­ders » peut blo­quer l’ac­cès de l’aé­ro­port à plu­sieurs avions, et ain­si géné­rer des retards.

La piste

La piste est sou­vent l’élé­ment le plus impor­tant de l’aé­ro­port. Au plan de la sécu­ri­té, c’est en effet à la piste que les risques d’ac­ci­dents sont les plus grands et où ont eu lieu les acci­dents les plus meur­triers de l’a­via­tion civile. Au plan de la pro­duc­ti­vi­té d’un aéro­port, c’est sou­vent la piste ou la confi­gu­ra­tion de pistes qui déter­mine la capa­ci­té d’un aéroport.

Aéroport de Boston
Aéro­port de Bos­ton : confi­gu­ra­tion de pistes tri­an­gu­laire. Au pre­mier plan, de gauche à droite, piste 927. Pistes paral­lèles : 4L/22R (à gauche) et 4R/22L (à droite). Au second plan : piste 15R/33L. La piste 15L/33R, très courte, est visible en bout d’aéroport et ne sert que pour les tout petits avions.

Quand un aéro­port pos­sède plu­sieurs pistes orien­tées dif­fé­rem­ment, c’est la météo­ro­lo­gie, sou­vent com­bi­née avec des consi­dé­ra­tions d’ordre éco­lo­gique, qui déter­mine la confi­gu­ra­tion de pistes, le but étant de maxi­mi­ser le volume d’o­pé­ra­tions par heure.

En géné­ral, la confi­gu­ra­tion de pistes est rela­ti­ve­ment simple. Cepen­dant, elle peut être aus­si très sophis­ti­quée. L’aé­ro­port de Bos­ton en est un exemple : cinq pistes sont entre­la­cées de manière à for­mer un tri­angle. Les dis­sy­mé­tries de l’aé­ro­port sont évi­dentes, et sui­vant les condi­tions météo­ro­lo­giques, le nombre d’o­pé­ra­tions pos­sibles peut évo­luer beau­coup. On a recen­sé plus de trente confi­gu­ra­tions pos­sibles pour l’aé­ro­port de Bos­ton, la plu­part d’entre elles uti­li­sant simul­ta­né­ment des pistes sécantes. Par exemple, la confi­gu­ra­tion la plus capa­ci­tive uti­lise la piste 4L pour les décol­lages et atter­ris­sages d’a­vions de trans­port régio­naux (tur­bo­props), la piste 4R pour les atter­ris­sages de jets et le décol­lage des jets » lourds » (par exemple les vols trans­at­lan­tiques), et la piste 9 (au pre­mier plan) pour le décol­lage d’a­vions de tous types. Mais cette confi­gu­ra­tion est sen­sible aux intem­pé­ries et peut rapi­de­ment dégé­né­rer en une confi­gu­ra­tion où la piste 4R est seule uti­li­sée pour les arri­vées et les pistes 4L et 9 sont uti­li­sées pour les départs seule­ment. En effet, les pistes 4L et 4R sont trop proches pour effec­tuer des atter­ris­sages simul­ta­nés par mau­vaise visibilité.

Pour une confi­gu­ra­tion de pistes don­née, la res­pon­sa­bi­li­té du contrô­leur de piste est essen­tiel­le­ment d’as­su­rer la sécu­ri­té de toutes les opé­ra­tions. En par­ti­cu­lier, le contrô­leur est char­gé d’as­su­rer un espa­ce­ment adé­quat entre avions au décol­lage. L’une des situa­tions les plus dif­fi­ciles aux­quelles il doit faire face est l’in­cur­sion sur une piste d’un avion non auto­ri­sé, ce qui arrive encore fré­quem­ment, sur­tout par condi­tions de brouillard où le contrô­leur perd le contact visuel avec l’a­vion. Les incur­sions de piste sont la source de col­li­sions à grande vitesse entre avions et sou­vent fatales.

Transit entre terminaux et pistes

Les taxi­ways per­mettent le tran­sit des avions entre les pistes et les portes d’embarquement. Ils servent sou­vent de zones tam­pon, absor­bant les excès de tra­fic à l’ar­ri­vée si les portes d’embarquement ne sont pas encore dis­po­nibles, ou au départ, lorsque de nom­breux pilotes sou­haitent décol­ler. La ges­tion des taxi­ways est en géné­ral confiée à la tour de contrôle. Néan­moins, dans les aéro­ports uti­li­sés comme plaque tour­nante » hub » par une com­pa­gnie aérienne, tels que Paris CDG, Dal­las ou Chi­ca­go, la com­pa­gnie domi­nante contrôle aus­si les mou­ve­ments à proxi­mi­té de ses portes. Les prin­ci­pales dif­fi­cul­tés asso­ciées à la ges­tion des taxi­ways sont :

  • Le risque de » grid­lock » : si le rou­lage des avions n’est pas soi­gneu­se­ment coor­don­né, deux avions peuvent par exemple se retrou­ver face à face sur un taxi­way n’au­to­ri­sant pas de croi­se­ments. Un tel blo­cage se trans­met rapi­de­ment aux pistes et impose le détour­ne­ment des atter­ris­sages. Ce genre de situa­tion est heu­reu­se­ment rare, mais ce risque impose des direc­tions de cir­cu­la­tion très strictes.

  • Les contraintes envi­ron­ne­men­tales. La pré­sence simul­ta­née de plu­sieurs avions en attente de décol­lage est une source de pol­lu­tion signi­fi­ca­tive, cau­sant à la fois une consom­ma­tion inutile de car­bu­rant et des nui­sances sonores sup­plé­men­taires. C’est pour­quoi plu­sieurs aéro­ports limitent le nombre d’a­vions pré­sents sur cer­tains taxi­ways situés à proxi­mi­té des zones habi­tées. Un A 320 (envi­ron 170 sièges) consomme 350 kg/h de pétrole par réac­teur durant les mou­ve­ments au sol, qu’il roule ou qu’il soit en attente. Sur les grands aéro­ports, les avions attendent fré­quem­ment une quin­zaine de minutes avant de pou­voir décol­ler. Les rive­rains sont de plus en plus sen­sibles aux nui­sances acous­tiques des aéro­ports. Ils réclament avec rai­son que les mou­ve­ments au sol ne se fassent plus au moyen des réacteurs.

  • Les contraintes de visi­bi­li­té. Par très mau­vaise visi­bi­li­té, les sys­tèmes de gui­dage auto­ma­tiques (« ILS CAT‑3 ») assurent des atter­ris­sages en toute sécu­ri­té, mais aucune aide n’existe pour le gui­dage sur les bre­telles et sur la plate-forme. Le réseau de taxi­ways est alors l’élé­ment satu­rant du sys­tème, limi­tant les cadences d’at­ter­ris­sage et de décol­lage ! (Cf. à ce pro­pos l’ar­ticle de Ber­trand Augu.)

Portes d’embarquement

La ges­tion d’une porte d’embarquement est com­plexe car elle sup­pose la coor­di­na­tion de nom­breuses opé­ra­tions : le débar­que­ment et l’embarquement des pas­sa­gers et des bagages, le net­toyage de la cabine et la pré­pa­ra­tion tech­nique de l’a­vion (check-list, cal­culs de pesée, car­bu­rant, dégi­vrage, etc.). Les grands aéro­ports n’ont sou­vent pas assez de portes (ou de pas­se­relles d’embarquement) et il est par­fois néces­saire de faire attendre un avion à proxi­mi­té immé­diate d’un ter­mi­nal pen­dant de longues minutes. Situées à la char­nière entre les équipes des com­pa­gnies aériennes et le contrôle aérien, les opé­ra­tions de portes subissent de fortes pres­sions de part et d’autre. Ain­si, comme une com­pa­gnie contrôle un nombre limi­té de portes, ses opé­ra­tions de type » hub » (où, pen­dant une courte période, les avions arrivent par vagues, échangent leurs pas­sa­gers, et repartent) peuvent conduire à des situa­tions de » grid­lock » : les pas­sa­gers d’un avion ne peuvent débar­quer parce que leur porte est occu­pée par l’a­vion avec lequel ils sont pré­ci­sé­ment en correspondance !

Aux États-Unis et dans les grands aéro­ports euro­péens, pour des motifs com­mer­ciaux, les com­pa­gnies aériennes ont sou­vent l’u­sage exclu­sif de cer­taines portes ou ter­mi­naux. Cette pra­tique réduit la flexi­bi­li­té des infra­struc­tures aéro­por­tuaires et conduit à une sous-uti­li­sa­tion chro­nique des portes (ou, de manière équi­va­lente, à un sur­di­men­sion­ne­ment des ins­tal­la­tions). En com­pa­rai­son, cer­tains aéro­ports euro­péens, tels que Paris-CDG, ont éta­bli dans leurs ter­mi­naux les plus récents une ges­tion très effi­cace et flexible des portes, incluant en par­ti­cu­lier un éche­lon­ne­ment de la qua­li­té du ser­vice offert en fonc­tion de la demande glo­bale et des besoins des com­pa­gnies aériennes (lignes régu­lières ou charters).

Enfin, les com­pa­gnies aériennes ont effec­tué de gros efforts pour amé­lio­rer le ren­de­ment des portes, notam­ment en rédui­sant le temps de rota­tion des avions à la pas­se­relle d’embarquement. Cette ten­dance s’est mani­fes­tée spé­ci­fi­que­ment sur les liai­sons de type » navette « , pour les­quelles les temps de rota­tion ont été réduits jus­qu’à vingt-cinq minutes pour un Boeing 737.

Améliorer la productivité de l’aéroport à moyen terme

L’ap­proche » sys­té­mique » semble être la seule pos­sible pour envi­sa­ger des aéro­ports capables d’ac­cueillir un tra­fic double ou triple du tra­fic actuel. Les fac­teurs les plus impor­tants qui influencent l’é­tude et le déve­lop­pe­ment d’ou­tils pour amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té de l’aé­ro­port sont le ren­de­ment éco­no­mique, la sécu­ri­té et les fac­teurs humains. De ce point de vue, les outils trai­tant l’aé­ro­port et sa pro­duc­ti­vi­té au plan macro­sco­pique ont le double avan­tage de ne pas inter­fé­rer direc­te­ment avec les pro­blèmes de sécu­ri­té et de per­mettre des gains de pro­duc­ti­vi­té éco­no­mique signi­fi­ca­tifs. A contra­rio, les outils plus micro­sco­piques pré­sentent un poten­tiel consi­dé­rable, mais, de par leur nature » temps réel « , tendent aus­si à impli­quer de manière beau­coup plus directe les pro­blèmes de sécu­ri­té et de fac­teurs humains, et néces­sitent beau­coup plus de précautions.

Des outils macroscopiques d’analyse et de régulation

La plu­part des modèles mathé­ma­tiques effi­caces décri­vant l’aé­ro­port au plan macro­sco­pique sont simples : l’aé­ro­port est décrit comme le ser­veur d’une file d’at­tente consti­tuée par les avions en attente de décol­lage et d’at­ter­ris­sage. Les pro­ces­sus de départ sont sou­vent consi­dé­rés comme déter­mi­nistes, alors que les pro­ces­sus d’ar­ri­vées sont aléa­toires, de moyenne et de variance connues, variables en fonc­tion du temps. Ces modèles ont été implan­tés dans plu­sieurs outils de simu­la­tion rapide et à grande échelle de l’es­pace aérien. Du point de vue opé­ra­tion­nel, ils per­mettent de pré­voir l’in­ten­si­té des retards pour une demande don­née et d’a­dap­ter ain­si le tra­fic aux capa­ci­tés des aéro­ports avant même qu’il ne se soit for­mé. Un avion ne décolle que si l’on ne pré­voit pas de retard exces­sif à son aéro­port de des­ti­na­tion. Cette approche a été sui­vie aus­si bien par les avia­tions civiles euro­péennes qu’a­mé­ri­caines. Il s’a­git de la CFMU (Cen­tral Flow Mana­ge­ment Unit) en Europe et de la CFCF (Cen­tral Flow Control Faci­li­ty) aux États-Unis. Ces orga­nismes imposent de plus en plus sou­vent des » Ground Delay Pro­grams » qui limitent les décol­lages à des­ti­na­tion d’un aéro­port donné.

Ces pro­grammes sont tou­te­fois cri­ti­qués parce que trop conser­va­teurs : ce mode de régu­la­tion des flux réduit la réac­ti­vi­té du sys­tème aux varia­tions brusques et impré­vues des capa­ci­tés des aéro­ports. Comme pour tout pro­blème de régu­la­tion, l’ef­fi­ca­ci­té de ces outils dépend à la fois de leur capa­ci­té de contrôle des flux et de la dis­po­ni­bi­li­té d’in­for­ma­tions essen­tielles comme les heures de départ réel­le­ment pré­vues des avions. C’est pour­quoi ces pro­grammes ont été amé­lio­rés à deux niveaux. D’une part, ils sont main­te­nant répar­tis selon la dis­tance entre l’aé­ro­port de départ et l’aé­ro­port d’ar­ri­vée ; d’autre part, on a intro­duit des » réser­voirs » d’a­vions dans l’es­pace aérien final des aéro­ports bou­chés afin de pou­voir pro­fi­ter des amé­lio­ra­tions impré­vues de capa­ci­té. Enfin, les com­pa­gnies amé­ri­caines s’en­gagent main­te­nant à four­nir de meilleures infor­ma­tions sur leurs opé­ra­tions (pro­gramme » Col­la­bo­ra­tive Deci­sion Making »).

Régulation de la zone terminale

Les efforts d’a­mé­lio­ra­tion de la ges­tion de l’es­pace aérien envi­ron­nant les aéro­ports se sont prin­ci­pa­le­ment concen­trés sur les arri­vées. Les contraintes asso­ciées au pro­ces­sus d’ar­ri­vée sont de deux types : le main­tien de la sépa­ra­tion entre les avions néces­si­té par le sillage tour­billon­naire créé par les atter­ris­sages et l’o­bli­ga­tion de n’a­voir jamais plus d’un avion à chaque ins­tant sur une piste. Actuel­le­ment, ces sépa­ra­tions sont fixes et déter­mi­nées par le type de chaque avion. Par exemple, la table ci-des­sous décrit les sépa­ra­tions mini­males entre les avions à l’ar­ri­vée pour l’aé­ro­port de Bos­ton (ain­si que la plu­part des grands aéro­ports américains).

Avion sui­vant
Avion pré­cé­dent
Lourd Moyen Léger
Lourd 4 5 6
757 4 4 5
Moyen 2,5 2,5 4
Léger 2,5 2,5 2,5
Table 1 : sépa­ra­tions mini­males entre deux atter­ris­sages suc­ces­sifs pour l’aéroport de Bos­ton Logan (expri­mées en milles nautiques).

Il est pos­sible d’a­mé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té de la piste à l’at­ter­ris­sage en effec­tuant des per­mu­ta­tions limi­tées de l’ordre d’at­ter­ris­sage des avions et en essayant de réduire l’in­cer­ti­tude quant à l’es­pa­ce­ment entre avions à l’at­ter­ris­sage. Plu­sieurs pro­jets ont été menés dans ce but, que ce soit le pro­gramme MAESTRO (Moyen d’Aide à l’É­cou­le­ment Séquen­cé du Tra­fic avec Recherche d’Op­ti­mi­sa­tion) en France, COMPAS (Com­pu­ter Orien­ted Mete­ring Plan­ning and Advi­so­ry Sys­tem) en Alle­magne ou CTAS (Cen­ter Tra­con Auto­ma­tion Sys­tem) aux États-Unis. L’une des dif­fi­cul­tés essen­tielles ren­con­trées par ces outils est leur inté­gra­tion dans un envi­ron­ne­ment humain. Il s’a­git en effet de modi­fier les pra­tiques des contrô­leurs d’approche.

L’ex­pé­rience CTAS semble être sur ce point un suc­cès. Les contrô­leurs rap­portent que cet outil les conduit à régu­la­ri­ser leur per­for­mance à son meilleur niveau en l’ab­sence de l’ou­til, sans tou­te­fois affec­ter leur appré­hen­sion de la situa­tion. Ain­si, l’ou­til n’im­pose jamais de solu­tions, mais pro­pose cer­taines déci­sions. Sous-jacents à ces outils, on trouve des pro­grammes mathé­ma­tiques sophis­ti­qués effec­tuant essen­tiel­le­ment le fil­trage et la pré­dic­tion de tra­jec­toires et tes­tant des séquen­ce­ments d’a­vions pos­sibles. Les pre­miers tests à l’aé­ro­port de Dal­las-Fort Worth ont mon­tré des gains de pro­duc­ti­vi­té signi­fi­ca­tifs, de l’ordre de 10 à 15 % d’at­ter­ris­sages sup­plé­men­taires par piste. Ces gains de capa­ci­té peuvent être immé­dia­te­ment trans­fé­rés au niveau plus stra­té­gique décrit dans le para­graphe pré­cé­dent. Il est cepen­dant à noter que l’ou­til CTAS ori­gi­nal incluait beau­coup plus d’élé­ments d’au­to­ma­ti­sa­tion que l’ou­til réel­le­ment implan­té. En par­ti­cu­lier, il n’existe pas encore d’ou­tils d’es­pa­ce­ment auto­ma­tique des avions en approche finale.

Les com­pa­gnies aériennes ont rapi­de­ment com­pris les béné­fices qu’elles pou­vaient tirer d’un tel outil : grâce à CTAS, Ame­ri­can Air­lines peut pré­ci­sé­ment anti­ci­per les arri­vées d’a­vions à Dal­las et leur assi­gner des portes et du per­son­nel » juste à temps « .

Séquencement au départ

Contrai­re­ment à l’at­ter­ris­sage, il y a peu d’ou­tils opé­ra­tion­nels pour le séquen­ce­ment des avions au départ et les mou­ve­ments au sol. Les pro­jets d’é­tudes du séquen­ce­ment d’a­vions au départ en sont encore au stade expé­ri­men­tal et incluent, par exemple, les pro­jets TARMAC (Taxi And Ramp Mana­ge­ment And Control sys­tem) en Alle­magne et SMA (Sur­face Move­ment Advi­sor) ou DSEDM (Depar­ture Sequen­cing Engi­nee­ring Deve­lop­ment Model) aux États-Unis. Plu­sieurs approches ont été pro­po­sées : cer­tains outils, tels que TARMAC, ont déli­bé­ré­ment ten­té de gérer les mou­ve­ments au sol et le pro­ces­sus de départ de l’a­vion jusque dans ses plus menus détails. À l’autre extrême, les sys­tèmes SMA ou DSEDM ne se pro­posent que de gérer l’or­don­nan­ce­ment des mou­ve­ments à leur ini­tia­tion (repous­se­ment et décol­lage par exemple).

Avion sui­vant
Avion pré­cé­dent
Lourd Moyen Léger
Lourd 90 120 120
Moyen 60 60 60
Léger 60 60 60
Table 2 : sépa­ra­tions mini­males au départ dans le cas de l’aéroport de Bos­ton (expri­mées en secondes).

Ces der­niers outils, moins sophis­ti­qués, essayent de com­bi­ner de manière har­mo­nieuse les capa­ci­tés de cal­cul de l’or­di­na­teur et la flexi­bi­li­té de l’o­pé­ra­teur humain. Dans cette caté­go­rie d’ou­tils, on trouve aus­si le sys­tème Har­mo­nia dis­cu­té par Ber­trand Augu dans ce numé­ro. À pré­sent, la plu­part des outils ont démon­tré qu’ils pou­vaient amé­lio­rer de manière signi­fi­ca­tive le pro­ces­sus de départ. Néan­moins, ces outils se sont aus­si heur­tés à des pro­blèmes humains, car ils obligent les opé­ra­teurs à de nom­breuses mani­pu­la­tions sup­plé­men­taires : l’ou­til n’est utile que dans les périodes de forte acti­vi­té, périodes pen­dant les­quelles les contrô­leurs sont déjà surchargés.

Lors de la phase de départ, deux types de contraintes ont été iden­ti­fiés. D’une part, à cause des dif­fé­rences de sépa­ra­tions mini­males, l’ordre de départ des avions influe for­te­ment sur la cadence des décol­lages au niveau de la piste (cf. table 2). La com­bi­nai­son de ces règles de sépa­ra­tion avec les écarts de vitesse entre les dif­fé­rents types d’a­vions pose un très inté­res­sant pro­blème d’op­ti­mi­sa­tion dont le résul­tat final est le sui­vant : pour une popu­la­tion d’a­vions don­née, il vaut mieux grou­per les avions de même type. Cepen­dant, la mise en œuvre d’un tel séquen­ce­ment est contra­riée par le prin­cipe d’é­qui­té » pre­mier arri­vé, pre­mier ser­vi » sui­vi par les pilotes et les auto­ri­tés aériennes.

D’autre part, le pas­sage des avions du contrôle d’ap­proche au centre en route se fait plus ou moins faci­le­ment selon l’ordre dans lequel les avions décollent. Si plu­sieurs avions allant dans la même direc­tion décollent l’un après l’autre, cer­tains devront être ralen­tis pour qu’ils soient suf­fi­sam­ment sépa­rés dans le centre en route.

Dans les deux cas, l’ob­jec­tif essen­tiel de tout outil d’aide au départ réside dans le séquen­ce­ment des avions au seuil de piste. Sui­vant les aéro­ports, ce séquen­ce­ment peut être modi­fié soit » en conti­nu « , en sui­vant le pro­grès de l’a­vion en temps réel et en pla­ni­fiant sa tra­jec­toire en temps réel pour obte­nir le résul­tat dési­ré, soit de manière dis­crète, en contrô­lant les tran­si­tions de l’a­vion (par exemple contrôle de l’ins­tant du repous­se­ment). Il est notam­ment dif­fi­cile d’a­gir sur le séquen­ce­ment des avions quand ils sont en mou­ve­ment sur un taxi­way parce que le contrô­leur est sou­vent trop occu­pé à assu­rer la sécu­ri­té des mou­ve­ments au sol et à évi­ter les grid­locks. C’est pour­quoi il appa­raît que l’ordre dans lequel les avions quittent leurs portes est sou­vent for­te­ment cor­ré­lé avec l’ordre dans lequel ils arrivent à la piste de décol­lage, c’est-à-dire que les per­mu­ta­tions d’a­vions sont tou­jours d’am­pli­tude modé­rée. Dans ce cas, le tra­vail de séquen­ce­ment doit être fait avant que l’a­vion ne quitte la porte. Au contraire, un aéro­port éten­du com­por­tant plu­sieurs pistes tel que Paris-CDG auto­rise le séquen­ce­ment des avions à plu­sieurs étapes du tra­jet entre la porte et le seuil de piste. Ce type de séquen­ce­ment est pro­ba­ble­ment fai­sable en uti­li­sant les infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion et de contrôle actuelles.

Gestion « fine » de la piste

Comme on l’a sou­li­gné, le gou­let d’é­tran­gle­ment de l’aé­ro­port est le plus sou­vent la piste. Ain­si, comme en ges­tion de pro­duc­tion, toute action visant à amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té brute de la piste (le gou­let) contri­bue direc­te­ment à la pro­duc­ti­vi­té de l’aé­ro­port tout entier. Les limites actuelles à la pro­duc­ti­vi­té de la piste sont moti­vées par les impé­ra­tifs de sécu­ri­té ; toute modi­fi­ca­tion est donc sujette à un pro­ces­sus rigou­reux de véri­fi­ca­tion et de cer­ti­fi­ca­tion. Les fac­teurs limi­tant la pro­duc­ti­vi­té de la piste sont :

• Les stan­dards de sépa­ra­tion entre avions au décol­lage et à l’at­ter­ris­sage ont été éta­blis pour miti­ger l’ef­fet des tour­billons créés par la por­tance d’un avion sur l’a­vion lui suc­cé­dant. L’in­ci­dence des phé­no­mènes tour­billon­naires change consi­dé­ra­ble­ment en fonc­tion des condi­tions météo­ro­lo­giques : un léger vent laté­ral peut déri­ver les tour­billons de façon à ne gêner aucu­ne­ment l’a­vion sui­vant, mais peut avoir un effet sur les avions atter­ris­sant sur une piste paral­lèle. Jus­qu’i­ci des espa­ce­ments de sécu­ri­té fixes ont été défi­nis. Ils cor­res­pondent aux condi­tions les plus sévères et, par consé­quent, péna­lisent les cadences par beau temps. Plu­sieurs efforts portent donc sur la détec­tion des tour­billons et de leurs mou­ve­ments. Si ces efforts portent leurs fruits, il sera alors pos­sible de réduire les sépa­ra­tions mini­males de manière consi­dé­rable. Le pro­ces­sus de décol­lage en béné­fi­cie­ra immé­dia­te­ment, puisque la cadence à laquelle les avions peuvent accé­der à la piste peut pro­ba­ble­ment suivre faci­le­ment l’é­vo­lu­tion des condi­tions de vent sur cette piste. En revanche, il se peut que le pro­ces­sus d’at­ter­ris­sage ne béné­fi­cie pas autant d’une telle amé­lio­ra­tion, car les avions à l’ar­ri­vée sont géné­ra­le­ment espa­cés en vue de l’at­ter­ris­sage plu­sieurs minutes, voire plu­sieurs dizaines de minutes avant l’at­ter­ris­sage, et ne peuvent s’a­dap­ter faci­le­ment à une varia­tion brusque des condi­tions de piste. Ces avions pré­fé­re­ront donc suivre un espa­ce­ment cor­res­pon­dant aux pires espa­ce­ments pos­sibles, de peur d’a­voir à remettre les gaz.

• Les règles d’oc­cu­pa­tion des pistes imposent qu’il n’y ait jamais plus d’un avion pré­sent sur la piste à tout ins­tant. Tout assou­plis­se­ment de cette règle peut contri­buer à la pro­duc­ti­vi­té de l’aé­ro­port. Un pro­gramme de recherches à Londres-Hea­throw a per­mis de défi­nir des condi­tions dans les­quelles deux avions peuvent être simul­ta­né­ment pré­sents sur la piste. Il a aus­si exa­mi­né les concepts pou­vant mener à une réduc­tion du temps d’oc­cu­pa­tion des pistes par les avions : à l’ar­ri­vée, l’in­tro­duc­tion de » rampes de sor­ties pré­fé­ren­tielles » en fonc­tion de la masse et du type d’a­vion, et, au départ, la mise en place de pro­cé­dures de décol­lages avec pous­sée moteur accrue

Améliorer la productivité de l’aéroport à long terme

Dans cette sec­tion, nous exa­mi­nons quelques concepts dont l’ap­pli­ca­tion pour­rait amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té des aéro­ports, mais dont l’é­tude et l’im­plan­ta­tion ne devraient avoir lieu que dans quelques années.

Automatisation de l’aéroport : considérations générales

L’au­to­ma­ti­sa­tion par­tielle ou com­plète de l’aé­ro­port est un concept attrayant. En effet, il est com­mu­né­ment admis que les opé­ra­teurs humains actuel­le­ment char­gés de la ges­tion de l’aé­ro­port ne peuvent plus amé­lio­rer leur pro­duc­ti­vi­té sans l’aide d’ou­tils infor­ma­tiques rela­tifs à la pré­sen­ta­tion d’in­for­ma­tion et la par­ti­ci­pa­tion à la prise de déci­sion. Cepen­dant, les efforts récents d’au­to­ma­ti­sa­tion mas­sive, tels que le pro­jet AAS (Advan­ced Auto­ma­tion Sys­tem) aux États-Unis, se sont sol­dés par des échecs qua­si com­plets, en dépit de l’in­ves­tis­se­ment de plu­sieurs mil­liards de dol­lars sur le pro­jet. Les pro­grammes cana­diens (CAATS) ou anglais (NERC, New En Route Cen­ter) sont de manière simi­laire en mau­vaise pos­ture. L’une des rai­sons de ces échecs est le manque de connais­sances fon­da­men­tales sur la dyna­mique et les contraintes asso­ciées à des sys­tèmes com­plexes tels que le sys­tème de trans­port aérien civil : alors que le pilo­tage auto­ma­tique d’un avion de ligne est main­te­nant rela­ti­ve­ment bien com­pris et maî­tri­sé (cf. à ce pro­pos l’ar­ticle de Ber­nard Zie­gler), la com­mande auto­ma­tique et opti­male de plu­sieurs avions reste un sujet très dif­fi­cile, tant au plan des appli­ca­tions pra­tiques que des recherches fon­da­men­tales. En par­ti­cu­lier, l’au­to­ma­ti­sa­tion de la plate-forme aéro­por­tuaire se heur­te­ra à une dif­fi­cul­té fon­da­men­tale, la ges­tion de la sécu­ri­té. Les stan­dards de sécu­ri­té que doit satis­faire un sys­tème auto­ma­tique sont bien plus éle­vés que ceux que doit satis­faire un opé­ra­teur humain équi­valent : il est bien plus dif­fi­cile d’ac­cep­ter la res­pon­sa­bi­li­té des actions pré­co­ni­sées par un ordi­na­teur. Par ailleurs, prou­ver la sécu­ri­té d’un sys­tème auto­ma­tique est une tâche oné­reuse et très dif­fi­cile, située en fait à la fron­tière des connais­sances mathé­ma­tiques actuelles. Bien que des pro­grès sen­sibles aient été effec­tués dans ce domaine, on est encore très loin de pou­voir prou­ver la sécu­ri­té d’un sys­tème auto­ma­tique aéro­por­tuaire com­plexe. D’où la néces­si­té de lan­cer dès main­te­nant des recherches de base dans ce domaine.

Automatisation de la plate-forme aéroportuaire

La ges­tion auto­ma­tique des mobiles (avions et tous véhi­cules cir­cu­lant sur la plate-forme) ne concerne que les aéro­ports à grand tra­fic. Le gui­dage au sol des avions néces­site des équi­pe­ments aéro­por­tuaires complémentaires.

Un avion de type A 320 en tran­sit sur l’aé­ro­port consomme 350 kg de car­bu­rant par heure et par réac­teur, qu’il soit en mou­ve­ment ou non. De sur­croît, les contraintes de bruit et la pos­si­bi­li­té d’in­ci­dent moteur (ava­lage d’un débris au sol) motivent la dis­cus­sion d’une ges­tion auto­ma­ti­sée des mou­ve­ments d’a­vions au sol, leurs mou­ve­ments étant par exemple assu­rés par des trac­teurs die­sel consom­mant envi­ron 20 kg de car­bu­rant par heure.

S’il est dif­fi­cile pour un pilote ou le conduc­teur d’un camion arti­cu­lé ou d’un trac­teur de plu­sieurs remorques de connaître, de façon pré­cise, le volume que le véhi­cule arti­cu­lé occupe, on peut envi­sa­ger de faire cette esti­ma­tion avec une bonne pré­ci­sion par des moyens auto­ma­tiques. Il est éga­le­ment pos­sible de suivre le dépla­ce­ment de cette emprise volu­mique lors du dépla­ce­ment des véhicules.

En vue d’une ges­tion auto­ma­tique de tous les mobiles au sol, il est pro­po­sé d’ac­cro­cher à chaque avion un trac­teur dès sa sor­tie de piste, sur une par­tie de bre­telle rec­ti­ligne. Pour être com­pa­tible avec les cadences d’at­ter­ris­sage maxi­males (inter­valles de l’ordre de 50 secondes), il est néces­saire de pré­voir un accro­chage auto­ma­tique sans arrê­ter l’a­vion, celui-ci évo­luant à 5 nœuds. Au départ de la pas­se­relle, le mou­ve­ment de l’a­vion reste tou­jours assu­ré par le trac­teur ; la mise en route des réac­teurs peut être assu­rée quelques minutes avant la péné­tra­tion sur piste, vers la fin du remorquage.

Automatisation de la zone terminale

L’au­to­ma­ti­sa­tion de la zone ter­mi­nale (les outils de type MAESTRO ou CTAS) pour­rait être encore plus pous­sée. Par exemple, les algo­rithmes de CTAS ne dis­cutent actuel­le­ment ni de la notion de » point d’en­trée « , ni de l’a­li­gne­ment des avions sui­vant des routes pré­dé­fi­nies avant l’at­ter­ris­sage ou de la sépa­ra­tion des espaces aériens dévo­lus aux départs et aux arri­vées. Il est concep­tuel­le­ment pos­sible de rem­pla­cer ce sys­tème par un sys­tème beau­coup moins struc­tu­ré, dans lequel les avions pour­raient uti­li­ser des routes presque directes en direc­tion de la piste d’at­ter­ris­sage. Néan­moins, une telle phi­lo­so­phie requer­rait plu­sieurs élé­ments, qui sont :

. un moyen de posi­tion­ne­ment sûr de tous les avions présents,

. un sys­tème infor­ma­tique capable de gérer tous les avions pré­sents, en par­ti­cu­lier les pro­blèmes d’anticollision.

De ce point de vue, un » moyen unique et mon­dial de posi­tion­ne­ment » (de type GPS) asso­cié à un sys­tème iner­tiel embar­qué (les cen­trales à gyro-lasers) pré­sente un inté­rêt clair. Actuel­le­ment, ce sys­tème per­met un posi­tion­ne­ment à 100 m près sans uti­li­sa­tion de balises sol per­met­tant de tra­vailler » en dif­fé­ren­tiel « . Il n’est pas encore cer­ti­fié comme moyen unique de navi­ga­tion à cause de son manque » d’in­té­gri­té « . Cette défi­cience est en cours d’é­tude (sys­tèmes WAAS aux États-Unis, MTSAT au Japon), mais encore le sujet de contro­verses. La pré­ci­sion de 100 m est suf­fi­sante pour assu­rer le gui­dage des avions en zone ter­mi­nale à condi­tion que leurs posi­tions soient » rafraî­chies » au moins toutes les cinq secondes, cadence actuel­le­ment four­nie par les radars secon­daires de la plu­part des ter­rains assu­rant un tra­fic inter­na­tio­nal (la vitesse d’un avion en approche finale est d’en­vi­ron 70 m/s). L’a­dop­tion pro­bable de l’ADS‑B, capable de trans­mettre les posi­tions avion (ain­si que d’autres para­mètres) à des cadences supé­rieures à 1 Hz, devrait per­mettre au contrô­leur d’ap­proche une ges­tion de tra­fic beau­coup plus per­for­mante qu’aujourd’hui.

Tou­te­fois, la sen­si­bi­li­té de GPS au brouillage devra être réso­lue (cela pou­vant être fait grâce à l’in­tro­duc­tion pro­gres­sive de nom­breuses constel­la­tions de satel­lites de com­mu­ni­ca­tion, sur les­quelles le sys­tème de contrôle du tra­fic aérien pour­ra se fonder).

Pour les approches au sol, un sys­tème de navi­ga­tion par satel­lite ne per­met pas encore les atter­ris­sages par mau­vaise visi­bi­li­té (visi­bi­li­té ver­ti­cale 10 m, visi­bi­li­té hori­zon­tale 100 m). Le dilemme est alors le suivant :

. opter pour l’ins­tal­la­tion sys­té­ma­tique de balises au sol et des sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion balise-avion ; on ne pour­ra pas alors évi­ter des pro­cé­dures de contrôle de pré­ci­sion en plus des dis­po­si­tifs de véri­fi­ca­tion per­ma­nente du fonc­tion­ne­ment en condi­tions nomi­nales sur tous les ter­rains clas­sés » CAT‑3 « . L’en­tre­tien de ces balises sera à la charge des pays concer­nés : il n’est pas évident que tous les pays accep­te­ront cette charge tech­nique et financière ;

. accroître la pré­ci­sion actuelle du sys­tème de navi­ga­tion par satel­lite GPS. Dans ces condi­tions, le pilo­tage de l’a­vion se fera en manuel depuis une hau­teur de 10 à 15 m jus­qu’au tou­cher des roues, frei­nage dans l’axe de la piste, sor­tie de piste et che­mi­ne­ment jus­qu’à l’aé­ro­gare, grâce à un sys­tème de vision arti­fi­cielle qui res­ti­tue­ra sur un viseur » tête haute » une piste artificielle.

Cette der­nière solu­tion est attrayante : l’a­vion navigue de façon sûre grâce au GPS et peut se poser en toutes condi­tions météo­ro­lo­giques sur n’im­porte quel ter­rain si la lon­gueur de piste est suf­fi­sante ; seul un contrôle d’or­don­nan­ce­ment des vols reste et res­te­ra tou­jours, indis­pen­sable. Mais elle est com­plexe, car la res­ti­tu­tion d’i­mages à par­tir de don­nées » natu­relles » telles que l’é­mit­tance du sol dans diverses lon­gueurs d’onde, ou bien exci­tées par des dis­po­si­tifs à bord (Radars mil­li­mé­triques) néces­site un trai­te­ment d’in­for­ma­tion por­tant sur de nom­breux para­mètres. Les don­nées » natu­relles » sont en per­pé­tuelle évo­lu­tion durant la jour­née, seule l’u­ti­li­sa­tion de plu­sieurs bandes de fré­quence, soit simul­ta­né­ment, soit de façon adap­ta­tive, est envi­sa­geable ; le trai­te­ment de don­nées en temps qua­si réel, qui doit être fait, impose des pro­ces­seurs puissants.

Les pro­blèmes asso­ciés au déve­lop­pe­ment d’un sys­tème auto­ma­tique de ges­tion des avions sont, à nou­veau, essen­tiel­le­ment des pro­blèmes de cer­ti­fi­ca­tion. Réa­li­ser un sys­tème auto­ma­ti­sé de ges­tion d’a­vions mul­tiples est facile. Convaincre les ins­ti­tu­tions de sa fia­bi­li­té est extrê­me­ment dif­fi­cile, et la recherche fon­da­men­tale néces­saire pour com­prendre ce pro­blème ne fait que commencer.

Conclusion

Curieu­se­ment, les délais de réa­li­sa­tion d’un pro­jet entre la défi­ni­tion des spé­ci­fi­ca­tions et la sor­tie du pro­to­type sont extrê­me­ment variables sui­vant la nature du pro­jet : quatre ans pour un avion, quinze ans pour un nou­veau réac­teur, dix ans pour une cen­trale nucléaire de filière clas­sique. Com­bien faut-il de temps pour un aéroport ?

Là n’est pas le pro­blème. Un aéro­port est un sys­tème com­plexe qui évo­lue conti­nû­ment. Il allie des élé­ments de nature dif­fé­rente : la ges­tion des avions, ges­tion devant englo­ber la des­cente, l’ap­proche, l’at­ter­ris­sage, les che­mi­ne­ments au sol ; la ges­tion des pas­se­relles et des salles d’at­tente, les liai­sons aéroport-ville(s) et les liai­sons inter-aéro­gares, la ges­tion des bagages, etc., sans oublier que l’ob­jet de tous ces pro­blèmes – si l’on peut dire – est le pas­sa­ger. Il faut constam­ment l’in­for­mer et le conten­ter ! La crois­sance du tra­fic ne pour­ra être sou­te­nue que si les pro­blèmes de l’aé­ro­port sont réso­lus dans leur ensemble. Les solu­tions actuel­le­ment envi­sa­gées sont plus des pal­lia­tifs aux insa­tis­fac­tions quo­ti­diennes que de véri­tables solu­tions d’en­semble. Certes, il faut les pour­suivre car il faut satis­faire la demande. Mais l’aé­ro­port de 2010 ou 2015 ne sera très pro­ba­ble­ment pas une extra­po­la­tion des aéro­ports actuels : le pro­blème doit être pris glo­ba­le­ment dans le cadre de l’ap­proche système.

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