La carte de France déformée par le TGV

Dossier : Les pays de FranceMagazine N°631 Janvier 2008
Par Yves CHOPINET (77)
Par Michel LEBOEUF

Les infra­struc­tures de trans­port jouent un rôle fon­da­men­tal dans l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire. A côté des modèles éco­no­mé­triques fon­dés sur le seul » coût géné­ra­li­sé « , un outil per­met de mesu­rer » l’ac­ces­si­bi­li­té » des villes sur le ter­ri­toire natio­nal, c’est-à-dire, au départ d’une ville, don­née, toutes les gares acces­sibles en un temps don­né. Le TGV, par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace sur des par­cours de 2 ou 3 heures, perd de sa per­ti­nence à par­tir de 5 heures. Entre 1980 et 2006, la part de la popu­la­tion acces­sible en moins de 5 heures s’est accrue de 20 % à par­tir de Paris, de 25 % à par­tir de Lyon et de 33 % à par­tir de Lille. Dans un ave­nir plus éloi­gné , Lille et Stras­bourg pour­raient voir leur acces­si­bi­li­té croître de plus de 40 %.


REPÈRES

Les modèles éco­no­mé­triques qui rendent compte de la rela­tion entre l’offre et la demande de trans­port sont basés sur le concept de « coût géné­ra­li­sé » qui agrège le coût finan­cier, la valeur du temps pas­sé et per­çu pour se dépla­cer et la péni­bi­li­té du voyage. Ces modèles expliquent bien les trans­ferts de clien­tèle entre les modes de trans­port concur­rents (modèle « prix-temps ») et l’accroissement de mobi­li­té que sus­cite une offre nou­velle ou amé­lio­rée (modèle « gravitaire »).


La SNCF a mis au point des modèles éco­no­mé­triques pour mesu­rer le lien entre la qua­li­té de son offre et le volume de voya­geurs trans­por­té. Elle s’est aus­si équi­pée d’un outil de mesure de l’ac­ces­si­bi­li­té des villes sur le ter­ri­toire national.


Carte ana­mor­phose de la France en 2007.

Dans un pre­mier temps, cette étude a por­té sur les cartes dites » ana­mor­phoses » qui donnent une repré­sen­ta­tion du ter­ri­toire inté­grant les défor­ma­tions de l’es­pace liées au fait que la vitesse de dépla­ce­ment varie avec la direc­tion adop­tée et le point de départ.. Tout se passe comme si la carte de France était des­si­née sur un sup­port chif­fon­né de telle façon que des villes reliées par un trans­port très rapide se retrouvent proches à cause des plis, alors que, lorsque le trans­port est lent entre deux villes, la por­tion de carte qui les englobe est au contraire bien dépliée. Ces cartes ana­mor­phoses font donc res­sor­tir les zones lentes à tra­ver­ser en leur don­nant une sur­face rela­tive plus grande que sur le ter­rain. La com­pa­rai­son des cartes ana­mor­phoses pour les années 2 000, sans le TGV Médi­ter­ra­née et 2007 avec le TGV Médi­ter­ra­née et le TGV Est euro­péen montre clai­re­ment cet effet de rétré­cis­se­ment des zones effi­ca­ce­ment des­ser­vies. Ces cartes ont le mérite d’illus­trer la défor­ma­tion spa­tiale du ter­ri­toire en fonc­tion du temps de par­cours fer­ro­viaire. Elles ne four­nissent pas une mesure quan­ti­ta­tive des effets de l’offre. elles ne consti­tuent pas non plus un outil » tran­si­tif « , en ce sens qu’une zone qui rétré­cit à un moment don­né grâce à une ligne à grande vitesse (LBV) peut très bien se dila­ter lors­qu’une autre LGV est ouverte, puisque la carte repré­sente des dis­tances rela­tives et non absolues.


Cartes iso­chrones au départ de Paris en 1980 et 2006.
En 2006, la France entière était acces­sible à par­tir de Paris en moins de sept heures trente. Il fal­lait par­fois comp­ter plus de dix heures en 1980.

L’isochrone de 5 heures

En termes d’ac­ces­si­bi­li­té des villes, l’Est et le Sud-Est ont » rape­tis­sé » en 2007

La carte » iso­chrone « , contrai­re­ment à la carte ana­mor­phose, n’est valable que pour un seuil point du ter­ri­toire, c’est à dire une seule ville dans le cas de l’ou­til SNCF. Il s’a­git, en par­tant de la gare de cette ville, de trou­ver toutes les gares que l’on peut atteindre en un temps don­né de par­cours fer­ro­viaire, direct ou non. C’est ain­si que se forment des auréoles, plus ou moins larges en fonc­tion de la limite de temps consi­dé­rée. La fabri­ca­tion de cartes à par­tir de bases de don­nées horaires, dis­po­nible depuis 1980, est aujourd’­hui auto­ma­tique. La SNCF a asso­cié à chaque iso­chrone le cal­cul de la popu­la­tion cor­res­pon­dante. Il est ain­si pos­sible de visua­li­ser, pour une année A et une ville V la par­tie de la France acces­sible en T heures de train et d’y asso­cier le pour­cen­tage de la popu­la­tion du pays pou­vant être atteinte dans ce délai. L’i­so­chrone cinq heures est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante. Cha­cun sait que le TGV est par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace entre deux et trois heures. Au delà de trois heures, il perd pro­gres­si­ve­ment sa posi­tion domi­nante sur le mar­ché. A par­tir de cinq heures, il est domi­né par l’a­vion. Ain­si, l’i­so­chrone cinq heures cor­res­pond à peu près au domaine de per­ti­nence du TGV.

Paris, Lyon et Tours

Repères
En 25 ans le tra­fic a pro­gres­sé deux fois plus sur la rela­tion Paris-Lille (de l’in­dice 100 à l’in­dice 335) que sur Paris-Stras­bourg (de l’in­dice 100 à l’in­dice 170).

Un hori­zon encore vir­tuel : le « Grand avenir »

L’in­té­rêt de cet assem­blage d’une base de don­nées horaires et d’un sys­tème d’in­for­ma­tion géo­gra­phique ne réside pas tant dans la consti­tu­tion à un moment don­né de l’i­mage de la France vue d’une ville déter­mi­née que dans la pro­duc­tion de la série tem­po­relle de telles images et dans la quan­ti­fi­ca­tion des trans­for­ma­tions. En s’at­tar­dant sur le cas de Paris, il est pos­sible de com­pa­rer l’i­so­chrone 1980 (situa­tion avant la LGV Paris-Lyon) avec l’i­so­chrone 2 006 qui incor­pore les pro­grès des 1 500 km de LGV exploi­tés. Le tableau indique les aug­men­ta­tions res­pec­tives de l’ac­ces­si­bi­li­té pour quelques grandes villes. En dehors du fait que les villes situées à la péri­phé­rie du ter­ri­toire ne pour­ront jamais atteindre les scores de celles qui sont pas­sées en son centre, la pre­mière conclu­sion est que Lyon et Tours, gros­so modo pla­cées comme Paris au centre de la France, enre­gistrent des gains sem­blables à ceux de la capi­tale. Lille, à la péri­phé­rie et reliée au réseau des >LGV gagne net­te­ment plus. Stras­bourg, éga­le­ment excen­trée, ne pro­gresse pas en rai­son de son éloi­gne­ment du réseau TGV.


Iso­chrones 1980 – 2006 – Grand avenir.
Pour­cen­tage de la popu­la­tion acces­sible en cinq heures de train et gain par rap­port à 1980.

Un indicateur virtuel


Volume de tra­fic au départ de Paris ou à l’arrivée à Paris (base 100 en 1980).

L’ou­til néces­site de dis­po­ser des horaires des trains, ce qui théo­ri­que­ment limite l’a­na­lyse à la période actuelle. Tou­te­fois, à l’oc­ca­sion de l’ins­truc­tion des pro­jets de LGV, la SNCF a été conduite à bâtir une sorte d’in­di­ca­teur » vir­tuel » pour un hori­zon assez éloi­gné, qua­li­fié de » grand ave­nir » (GA).. Certes, les villes péri­phé­riques res­tent moins acces­sibles que les villes du centre, mais elles touchent néan­moins trois-quarts de la popu­la­tion en cinq heures au maxi­mum. Toutes les villes de pro­vince pro­gressent plus que Paris et comblent une par­tie de leur han­di­cap de situa­tion. Le reproche sou­vent adres­sé au TGV d’ac­croître la cen­tra­li­sa­tion fran­çaise n’est donc pas fondé.

Accessibilité et trafic

L’a­mé­lio­ra­tion de l’ac­ces­si­bi­li­té doit nor­ma­le­ment se tra­duire par une aug­men­ta­tion des échanges. Nous avons essayé de véri­fier ce fait en exa­mi­nant l’é­vo­lu­tion des échanges entre Paris d’une part, Lille et Stras­bourg d’autre part, entre 1 980 et 2 005. Effec­ti­ve­ment, lorsque l’ac­ces­si­bi­li­té s’a­mé­liore, le tra­fic suit. Tou­te­fois, ces résul­tats ne per­mettent pas de com­prendre pour­quoi les villes en péri­phé­rie gagnent plus que les villes au centre. La décom­po­si­tion du tra­fic TGV par axe et son évo­lu­tion donne la clé. La com­po­sante la plus dyna­mique du tra­fic TGV est » l’in­ter­sec­teur « . L’in­ter­sec­teur regroupe l’en­semble des rela­tions TGV qui ne touchent pas les gares situées à Paris. Il s’a­git prin­ci­pa­le­ment de rela­tions contour­nant Paris via Rois­sy, Marne-la-Val­lée ou Mas­sy et, acces­soi­re­ment, de rela­tions trans­ver­sales telles que Stras­bourg-Lyon. Le réseau LGV a effec­ti­ve­ment per­mis de pro­po­ser des rela­tions pro­vince – pro­vince très per­for­mantes qui contri­buent très for­te­ment à l’ac­ces­si­bi­li­té. Ces rela­tions connaissent un suc­cès com­mer­cial gran­dis­sant et la pro­gres­sion du tra­fic y est en moyenne double de celle consta­tée sur les radiales qui partent ou arrivent à Paris, preuve que la cen­tra­li­sa­tion n’est pas le moteur du TGV.

Un barreau au sud de Paris

C’est une des rai­sosn pour les­quelles la SNCF milite for­te­ment pour la construc­tion d’un bar­reau en ligne nou­velle au sud de Paris, des­ser­vant au pas­sage l’aé­ro­port d’Or­ly, afin de pour­suivre la poli­tique de contour­ne­ment de la capi­tale. De plus, cela pré­sente l’a­van­tage d’a­mé­lio­rer la des­serte en sur­face de l’Ile-de-France en déles­tant les gares sur­char­gées dans Paris intra-muros.

Repères
Le tra­fic total empor­té par les TGV repré­sente aujourd’­hui un peu moins de 25 mil­lions de pas­sa­gers, dont 15 mil­lions pour les inter­sec­teurs. Il devrait atteindre en 2 020 les 40 mil­lions, dont 35 mil­lions pour les inter­sec­teurs (pro­gres­sion de 133 %). A la même époque le TGV Est euro­péen devrait trans­por­ter plus de dix mil­lions de passagers

Poster un commentaire