La carrière rigoriste de Nicolas Berthot, polytechnicien de l’an III

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°572 Février 2002Par : Bulletin n° 27 de la SABIXRédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

À ceux qui s’intéressent à l’histoire poli­tique de la France au cours de la pre­mière moi­tié du XIXe siècle Paul Bar­bier (42) pro­pose une étude par­fai­te­ment docu­men­tée, pré­sen­tée dans le bul­le­tin n° 27 de la Socié­té des Amis de la Biblio­thèque de l’École poly­tech­nique. Le pro­ta­go­niste en est Nico­las Ber­thot né en 1776, poly­tech­ni­cien de l’an III, rec­teur de l’académie de Dijon pen­dant plus de trente ans, de la Seconde Res­tau­ra­tion en 1815 jusqu’à la révo­lu­tion de 1848, et décé­dé en 1849.

Homme de convic­tions poli­tiques et reli­gieuses inflexibles, regret­tant le temps où “ le roi et l’église fai­saient régner l’ordre et l’harmonie dans le pays ”, il veille avec une vigi­lance de tous les ins­tants à mettre les pro­fes­seurs et leurs élèves à l’abri d’une conta­gion des idées libé­rales et maté­ria­listes. Et cepen­dant son sou­ci majeur est la défense de l’Université, une et indi­vi­sible, dont le mono­pole doit s’imposer à tous, y com­pris aux ordres religieux.

L’intransigeance de Ber­thot l’entraînera dans deux conflits inter­mi­nables, pour des enjeux qui nous paraissent déri­soires, sans com­mune mesure avec l’énergie dépen­sée dans les pro­cé­dures juri­diques qui vont oppo­ser l’Université à la ville, et à l’Aca­dé­mie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon.

Dans le pre­mier cas, il s’agit de la dévo­lu­tion du bâti­ment de l’ancien col­lège royal : appar­tient-il à la ville en appli­ca­tion des textes de 1793 qui sti­pu­laient la confis­ca­tion des biens ecclé­sias­tiques, ou à l’Université en rai­son des textes de 1808 ordon­nant le trans­fert à cette ins­ti­tu­tion des biens des anciens col­lèges et des anciennes aca­dé­mies ? Après treize ans d’échanges d’arguments devant les tri­bu­naux, la que­relle se régle­ra par une tran­sac­tion. Dans le second cas, c’est la pro­prié­té des col­lec­tions et du mobi­lier de l’ancienne aca­dé­mie qui va pro­vo­quer une bataille juri­dique dans laquelle la machine admi­nis­tra­tive enga­ge­ra ses meilleurs talents (y com­pris ceux du ministre de l’Instruction publique), et qui ne se conclu­ra par une tran­sac­tion qu’en 1846 !

Dans les com­bats de toutes sortes que va mener Ber­thot, le plus sou­vent il n’hésitera pas à recou­rir à des argu­ments de mau­vaise foi. Pour­tant il mani­fes­te­ra durant sa vie entière une qua­li­té qui lui vaut l’indulgence de Paul Bar­bier : un dévoue­ment total et dés­in­té­res­sé à la cause d’une dif­fu­sion aus­si large que pos­sible des savoirs. Dans cet esprit, il crée et défend avec obs­ti­na­tion une école nor­male d’instituteurs à Dijon, un modèle qui pré­pare l’effort que la France va déve­lop­per par la suite en faveur de l’instruction publique.

À l’exception d’une année pas­sée à Paris pour réta­blir la dis­ci­pline au lycée Louis-le-Grand, la car­rière de Ber­thot se déroule à Dijon. Et pour­tant elle ne manque pas de péri­pé­ties car les atti­tudes du héros, sans nuances, l’entraînent dans des polé­miques per­ma­nentes. La presse locale ne l’épargne guère !

La pré­sen­ta­tion de Paul Bar­bier, très ani­mée, ouvre nombre de fenêtres sur la vie poli­tique pro­vin­ciale et natio­nale, et sur le fonc­tion­ne­ment des lourdes machines de la jus­tice et de l’administration au cours de la pre­mière moi­tié du siècle. Elle apporte un éclai­rage ori­gi­nal sur les pré­mices des contro­verses idéo­lo­giques qui vont agi­ter les struc­tures de l’enseignement en France pen­dant de longues années. Le choix des cita­tions et réfé­rences qui com­plètent l’étude lui confère un inté­rêt sup­plé­men­taire. Ajou­tons que l’écriture de l’auteur, où affleure en per­ma­nence un humour sub­til comme les par­fums du ter­roir bour­gui­gnon, fait de la lec­ture de ce texte un vrai divertissement !

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