La situation démographique exige des mesures vigoureuses

Dossier : La démographie déséquilibréeMagazine N°639 Novembre 2008
Par Christian MARCHAL (58)

5 novembre 1998. C’est la der­nière des jour­nées » Science et Défense « , à Paris, à la Cité des sciences. Les par­ti­ci­pants sont uni­ver­si­taires, cher­cheurs, ingé­nieurs, mili­taires, indus­triels ; tous gens sérieux, com­pé­tents, sou­cieux d’in­for­ma­tion, sur­tout dans cette ses­sion » pros­pec­tive » où l’on dis­cute de l’avenir.

L’o­ra­teur est un uni­ver­si­taire spé­cia­li­sé dans l’a­na­lyse des guerres, il sou­tient, mal­gré le Viet­nam et l’Af­gha­nis­tan, que dans les guerres futures le camp dis­po­sant du meilleur arme­ment l’emportera tou­jours car, ajoute-t-il, le nombre des com­bat­tants n’est pas un pro­blème ; des jeunes il y en a de plus en plus. Je lève la main en disant » objec­tion ! » et, devant les regards inter­ro­ga­teurs, je pré­cise : » Des jeunes il y en a de moins en moins. » Le pré­sident de séance inter­vient : » Ques­tion impor­tante, nous en dis­cu­te­rons à la fin. » 

Si nous continuons comme aujourd’hui l’Europe de 2030 sera un asile de vieillards

Le solde migra­toire réel est trois ou quatre fois supé­rieur à celui qui a ser­vi pour éta­blir les plans gouvernementaux

La ses­sion se ter­mine, on me donne deux minutes et je pro­jette sur l’é­cran la pyra­mide des âges de l’Eu­rope des Quinze, l’U­nion euro­péenne de ce temps-là (figure ci-contre, avec la pyra­mide actuelle, dix ans plus tard). Je déclare : » Depuis 1965 le nombre annuel des nais­sances euro­péennes recule conti­nuel­le­ment, il a déjà chu­té de plus d’un tiers. La popu­la­tion totale conti­nue encore d’aug­men­ter un peu à cause de la crois­sance de l’es­pé­rance de vie, mais il y a de plus en plus de vieux et de moins en moins de jeunes. »

» Les jeunes Euro­péennes de 25 à 39 ans (zone hachu­rée) sont 43 mil­lions. Dans vingt-cinq ans elles seront rem­pla­cées par celles de 0 à 14 ans qui ne sont que 31 mil­lions. Donc, ou bien l’on don­ne­ra aux jeunes couples qui vont venir les moyens d’a­voir plus d’en­fants que leurs parents (mais pas néces­sai­re­ment autant que leurs grands-parents), ou bien l’Eu­rope de 2030 sera un asile de vieillards que les rares jeunes, écra­sés par les charges, fui­ront pour des cieux plus cléments. »

Réac­tion stu­pé­fiante de cet audi­toire de pros­pec­ti­vistes, dix secondes de silence total, puis une voix blanche demande : » C’est sérieux ce que vous nous dites là ? » Oui c’est sérieux, ce sont les sta­tis­tiques offi­cielles de l’Europe ! 

Une prise de conscience en Europe

Dix ans ont pas­sé, où en sommes-nous ? On peut carac­té­ri­ser la situa­tion actuelle en écrivant :

Les ado­les­cents du nord de l’Inde savent déjà qu’un cin­quième d’entre eux n’auront jamais d’épouse

1) le monde, excep­tion faite de l’A­frique noire, suit les voies de l’Eu­rope avec une sur­pre­nante rapi­di­té. Les Magh­ré­bines d’au­jourd’­hui ont trois fois moins d’en­fants que leurs mères ;

2) de nou­velles ten­dances appa­raissent avec en par­ti­cu­lier l’a­vor­te­ment pré­fé­ren­tiel des filles (voir l’ar­ticle de Gilles Pison en page 16) : aujourd’­hui 20 mil­lions de filles manquent dans la seule Union indienne et les ado­les­cents du nord de l’Inde savent déjà qu’un cin­quième d’entre eux n’au­ront jamais d’épouse… ;

3) une cer­taine conscience de la gra­vi­té de la situa­tion se mani­feste en Europe, mais le moins que l’on puisse remar­quer est que la figure montre que cette prise de conscience n’a pas encore pro­duit beau­coup de résul­tats : le vieillis­se­ment conti­nue de s’ag­gra­ver et la nata­li­té conti­nue de bais­ser, il est vrai moins vite… Il faut dire que nous rece­vons des mes­sages contra­dic­toires, d’une part les Euro­péens prennent peu à peu conscience des effets néfastes d’un vieillis­se­ment dés­équi­li­bré, mais d’autre part les éco­lo­gistes leur disent cou­ram­ment : » Nous sommes trop nom­breux ! » Certes les éco­lo­gistes envi­sagent la situa­tion mon­diale et non celle de la seule Europe où, avec 1,45 enfant par femme, en moyenne on ne peut vrai­ment pas dire qu’il y a trop d’en­fants, bien au contraire ! Mais leur vue glo­bale les fait négli­ger des néces­si­tés plus urgentes et plus graves : la paix de l’hu­ma­ni­té n’a jamais sur­vé­cu à des dés­équi­libres démo­gra­phiques trop pro­non­cés et de toute façon il est éco­lo­gi­que­ment rai­son­nable de viser à l’é­qui­libre et au simple rem­pla­ce­ment des géné­ra­tions européennes.

L’Europe des Quinze : A – B – D – DK – E – F – GB – GR – I – IRL – L – NL – P – S – SF le 1–1‑1997 et le 1–1‑2007 (en pointillé).
Ces deux pyra­mides des âges sont en pour­cen­tage de chaque tranche d’un an sur la popu­la­tion totale, laquelle était de 373 mil­lions en 1997 et 390 mil­lions en 2007
Mal­gré l’arrivée de plus de dix mil­lions d’immigrants, pour la plu­part jeunes, le vieillis­se­ment en dix ans est fla­grant et mas­sif : de plus en plus de vieux et de moins en moins de jeunes.
Cepen­dant la nata­li­té baisse moins vite qu’auparavant et le vieillis­se­ment pour­rait être effi­ca­ce­ment com­bat­tu par une reprise de la nata­li­té et donc un élar­gis­se­ment de la base. C’est sans doute une condi­tion pour un accueil serein des immigrants.

Relativiser le principe de précaution

Bien enten­du, dans la situa­tion et la confu­sion actuelles, au milieu des dif­fi­cul­tés mon­tantes du vieillis­se­ment et de l’en­vi­ron­ne­ment, il convient de rela­ti­vi­ser le para­ly­sant » prin­cipe de pré­cau­tion « . Certes on ne peut expé­ri­men­ter n’im­porte quoi sans s’en­tou­rer de toutes les pré­cau­tions rai­son­nables, mais il ne faut pas aller trop loin. Que se serait-il pas­sé si l’on avait appli­qué le prin­cipe de pré­cau­tion tel quel il y a un siècle lors de la nais­sance de l’au­to­mo­bile et des appli­ca­tions de l’élec­tri­ci­té ? Les cochers de l’é­poque et leurs par­ti­sans cla­maient haut et fort que c’é­taient là choses fort dan­ge­reuses – et elles le sont effec­ti­ve­ment quand elles sont mal uti­li­sées – ils mul­ti­pliaient pro­tes­ta­tions, mani­fes­ta­tions, péti­tions et même blo­cages de cer­tains car­re­fours ; les plus exal­tés d’entre eux flan­quaient des coups de fouets sur les auto­mo­biles et les conduc­teurs qu’ils croi­saient ! Mais si on les avait écou­tés, où en serait la France aujourd’­hui ? Sans doute n’exis­te­rait-elle même plus…

Maxi­mum 500 millions
Les éco­lo­gistes les plus radi­caux perdent le sens des réa­li­tés. Il faut lire leurs » tables de la loi « , le célèbre monu­ment des envi­rons d’At­lan­ta (voir sur le Web le site google.fr, puis pas­ser à l’in­ter­na­tio­nal et deman­der Geor­gia guidestones).
Sur de grandes pierres levées sont ins­crites en douze langues les prin­cipes de base du mou­ve­ment éco­lo­gique. Le pre­mier d’entre eux spé­ci­fie : » Nous nous enga­geons à vivre en har­mo­nie avec la nature et à ne pas dépas­ser le nombre de 500 mil­lions d’êtres humains. » Alors ? 500 mil­lions d’é­lus et 6 mil­liards de dam­nés ? Un tel pro­gramme peut être consi­dé­ré comme par­fai­te­ment uto­pique et peut faire sou­rire, mais n’ou­blions pas que Mein Kampf et Le Capi­tal ne furent guère pris au sérieux quand il était encore temps.
Puis, ayant pris le pou­voir, les mar­xistes consta­tèrent que les » classes dépé­ris­santes » de Karl Marx – la noblesse, puis la bour­geoi­sie et les pay­sans riches, les kou­laks – que ces classes ne dépé­ris­saient pas assez vite, ils ont donc déci­dé de for­cer le mou­ve­ment… Les méthodes mus­clées des éco­lo­gistes actuels » défen­seurs des ani­maux » ou » anti-OGM » qui van­da­lisent les labo­ra­toires, » libèrent les ani­maux » et conspuent les cher­cheurs et leurs familles jusque dans leurs domi­ciles montrent dès aujourd’­hui que la ques­tion n’est pas seule­ment aca­dé­mique ! D’une manière géné­rale est poten­tiel­le­ment catas­tro­phique toute idéo­lo­gie qui divise l’hu­ma­ni­té en bons, qu’il faut sau­ver, et mau­vais, qui peuvent dis­pa­raître. Que se pas­se­ra-t-il si, par exemple, un éco­lo­giste convain­cu qu’il faut réduire consi­dé­ra­ble­ment l’hu­ma­ni­té pour » sau­ver la Terre » découvre ou se trouve capable de fabri­quer un virus inof­fen­sif pour ceux de son groupe san­guin et mor­tel pour les autres ? Quelles seront alors les réac­tions ? Soyons convain­cus que l’hu­ma­ni­té se sau­ve­ra ou se per­dra dans son ensemble. Ce pré­cepte vaut aus­si bien pour les idéa­listes, pour qui c’est une évi­dence, que pour les cyniques, qui savent bien que la puis­sance et la varié­té des armes modernes rendent pro­di­gieu­se­ment dan­ge­reuse toute solu­tion inéquitable.

L’immense migration internationale

Le phé­no­mène démo­gra­phique actuel le plus spec­ta­cu­laire est bien sûr l’im­mense migra­tion inter­na­tio­nale qui concerne les trois quarts des nations. C’est pour la plus grande part un exode rural à échelle mon­diale tout à fait ana­logue à celui que nous avons connu naguère à l’é­chelle natio­nale mais qui atteint désor­mais le rythme de 50 mil­lions par an (voir l’ar­ticle de Mar­cel Mazoyer en page 12) dont plu­sieurs mil­lions par­viennent jus­qu’en Europe soit régu­liè­re­ment (voir l’ar­ticle de Maxime Tan­don­net en page 18) soit clan­des­ti­ne­ment (voir l’ar­ticle de Fran­çois-Noël Buf­fet en page 30).

L’État est contraint de louer en per­ma­nence 12 000 places d’hôtel

En France ce phé­no­mène a été long­temps mini­mi­sé par les ser­vices offi­ciels, le » solde migra­toire » (les entrées moins les sor­ties) était » esti­mé a prio­ri à 100 000 par an » et toutes les ana­lyses et pré­vi­sions ain­si que les pré­pa­ra­tifs (loge­ments, emplois, etc.) étaient faits en fonc­tion de cette estimation.

Cette situa­tion a entraî­né des contro­verses dans le milieu des démo­graphes, d’au­tant plus que le recen­se­ment de 1999 a été sévè­re­ment contes­té et qu’un nou­veau mode de recen­se­ment a été mis en oeuvre sans beau­coup d’ex­pé­ri­men­ta­tion préa­lable (voir, par exemple, les articles de Sté­fan Lol­li­vier en page 36 et de Gérard-Fran­çois Dumont en page 40 expri­mant les deux thèses opposées).

Fina­le­ment l’Ins­ti­tut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques (Insee) s’est réso­lu à des mesures pré­cises : ain­si pour l’an­née 2005 on a comp­té 220 000 entrées d’im­mi­grants adultes en situa­tion régu­lière pour la seule France métro­po­li­taine ! Si vous ajou­tez à cela les enfants, les entrées dans les dépar­te­ments et ter­ri­toires d’outre-mer (en par­ti­cu­lier en Guyane et dans l’île de Mayotte) et les clan­des­tins vous arri­vez à un solde migra­toire trois ou quatre fois supé­rieur à celui qui a ser­vi pour éta­blir les plans gouvernementaux !

Une situation déplorable du logement

Des dif­fi­cul­tés d’intégration
Le flux énorme d’im­mi­grants entraîne de très grandes dif­fi­cul­tés d’in­té­gra­tion, il faut sans cesse tout recom­men­cer à zéro. Constam­ment entou­rés de cou­sins nou­vel­le­ment arri­vés qui en toutes occa­sions les obligent à par­ler leur langue mater­nelle, l’im­mi­gré de longue date et ses enfants ont le plus grand mal à faire des pro­grès en fran­çais. On voit même des Peuls de France apprendre des rudi­ments de sonin­ké, parce que les Sonin­kés, bien que beau­coup moins nom­breux que les Peuls en Afrique, sont néan­moins majo­ri­taires par­mi les Afri­cains d’Île-de-France !

Une autre consé­quence néfaste est la situa­tion déplo­rable du loge­ment des immi­grés, car si active qu’elle soit, l’in­dus­trie du bâti­ment ne peut suivre, n’ou­blions pas qu’elle doit aus­si réno­ver un parc ancien. Les » squats » sont nom­breux et l’É­tat se voit contraint de louer en per­ma­nence 12 000 places d’hô­tel. Cette contrainte s’é­tend à tous les Fran­çais : la situa­tion géné­rale est si ten­due que les loyers sont très éle­vés et dévorent les reve­nus des jeunes… Plus per­sonne ne peut faire comme si la ques­tion était d’im­por­tance secondaire. 

Balayer les idées reçues

Pour sor­tir de cette situa­tion géné­ra­trice de gêne et de mal­heur, la pre­mière chose à faire est de balayer les idées reçues et de prendre le pro­blème à son niveau véri­table. Certes il est désa­gréable de pen­ser que nos grands ins­ti­tuts ont long­temps eu la vue trop courte, mais le pas­sé est le pas­sé. Comme on ne divi­se­ra pas par trois les arri­vées d’im­mi­grants il faut à la fois déve­lop­per lar­ge­ment la construc­tion immo­bi­lière et ralen­tir dans la mesure du pos­sible le flux des arri­vants, en par­ti­cu­lier en ne leur cachant pas la véri­té : je ne suis que trop sou­vent le témoin de la dés­illu­sion d’é­tran­gers qui ont cru monts et mer­veilles en regar­dant la télé­vi­sion dans leur pays d’o­ri­gine ! Mieux vaut 150 000 inté­gra­tions annuelles réus­sies que 300 000 ratées.

Des papiers pour tous
Que l’on cesse de croire être utile en signant des péti­tions récla­mant » des papiers pour tous ! » tout en refu­sant mor­di­cus, dans les réunions de quar­tier, l’ins­tal­la­tion de loge­ments HLM dans le voisinage…

Bien enten­du, tout faire pour que l’im­mi­gra­tion soit paci­fique et fra­ter­nelle demande de gros efforts de cha­cun, dans toutes les com­mu­nau­tés, mais il est inté­res­sant de connaître l’a­vis des plus concer­nés : les Fran­çais issus de l’im­mi­gra­tion récente (voir, par exemple, les articles d’Eu­gène-Hen­ri Moré en page 20 et de Gas­ton Kel­man en page 30). D’une manière géné­rale ceux-ci consi­dèrent que le plus gros obs­tacle vient des dif­fé­rences cultu­relles, ce qui est bien pro­bable en effet, et se méfient du mul­ti­cul­tu­ra­lisme cher à cer­tains de nos intel­lec­tuels. » Nous ne devons pas tran­si­ger sur nos valeurs » sou­lignent-ils ain­si que le font aus­si ceux qui ont tra­vaillé en milieu immi­gré, en par­ti­cu­lier ces valeurs fon­da­men­tales : la démo­cra­tie et l’é­ga­li­té des femmes et des hommes (voir, par exemple, l’ar­ticle de Jeanne-Hélène Kal­ten­bach en page 23). La poly­ga­mie est un abus et une injus­tice grave qu’il faut com­battre avec détermination. 

Relancer la politique familiale

Bon an mal an, il manque en France 40000 à 120000 nais­sances chaque année pour le simple renou­vel­le­ment des générations

Mal­gré les appa­rences, l’im­mi­gra­tion n’est pas le phé­no­mène démo­gra­phique prin­ci­pal, l’a­ve­nir est beau­coup plus condi­tion­né par la vita­li­té des com­mu­nau­tés d’ac­cueil. Une nation féconde est assu­rée de son ave­nir et est donc tout natu­rel­le­ment beau­coup plus accueillante, ce qui contri­bue aus­si à assu­rer son ave­nir… Nous ne devrions donc pas négli­ger la poli­tique fami­liale, comme c’est le cas actuel­le­ment (voir l’ar­ticle de Jacques Bichot en page 33), cette poli­tique est une fin en soi et un inves­tis­se­ment pour l’a­ve­nir, elle n’est pas un ava­tar de la poli­tique sociale ! Rap­pe­lons que si la France a l’une des meilleures démo­gra­phies euro­péennes, il lui manque tout de même, bon an mal an, 40 000 à 120 000 nais­sances chaque année pour le simple renou­vel­le­ment des générations.

Les hommes poli­tiques com­pren­dront bien mieux ces néces­si­tés quand les enfants, qui sont aus­si des citoyens, seront repré­sen­tés dans les élec­tions * : leur car­rière poli­tique ne sera plus condi­tion­née par la seule satis­fac­tion des élec­teurs aujourd’­hui les plus nom­breux : les plus de cin­quante ans. * La démo­cra­tie dés­équi­li­brée (C. Mar­chal, J. Bichot, P. Bour­cier de Car­bon, B. Legris). Livre de la col­lec­tion « Ques­tions contem­po­raines », Édi­tions l’Harmattan 2003.

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