Port de La Rochelle.

La réorganisation de l’administration territoriale et le rôle du préfet

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Christian LEYRIT

La moder­ni­sa­tion de l’É­tat est à l’ordre du jour depuis plu­sieurs décen­nies. Si des avan­cées ont été enre­gis­trées ces der­nières années, elles demeurent trop modestes, beau­coup plus modestes que les évo­lu­tions enre­gis­trées dans d’autres pays. La réforme de l’É­tat est sans doute plus dif­fi­cile chez nous car la place de l’É­tat au cœur de la socié­té est his­to­ri­que­ment plus fon­da­men­tale qu’ailleurs et le rap­port des citoyens à l’É­tat est ici singulier.

Des chan­ge­ments beau­coup plus radi­caux sont abso­lu­ment néces­saires. La réforme consti­tu­tion­nelle et la nou­velle étape de la décen­tra­li­sa­tion ain­si que la mise en œuvre de la LOLF consti­tuent une occa­sion unique à ne pas man­quer de réfor­mer l’É­tat en pro­fon­deur, au niveau cen­tral comme au niveau déconcentré.

Cela doit être l’oc­ca­sion de redé­fi­nir le rôle de l’É­tat. Qu’est-ce qu’un État moderne, un État stra­tège en 2004 ?

L’É­tat ne doit pas être défi­ni en creux : » l’É­tat d’a­vant » moins les com­pé­tences trans­fé­rées aux col­lec­ti­vi­tés. Les com­pé­tences de l’É­tat ne doivent pas non plus se limi­ter à ce que les col­lec­ti­vi­tés ne veulent pas assumer.

L’É­tat c’est avant tout les mis­sions réga­liennes. Mais l’É­tat est aus­si le garant de la soli­da­ri­té natio­nale (qui doit pro­té­ger les citoyens), le garant de l’é­qui­libre des ter­ri­toires et l’é­va­lua­teur des poli­tiques publiques, qu’elles soient décen­tra­li­sées ou non.

Simplifier l’État central

L’É­tat doit être garant du droit mais pas un pro­duc­teur per­ma­nent et désor­don­né de normes tatillonnes.

L’É­tat cen­tral doit limi­ter son action à l’é­la­bo­ra­tion des poli­tiques et à leur éva­lua­tion. Il n’a pas voca­tion à être acteur de leur mise en œuvre. À Paris, l’on consi­dère tou­jours qu’une mise en œuvre cen­tra­li­sée est plus effi­cace, et qu’elle per­met de sur­croît des éco­no­mies bud­gé­taires. L’ex­pé­rience, très réus­sie, de la glo­ba­li­sa­tion des cré­dits de pré­fec­ture démontre le contraire. La capa­ci­té don­née au niveau local de se fixer des prio­ri­tés, la vision plu­ri­an­nuelle, la garan­tie que les marges de manœuvre déga­gées res­te­ront dans le ser­vice sont des fac­teurs déter­mi­nants de progrès.

Plus de fon­gi­bi­li­té au niveau local = plus de sou­plesse = plus d’ef­fi­ca­ci­té = plus d’économies.

Il est éga­le­ment urgent de réduire de manière dras­tique le nombre de direc­tions d’ad­mi­nis­tra­tion cen­trale. Lorsque 176 direc­tions cen­trales et des dizaines d’é­ta­blis­se­ments publics à com­pé­tence natio­nale dif­fusent quo­ti­dien­ne­ment des cir­cu­laires inter­mi­nables aux ser­vices décon­cen­trés (oubliant par­fois l’in­for­ma­tion des pré­fets…) qu’en est-il du fonc­tion­ne­ment local de l’État ?

Moderniser l’État au niveau local

C’est au niveau du ter­rain, au contact quo­ti­dien des acteurs poli­tiques, socioé­co­no­miques et des citoyens, que des pro­grès déci­sifs peuvent être faits. La capa­ci­té d’ar­bi­trage inter­mi­nis­té­riel y est plus forte qu’au niveau central.


Port de La Rochelle. PHOTO A.T.


Deux remarques liminaires :

  • L’É­tat au niveau local est très appré­cié par les citoyens. Deux enquêtes d’o­pi­nion réa­li­sées fin 1999 et fin 2003 par la pré­fec­ture de Cha­rente-Mari­time en témoignent. Glo­ba­le­ment, 81 % des per­sonnes inter­ro­gées se déclarent très ou assez satis­faites de leur der­nier contact avec les ser­vices de l’É­tat (20 ser­vices y com­pris ceux de la jus­tice). Ce taux atteint 86 % pour la pré­fec­ture et les quatre sous-pré­fec­tures. Les Cha­ren­tais mari­times sou­haitent mas­si­ve­ment une plus grande décon­cen­tra­tion de l’État.
  • Contrai­re­ment à une idée reçue, l’É­tat est très réac­tif au niveau local. Les catas­trophes de ces der­nières années (Eri­ka, Pres­tige, tem­pête de 1999, AZF, inon­da­tions…) ont mon­tré la capa­ci­té de mobi­li­sa­tion des ser­vices locaux autour des pré­fets et une apti­tude de ces der­niers à gérer les crises (même si des pro­grès res­tent à faire en matière de col­lecte d’in­for­ma­tions fiables et de com­mu­ni­ca­tion avec le public).


Les maîtres-mots de la moder­ni­sa­tion de l’É­tat au niveau local : sim­pli­fier, décon­cen­trer, évaluer.

Simplifier les procédures. Supprimer les missions et les commissions inutiles

Les ser­vices sont sur­char­gés par des pro­cé­dures désuètes, des régle­men­ta­tions inutiles et sans enjeu qui sus­citent l’in­com­pré­hen­sion des citoyens et qui freinent ini­tia­tives et esprit d’entreprise.

Cer­taines mis­sions doivent être pure­ment et sim­ple­ment sup­pri­mées, d’autres peuvent être externalisées.

La deuxième étape de la décen­tra­li­sa­tion doit trans­fé­rer des » blocs de com­pé­tences » cohé­rents, met­tant fin aux dou­blons ou au double pilo­tage, afin de ne pas réédi­ter l’ex­pé­rience de 1982, incom­plète de ce point de vue.

Passer d’une logique de procédure à un pilotage par objectifs avec évaluation des résultats

C’est l’élé­ment cen­tral, le chan­ge­ment cultu­rel majeur… qui heurte sou­vent per­son­nels et syn­di­cats. Dans ce domaine, l’é­la­bo­ra­tion, dans chaque dépar­te­ment, d’un pro­jet ter­ri­to­rial de l’É­tat par l’en­semble des ser­vices a consti­tué une pre­mière étape impor­tante. Éla­bo­rer un diag­nos­tic de la situa­tion, se fixer des prio­ri­tés et des objec­tifs chif­frés et éva­luer les résul­tats sont des fac­teurs de pro­grès et de plus grande effi­ca­ci­té, qu’il convient de généraliser.

La LOLF consti­tue de ce point de vue une nova­tion majeure.

Renforcer la déconcentration et l’interministérialité. Renforcer le rôle du préfet. Réorganiser les services déconcentrés

Le mou­ve­ment de décen­tra­li­sa­tion implique que les col­lec­ti­vi­tés vont avoir davan­tage de res­pon­sa­bi­li­tés et de pou­voirs. Ces col­lec­ti­vi­tés demandent un inter­lo­cu­teur unique qui repré­sente clai­re­ment tous les minis­tères, mais aus­si tous les éta­blis­se­ments publics à com­pé­tence natio­nale : le pré­fet. C’est d’au­tant plus impor­tant que la LOLF va ren­for­cer la logique ver­ti­cale (minis­té­rielle), et que chaque grande poli­tique publique (sécu­ri­té, emploi, soli­da­ri­té, envi­ron­ne­ment…) concerne de nom­breux ser­vices déconcentrés.

Il faut décloi­son­ner les dif­fé­rentes admi­nis­tra­tions, encou­ra­ger et valo­ri­ser les mobi­li­tés d’une admi­nis­tra­tion à l’autre (alors qu’elles sont aujourd’­hui for­te­ment péna­li­sées), sor­tir aus­si des cor­po­ra­tismes et des prés car­rés. Le corps pré­fec­to­ral mais aus­si les DDE, les DDASS, les DDAF… doivent s’ou­vrir à des res­pon­sables de toutes ori­gines. Il faut bras­ser les cultures, les expé­riences, les com­pé­tences, et affi­cher clai­re­ment que tous les corps peuvent accé­der à toutes les res­pon­sa­bi­li­tés quelles qu’elles soient.

La créa­tion de délé­ga­tions inter- ser­vices (trois ont été créées en Cha­rente-Mari­time concer­nant l’eau, la sécu­ri­té ali­men­taire, l’in­gé­nie­rie publique), qui per­mettent de pla­cer plu­sieurs ser­vices sous l’au­to­ri­té d’un délé­gué, dési­gné par le pré­fet, donne d’ex­cel­lents résul­tats. Il faut l’encourager.

Il faut pen­ser qu’il n’y a chose à trai­ter plus pénible, à réus­sir plus dou­teuse, ni à manier plus dan­ge­reuse, que de s’aventurer à intro­duire de nou­velles ins­ti­tu­tions, car celui qui les intro­duit a pour enne­mis tous ceux qui pro­fitent de l’ordre ancien, et n’a que des défen­seurs bien tièdes en ceux qui pro­fi­te­raient du nouveau.
Laquelle tié­deur vient en par­tie de la peur des adver­saires qui ont les lois pour eux, en par­tie aus­si de l’incrédulité des hommes qui ne croient point véri­ta­ble­ment aux choses nou­velles, s’ils n’en voient déjà réa­li­sées une expé­rience sûre.
Machia­vel

Il est aus­si indis­pen­sable de réduire de manière volon­ta­riste le nombre de ser­vices décon­cen­trés au niveau dépar­te­men­tal et au niveau régio­nal. Cela amé­lio­re­ra la cohé­rence de l’É­tat, la lisi­bi­li­té de son action et per­met­tra d’im­por­tantes éco­no­mies. La créa­tion envi­sa­gée de pôles régio­naux n’a de sens que si elle s’ac­com­pagne simul­ta­né­ment de la sup­pres­sion de la tren­taine de ser­vices régio­naux (cer­tains pou­vant être inté­grés à la pré­fec­ture). Dans l’hy­po­thèse inverse, on abou­ti­rait fina­le­ment à la créa­tion d’un éche­lon sup­plé­men­taire. Au niveau dépar­te­men­tal, j’ai pro­po­sé d’ex­pé­ri­men­ter, en Cha­rente-Mari­time, une archi­tec­ture avec six ser­vices décon­cen­trés (au lieu de 22).

Par ailleurs, au moment où des expé­ri­men­ta­tions sont pré­vues en matière de trans­ferts de com­pé­tence, il serait para­doxal que l’or­ga­ni­sa­tion ter­ri­to­riale de l’É­tat soit unique et figée.

Il faut déve­lop­per le droit à l’ex­pé­ri­men­ta­tion ; cela se révé­le­ra plus effi­cace que les grandes réformes glo­bales, cen­trales qui se heurtent à tous les blocages.

Il est éga­le­ment indis­pen­sable de pro­gres­ser en matière de mutua­li­sa­tion des moyens au niveau local. Les » man­dats de ges­tion « , pré­vus par la LOLF, doivent être exploi­tés au maximum.

Il est aus­si néces­saire de mieux har­mo­ni­ser l’ac­tion de l’É­tat au niveau régio­nal et dépar­te­men­tal. Ren­for­cer le niveau régio­nal est aujourd’­hui une prio­ri­té. Mais les Conseils géné­raux, qui vont voir leurs com­pé­tences net­te­ment élar­gies, sou­haitent un repré­sen­tant de l’É­tat à la fois conseiller, média­teur et arbitre.

La ques­tion de l’é­vo­lu­tion des ser­vices publics en milieu rural doit faire l’ob­jet d’une double approche, ver­ti­cale par fonc­tion mais aus­si hori­zon­tale par ter­ri­toire autour des maires : de quels ser­vices ont besoin les habi­tants, quelles syner­gies peuvent être déve­lop­pées entre plu­sieurs ser­vices publics ou avec des par­te­naires pri­vés ? Des solu­tions nova­trices et éco­no­miques sont pos­sibles à la condi­tion de déve­lop­per écoute et concer­ta­tion avec les res­pon­sables locaux.

Dans le même esprit, il convient de réflé­chir à l’é­vo­lu­tion du rôle et du péri­mètre des sous-pré­fec­tures, notam­ment au regard de l’é­vo­lu­tion de l’intercommunalité.

Réformer le système de contrôle et développer l’évaluation des politiques

L’ob­jec­tif me paraît être la sup­pres­sion du contrôle a prio­ri dans l’ac­tion publique (en déve­lop­pant le conseil) et de rendre plus rigou­reux le contrôle a pos­te­rio­ri.

La culture de l’é­va­lua­tion, faible dans notre pays, est à déve­lop­per for­te­ment. L’É­tat paraît le mieux pla­cé pour pro­cé­der aux éva­lua­tions, même pour les poli­tiques décen­tra­li­sées : objec­tifs visés – ampleur des moyens mis à dis­po­si­tion – résul­tats. Il pour­rait être envi­sa­gé d’or­ga­ni­ser tous les corps d’ins­pec­tion sur une base interrégionale.

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La moder­ni­sa­tion de l’É­tat et sa décon­cen­tra­tion doivent aller de pair avec une nou­velle étape de la décen­tra­li­sa­tion et la mise en œuvre de la LOLF.

Pour conce­voir et mener à bien les réformes néces­saires, il faut avoir à l’es­prit quelques idées simples :

  • les réformes sont tou­jours plus faciles chez les autres,
  • on ne peut réfor­mer l’É­tat contre les fonc­tion­naires, » il est rare de réus­sir des réformes sans alliés « ,
  • mieux vaut avan­cer grâce à des expé­ri­men­ta­tions que de conce­voir de grandes réformes glo­bales et centrales,
  • la constance et la ges­tion du temps sont essentielles. 

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