Des marins

La politique des ressources humaines de la marine

Dossier : Marine nationaleMagazine N°596 Juin/Juillet 2004
Par Philippe SAUTTER

Le contexte


MARINE NATIONALE/MAJOR FROMENTIN

Le contexte


MARINE NATIONALE/MAJOR FROMENTIN

La popu­la­tion active va vieillir, puis dimi­nuer, au fur et à mesure que les géné­ra­tions fran­chi­ront l’âge de ces­sa­tion d’ac­ti­vi­té, alors qu’en­tre­ront dans la vie active des géné­ra­tions moins nom­breuses. Au cours des vingt-cinq der­nières années le nombre de per­sonnes ayant l’âge de la retraite a aug­men­té de 45 mil­lions dans les pays de l’OCDE (Orga­ni­sa­tion de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique), mais dans le même temps la popu­la­tion d’âge actif s’est accrue de 120 mil­lions. Le vieillis­se­ment démo­gra­phique n’a par consé­quent jus­qu’i­ci posé aucun pro­blème éco­no­mique ou social. La situa­tion va chan­ger radi­ca­le­ment dans les vingt-cinq pro­chaines années. Le nombre de per­sonnes en âge d’être à la retraite va croître de 70 mil­lions, mais celui des actifs n’aug­men­te­ra que de 5 mil­lions. Le choc démo­gra­phique qui résul­te­ra des départs à la retraite mas­sifs des géné­ra­tions de baby-boo­mers, conju­gués au non-renou­vel­le­ment des géné­ra­tions, modi­fie­ra le mar­ché de l’emploi.

Le recru­te­ment et la fidé­li­sa­tion vont deve­nir les pre­miers enjeux stra­té­giques pour les entre­prises. La concur­rence dans ce domaine sera forte. Et nous la subi­rons en interne, au sein de la Fonc­tion publique, où elle fera rage éga­le­ment. D’au­tant plus que la socié­té évo­lue éga­le­ment dans d’autres domaines. Les contraintes, de tout ordre, sont moins accep­tées alors que s’ac­croît l’exi­gence de lisi­bi­li­té sur l’a­ve­nir. Dans le même temps, indi­vi­dua­listes mais assis­tés, les indi­vi­dus sont tri­bu­taires d’un accom­pa­gne­ment social plus indis­pen­sable qu’autrefois.

Nos recrues ne s’en­ga­ge­ront pas moins fer­me­ment qu’au­pa­ra­vant. Elles s’en­ga­ge­ront en revanche davan­tage en ver­tu d’in­té­rêts éva­lués et com­pa­rés. La moti­va­tion indi­vi­duelle sera remise en ques­tion au gré des phases du par­cours pro­fes­sion­nel et des étapes de la sélec­tion. Cette moti­va­tion devien­dra d’au­tant plus variable que les men­ta­li­tés et les évo­lu­tions socio­lo­giques ne seront pas favo­rables à l’ac­cep­ta­tion spon­ta­née des carac­té­ris­tiques répu­tées contrai­gnantes du métier militaire.

L’at­trait de la Marine devra être sans cesse mesu­ré. Elle devra mettre en évi­dence ce qui consti­tue son attrac­ti­vi­té. Les jeunes géné­ra­tions sont bien infor­mées et moins prêtes à accep­ter des contraintes dont la néces­si­té n’ap­pa­raît pas évi­dente. Elles savent dis­tin­guer le dis­cours de la réa­li­sa­tion effec­tive, et mesurent leur adhé­sion dès lors que l’é­cart se creuse entre ces deux réalités.

Les défis

Dans ce contexte, la poli­tique de res­sources humaines de la marine se décline dans quatre actions inter­dé­pen­dantes : atti­rer, dyna­mi­ser, valo­ri­ser et, sur­tout, fidé­li­ser. L’ob­jec­tif cen­tral de fidé­li­sa­tion et l’ob­jec­tif de base de recru­te­ment se ren­forcent mutuel­le­ment. Ils ne peuvent être atteints sans la dyna­mi­sa­tion des car­rières ni la valo­ri­sa­tion des res­pon­sa­bi­li­tés. Ces actions concernent le court, le moyen et le long terme. Elles sont exer­cées sur toute la chaîne de res­sources humaines et par tous. Il s’a­git de faire en sorte que la marine dis­pose de pro­fes­sion­nels moti­vés, heu­reux dans leur emploi et leur envi­ron­ne­ment, aptes aux mis­sions qu’elle doit rem­plir. Recru­te­ment, for­ma­tion et ges­tion, les prin­ci­pales tâches de la » fonc­tion » de res­sources humaines doivent le prendre en compte.

Recrutement

La Défense doit recru­ter chaque année 5 % d’une classe d’âge de jeunes Français.

Remise de décorations sur le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Remise de déco­ra­tions sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. MARINE NATIONALE/MAJOR FROMENTIN

Pour y par­ve­nir, en tenant compte du taux de fémi­ni­sa­tion obser­vé et d’un taux de sélec­tion satis­fai­sant (1÷3), il faut qu’un gar­çon sur cinq demande un enga­ge­ment dans les armées. C’est un défi consi­dé­rable. Face à la guerre du recru­te­ment que, quelle que soit la situa­tion éco­no­mique, la situa­tion démo­gra­phique va impo­ser il fau­dra bien séduire, et tenir les pro­messes. Toutes les » entre­prises » : armées, admi­nis­tra­tions publiques, grandes com­pa­gnies ou PME devront avoir une véri­table poli­tique de res­sources humaines et une com­mu­ni­ca­tion per­for­mante, en interne comme en externe, pour l’ac­com­pa­gner : com­ment être un employeur de réfé­rence aujourd’hui ?

Com­ment créer un lien entre les sala­riés-can­di­dats et l’en­tre­prise » Marine » en vue d’an­ti­ci­per la » guerre des talents » ? En quoi la » marque employeur » » Marine natio­nale » per­met-elle de pas­ser du » concept d’ap­par­te­nance » à la notion de » fier­té d’adhé­sion » ? Car » Marine natio­nale » est bien une marque, véri­ta­ble­ment créa­trice de lien » sala­rié-can­di­dat – entre­prise Marine « .

La notion de fier­té d’adhé­sion est incon­tes­table, et c’est à ce titre que la Marine natio­nale peut être consi­dé­rée comme une marque qui véhi­cule des valeurs. Jus­qu’à pré­sent elle a su en pro­fi­ter. A contra­rio, la décep­tion serait plus grande encore si les attentes n’é­taient satisfaites.

Formation

De son côté, la for­ma­tion vise ensuite à déve­lop­per les com­pé­tences des indi­vi­dus afin qu’ils puissent tenir au mieux les postes qui leur seront confiés. Allier la per­for­mance et la fia­bi­li­té des sys­tèmes de com­bat et des équi­pe­ments avec la com­pé­tence et la moti­va­tion du per­son­nel consti­tue la meilleure garan­tie que les mis­sions de la marine seront par­fai­te­ment accom­plies. Sou­vent envi­sa­gée comme un atout au moment du recru­te­ment, la for­ma­tion contri­bue par ailleurs à l’at­trac­ti­vi­té de la marine ; force d’ac­com­pa­gne­ment à toutes les étapes clés du par­cours dans l’ins­ti­tu­tion, elle aide à la dyna­mi­sa­tion et à la fidé­li­sa­tion des marins ; enfin, capi­ta­li­sée dans la durée et ajou­tée à l’ex­pé­rience, elle consti­tue la valo­ri­sa­tion de l’in­di­vi­du et son meilleur via­tique pour, s’il le faut, un retour réus­si à la vie civile.

Mais for­mer à l’emploi est moins simple qu’au­tre­fois parce que le métier évo­lue sous la pres­sion d’un grand nombre de fac­teurs sou­vent dif­fi­ciles à maî­tri­ser et inter­agis­sant par­fois à des rythmes très dif­fé­rents : jeu des rela­tions inter­na­tio­nales, mul­ti­pli­ci­té des menaces, com­plexi­té des stra­té­gies et des alliances, poids du pro­grès tech­no­lo­gique, influences socié­tales, contraintes bud­gé­taires… Il faut donc ajus­ter les pro­grammes d’en­sei­gne­ment pour ouvrir les esprits à ces réa­li­tés mouvantes.

Pour la for­ma­tion ini­tiale, il fau­dra tou­jours incul­quer la culture Marine (connais­sance de l’ins­ti­tu­tion, de son éthique et de ses valeurs, des devoirs et des com­por­te­ments qu’elle impose) et nour­rir notre iden­ti­té cultu­relle afin d’ac­cueillir les enga­gés dans leur nou­veau milieu pro­fes­sion­nel, de leur don­ner des repères qui faci­li­te­ront leur inté­gra­tion et de les ouvrir, au contact de la mer, aux exi­gences du métier de marin. Qu’il s’a­gisse des futurs offi­ciers ou des jeunes enga­gés, il convient de déve­lop­per et d’en­tre­te­nir la soli­da­ri­té et l’es­prit d’é­qui­page, c’est-à-dire le sens et le goût de l’œuvre accom­plie en commun.

Personnel sur le pont d’envol du Charles-de-Gaulle.
Per­son­nel sur le pont d’envol du Charles-de-Gaulle.
MARINE NATIONALE/MAJOR FROMENTIN

Il fau­dra ensuite cen­trer la for­ma­tion humaine sur le lea­der­ship et incul­quer tout au long des cur­sus pour offi­ciers et offi­ciers mari­niers un nou­veau mode mana­gé­rial. Il s’a­git autant de pré­pa­rer le per­son­nel aux exi­gences du com­man­de­ment, que de lui apprendre à gérer les situa­tions du quo­ti­dien de manière pra­tique, à com­men­cer par les rela­tions inter­per­son­nelles dans le tra­vail. Il faut veiller à la cohé­rence d’en­semble de cet état d’es­prit et de ces pratiques.

Gestion

La ges­tion, enfin, a pour pre­mière tâche d’af­fec­ter le per­son­nel de la marine, pour que cette der­nière fonc­tionne et que ses mis­sions soient accom­plies. Mais elle doit, elle aus­si, avoir le sou­ci constant d’œu­vrer pour la fidé­li­sa­tion des marins qui passe par la réus­site de leur inté­gra­tion, une car­rière dyna­mi­sée (har­mo­nie entre for­ma­tion et action) et valo­ri­sée (lea­der­ship, pro­mo­tion interne, vali­da­tion des acquis de l’ex­pé­rience…). Il y a une » fidé­li­sa­tion glo­bale » qui s’en­tre­tient à chaque étape de la car­rière, même si cer­taines de ces étapes plus cri­tiques encore requièrent des pro­ces­sus par­ti­cu­liers. C’est à la poli­tique de ges­tion de prendre tout cela en compte, dans une logique de par­cours, de com­pé­tences et de performance.

Le par­cours du marin doit ain­si d’a­bord être cen­tré sur l’ac­tion, cœur du métier, qui doit être pré­sente dans les cur­sus. Il s’a­git, pour la ges­tion, d’é­qui­li­brer dans les cur­sus la for­ma­tion, néces­saire, et l’ac­tion, véri­table rai­son d’être du métier, moti­vante, et donc » fidé­li­sante « . Les car­rières sont en même temps de véri­tables par­cours pro­fes­sion­nels où se forge une com­pé­tence, où cette com­pé­tence est mise à pro­fit au sein d’é­quipes, où elle est recon­nue par l’a­van­ce­ment, l’oc­troi de res­pon­sa­bi­li­tés gra­ti­fiantes et la pro­mo­tion interne. Il faut que notre sys­tème de ges­tion sache, pour les affec­ter, recon­naître la com­pé­tence des indi­vi­dus sans se sou­cier for­cé­ment de leur grade ou de leur par­cours professionnel.

Entraînement des commandos de marine, assaut d’un bâtiment
Entraî­ne­ment des com­man­dos de marine, assaut d’un bâti­ment. MARINE NATIONALE/SECOND-MAÎTRE HAUW

La ges­tion indi­vi­duelle des com­pé­tences est indis­pen­sable. Elle est au ser­vice de la bonne uti­li­sa­tion de cha­cun, et ain­si de ses satis­fac­tions pro­fes­sion­nelles. Elle pré­pa­re­ra en outre la ges­tion des com­pé­tences d’équipe.

Mais il y a aus­si une logique de per­for­mance (celle de l’in­di­vi­du et celle du sys­tème) à déve­lop­per. Il faut encou­ra­ger la per­for­mance par la visi­bi­li­té : tout marin doit savoir ce qu’on attend de lui, où l’on sou­haite l’a­me­ner, les pers­pec­tives qui lui sont offertes et les attentes qu’il sus­cite. En d’autres termes, lui offrir de la visi­bi­li­té sur son cur­sus, en fixant de grands ren­dez-vous (mana­ge­ment par objec­tifs entre autres).

Il faut ain­si savoir recon­naître la per­for­mance, et pour cela mettre en œuvre de véri­tables pra­tiques de mana­ge­ment pri­vi­lé­giant la mise en exergue d’ob­jec­tifs pré­cis, l’exer­cice de res­pon­sa­bi­li­tés, et l’en­ca­dre­ment… Dans un même mou­ve­ment, l’in­no­va­tion, exi­gence du monde d’au­jourd’­hui et plus encore de celui de demain, ne peut éclore dans un envi­ron­ne­ment inca­pable d’as­su­mer l’é­chec. Elle requiert le risque. Ceux qui apportent des idées inno­vantes, tout comme ceux qui les mettent en œuvre, ont besoin d’être pro­té­gés pen­dant les phases de transformation.

La marine évo­lue, et conti­nue­ra à évo­luer, en per­ma­nence. L’exi­gence est donc plus grande encore que par le pas­sé. L’in­no­va­tion, et ceux qui la conduisent, doivent être aidés, favo­ri­sés, pro­té­gés. L’é­chec est par­fois néces­saire au suc­cès. Les fautes doivent être sanc­tion­nées sans états d’âme, mais le droit à l’er­reur doit subsister.

Conci­lier enjeux de la marine et ges­tion des car­rières, voi­là bien le dilemme, et la noblesse, du métier de ges­tion­naire : à trop sacri­fier la ges­tion des car­rières, on ne pour­rait répondre aux enjeux de la marine, la mul­ti­pli­ca­tion des insa­tis­fac­tions indi­vi­duelles serait payée au prix fort par toute l’ins­ti­tu­tion ; mais cela ne peut s’af­fran­chir d’une accep­ta­tion par le plus grand nombre des valeurs fon­da­men­tales de ser­vice, de soli­da­ri­té et d’au­to­no­mie que dans la marine la vie d’é­qui­page développe.

Conclusion : les atouts de la marine

Il y a un vrai besoin de » sens » éprou­vé aujourd’­hui par la socié­té. Par ses valeurs fon­da­men­tales, au ser­vice des mis­sions qui lui sont confiées, notre ins­ti­tu­tion peut offrir aux hommes et aux femmes qui la servent une réponse dans cette recherche. C’est un atout qu’il faut culti­ver. Ce métier conserve sa part d’a­ven­ture que la vie d’é­qui­page qui façonne les marins ren­force encore. L’an­crage du marin dans son rôle de mili­taire, l’en­tre­tien d’une iden­ti­té valo­ri­sante sont autant de points qui favo­risent une culture d’en­tre­prise sus­cep­tible de créer un sen­ti­ment de loyau­té et d’ap­par­te­nance dans un échange mutuel­le­ment profitable.

La marine est en outre por­teuse du rêve et du pro­jet euro­péens, moyen d’une pro­jec­tion de puis­sance, d’une action huma­ni­taire loin­taine, apte depuis long­temps à tra­vailler en ambiance inter­al­liée. Le monde est tou­jours un monde de conflit qui donne du sens à son exis­tence. Elle est tou­jours un sym­bole, l’ex­pres­sion de la puis­sance d’une nation, et peut-être demain de celle de l’Eu­rope. C’est à la fois un défi sup­plé­men­taire, et un atout incontestable. 

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