La trésorerie, clé de voûte du financement

Dossier : Le financement de l'innovationMagazine N°641 Janvier 2009
Par Thomas GALLORO

Cer­tains pro­jets pèchent par orgueil en pen­sant qu’il suf­fit de faire un bon pro­duit pour réus­sir. Durant la période de démar­rage il faut résoudre deux dif­fi­cul­tés majeures : d’une part le pro­duit ou ser­vice doit convaincre au-delà du simple cadre des amis et des sym­pa­thi­sants et d’autre part les pre­mières ventes sont sou­vent le pro­lon­ge­ment des contacts éta­blis depuis long­temps, alors que le cycle de ventes futures réa­li­sé avec de nou­veaux clients sera plus long. Ain­si trans­for­mer son intui­tion en ana­lyse de mar­ché équi­vaut à ne pas confondre inté­rêt réel et simple poli­tesse ou curio­si­té chez ses clients potentiels.

Évaluer la demande et non l’offre

Le chef d’en­tre­prise rêve de rompre le cercle de la concur­rence qui peut pro­ve­nir de n’im­porte qui et peut sur­ve­nir à tout moment, de n’im­porte où.

Le meilleur pro­duit est celui qui se vend

Il ne faut pas se trom­per de cible, en se com­pa­rant aux autres pro­duits concur­rents, on éva­lue l’offre et non la demande, ce qui éloigne du besoin du client.

Le phé­no­mène récur­rent des pro­jets d’in­no­va­tion tech­no­lo­gique est le grand nombre d’ap­pli­ca­tions atten­dues, qui peut lais­ser croire que le mar­ché a un poten­tiel très impor­tant. La dis­per­sion des moyens consti­tue une vul­né­ra­bi­li­té. Il faut donc déter­mi­ner les seg­ments de mar­ché à tou­cher en prio­ri­té et les moda­li­tés d’ac­cès. Le meilleur pro­duit est celui qui est ven­du et non celui dont la tech­no­lo­gie est la plus puissante.

Le jockey est aussi important que le cheval

Les suc­cess sto­ries sont fré­quem­ment attri­buées à un indi­vi­du excep­tion­nel qui est l’en­tre­pre­neur ou l’in­no­va­teur » héroïque « . Ce vision­naire hors du com­mun est cen­sé se déme­ner seul contre tous dans un com­bat qua­si épique.

Habi­tuer les clients
Un piège sou­vent ren­con­tré : pen­ser que seuls les argu­ments tech­niques de vente suf­fisent et qu’a­vec une tech­no­lo­gie ou offre plus per­for­mante que les pré­cé­dentes, le mar­ché s’ou­vri­ra natu­rel­le­ment. À tort. La clien­tèle poten­tielle demande à s’ha­bi­tuer et à s’adapter.

En réa­li­té il faut recon­naître le rôle fon­da­men­tal joué par une équipe aux com­pé­tences com­plé­men­taires qui se tra­dui­ra par la capa­ci­té à résis­ter au stress en ayant du dis­cer­ne­ment et du bon sens.

L’une des prin­ci­pales causes d’é­chec est un mana­ge­ment inadap­té : savoir s’en­tou­rer est donc pri­mor­dial. Si la greffe ne prend pas, cela se tra­duit par des mois de retard et un risque accru d’af­fai­blir la société.

Recru­ter est par­fois aus­si dif­fi­cile que de trou­ver de l’argent. En phase de démar­rage le recru­te­ment a sou­vent lieu en situa­tion d’ur­gence sans plan d’ac­tion. Consé­quences ? Défi­ni­tions de poste floues, quand elles existent, salaires mal maî­tri­sés, recru­te­ment par copi­nage plus que par coop­ta­tion, retards dans le déve­lop­pe­ment, la com­mer­cia­li­sa­tion. Créer une dream team, c’est créer une culture d’en­tre­prise et révé­ler le poten­tiel des collaborateurs.

S’en­tou­rer de com­pé­tences au sein d’un conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, ou en ouvrant le capi­tal à des busi­ness angels est aus­si un moyen de se for­mer au quo­ti­dien et d’ac­cé­lé­rer la péné­tra­tion d’un marché.

Apprécier les délais

» Le mar­ke­ting fait son­ner le télé­phone ; les ventes trans­forment l’ap­pel en prise de commande. »

Atten­tion aux grandes entreprises
Les rela­tions avec les grandes entre­prises sont cou­ram­ment recher­chées comme réfé­rence ou sésame. Or ces der­nières ont une cer­taine aver­sion au risque en crai­gnant » d’es­suyer les plâtres « . L’a­che­teur est éga­le­ment inci­té à tra­vailler avec un four­nis­seur connu plu­tôt qu’a­vec une jeune entre­prise qui peut dis­pa­raître rapi­de­ment. En outre, le manque de réac­ti­vi­té de la grande entre­prise après un pre­mier contact est récur­rent, avec un cir­cuit d’ap­pro­ba­tion long. Les inter­lo­cu­teurs tech­niques dans les grands groupes n’ont pas le pou­voir de déci­der d’un achat et doivent res­pec­ter un cir­cuit interne qui n’est pas tou­jours repé­ré par la PME.

Pour le lan­ce­ment d’un pro­duit tech­no­lo­gique, il est fré­quent de voir des ingé­nieurs retar­der la mise sur le mar­ché car ils veulent mettre au point le » cou­teau suisse » : ils sur­es­timent trop sou­vent le fac­teur tech­no­lo­gique au détri­ment du marketing.

L’en­tre­prise doit fran­chir avec suc­cès une bat­te­rie de tests tech­niques ou pilotes car la com­mande défi­ni­tive du client pren­dra du temps. De ce fait il est impor­tant de recru­ter des ven­deurs qui ont l’ex­pé­rience du mar­ché visé et savent appré­cier les délais de commercialisation.

Il faut faire prendre conscience aux déve­lop­peurs que la mise au point du pro­duit n’est pas une fin en soi mais qu’elle doit conduire à un cycle ver­tueux : chiffre d’af­faires, résul­tat et enfin trésorerie.

C’est lors des pre­miers contacts com­mer­ciaux qu’ap­pa­raissent les dif­fi­cul­tés : une muta­tion tech­no­lo­gique qui peut chan­ger fon­da­men­ta­le­ment les rela­tions avec les clients ne se décide pas immédiatement.

Identifier les points critiques

Les pro­jets inno­vants sont de loin les plus longs à faire abou­tir ; études de fai­sa­bi­li­té, de mar­ché, recherche de finan­ce­ment sont autant d’é­tapes lourdes qui pèsent sur leur concré­ti­sa­tion rapide.

L’une des prin­ci­pales causes d’échec est un mana­ge­ment inadapté

Il est néces­saire d’i­den­ti­fier les points cri­tiques, hié­rar­chi­ser les prio­ri­tés et éla­bo­rer un retro­plan­ning, accé­lé­rer et cré­di­bi­li­ser les prises de contact afin de don­ner une lisi­bi­li­té sur le financement.

Rédi­ger un busi­ness plan per­met de com­prendre com­ment et quand l’en­tre­prise devrait déga­ger du béné­fice. En revanche suivre à la lettre le busi­ness plan est très théo­rique sur un mar­ché inter­ac­tif. Il est dif­fi­cile de savoir quel sera le chiffre d’af­faires dans trois ans quand on ne sait pas si on aura des clients dans six mois. D’où l’in­té­rêt de bornes ou mile-stones pour rec­ti­fier en continu.

L’in­no­va­tion n’est pas tou­jours syno­nyme de ren­ta­bi­li­té. L’é­chec arrive plus rapi­de­ment que la réus­site : en géné­ral au bout de dix-huit à vingt-quatre mois. Un déca­lage du time to mar­ket retarde l’é­qui­libre finan­cier et crée un nou­veau besoin de financement.

Budget de trésorerie, ou cash is king

Pour finan­cer des besoins glou­tons en mar­ke­ting, R & D, etc., tenir compte des délais d’a­chat et retar­der au maxi­mum la crise de tré­so­re­rie syno­nyme de liqui­da­tion, il faut uti­li­ser toutes les bonnes fées de l’é­co­sys­tème. Les sources de finan­ce­ment directes ou indi­rectes sont nom­breuses mais très utiles selon le sta­tut inno­vant : CIR, JEI, pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, Oseo, prêts d’hon­neur, sub­ven­tions, pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, busi­ness angels.

Gare à l’optimisme
La quête du » Graal finan­cier » n’est pas évi­dente car la socié­té inno­vante se carac­té­rise par des coûts fixes impor­tants et des cash flows néga­tifs avec un recours dif­fi­cile voire impos­sible à la dette ban­caire. Une fois les fonds per­son­nels et ceux des rela­tions proches uti­li­sés, cer­tains dos­siers ont du mal à se finan­cer. Les moyens com­mer­ciaux et les délais de concré­ti­sa­tion sont sou­vent sous-esti­més alors que les pro­ces­sus d’a­chat sont longs, sur­tout auprès de grands comptes, ce qui conduit par­fois à un busi­ness plan trop optimiste.

Le repor­ting le plus impor­tant est donc bien celui de la tré­so­re­rie dis­po­nible : en amor­çage il est rare que l’en­tre­prise atteigne son équi­libre et il est donc essen­tiel de connaître le temps pen­dant lequel elle pour­ra main­te­nir son acti­vi­té avec les fonds obte­nus. Res­pec­ter les bud­gets et les délais est essen­tiel pour réagir à temps.

L’é­ta­blis­se­ment d’un crash case ou crash-test est vive­ment conseillé, en déca­lant de six mois l’es­ti­ma­tion du chiffre d’af­faires, et donne ain­si un aper­çu de la tré­so­re­rie à reconstituer.

Un bud­get de tré­so­re­rie est impé­ra­tif pour conver­tir les fonds injec­tés dans l’en­tre­prise, en mois de charges, afin d’é­vi­ter la spi­rale infer­nale de recherche de tré­so­re­rie. Lorsque le burn rate des­cend en des­sous de quatre à cinq mois (ou davan­tage si la période com­prend la période esti­vale), il faut tirer le signal d’a­larme car c’est le temps qu’il faut en moyenne pour recher­cher rapi­de­ment d’autres sources de financement.

Des tours de table successifs

Les tableaux de bord per­mettent d’an­ti­ci­per, car les tours de table ou l’a­dos­se­ment à un groupe indus­triel, à même d’as­su­rer la péren­ni­té, sont longs et dif­fi­ciles à réaliser.

Il faut évi­ter de se trou­ver en situa­tion déli­cate lors de la recherche de fonds en rai­son d’une tré­so­re­rie insuf­fi­sante qui ne per­met pas d’être en posi­tion de force dans les négociations.

En outre, rares sont les inves­tis­seurs qui acceptent d’in­ter­ve­nir en second tour si le chiffre d’af­faires n’at­teint pas envi­ron un mil­lion d’eu­ros. Cette borne per­met d’être visible sur le mar­ché et donne ain­si une cré­di­bi­li­té pour les investisseurs.

Il est donc impé­ra­tif de finan­cer l’en­tre­prise dans sa phase de démar­rage pour au moins dix-huit à vingt-quatre mois et lui don­ner ain­si les moyens suf­fi­sants pour son déve­lop­pe­ment com­mer­cial et la consti­tu­tion d’une bonne équipe.

Cerner les besoins

L’en­jeu de l’in­no­va­tion est de créer une dif­fé­rence sur un mar­ché exis­tant ou nais­sant ce qui induit un double besoin, finan­cier et de conseil.

Il est dif­fi­cile d’estimer le chiffre d’affaires dans trois ans quand on ne sait pas si on aura des clients dans six mois

Par défi­ni­tion unique, cette entre­prise cumule de nom­breux han­di­caps liés à une alchi­mie sub­tile et com­plexe qui prend en compte l’en­vie d’un por­teur de pro­jet et la réa­li­té d’un mar­ché qui ne l’a pas atten­du. Un mar­ché n’est pas homo­gène ni constant : les pro­grès réa­li­sés en même temps par les pro­cé­dés concur­rents bou­le­versent régu­liè­re­ment la donne.

La dif­fi­cul­té pour un inter­ve­nant finan­cier est de cer­ner les innom­brables facettes de besoins très hété­ro­gènes avec des grilles d’a­na­lyses nom­breuses où la déci­sion est sou­vent empreinte de subjectivité.

Face à une inno­va­tion ses pre­miers réflexes peuvent l’a­me­ner à pen­ser » ça ne mar­che­ra jamais ou cela existe déjà « . En outre for­ger son juge­ment est un véri­table art, tant les pro­jec­tions finan­cières sont déli­cates à défi­nir, les hypo­thèses intui­tives et les ins­tru­ments d’é­va­lua­tion complexes.

Goutte d’eau et goutte d’huile

En outre rares sont les entre­prises qui réa­lisent leur busi­ness plan ini­tial, même celles qui ont connu de belles performances.

Pour un busi­ness angel comme pour un inves­tis­seur ins­ti­tu­tion­nel, inves­tir 300 000 euros dans un pre­mier tour d’une entre­prise inno­vante est une goutte d’eau par rap­port aux fonds dis­po­nibles sur le mar­ché, mais elle repré­sente éga­le­ment une goutte d’huile qui per­met de pas­ser un cap, tout en fédé­rant l’é­co­sys­tème financier.

Pour cet inves­tis­seur, il est vive­ment conseillé de gar­der une réserve : pour un inves­tis­se­ment de 100, il doit conser­ver deux à trois fois cette somme pour suivre un pro­chain tour très probable.

IDF Capi­tal
IDF Capi­tal est une socié­té de capi­tal-risque qui compte par­mi ses action­naires le Conseil régio­nal d’Île-de-France, les banques régio­nales, la CDC, diverses chambres de com­merce et d’in­dus­trie de la région et des indus­triels. Depuis sa créa­tion en 1995, IDF Capi­tal a inves­ti dans 185 entre­prises. L’es­sen­tiel de ses inves­tis­se­ments a été réa­li­sé dans des entre­prises inno­vantes. L’in­no­va­tion sou­te­nue l’a été sous toutes ses formes : tech­no­lo­gique, pro­duit, mar­ché, pro­cé­dés. Du com­merce équi­table aux logi­ciels de sécu­ri­té, 3D ou intel­li­gence éco­no­mique, de la moto taxi à l’or­ga­ni­sa­tion de voyages scien­ti­fiques, des jeux sur télé­phone à la prise élec­trique révo­lu­tion­naire, l’in­no­va­tion ren­con­trée par IDF Capi­tal met en évi­dence des para­mètres récur­rents mais com­plexes à manier.

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