Hôtel de la Marine.

La Marine et la Réforme de l’État

Dossier : Marine nationaleMagazine N°596 Juin/Juillet 2004
Par Alain OUDOT De DAINVILLE

On aurait pu croire que la moder­ni­sa­tion d’une armée se rédui­sait à sa » pro­fes­sion­na­li­sa­tion « , pour ce qui regarde les femmes et les hommes qui la servent, et au renou­vel­le­ment de ses équi­pe­ments, pour les moyens maté­riels qu’elle met en œuvre. L’im­pul­sion actuelle, notam­ment don­née par le niveau poli­tique, montre qu’il n’en est rien ; la marine, pour suivre son exemple par­ti­cu­lier, doit recher­cher la per­for­mance, au sens plein et entier que le contrôle de ges­tion, géné­ra­li­sé à toutes les com­po­santes de la marine en 2001, sous-entend aujourd’­hui. En effet, si la voca­tion d’une armée ne per­met pas de l’as­si­mi­ler à une admi­nis­tra­tion ou à une entre­prise, il n’en demeure pas moins que la mise à dis­po­si­tion des deniers des contri­buables implique en juste retour un dis­po­si­tif effi­cace de mesure des inves­tis­se­ments consen­tis. Le volet finan­cier, s’il est ain­si fon­da­men­tal, ne consti­tue pas pour autant le seul levier d’ac­tion pour faire d’une marine qu’elle soit bien ins­tal­lée dans le XXIe siècle commençant…

Trois axes majeurs peuvent se dis­tin­guer dans les pro­ces­sus en cours du chan­tier de moder­ni­sa­tion de l’É­tat : décon­cen­tra­tion, décen­tra­li­sa­tion et moder­ni­sa­tion finan­cière. Ils trouvent tout natu­rel­le­ment leur décli­nai­son dans la défense et dans la marine en particulier.


Hôtel de la Marine. MARINE NATIONALE

La déconcentration

La marine a long­temps por­té l’hé­ri­tage du col­ber­tisme ; elle s’en échappe par la décon­cen­tra­tion notam­ment finan­cière, par laquelle des éche­lons subor­don­nés reçoivent délé­ga­tion pour employer au mieux les cré­dits dont ils dis­posent, avec la sou­plesse que pro­cure la fon­gi­bi­li­té éven­tuelle de ces mêmes cré­dits. Cette forme de liber­té ain­si accor­dée est enca­drée par un dia­logue de ges­tion qui per­met à la chaîne orga­nique de se pla­cer dans une logique d’ob­jec­tifs et de contrôle, et non plus de simples demandes bud­gé­taires. Cette démarche est en cours, avec l’ex­pé­ri­men­ta­tion en 2004 du pilo­tage des cré­dits du Centre d’ins­truc­tion navale (CIN) de Saint-Man­drier, près de Tou­lon ; le com­man­dant du CIN devient ain­si le gou­ver­neur d’une enve­loppe glo­bale incluant éga­le­ment les rému­né­ra­tions et les charges sociales (RCS) de son per­son­nel. Elle sera éten­due aux com­man­dants de force.

Pour des rai­sons his­to­riques et géo­gra­phiques, l’or­ga­ni­sa­tion de la marine est, aujourd’­hui, fon­dée sur la concen­tra­tion de la déci­sion finan­cière entre les mains d’un gou­ver­neur cen­tral et la volon­té de déchar­ger les uni­tés de res­pon­sa­bi­li­tés indus­trielles, admi­nis­tra­tives et logis­tiques en recou­rant qua­si sys­té­ma­ti­que­ment à des ser­vices de sou­tien locaux regrou­pés au sein d’un port militaire.

Dans ce contexte et à brève échéance, la marine va amé­lio­rer ses pra­tiques en :

  • ren­for­çant les moyens du gou­ver­neur de cré­dits et de ses délé­gués pour leur per­mettre de mieux assu­mer leurs res­pon­sa­bi­li­tés dans les domaines de la déter­mi­na­tion et de la hié­rar­chi­sa­tion des besoins, du sui­vi de l’exé­cu­tion bud­gé­taire et de la maî­trise du conte­nu phy­sique et capa­ci­taire asso­cié à chaque acte de dépense, à chaque opé­ra­tion de pro­gram­ma­tion. Le logi­ciel SCAPIN 2 déve­lop­pé en coopé­ra­tion avec l’é­tat-major des armées (EMA) et les autres armées répond à ce besoin ;
  • se dotant d’un sys­tème de comp­ta­bi­li­té ana­ly­tique cou­vrant l’en­semble des acti­vi­tés des ser­vices et des forces afin de répondre à l’ob­jec­tif de connais­sance des coûts. Le pro­jet SIRENE que pour­suit actuel­le­ment la marine vise à fédé­rer tous les sys­tèmes de comp­ta­bi­li­té ana­ly­tique déjà exis­tants et à per­mettre leur inter­face avec le pro­jet ACCORD dans sa ver­sion V2.


Les finances ne sont pas les seules concer­nées par cette volon­té de sub­si­dia­ri­té. La ges­tion du per­son­nel fait elle-même l’ob­jet, depuis peu, d’un rap­pro­che­ment entre les admi­nis­trés – les marins – et ceux qui les gèrent. Ain­si, huit auto­ri­tés orga­niques et ter­ri­to­riales de la marine dis­posent main­te­nant de la capa­ci­té à gérer » au plus près » le per­son­nel des for­ma­tions mili­taires qui leur sont rat­ta­chées. Ces auto­ri­tés de ges­tion de proxi­mi­té (AGE) dis­posent ain­si d’une meilleure sou­plesse dans l’emploi de leur per­son­nel, qui pour sa part béné­fi­cie d’un res­pon­sable local plus proche de ses préoccupations.

Les rému­né­ra­tions des marins assu­rant la mise en œuvre des bâti­ments de com­bat de la marine contri­buent à une part sub­stan­tielle du coût de pos­ses­sion de ces uni­tés. Aus­si, la réduc­tion des effec­tifs est un autre objec­tif qui est pris en compte dès les pre­mières études concer­nant les fré­gates mul­ti­mis­sions et le pro­chain porte-avions. Mais cet objec­tif a ses limites et impose d’ac­croître les effec­tifs de soutien.

La réduc­tion des effec­tifs des marins assu­rant la mise en œuvre des bâti­ments de com­bats futurs s’ap­puie sur :

  • l’emploi abou­ti des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion afin de ren­voyer vers la terre les tâches dont le report est soit béné­fique à l’exé­cu­tion de la mis­sion opé­ra­tion­nelle soit géné­ra­teur d’une réduc­tion du for­mat de l’é­qui­page. Les fonc­tions tou­chant à la ges­tion admi­nis­tra­tive d’un bâti­ment de com­bat et de son équi­page sont en par­ti­cu­lier concer­nées. Une expé­ri­men­ta­tion en vraie gran­deur conduite à bord du bâti­ment de trans­port et de débar­que­ment Foudre per­met­tra en 2004 d’en mesu­rer concrè­te­ment la portée ;
  • l’emploi de sys­tèmes inté­grés ou auto­ma­ti­sés per­met­tant de réduire le nombre de marins jus­qu’a­lors concer­nés par la mise en œuvre de cha­cun des élé­ments du sys­tème. Ce prin­cipe concerne aus­si bien le sys­tème de com­bat que la conduite de la pro­pul­sion, les trans­mis­sions ou la lutte contre les sinistres ou ava­ries de combat ;
  • une archi­tec­ture inté­rieure opti­mi­sée pour amé­lio­rer les condi­tions de main­te­nance dans les locaux tech­niques, y com­pris lorsque le bâti­ment de com­bat est en mer, et faci­li­ter les tâches de sou­tien de l’homme dans les locaux de vie ;
  • une recherche ergo­no­mique pous­sée pour cha­cun des postes de travail.


Dimi­nu­tion des coûts de pos­ses­sion des bâti­ments, amé­lio­ra­tion de la qua­li­té et de la tech­ni­ci­té des équi­pages, valo­ri­sa­tion des indi­vi­dus, tels sont les axes forts de cette démarche de moder­ni­sa­tion en matière de res­sources humaines, que la marine pour­suit et ins­crit dans la recherche de la performance.

Le déve­lop­pe­ment des outils élec­tro­niques per­met les types d’é­vo­lu­tions décrites pré­cé­dem­ment et d’une manière géné­rale faci­lite les échanges entre les dif­fé­rentes enti­tés. Se recen­trant sur sa voca­tion de pré­pa­ra­tion de l’a­ve­nir et de sou­tien aux opé­ra­tions au pro­fit du chef d’é­tat-major des armées (CEMA), l’é­tat-major de la marine est ain­si en train de décen­tra­li­ser le pilo­tage des grands domaines d’ex­per­tise propres à la marine. Les quatre auto­ri­tés orga­niques, cha­cune char­gée d’un réser­voir de forces (force d’ac­tion navale, force sous-marine, avia­tion navale et fusi­liers com­man­dos), et les trois com­man­dants d’ar­ron­dis­se­ment mari­times (Tou­lon, Brest et Cher­bourg) se voient confier un ou plu­sieurs domaines tels que la pro­jec­tion des forces, la guerre des mines, la pro­tec­tion des approches mari­times, la lutte anti­pol­lu­tion… Ces auto­ri­tés sont doré­na­vant char­gées de pilo­ter ces domaines, en défi­nis­sant les poli­tiques et doc­trines d’emploi des équi­pe­ments et du personnel.

L’externalisation

La marine exter­na­lise par ailleurs depuis plu­sieurs années des acti­vi­tés spé­ci­fiques qui concernent principalement :

  • l’as­sis­tance, le sau­ve­tage et la lutte contre les pollutions ;
  • l’en­tre­tien des ins­tal­la­tions à terre et des parcs à combustibles ;
  • l’en­tre­tien de cer­tains aéro­nefs de sou­tien en métro­pole et outre-mer ;
  • le sou­tien des uni­tés à terre et du trans­port de per­son­nel et de matériel ;
  • la for­ma­tion aéro­na­vale de ses pilotes d’a­vions embarqués.


À ces acti­vi­tés spé­ci­fiques viennent s’a­jou­ter des actions d’ex­ter­na­li­sa­tion plus tra­di­tion­nelles qui concernent prin­ci­pa­le­ment, dans les uni­tés à terre, le net­toyage des locaux, le gar­dien­nage, la res­tau­ra­tion, l’en­tre­tien immo­bi­lier et des espaces verts.

La marine a pour­sui­vi sa poli­tique d’ex­ter­na­li­sa­tion en l’é­ten­dant aux opé­ra­tions d’en­tre­tien des sur­faces des bâti­ments de la Flotte (grat­tage, trai­te­ment et pein­ture des coques), tâche très spé­ci­fique sur le plan tech­nique, d’une grande péni­bi­li­té pour les équi­pages, et pou­vant être exé­cu­tée par des socié­tés spécialisées.

Les pro­chains domaines où l’ex­ter­na­li­sa­tion va se déve­lop­per sont les suivants :

  • le ren­for­ce­ment des moyens mis en œuvre dans le cadre des opé­ra­tions de sau­ve­garde mari­time, par la loca­tion de ser­vices de télé­com­mu­ni­ca­tion satel­li­taire à haut débit au pro­fit des aéro­nefs Atlan­tique 2 de sur­veillance mari­time, ain­si que par une par­ti­ci­pa­tion à hau­teur de 35 % à la loca­tion en com­mun avec le minis­tère des Trans­ports de ser­vices satel­li­taires, pour la sur­veillance radar de la zone éco­no­mique exclu­sive des Terres Aus­trales et Antarc­tiques fran­çaises (pro­jet RADAR-SAT) ;
  • le trans­port du per­son­nel de la défense en rade de Brest va per­mettre aux marins affec­tés à cette tâche d’être redé­ployés sur des acti­vi­tés plus proches de leur cœur de métier.


Enfin seront pour­sui­vies les actions d’ex­ter­na­li­sa­tion enga­gées au béné­fice des for­ma­tions pro­fes­sion­na­li­sées de la marine pour com­pen­ser la dis­pa­ri­tion des appe­lés et opti­mi­ser l’emploi des res­sources humaines.

La modernisation financière

Le troi­sième axe de réforme, fon­da­men­tal, celui de la moder­ni­sa­tion finan­cière, repose prin­ci­pa­le­ment sur la loi orga­nique de loi de finances (LOLF) de 2001 qui vise à faire pas­ser les admi­nis­tra­tions d’une logique de moyens à une logique de résul­tats. Il s’a­git donc de mesu­rer l’ef­fi­ca­ci­té des inves­tis­se­ments réa­li­sés, en reliant l’at­tri­bu­tion de moyens à des objec­tifs pré­cis. Le minis­tère de la Défense s’a­dapte donc à cet effet, à tra­vers ses deux » mis­sions « , elles-mêmes décou­pées en » pro­grammes » eux-mêmes détaillés en » actions « . Cette réforme est struc­tu­rante, puis­qu’elle confie les res­pon­sa­bi­li­tés de cha­cun des sept pro­grammes aux grands adjoints du ministre. Le chef d’é­tat-major de la marine (CEMM), comme ses homo­logues, devient res­pon­sable » d’ac­tions » au sein des dif­fé­rents pro­grammes. Il est ame­né éga­le­ment à jouer un rôle trans­verse dans les dif­fé­rents pro­grammes, compte tenu de sa contri­bu­tion mul­ti­forme à ces dif­fé­rents » programmes « .

Ces dis­po­si­tions s’a­joutent au rôle capi­tal du CEMM dans ses fonc­tions de conseiller du CEMA pour la pla­ni­fi­ca­tion et la conduite des opé­ra­tions dont le CEMA reste le seul chef. Des contrats capa­ci­taires doivent en revanche mieux for­ma­li­ser la contri­bu­tion de la marine aux acti­vi­tés opé­ra­tion­nelles, en cohé­rence avec l’es­prit de cette réforme qui ne requiert plus des moyens de la part des armées, mais des capa­ci­tés, ce qui cor­res­pond au vrai besoin du CEMA.

Liées à la mise en place de la LOLF au sein du minis­tère, des réor­ga­ni­sa­tions voient aus­si le jour dans le domaine des infra­struc­tures et des archives, dans le but de fédé­rer les actions non spé­ci­fiques aux armées dans ces questions.

Dans un contexte bud­gé­taire très contraint, et alors que les moyens d’ar­me­ment de la marine sont for­te­ment mar­qués par des inves­tis­se­ments uni­taires oné­reux, de nou­velles solu­tions de finan­ce­ment sont envi­sa­gées pour mieux lis­ser la charge finan­cière de cer­tains pro­grammes de construc­tions neuves et de quelques opé­ra­tions indus­trielles spé­ci­fiques. Les finan­ce­ments dits » inno­vants » et l’u­ti­li­sa­tion de par­te­na­riats public-pri­vé en consti­tuent deux méthodes dont l’an­née 2004 pour­rait voir la mise en place concrète. Les pre­miers sont envi­sa­gés pour l’ac­qui­si­tion de fré­gates mul­ti­mis­sions, dont l’É­tat res­te­rait pro­prié­taire tout en s’ap­puyant sur un orga­nisme ban­caire pri­vé pour béné­fi­cier d’un éta­le­ment de paiement.

L’ap­pel au par­te­na­riat public-pri­vé est éga­le­ment recher­ché pour des acti­vi­tés ou des biens d’u­sage dual (public et pri­vé), qui répon­draient à des besoins com­plé­men­taires entre la marine et un autre acteur du monde civil.

Au bilan, la pré­oc­cu­pa­tion de la marine d’au­jourd’­hui est de mettre en œuvre les moyens les plus adap­tés à ses mis­sions, dans le res­pect d’une forte exi­gence de sécu­ri­té de nos citoyens, et dans le triple cadre inter­ar­mées, inter­mi­nis­té­riel et inter­na­tio­nal indis­pen­sable pour l’ef­fi­ca­ci­té de son action.

Cette adap­ta­tion per­ma­nente de l’ou­til mili­taire se fait en cohé­rence avec la marche géné­rale de l’É­tat et de la socié­té, d’où la marine tire sa rai­son d’être et ses forces vives. 

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