Protrait de Bertrand HERZ (51)

Bertrand Herz (51), la mémoire et l’avenir

Dossier : TrajectoiresMagazine N°713 Mars 2016
Par Pierre LASZLO

Un des plus jeunes res­ca­pés de Buchen­wald, Ber­trand Herz avait d’a­bord déci­dé de tirer un trait sur ses sou­ve­nirs. Brillantes études, Poly­tech­nique et une car­rière dans l’in­for­ma­tique puis dans l’en­sei­gne­ment. Mais à la retraite le devoir de mémoire lui impo­sa de por­ter témoi­gnage de ce qu’il avait vécu et d’être actif dans les asso­cia­tions fran­çaises de dépor­tés et de résis­tants comme des vic­times de la Shoah.

À 14 ans, un des plus jeunes res­ca­pés fran­çais de Buchen­wald, cet homme cumule la modes­tie, l’aptitude à admi­rer et une volon­té opi­niâtre. L’admiration s’applique en par­ti­cu­lier à la mémoire de son père, trop peu connu, ingé­nieur de Cen­trale, qui fut chez Alsthom un acteur majeur de l’électrification du réseau fer­ré français.

Ce père ne sur­vé­cut pas à ce camp de concen­tra­tion, où il fut inter­né en com­pa­gnie de Ber­trand, qu’il pro­té­gea comme il put.

Ingénieur comme son père

En 1945, Ber­trand Herz, pro­fon­dé­ment atteint par les épreuves et les deuils – sa mère était éga­le­ment décé­dée au camp de femmes de Ravens­brück, réso­lut de tirer un trait sur ses sou­ve­nirs de déportation.

“ Ouverture sur le monde, disponibilité à autrui, humour et amour de la musique.”

Repre­nant ses études, il tira éga­le­ment un trait sur sa pas­sion de l’histoire ; il serait ingé­nieur comme son père.

Sa famille était d’un milieu juif intel­lec­tuel : ouver­ture sur le monde, dis­po­ni­bi­li­té à autrui, humour (« ne jamais se prendre trop au sérieux ») et amour de la musique ; dans les années 2000, Ber­trand Herz éprou­va une grande émo­tion à visi­ter à Eise­nach la mai­son de Jean-Sébas­tien Bach, son com­po­si­teur de pré­di­lec­tion ; Eise­nach, ville de culture, se trouve pré­ci­sé­ment à 50 kilo­mètres du camp nazi de Buchenwald.

Études classiques

Il avait fait ses études secon­daires et por­té l’étoile jaune, comme son frère aîné Jean-Claude, au lycée Condor­cet, fré­quen­té par nombre d’enfants de l’intelligentsia juive parisienne.

Après sa libé­ra­tion de Buchen­wald et son retour à Condor­cet, où il fit d’excellentes études clas­siques (pre­mier acces­sit d’histoire au Concours géné­ral), Ber­trand Herz sui­vit son frère en pré­pa au lycée Saint- Louis, où il eut à pâtir d’une mémo­rable admo­nes­ta­tion de la part d’un col­leur de maths redou­té – j’en témoigne –, Lucien Mar­te­not, qui lui repro­cha d’être moins brillant que son frère.

Paren­thèse : Jean-Claude Herz choi­sit la Rue d’Ulm plu­tôt que l’X où il fut reçu troi­sième en 1946, devint un algé­briste répu­té et un musi­cien ama­teur (pia­no, vio­lon­celle) de haut niveau.

L’ancêtre de l’informatique

Sor­ti 160e de sa pro­mo­tion de l’X, Ber­trand Herz entra au com­mis­sa­riat de la Marine. Une mino­ri­té d’ingénieurs y coexis­tait avec une majo­ri­té de juristes.

La pre­mière injonc­tion de ses supé­rieurs fut : « Vous êtes un ingé­nieur, vous allez vous occu­per des nou­velles tech­no­lo­gies. » En fait, il s’agissait de ce qu’on nom­mait alors méca­no­gra­phie, ancêtre de l’informatique administrative.

Dès l’année 1957, en équipe avec quelques autres jeunes com­mis­saires comme lui, il com­men­ça par infor­ma­ti­ser, petite révo­lu­tion, la solde des marins, veillant cor­ré­la­ti­ve­ment à faire sup­pri­mer les pro­cé­dures manuelles deve­nues inutiles.

Il uti­li­sa les machines Gene­ral Elec­tric, ins­tal­lées à la caserne de la Pépi­nière (à Paris dans le VIIIe) ; c’était l’époque où l’on rédi­geait encore les pro­grammes en lan­gage machine.

Transmettre le savoir

Ensuite, il pan­tou­fla. Après quatre ans dans une com­pa­gnie d’assurances, il entra au groupe Thom­son, où il res­ta vingt ans, de 1965 à 1985. Il y créa en 1965 un ser­vice d’informatique de gestion.

“ Le devoir de mémoire lui imposait de porter témoignage ”

Il recru­ta huit ingé­nieurs issus de grandes écoles, des ana­lystes et des pro­gram­meurs ; pen­dant les années 1965–1970, comme ses col­lègues des entre­prises et socié­tés de ser­vices, il s’investit dans la for­ma­tion ; à cette époque, en effet, l’enseignement des tech­niques et méthodes de l’informatique de ges­tion était encore absent de l’Université et des écoles.

On fit appel à son groupe pour, entre autres, for­mer des infor­ma­ti­ciens congo­lais dans le cadre d’un contrat avec le Zaïre.

Après qu’il eut quit­té la Thom­son, s’ouvrit la période finale de sa vie pro­fes­sion­nelle. Il devint pro­fes­seur asso­cié à l’université Paris‑V, IUT Paris, y ensei­gnant l’informatique aux étu­diants et aux sala­riés des entreprises.

Militant de la mémoire

À sa retraite, en 1994, alors qu’il était réso­lu à res­ter actif, la mon­tée de l’extrême-droite, celle de l’antisémitisme avec l’attentat de la rue Coper­nic et la pro­fa­na­tion de tombes juives au cime­tière de Car­pen­tras pro­vo­quèrent le retour des sou­ve­nirs refou­lés, de son inter­ne­ment à Buchenwald.

Le devoir de mémoire lui impo­sait de por­ter témoi­gnage de ce qu’il avait vu, de ce qu’il avait vécu. Il le ferait en témoin hon­nête, proche de la réa­li­té his­to­rique par son enga­ge­ment total en faveur de la mémoire de la dépor­ta­tion, éga­le­ment avec l’exactitude du scien­ti­fique, into­lé­rant vis-à-vis de tout par­ti pris, de toute défor­ma­tion des faits.

Une constante gaieté

Actif dans les asso­cia­tions fran­çaises de dépor­tés et de résis­tants comme des vic­times de la Shoah, Ber­trand Herz pré­side le Comi­té inter­na­tio­nal Buchen­wald- Dora et kommandos.

Comme le narre Jorge Sem­prun dans Le Grand Voyage, Ber­trand Herz, son père, sa mère et sa sœur furent envoyés vers l’Allemagne en train à bestiaux.


Pour en savoir plus

Leur tra­jet dura six jours et six nuits, dans des condi­tions extrêmes.

Ber­trand et son père par­vinrent au camp de tra­vail de Buchen­wald, où ils res­tèrent logés quatre mois au bloc des malades. Puis ils furent trans­fé­rés en décembre 1944 dans un camp satel­lite, le kom­man­do de Nie­de­ror­schel, à 80 kilo­mètres du camp principal.

Ces hor­reurs ne l’ont point défor­mé ; il reste un homme certes réser­vé, mais d’une constante gaie­té dans le regard et l’expression.

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