La Locandiera (de Goldoni)

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°606 Juin/Juillet 2005Par : la troupe de M. Attillio Maggiulli et dans une mise en scène de lui,Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

Un lec­teur me disait un jour qu’il ne voyait vrai­ment pas la rai­son pour­quoi l’on pou­vait aimer le théâtre de Gol­do­ni. Il en pla­çait, pour sa part, la vis comi­ca à cent cou­dées au-des­sous de la farce molié­resque ou des inven­tions poé­tiques du grand Will. Certes, Gol­do­ni n’a jamais mis sur la scène un vani­teux imbé­cile qui donne sa fille au fils du Grand Turc pour la féli­ci­té de deve­nir mama­mou­chi, et encore moins une fée tom­bant amou­reuse folle d’un homme à tête d’âne, dans l’enchantement d’une nuit d’été. Mais cela ne me dit pas à com­bien de cou­dées il convient de le des­cendre au-des­sous des autres. De bien peu à coup sûr pour moi. Et si, pareils à ce lec­teur, vous demeu­riez réti­cents, allez donc à la Comé­die ita­lienne voir jouer La Locan­die­ra. Le spec­tacle vous remet­tra les yeux der­rière les trous quant au génie de Goldoni.

Voi­ci peu, je vous avouais dans ces colonnes les réserves que m’avait ins­pi­rées le Casa­no­va, sublime his­trion mon­té par le mer­veilleux petit théâtre de M. Mag­giul­li au début de cette sai­son 2004–2005. La pièce, semble-t-il, aura en effet un peu déçu, de sorte que la Comé­die ita­lienne vient de chan­ger son affiche et nous pré­sente main­te­nant une éblouis­sante Locan­die­ra, peut-être une des meilleures pièces de Gol­do­ni, en tout cas l’une des plus jouées – en ce moment même à Paris, on peut la voir aus­si au Théâtre Antoine-Simone Bériau.

Pour la petite his­toire, sachez que Gol­do­ni écri­vit cette pièce à la fois pour une comé­dienne qu’il appré­ciait dans les emplois de sou­brette, la Mar­lia­ni, et, en la pri­vant d’un pre­mier rôle, pour en embê­ter une autre dont les vapeurs et les caprices lui don­naient sur les nerfs, en l’occurrence l’épouse même de Mede­bach, chef de la troupe du Sant’Angelo de Venise, avec lequel il com­men­çait d’ailleurs de sou­hai­ter prendre ses distances.

Le sujet de La Locan­die­ra n’est pas, de soi, comique et la pièce, comme il arrive sou­vent aux vrais clas­siques à y bien réflé­chir, peut deve­nir ce qu’interprètes et met­teur en scène en veulent faire. Il est pos­sible en effet d’en ima­gi­ner une ver­sion, non pas tra­gique sans doute, mais disons “dou­lou­reuse ”, avec un comte en riche égoïste, quelque peu écra­sant, un mar­quis de For­li­po­po­li encore jeune, et meur­tri de ne pou­voir, faute d’argent, riva­li­ser avec le comte, un che­va­lier jouis­seur et scep­tique mais per­dant les pédales face à l’aguichante Miran­do­li­na, elle-même à demi-hys­té­rique et se payant ouver­te­ment la figure de cha­cun de ses admi­ra­teurs, sous les yeux du pauvre Fabri­cio, à qui elle fut jadis pro­mise et qui s’effraye de la décou­vrir aus­si légère et inconséquente.

Cela s’est vu, car rien ne sau­rait arrê­ter l’imagination de met­teurs en scène assoif­fés de sin­gu­la­ri­té, mais à mon sens il s’agit plu­tôt alors d’une tra­hi­son, que M. Mag­giul­li ne com­met évi­dem­ment pas. Sa propre vision est réso­lu­ment comique, et il “ en rajoute ” même, avec de ces petites trou­vailles propres à vous requin­quer l’esprit et dont il pos­sède le secret : par exemple en confiant, sous pré­texte de manque de moyens, les rôles des deux théâ­treuses en ribote, Hor­tense et Déja­nire, à des tra­ves­tis jouant les éva­po­rées et les pré­cieuses au-delà du rai­son­nable, bien que l’un d’eux soit mal­en­con­treu­se­ment un tan­ti­net bar­bu. Un régal !

Le maître du lieu sait bien en outre que le théâtre est fait pour être vu, au moins autant qu’entendu : comme d’habitude sur cette petite scène, les cos­tumes, tou­jours por­tés avec élé­gance et raf­fi­ne­ment, sont l’occasion d’un déploie­ment de formes et de cou­leurs qui vau­drait, à lui seul, le dépla­ce­ment. On admi­re­ra en par­ti­cu­lier la robe de Miran­do­li­na (Mme Les­trade, bien enten­du), sans doute un peu bien belle pour une simple auber­giste, mais on ne va pas à la Comé­die ita­lienne pour le réa­lisme, n’estce pas ?

On y va pour la fée­rie. Allez‑y donc. Je vous garan­tis que vous en sor­ti­rez tout ragaillar­dis, ce qui n’est pas à négli­ger par les temps qui courent.

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