La conduite du système éducatif : Suffit-il d’établir un palmarès des établissements scolaires pour améliorer leurs résultats ?

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006
Par Jean-Claude EMIN

Depuis main­te­nant plus de dix ans, le minis­tère de l’É­du­ca­tion natio­nale publie régu­liè­re­ment des indi­ca­teurs de per­for­mance des lycées tant publics que pri­vés1. La presse, le public, les parents d’é­lèves dési­gnent sou­vent ces indi­ca­teurs sous le nom de « pal­ma­rès des lycées ». Mais s’a­git-il vrai­ment d’un pal­ma­rès, et un pal­ma­rès – c’est-à-dire un clas­se­ment – est-il le mieux à même d’in­ci­ter les lycées à amé­lio­rer leur fonc­tion­ne­ment et leurs résultats ?

Les effets pervers d’un palmarès

Pour éta­blir un clas­se­ment, il faut un cri­tère unique et l’on sait que la presse s’est employée très tôt à satis­faire la demande sociale en publiant des « pal­ma­rès » direc­te­ment ins­pi­rés de la logique du ran­king des league tables anglo-saxonnes. Ils étaient éta­blis en fonc­tion du seul taux de réus­site de leurs élèves au bac­ca­lau­réat et ont immé­dia­te­ment fait l’ob­jet de deux cri­tiques fortes de la part des ensei­gnants et des res­pon­sables d’établissement :

• s’in­té­res­ser au seul taux de réus­site à l’exa­men final, c’est accep­ter de juger un éta­blis­se­ment uni­que­ment sur le « der­nier obs­tacle » de la course que consti­tue la sco­la­ri­té dans un lycée. C’est négli­ger le fait qu’un lycée peut sélec­tion­ner ses élèves pour ne conser­ver « en fin de course » que ceux dont il juge qu’ils vont réus­sir le baccalauréat ;

• s’in­té­res­ser au seul taux effec­tif de réus­site au bac­ca­lau­réat, c’est igno­rer l’ac­tion propre du lycée, ce qu’il a « ajou­té » au niveau ini­tial des élèves qu’il a accueillis. En d’autres termes, si un lycée a un bon taux de réus­site au bac­ca­lau­réat, est-ce dû au fait qu’il a reçu (voire sélec­tion­né) de bons élèves, dotés de bonnes méthodes de tra­vail, qui ont pu obte­nir le bac­ca­lau­réat sans effort par­ti­cu­lier de sa part, ou bien, est-ce dû à ce qu’il a su, tout au long d’une sco­la­ri­té, déve­lop­per chez des élèves peut-être moins bien dotés au départ les connais­sances et les com­pé­tences qui ont per­mis leur succès ?

Un tel clas­se­ment n’in­cite guère à l’a­mé­lio­ra­tion, puisque ce sont fina­le­ment les éta­blis­se­ments qui sont en mesure d’at­ti­rer ou de sélec­tion­ner les meilleurs élèves à l’en­trée ou en cours de sco­la­ri­té qui ont toutes les chances d’en prendre la tête. Il est, de ce fait, en contra­dic­tion avec le prin­cipe de sec­to­ri­sa­tion en vigueur dans notre ser­vice public d’é­du­ca­tion où l’é­ta­blis­se­ment fré­quen­té dépend, en prin­cipe, du domi­cile2.

Apprécier la « valeur ajoutée » d’un établissement selon plusieurs critères

Les indi­ca­teurs de résul­tats publiés par le Minis­tère com­binent deux prin­cipes qui visent à répondre direc­te­ment aux deux cri­tiques faites à ces pal­ma­rès, d’une part, en pro­po­sant de por­ter plu­sieurs regards sur la per­for­mance d’un lycée et, d’autre part, en s’ef­for­çant d’ap­pré­cier la « valeur ajou­tée » de ce lycée.

Trois indicateurs sont publiés.

BAC GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE
(SESSION 2004)
Taux de réus­site natio­naux selon l’âge et l’origine sociale des élèves des éta­blis­se­ments publics
(France métro­po­li­taine + DOM)
Age au 31.12.2004
18 ans ou - 19 ans 20 ans ou + Total
Origine
sociale
des élèves
Très favorisée 92,2 77,8 70,1 86,5
Favorisée 87,8 74,5 68,1 81,1
Moyenne 86,2 73,5 67,1 79,2
Défavorisée 82,8 70,3 63,4 74,5
TOTAL 87,6 73,6 66,3 80,1

En effet, la diver­si­té de fait des éta­blis­se­ments et de leurs poli­tiques – diver­si­té qui n’est pas illé­gi­time, loin de là, dans le cadre d’un ser­vice public natio­nal – implique que la per­for­mance d’un éta­blis­se­ment puisse être mise en valeur selon plu­sieurs points de vue. En d’autres termes, il y a, pour un éta­blis­se­ment, plu­sieurs façons d’être performant.

 Le taux de réus­site au bac­ca­lau­réat est l’un de ces indi­ca­teurs, mais on sait qu’il est insuf­fi­sant pour rendre compte de l’ef­fi­ca­ci­té d’en­semble d’un lycée, c’est pour­quoi les deux autres s’in­té­ressent à l’en­semble de la sco­la­ri­té dans le lycée :

Bac­ca­lau­réat géné­ral et tech­no­lo­gique (ses­sion 2004) Taux de réus­site natio­naux selon l’âge et l’o­ri­gine sociale des élèves des éta­blis­se­ments publics
(France métro­po­li­taine + DOM)

Âge au 31.12.2004 Ori­gine sociale
des élèves 18 ans ou – 19 ans 20 ans ou + Total Très favo­ri­sée 92.2 77.8 70.1 86.5 Favo­ri­sée 87.8 74.5 68.1 81.1 Moyenne 86.2 73.5 67.1 79.2 Défa­vo­ri­sée 82.8 70.3 63.4 74.5 TOTAL 87.6 73.6 66.3 80.1

• Le taux d’ac­cès au bac­ca­lau­réat éva­lue, pour un élève entrant dans un lycée, la pro­ba­bi­li­té qu’il obtienne le bac­ca­lau­réat à l’is­sue d’une sco­la­ri­té entiè­re­ment effec­tuée dans celui-ci, quel que soit le nombre d’an­nées nécessaire.

 La pro­por­tion de bache­liers par­mi les sor­tants est la pro­por­tion de bache­liers par­mi les élèves qui quittent le lycée quels qu’en soient les rai­sons et le moment.

Un lycée qui éli­mine des élèves ou qui rechigne au redou­ble­ment aura, pour ces deux indi­ca­teurs, une valeur plus faible qu’un lycée qui laisse plu­sieurs chances à ses élèves.

On donne pour cha­cun de ces indi­ca­teurs une appré­cia­tion rela­tive de la « valeur ajou­tée » de l’é­ta­blis­se­ment, c’est-à-dire de son effi­ca­ci­té propre, compte tenu des carac­té­ris­tiques des élèves qu’il accueille.

Pour ce faire, on s’ef­force d’é­li­mi­ner des fac­teurs de réus­site indé­pen­dants de l’ac­tion du lycée, en consi­dé­rant le fait que la réus­site et l’ac­cès au bac­ca­lau­réat des élèves sont, en moyenne, sen­si­ble­ment dif­fé­rents selon leur ori­gine socio­pro­fes­sion­nelle et sur­tout selon leur âge.

Alors que le taux de réus­site moyen est de 80,1 %, ce taux dif­fère de près de 30 points selon que les élèves sont « à l’heure » ou en avance (18 ans ou moins) et issus d’une caté­go­rie sociale très favo­ri­sée du point de vue de la réus­site sco­laire (essen­tiel­le­ment cadres supé­rieurs et ensei­gnants) ou qu’ils ont redou­blé au moins deux fois (20 ans et plus) et pro­viennent d’une caté­go­rie sociale très défa­vo­ri­sée (ouvriers et inac­tifs pour l’es­sen­tiel). Les pre­miers réus­sissent en moyenne à 92,2 %, les seconds à 63,4 % seulement.

Pour se pro­non­cer équi­ta­ble­ment sur le fait de savoir si un lycée est per­for­mant, il faut com­pa­rer son taux de réus­site au bac­ca­lau­réat, non pas au taux moyen « toutes caté­go­ries confon­dues » (80,1 %), mais au taux moyen des caté­go­ries d’é­lèves qu’il accueille effectivement.

C’est à par­tir de ce rai­son­ne­ment, que l’on cal­cule, pour chaque lycée, un taux de réus­site « atten­du », qui serait celui de ses élèves si cha­cun d’entre eux connais­sait le même suc­cès au bac­ca­lau­réat que celui que connaissent, en moyenne, les can­di­dats de mêmes âge et ori­gine socio­pro­fes­sion­nelle. L’é­cart entre le taux effec­tif de réus­site du lycée et son taux atten­du donne une appré­cia­tion rela­tive de sa « valeur ajou­tée ». S’il est posi­tif, on a tout lieu de pen­ser que le lycée a appor­té aux élèves qu’il a accueillis plus que ce que ceux-ci auraient reçu s’ils avaient fré­quen­té un éta­blis­se­ment moyen, ce qui est l’in­dice d’une bonne effi­ca­ci­té rela­tive. Si l’é­cart est néga­tif, on aura la pré­somp­tion inverse.

On tient ce rai­son­ne­ment pour les autres indicateurs.

Une appréciation de la valeur ajoutée à améliorer

Tels qu’ils sont ain­si éta­blis, ces indi­ca­teurs ne peuvent être par­faits, puisque le cal­cul de la « valeur ajou­tée » ne repose pas sur un indice direct du niveau sco­laire des élèves à l’en­trée au lycée (tel que les notes obte­nues aux épreuves ter­mi­nales du bre­vet des col­lèges), ce que confirme une étude récente sur les lycées de l’a­ca­dé­mie de Bor­deaux3 : on observe que, dans cette aca­dé­mie, des éta­blis­se­ments com­pa­rables du point de vue de l’âge et de l’o­ri­gine socio­pro­fes­sion­nelle de leur public sco­la­risent en fait des élèves dont le niveau sco­laire peut être très dif­fé­rent, ce qui modi­fie la mesure de la « valeur ajou­tée ». Cette étude a confor­té le pro­jet de la DEP, qui dis­pose seule­ment depuis peu des résul­tats détaillés des élèves au bre­vet, de tra­vailler à une amé­lio­ra­tion de ces indi­ca­teurs4.

Le but essentiel : améliorer les résultats des établissements


Lycée Hen­ri IV, Paris

Mais il n’en demeure pas moins que la publi­ca­tion d’in­di­ca­teurs, même impar­faits, a eu le mérite de faire pièce aux « pal­ma­rès » qui assi­mi­laient taux de réus­site au bac­ca­lau­réat et per­for­mance des éta­blis­se­ments. Le « mes­sage » que l’on s’est ain­si effor­cé de faire pas­ser est que seule l’a­na­lyse com­bi­née de plu­sieurs indi­ca­teurs de « valeur ajou­tée » est à même de don­ner une image de la réa­li­té com­plexe que consti­tuent les résul­tats d’un éta­blis­se­ment et d’é­ta­blir un constat de ses points forts et de ses points faibles. On invite ain­si les lycées à prendre appui sur les pre­miers pour amé­lio­rer les seconds.

En effet, le but n’est pas de clas­ser les éta­blis­se­ments, mais de les inci­ter à enga­ger une démarche effec­tive d’é­va­lua­tion de leur envi­ron­ne­ment, de leurs res­sources, de leur fonc­tion­ne­ment et de leurs résul­tats, en vue d’é­ta­blir des hypo­thèses et des plans d’ac­tion pour amé­lio­rer ceux-ci. Les indi­ca­teurs de résul­tats sont donc accom­pa­gnés, à leur atten­tion, d’autres indi­ca­teurs qui rendent compte des carac­té­ris­tiques des élèves qu’ils accueillent et de leur envi­ron­ne­ment, de l’u­ti­li­sa­tion qu’ils font de leurs res­sources et de leurs moyens, ain­si que de leur fonctionnement.

Des pro­grès res­tent encore à faire à ce sujet, comme le sou­li­gnait le Haut Conseil de l’é­va­lua­tion de l’é­cole en jan­vier 2002 : si « de nom­breux tra­vaux ont été déve­lop­pés [dans ce domaine] une démarche d’é­va­lua­tion mieux coor­don­née et plus glo­bale doit être ren­for­cée. » Il en situait les enjeux en sou­li­gnant que « pour accroître l’ef­fi­ca­ci­té d’en­semble du sys­tème édu­ca­tif et lui assu­rer un fonc­tion­ne­ment plus équi­table, il faut se don­ner les moyens de rendre équi­va­lente – et la meilleure – pos­sible la qua­li­té du ser­vice offert par chaque lycée, c’est-à-dire de faire en sorte que tous fassent pro­gres­ser tous leurs élèves, et ceci quels que soient le contexte, le niveau d’en­trée et les carac­té­ris­tiques de leurs élèves et les for­ma­tions qu’ils offrent.« 5

Un simple pal­ma­rès, éta­bli sur un cri­tère unique, ne peut y suf­fire ; il risque même d’al­ler à l’en­contre des objec­tifs d’ef­fi­ca­ci­té et d’é­qui­té de notre sys­tème éducatif.

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1. Les indi­ca­teurs de résul­tats des lycées d’en­sei­gne­ment géné­ral et tech­no­lo­gique et des lycées pro­fes­sion­nels, éla­bo­rés par la Direc­tion de l’é­va­lua­tion et de la pros­pec­tive sont dis­po­nibles sur le site : http://indicateurs.education.gouv.fr/
2. Pour appré­cier la réa­li­té de ce prin­cipe, on pour­ra se repor­ter à deux notes d’in­for­ma­tion récentes (décembre 2005) de la Direc­tion de l’é­va­lua­tion et de la pros­pec­tive (DEP) du minis­tère de l’É­du­ca­tion nationale :
n° 05–35, Ségré­ga­tion ou mixi­té : la répar­ti­tion des élèves dans les col­lèges et les lycées, par Isa­belle Maetz, et
n° 05–36, Une approche de la sélec­ti­vi­té et de l’at­trac­ti­vi­té des lycées géné­raux et tech­no­lo­giques à l’en­trée en seconde, par Clau­die Pas­cal,dis­po­nibles sur :  http://www.education.gouv.fr/stateval/ni/listni2005.html  
3. Voir à ce sujet Les indi­ca­teurs de per­for­mance des lycées, une ana­lyse cri­tique, par Georges Felou­zis, dans la revue de la DEP, Édu­ca­tion et for­ma­tions, numé­ro 70, décembre 2004.
4. Voir la dis­cus­sion qui suit l’ar­ticle précité.
5. L’é­va­lua­tion des lycées, avis n° 4 du Haut Conseil de l’é­va­lua­tion de l’é­cole, dis­po­nible sur http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/avis04.pdf

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