La rénovation urbaine, un enjeu social, économique et urbain

Dossier : Dossier FFEMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Blanche GUILLEMOT

Quelles actions mène l’ANAH ?

Concrè­te­ment l’ANAH aide les pro­prié­taires pri­vés sous condi­tions de reve­nus modestes, voire très modestes. Nous leur ver­sons des sub­ven­tions qui couvrent en géné­ral 50 % de la réa­li­sa­tion de leurs tra­vaux afin d’améliorer la per­for­mance éner­gé­tique de leur loge­ment, de per­mettre l’adaptation à la perte d’autonomie ou de mettre l’habitation aux normes en termes de salu­bri­té et de sécurité.

Une part impor­tante du parc pri­vé étant sous la forme de la copro­prié­té, nous sou­te­nons éga­le­ment les copro­prié­tés avec des aides dédiées aux syn­di­cats de copro­prié­taires quand celle-ci est en dif­fi­cul­té et peine à faire face à ses charges, dans la réno­va­tion de l’immeuble qu’ils occupent.

Nous inter­ve­nons dans le cadre d’opérations pro­gram­mées pilo­tées par les col­lec­ti­vi­tés locales : sur le ter­rain, elles portent notre action et l’intègrent dans leurs poli­tiques locales de l’habitat à tra­vers les­quelles les sub­ven­tions sont dis­pen­sées aux pro­prié­taires qui en ont besoin.

Comment définissez-vous votre champ d’actions ?

Exemple d’intervention de l’ANAH sur des copro­prié­tés pri­vées avec la muni­ci­pa­li­té de Mul­house qui sou­haite pré­ser­ver ce parc pri­vé, afin de main­te­nir une mixi­té sociale dans ce quar­tier de 10 000 habi­tants où pré­do­mine très lar­ge­ment le parc social.

Nous met­tons à dis­po­si­tion des col­lec­ti­vi­tés des outils d’observation du parc de loge­ments, de son état, du niveau de reve­nus et d’endettement des habi­tants, et de repé­rage sta­tis­tique des dif­fi­cul­tés sur l’habitat privé.

Nous les accom­pa­gnons éga­le­ment quand elles sou­haitent confron­ter cette ana­lyse sta­tis­tique aux obser­va­tions phy­siques sur la dégra­da­tion qu’elles constatent. Ain­si, nous avons mis en place des dis­po­si­tifs de veilles et d’observations des copro­prié­tés leur per­met­tant de s’emparer de ces sujets et de s’appuyer sur notre expertise.

Quels sont les cibles actuelles de la rénovation urbaine ?

La réno­va­tion urbaine, telle que por­tée par son agence natio­nale ‑ANRU‑, a été ini­tia­le­ment conçue pour aider les bailleurs sociaux à réno­ver le parc construit dans les années 60 qui, dans cer­tains quar­tiers pauvres et relayés, s’est dégra­dé rapidement.

Elle concerne une géo­gra­phie prio­ri­taire, des zones où il y a une concen­tra­tion forte de pau­vre­té. L’an der­nier, en revoyant cette géo­gra­phie à l’aide d’un indi­ca­teur unique de pau­vre­té rela­tive des habi­tants de ces quar­tiers, beau­coup de centres anciens, en centre-ville, sont res­sor­tis comme pauvres.

Aujourd’hui, les enjeux de la réno­va­tion urbaine ne concernent plus seule­ment les grands ensembles HLM des années 50–60 mais aus­si le parc pri­vé : dans les 200 quar­tiers concer­nés par le nou­veau Plan Natio­nal de Renou­vel­le­ment Urbain (NPNRU), la moi­tié se rap­porte au parc pri­vé. Cette situa­tion jus­ti­fie d’autant les publics cibles de notre action, des bailleurs sociaux mais aus­si des pro­prié­taires privés.

Qu’apporte votre collaboration avec l’ANRU ?

En 2003, le Pro­gramme Natio­nal de Réno­va­tion Urbaine visait prin­ci­pa­le­ment la démo­li­tion et la requa­li­fi­ca­tion de quar­tiers d’habitat social ; les besoins du parc pri­vé étaient moins visibles. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus prégnants.

C’est pour­quoi, dans le cadre du NPNRU et grâce à la conven­tion signée le 4 mai der­nier, nous sou­hai­tons pro­po­ser une boite à outils, d’ingénierie d’expertise et de sub­ven­tions, com­mune à nos deux agences à des­ti­na­tion des por­teurs de pro­jets, les col­lec­ti­vi­tés locales, afin qu’elles uti­lisent l’en­semble des moyens mis à dis­po­si­tion dans leurs inter­ven­tions de réha­bi­li­ta­tion des quar­tiers en difficulté.

Quelle portée ont les interventions de l’ANAH, concrètement ?

L’an der­nier, l’A­NAH a sub­ven­tion­né la réno­va­tion de près de 75 000 loge­ments, à hau­teur de 717 mil­lions € d’aides. L’im­pact éco­no­mique et social est impor­tant. Nos aides génèrent un volume de tra­vaux éli­gibles de 1.4 mil­liards d’eu­ros qui sou­tient l’ac­ti­vi­té d’en­tre­prises arti­sa­nales qui à 70–80 % sont du dépar­te­ment où les tra­vaux sont menés. On estime à 28 000 le nombre d’emplois créés ou pré­ser­vés grâce à ces investissements.

Il faut com­prendre éga­le­ment qu’ai­der un bailleur social, qui a une stra­té­gie de patri­moine, des fonds propres, etc. est rela­ti­ve­ment aisé, mais dès lors qu’il s’a­git de pro­prié­taires pri­vés, des per­sonnes avec de faibles reve­nus dont c’est le lieu de vie et le patri­moine, ces pro­ces­sus de réha­bi­li­ta­tion deviennent plus com­plexes. Convaincre les pro­prié­taires de lan­cer des tra­vaux avec seule­ment un finan­ce­ment à hau­teur de 50 %, avec les dif­fi­cul­tés dans le mon­tage des plans d’emprunt qui y sont liées, n’est pas facile. C’est pour­quoi nous sou­te­nons aus­si l’ac­tion des col­lec­ti­vi­tés à tra­vers des struc­tures, maîtres d’œuvre, bureaux d’é­tudes ou asso­cia­tions, qui accom­pagnent ces pro­prié­taires dans leurs tra­vaux, en mon­tant leur pro­jet de réno­va­tion, leur plan de financement…

Justement, quels sont les enjeux du redressement des copropriétés en difficulté ?

Dans les quar­tiers prio­ri­taires de la poli­tique de la ville, nous obser­vons des bâti­ments construits en même temps que les HLM, sous le sta­tut de la copro­prié­té pri­vée, qui se retrouvent dans les mêmes condi­tions que leurs aco­lytes HLM de cette époque, avec de vraies situa­tions d’ha­bi­tat indigne, d’ap­pau­vris­se­ment des propriétaires…

La fina­li­té de notre inter­ven­tion pour leur réha­bi­li­ta­tion est de faire en sorte qu’elles puissent de nou­veau maî­tri­ser leurs charges, notam­ment sur le plan éner­gé­tique, et qu’elles puissent rede­ve­nir attrac­tives et contri­buer ain­si à la mixi­té du quartier.Dans le contexte de ces copro­prié­tés, les enjeux de réno­va­tion ther­mique sont très per­ti­nents, car sou­vent, des charges mal mai­tri­sées, notam­ment le chauf­fage, sont la cause de l’endettement.

Donc si l’i­so­le­ment et le chauf­fage du loge­ment deviennent effi­caces, les dif­fi­cul­tés finan­cières se résorbent. Ces sujets de copro­prié­té du NPNRU sont com­plexes, ils néces­sitent des inter­ven­tions lourdes qui prennent du temps mais qui sont déter­mi­nantes pour sor­tir de ces situa­tions d’ha­bi­tat indigne.

Des exemples de ces copro­prié­tés en dif­fi­cul­té se retrouvent notam­ment à Cli­chy-sous-Bois, mais aus­si sur tout l’axe médi­ter­ra­néen… et un peu par­tout en France. Force est de consta­ter que de plus en plus d’é­lus prennent conscience que pour mener à bien leurs pro­jets de réno­va­tion urbaine, ils doivent s’at­ta­quer aux situa­tions les plus dif­fi­ciles et déli­cates qui concernent le parc privé.

Quels sont les impacts de votre action sur le parc privé ?

La géo­gra­phie de la pau­vre­té a mué et ne concerne plus sim­ple­ment les quar­tiers dits sen­sibles au sens tra­di­tion­nel : des formes de pau­vre­té se sont déve­lop­pées dans les villes moyennes fran­çaises dont le centre ancien s’est dégradé.

L’ac­ti­vi­té de l’A­NAH n’a de sens que si elle s’in­tègre dans un pro­jet de ter­ri­toire où ces col­lec­ti­vi­tés, qui dis­posent de peu de moyens d’in­gé­nie­rie et d’ex­per­tise, peuvent s’ap­puyer sur des inves­tis­se­ments qui redressent aus­si leur situa­tion éco­no­mique. Cette requa­li­fi­ca­tion de l’ha­bi­tat ancien en centre-ville est un aspect déter­mi­nant de l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire aujourd’­hui. C’est pour­quoi outre la réponse du NPNRU, l’A­NAH accom­pagne ces col­lec­ti­vi­tés à tra­vers 800 actions pro­gram­mées sur l’en­semble du ter­ri­toire. Notre acti­vi­té a, par essence, un impact social et urbain fort sur la manière dont on conçoit la ville aujourd’­hui. Agir sur ces sujets est déter­mi­nant aujourd’­hui pour aller vers un modèle de ville durable inté­grée, qui limite l’é­ta­le­ment urbain.

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