Collaboration avec un robot japonais

La communauté Cap Robotique,moteur de la robotique personnelle

Dossier : La RobotiqueMagazine N°655 Mai 2010
Par Rodolphe GELIN

Au début des années 2000, des mil­lions de robots domes­tiques ont été ven­dus, lais­sant espé­rer que les pro­phé­ties allaient enfin se réa­li­ser. Ce mes­sie robo­tique, l’as­pi­ra­teur Room­ba d’iRo­bot, qui a fait explo­ser les sta­tis­tiques, est un engin très simple, met­tant en oeuvre les concepts robo­tiques des années 80 (cap­teurs rudi­men­taires, intel­li­gence limi­tée à un évi­te­ment d’obs­tacle local). Un gros tra­vail d’in­dus­tria­li­sa­tion aura per­mis de le pro­po­ser à un coût à la hau­teur du ser­vice qu’il rend (quelques cen­taines de dol­lars), mais avec une effi­ca­ci­té à la hau­teur de son coût. 

Un compromis pertinent entre coût et utilité

Si cette belle réus­site com­mer­ciale ne doit pas faire pen­ser que les digues tech­no­lo­giques sont rom­pues et que les robots vont inon­der nos appar­te­ments, elle per­met quand même de tirer un ensei­gne­ment : il n’est pas néces­saire que le robot pro­pose des ser­vices excep­tion­nels mais il faut qu’il réa­lise un com­pro­mis per­ti­nent entre son coût et son uti­li­té. La tech­no­lo­gie robo­tique doit être un agré­gat de tech­no­lo­gies Or, aujourd’­hui, la tech­no­lo­gie per­met d’at­teindre des résul­tats de plus en plus satis­fai­sants pour un coût qui devient rai­son­nable. La robo­tique béné­fi­cie en effet des pro­grès faits notam­ment en termes de puis­sance de cal­cul embar­quée, en per­for­mance des cap­teurs de vision, en mémoire, en dis­po­ni­bi­li­té d’ou­tils logi­ciels (ope­ra­ting sys­tem et briques logi­cielles libres). Bon nombre de ces pro­grès ont été atteints grâce à l’es­sor d’ob­jets tech­no­lo­giques non robo­tiques : l’au­to­mo­bile, les ordi­na­teurs por­tables, les smart phones, les appa­reils pho­to­nu­mé­riques dont la dif­fu­sion pla­né­taire a dimi­nué (voire sup­pri­mé, pour cer­tains logi­ciels) le coût de ces com­po­sants de sys­tèmes robotiques.

REPÈRES
La robo­tique va peut-être enfin arri­ver à matu­ri­té et sor­tir pour de bon des usines, des labo­ra­toires de recherche ou d’autres domaines très poin­tus, comme le mili­taire ou le nucléaire. Depuis une ving­taine d’an­nées, les cher­cheurs et quelques indus­triels tra­vaillent à trans­for­mer cette tech­no­lo­gie en véri­table outil de ser­vice qui pour­ra se mettre à la dis­po­si­tion des per­sonnes. Cette robo­tique de ser­vice est des­ti­née, nous disent ces vision­naires, à aider l’homme dans des situa­tions quo­ti­diennes et trans­for­mer notre socié­té comme la voi­ture, l’in­for­ma­tique et la télé­pho­nie l’ont fait en leur temps. Le robot sera un jour capable de faire le ménage chez nous, de s’oc­cu­per de per­sonnes en situa­tion de perte d’au­to­no­mie ou d’ai­der nos enfants à faire leurs devoirs. Ce dis­cours est tenu par des pas­sion­nés et est étayé par des pré­vi­sions de gens sérieux comme l’I­FR (Inter­na­tio­nal Fede­ra­tion of Robo­tics) ou les gou­ver­ne­ments japo­nais et coréen. Bill Gates a dit que la ques­tion n’est pas de savoir si nous aurons des robots chez nous mais com­bien nous en aurons. Cette décla­ra­tion accom­pa­gnait la sor­tie de Micro­soft Robo­tic Stu­dio, un logi­ciel des­ti­né à deve­nir le Win­dows de la robotique.

De la même façon que la » science robo­tique » est un agré­gat de nom­breuses dis­ci­plines (méca­nique, élec­tro­nique, infor­ma­tique, auto­ma­tique, trai­te­ment du signal, intel­li­gence arti­fi­cielle), la tech­no­lo­gie robo­tique doit être un agré­gat de tech­no­lo­gies issues des domaines les plus divers. 

Des groupements de roboticiens

Robot­ca­li­ser
Les indus­triels de la robo­tique » his­to­rique « , celle qui ins­talle des robots indus­triels et des cel­lules robo­ti­sées sur les sites de pro­duc­tion, sont éga­le­ment regrou­pés dans un club robo­tique, sous l’é­gide du Symop (syn­di­cat pro­fes­sion­nel des entre­prises de tech­no­lo­gies de pro­duc­tion). On y retrouve les plus grands noms de la robo­tique indus­trielle (ABB, Adept Tech­no­lo­gy, Fanuc, Kuka, Stäu­bli, etc.). La voca­tion de ce club est la pro­mo­tion de la robo­tique indus­trielle, encore sous-employée dans l’in­dus­trie fran­çaise, notam­ment à tra­vers le pro­jet Robot­ca­li­ser. Ce pro­jet pro­pose d’é­vi­ter les délo­ca­li­sa­tions de la pro­duc­tion vers des pays à faible coût de main-d’oeuvre en robo­ti­sant, en France, une par­tie de cette production.

Il est donc assez natu­rel pour le robo­ti­cien de regar­der autour de lui pour voir com­ment, grâce au regrou­pe­ment des com­pé­tences qui l’en­tourent, il pour­rait faire mieux son tra­vail. Une tech­no­lo­gie d’in­té­gra­tion, comme est la robo­tique, doit s’ac­com­pa­gner d’une poli­tique de regrou­pe­ment des forces et des compétences.

Ce type de mou­ve­ment cen­tri­pète est déjà lar­ge­ment amor­cé puisque les grou­pe­ments de robo­ti­ciens sont nom­breux, tant dans le monde aca­dé­mique que dans le monde indus­triel. Au niveau euro­péen par exemple, on peut citer le réseau d’ex­cel­lence Euron, qui regroupe plus de 200 labo­ra­toires de recherche en robo­tique, ou la pla­te­forme tech­no­lo­gique euro­péenne Europ, qui regroupe une qua­ran­taine d’in­dus­triels euro­péens de la robo­tique. En France, les labo­ra­toires du CNRS se sont orga­ni­sés en un GDR Robo­tique (grou­pe­ment de recherche). Cette com­mu­nau­té très active est ani­mée par le LIRMM, un des très bons labo­ra­toires robo­tiques de France basé à Montpellier.

La France très active en robotique

On voit, au tra­vers de ces exemples, que la France est un pays très actif en robo­tique. Les cher­cheurs fran­çais sont par­mi les plus pro­li­fiques en publi­ca­tions scien­ti­fiques au niveau mon­dial et, pour la petite his­toire, le patron du dépar­te­ment robo­tique du pres­ti­gieux MIT est français.

Regrou­per tous les acteurs pou­vant assu­rer la pro­mo­tion, l’in­no­va­tion et le développement

Les pou­voirs publics sou­tiennent (mais jamais assez, bien sûr) cette ten­dance en finan­çant dans deux thé­ma­tiques de l’ANR (Agence natio­nale de la recherche) les déve­lop­pe­ments robo­tiques. De son côté, le FUI (Fonds unique inter­mi­nis­té­riel) finance, grâce à la DGCIS, la Région Île-de-France et la ville de Paris, et via le pôle de com­pé­ti­ti­vi­té pari­sien Cap Digi­tal, un pro­jet de 10 mil­lions d’eu­ros ras­sem­blant, autour d’Al­de­ba­ran Robo­tics, 13 par­te­naires pour la réa­li­sa­tion d’un robot huma­noïde de grande taille des­ti­né à concur­ren­cer les magni­fiques réa­li­sa­tions japo­naises que sont Asi­mo et HRP2. Les par­te­naires de ce pro­jet, qui viennent d’ho­ri­zons divers (robo­tique, jeux vidéo, labo­ra­toire de phy­sio­lo­gie, éta­blis­se­ment de san­té, etc.), se sont ren­du compte qu’ils étaient repré­sen­ta­tifs d’une nou­velle com­mu­nau­té : celle de la robo­tique per­son­nelle. Avec le sup­port de Cap Digi­tal, ils ont donc créé, en décembre 2008, Cap Robo­tique, une com­mu­nau­té de domaine, un clus­ter comme disent les Anglo-Saxons, qui allait regrou­per tous les acteurs pou­vant assu­rer la pro­mo­tion, l’in­no­va­tion et le déve­lop­pe­ment dans ce domaine et celui des objets com­mu­ni­cants d’une manière plus générale.

Du réseau de com­pé­tences à l’in­for­ma­tion du public
Pour atteindre ses objec­tifs ambi­tieux, Cap Robo­tique s’en­gage sur plu­sieurs actions : créer un réseau de com­pé­tences ; sus­ci­ter des échanges et des col­la­bo­ra­tions pour faire avan­cer les tech­no­lo­gies utiles à ce domaine ; faire du lob­bying et mener des actions de com­mu­ni­ca­tion com­munes ; faire prendre conscience des ques­tions de la robo­tique ; infor­mer et atti­rer le grand public ; encou­ra­ger l’en­ga­ge­ment finan­cier des auto­ri­tés, via les appels à pro­jets ; deve­nir un inter­lo­cu­teur incon­tour­nable dans le domaine de la robo­tique. Le levier de Cap Digi­tal, pôle de com­pé­ti­ti­vi­té de voca­tion inter­na­tio­nale, est bien sûr un sup­port puis­sant pour la réa­li­sa­tion de tous ces objectifs.

L’ob­jec­tif prin­ci­pal de Cap Robo­tique est de faire émer­ger le sec­teur de la robo­tique per­son­nelle et des objets com­mu­ni­cants en misant sur la recherche, l’en­sei­gne­ment, l’in­dus­tria­li­sa­tion, la dif­fu­sion et l’in­no­va­tion. La voca­tion clai­re­ment affi­chée de Cap Robo­tique est de faire de la France le pays lea­der en robo­tique mal­gré l’hé­gé­mo­nie appa­rente des pays asia­tiques. En effet, le Japon et la Corée sont actuel­le­ment très pré­sents dans les médias avec de magni­fiques machines mais la dif­fu­sion de ces robots auprès du public est encore confi­den­tielle, même sur leur mar­ché local. L’exemple d’Al­de­ba­ran Robo­tics, qui vise à mettre des robots huma­noïdes chez les par­ti­cu­liers dans les mois à venir, montre que la France n’a pas tant de retard que ça, voire un peu d’a­vance. Et le levier d’une com­mu­nau­té riche et orga­ni­sée ne pour­ra que ren­for­cer cette tendance.

Soixante partenaires

La soixan­taine de par­te­naires que compte aujourd’­hui Cap Robo­tique est réper­to­riée sur le site www.caprobotique.com.

La Cité des sciences et le Futu­ro­scope ont rejoint Cap Robotique

Citons-en quelques- uns pour bien mon­trer les typo­lo­gies très diverses des membres de cette com­mu­nau­té. Bien sûr, on retrouve les indus­triels de la robo­tique per­son­nelle ou de ser­vice fran­çais comme Wany Robo­tics ou Robo­soft. Ces deux entre­prises com­mer­cia­lisent des robots édu­ca­tifs pour la pre­mière et de ser­vice pour la seconde depuis plus de dix ans. Elles sont des piliers de l’in­dus­trie robo­tique fran­çaise et mal­gré leur implan­ta­tion bien peu pari­sienne, l’une est à Mont­pel­lier et l’autre à Bidart au Pays basque, elles ont rejoint Cap Robo­tique par­mi les pre­miers. La socié­té Gos­tai, qui com­mer­cia­lise un midd­le­ware pour la robo­tique, a été éga­le­ment un des membres de la pre­mière heure.

Des four­nis­seurs de technologies
Au-delà de la com­mu­nau­té pure­ment robo­tique, Cap Robo­tique compte éga­le­ment par­mi ses membres des four­nis­seurs de tech­no­lo­gies utiles à la robo­tique, comme la recon­nais­sance vocale (avec la socié­té Aca­pe­la), l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle (Spi­rops), le trai­te­ment des sons (Vox­ler) pour ne citer que celles-ci.

Les meilleurs labo­ra­toires de robo­tique de France sont éga­le­ment pré­sents : le LAAS (CNRS) à Tou­louse, qui tra­vaille depuis quelques années sur la pla­te­forme japo­naise HRP2 au sein du JRL (Joint Research Labo­ra­to­ry) avec l’AIST (Centre de recherche tech­no­lo­gique japo­nais concep­teur de l’hu­ma­noïde HRP2), le LIRMM, dont on a déjà cité l’im­por­tance dans la com­mu­nau­té robo­tique mais aus­si l’I­SIR (Ins­ti­tut des sys­tèmes intel­li­gents et robo­tiques de Paris-VI) ou le CEA LIST, le LASMEA (CNRS Cler­mont-Fer­rand), Télé­com Paris­Tech, l’IN­RIA et bien d’autres.

Communiquer vers le grand public

Mais les membres de Cap Robo­tique ne viennent pas que du monde pure­ment technologique.

Édu­ca­tion et jeu
Afin d’é­tendre encore plus les capa­ci­tés qu’une telle com­mu­nau­té pour­rait offrir, des rap­pro­che­ments ont été entre­pris vers des membres d’autres com­mu­nau­tés de Cap Digi­tal, notam­ment celle des jeux vidéo et celle de l’é­du­ca­tion. En effet, par­mi les pre­mières appli­ca­tions d’un robot domes­tique, le jeu, qu’il soit pure­ment tour­né vers la dis­trac­tion ou qu’il ait des visées édu­ca­tives, est cer­tai­ne­ment un des vec­teurs qui feront que les familles accep­te­ront volon­tiers la pré­sence d’un robot dans leur envi­ron­ne­ment quo­ti­dien, en atten­dant que le ser­vi­teur cyber­né­tique existe et puisse enfin appor­ter l’a­pé­ri­tif dans le salon ou repas­ser les che­mises dans la buanderie.

Une par­tie des objec­tifs de la com­mu­nau­té étant la com­mu­ni­ca­tion vers le grand public, on retrouve de grands acteurs de la dif­fu­sion de la science que sont la Cité des sciences et le Futu­ro­scope mais aus­si des écoles, comme l’ENS­CI et le Strate Col­lege. Deux grands groupes, Tha­lès et SFR, ont tenu à se joindre éga­le­ment à l’i­ni­tia­tive. Chez Tha­lès la robo­tique n’est pas très per­son­nelle et s’o­riente plus vers le champ de bataille que vers le domes­tique, mais les tech­no­lo­gies déve­lop­pées par le groupe pour­raient trou­ver des appli­ca­tions dans les robots de notre quo­ti­dien. Quant à SFR, le robot étant un objet com­mu­ni­cant par excel­lence, cette socié­té a bien vu tout le poten­tiel qu’il pou­vait repré­sen­ter en termes de ser­vices à dis­tri­buer via les canaux de communication.

L’ap­proche et l’ac­cueil de nou­veaux membres sont un des objec­tifs de Cap Robo­tique. Peu d’en­tre­prises ont en effet iden­ti­fié la robo­tique comme un mar­ché sus­cep­tible d’en­gen­drer du chiffre d’af­faires, alors qu’elles maî­trisent des tech­no­lo­gies sus­cep­tibles d’être ven­dues et d’ap­por­ter de la valeur ajou­tée aux sys­tèmes robo­tiques. L’en­jeu concerne des cen­taines de mil­liers ou mil­lions d’emplois qui seront créés autour de la robo­tique, des logi­ciels et des ser­vices, et de savoir s’ils iront en Asie, à l’ins­tar des emplois d’In­ter­net et de la micro-infor­ma­tique, aux États-Unis ou en Europe.


Les Tou­lou­sains col­la­borent avec les Japo­nais © LAAS CNRS

Une envergure européenne

Cap Robo­tique va cher­cher des membres bien au-delà de la » juri­dic­tion » de sa mai­son mère, le pôle de com­pé­ti­ti­vi­té Cap Digi­tal cen­tré sur l’Île-de-France. Pour jouer son rôle de vivier de toutes les com­pé­tences utiles au déve­lop­pe­ment de la robo­tique per­son­nelle, Cap Robo­tique devra prendre une enver­gure euro­péenne, soit en inté­grant des membres venant d’autres pays d’Eu­rope, soit en for­ma­li­sant des coopé­ra­tions avec des clus­ters étran­gers comme il en existe en Ita­lie, en Nor­vège et en Suède notamment.

Un inter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié pour les grands investisseurs

Au-delà d’un simple club des amis de la robo­tique per­son­nelle, Cap Robo­tique espère bien deve­nir un inter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié pour les grands inves­tis­seurs (publics ou pri­vés) quand ceux-ci pren­dront conscience de l’im­por­tance de déve­lop­per l’in­dus­trie de la robo­tique per­son­nelle. Quand cette tech­no­lo­gie attein­dra enfin la matu­ri­té néces­saire à son large déve­lop­pe­ment, notre indus­trie devra être prête à répondre à la demande du mar­ché. Si l’in­dus­trie fran­çaise et euro­péenne n’est pas prête, l’in­dus­trie asia­tique le sera et tous nos robots domes­tiques seront made in Asia. La mon­tée en puis­sance de Cap Robo­tique est une solu­tion pour que la future indus­trie de masse du vingt et unième siècle soit made in France.

Vers un nou­veau statut
La forme actuelle de Cap Robo­tique, la com­mu­nau­té de domaine d’un pôle de com­pé­ti­ti­vi­té, ne lui donne pas une exis­tence légale propre. Son évo­lu­tion, en asso­cia­tion par exemple ou en » grappe » selon la nou­velle ter­mi­no­lo­gie créée par le gou­ver­ne­ment, lui per­met­trait d’ac­cé­der à un sta­tut lui don­nant la pos­si­bi­li­té de se doter de per­son­nel per­ma­nent aidant à démul­ti­plier son action, de rece­voir offi­ciel­le­ment des finan­ce­ments et d’en redistribuer.

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