L’ Effet de serre

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°573 Mars 2002Par : Hervé LE TREUT et Jean-Marc JANCOVICI (81)Rédacteur : Gérard MÉGIE (65), président du CNRS

Le débat sur l’éventualité d’un chan­ge­ment cli­ma­tique lié à l’effet de serre addi­tion­nel induit depuis le début du XXe siècle par les acti­vi­tés humaines concerne aujourd’hui cha­cun d’entre nous. Il importe donc que tout citoyen puisse appré­cier les tenants et abou­tis­sants d’un pro­blème d’environnement qui met direc­te­ment en cause les grands équi­libres de notre pla­nète à l’échéance des pro­chaines décen­nies. Pro­blème com­plexe par le fait qu’il met en jeu l’ensemble des pro­ces­sus qui régissent et couplent entre eux les dif­fé­rents com­par­ti­ments de l’environnement ter­restre – océan, atmo­sphère, bio­sphère. Et qu’il trouve son ori­gine dans nos modes de pro­duc­tion d’énergie fon­dés sur l’utilisation sans contrainte d’une éner­gie fos­sile (car­bone, pétrole, gaz) que la Terre a mis des mil­lions d’années à pro­duire, et dans la mise en œuvre d’une agri­cul­ture pro­duc­ti­viste fon­dée sur la culture inten­sive et l’élevage.

D’où l’ampleur des incer­ti­tudes liées à cette double com­plexi­té, aus­si bien sur notre com­pré­hen­sion du fonc­tion­ne­ment du sys­tème cli­ma­tique que sur l’élaboration des scé­na­rios du futur ou l’appréciation des impacts et la mise en pers­pec­tive des dif­fé­rents types de risques aux­quels nous devrons faire face. Com­ment, face à cette com­plexi­té, défi­nir des stra­té­gies per­met­tant une prise en compte de cette évo­lu­tion non contrô­lée de la Terre, et ce alors même que les chan­ge­ments induits dans notre envi­ron­ne­ment viennent se super­po­ser aux défis que posent l’état de pau­vre­té, la mau­vaise san­té et la mal­nu­tri­tion d’une large part de l’humanité ?

Com­ment pro­cé­der au néces­saire déve­lop­pe­ment des pays du Sud, alors même que nos propres modes de déve­lop­pe­ment sont incom­pa­tibles avec un déve­lop­pe­ment durable de la planète ?

L’ouvrage d’Hervé Le Treut et de Jean-Marc Jan­co­vi­ci s’efforce avec suc­cès d’aborder l’ensemble des pro­blé­ma­tiques du chan­ge­ment cli­ma­tique. Exer­cice dif­fi­cile puisqu’il sup­pose de maî­tri­ser des domaines aus­si dif­fé­rents que les sciences de l’environnement et du cli­mat, les aspects tech­niques et éco­no­miques de la pro­duc­tion d’énergie et les pro­blèmes de déve­lop­pe­ment. C’est donc tout le mérite des auteurs d’avoir su mettre à la por­tée du grand public ces dif­fé­rents aspects du pro­blème en com­men­çant par le fonc­tion­ne­ment de la machine cli­ma­tique, dont ils montrent avec per­ti­nence qu’il répond à un équi­libre dyna­mique sou­mis, à l’échelle des temps géo­lo­giques, aux modes natu­rels d’évolution de la pla­nète Terre alors qu’aujourd’hui la nature des chan­ge­ments induits par l’homme dans l’environnement pla­né­taire, leur inten­si­té, à la fois ampli­tude et rapi­di­té, sont sans pré­cé­dent dans l’histoire de l’humanité, et pro­ba­ble­ment dans toute l’histoire de la Terre.

Dans une seconde par­tie dédiée à l’analyse de l’effet des acti­vi­tés humaines, Her­vé Le Treut et Jean-Marc Jan­co­vi­ci mettent en évi­dence aus­si bien les acquis scien­ti­fiques que les incer­ti­tudes encore nom­breuses dans notre capa­ci­té à pré­voir l’évolution du cli­mat. Ils rem­plissent ain­si le double devoir de res­pon­sa­bi­li­té et d’alerte qui incombe aux scien­ti­fiques. C’est pour­tant dans ce contexte d’incertitude qu’il nous faut aujourd’hui prendre des déci­sions lourdes de consé­quences pour les géné­ra­tions futures en se fon­dant sur l’outil encore impar­fait qu’est la modélisation.

Les auteurs en montrent à la fois les limites et tout l’intérêt pour autant que nous admet­tions que notre futur ne peut être envi­sa­gé que de façon sta­tis­tique et non déter­mi­niste. De plus, les incer­ti­tudes ne viennent pas seule­ment de notre com­pré­hen­sion impar­faite du fonc­tion­ne­ment de la pla­nète et de la dif­fi­cul­té inhé­rente à prendre en compte l’ensemble des pro­ces­sus qui la régissent, mais aus­si de notre plus ou moins grande volon­té à faire évo­luer nos com­por­te­ments en matière d’utilisation de l’énergie, de choix de nos modes de trans­port, ou de déve­lop­pe­ment de notre agriculture.

Quoi que nous fas­sions aujourd’hui le XXIe siècle sera un siècle de rup­ture, et nous ne pour­rons vrai­sem­bla­ble­ment pas évi­ter d’avoir à nous adap­ter à un chan­ge­ment cli­ma­tique. Mais, de notre capa­ci­té à anti­ci­per sur des effets, dont les auteurs nous montrent toute la dif­fi­cul­té que nous ren­con­trons à en éva­luer la por­tée, qu’il s’agisse des modi­fi­ca­tions des éco­sys­tèmes, de l’élévation du niveau des mers, des res­sources en eau ou de la san­té, dépend pour une large part le deve­nir de notre pla­nète, et donc celui des géné­ra­tions futures.

C’est ce concept du déve­lop­pe­ment durable qui est mis en avant dans la der­nière par­tie de l’ouvrage par l’analyse des res­pon­sa­bi­li­tés actuelles dans les émis­sions de gaz à effet de serre et des marges de manœuvre dont nous pou­vons disposer.

Tra­vail des experts, prise de conscience des poli­tiques, cli­vages entre pays du Nord et du Sud, négo­cia­tions inter­na­tio­nales, Her­vé Le Treut et Jean- Marc Jan­co­vi­ci nous montrent que nous sommes tous concer­nés par un pro­blème dont la solu­tion implique un chan­ge­ment déci­sif dans nos modes de vie, de pro­duc­tion et de consommation.

En éclai­rant les dif­fé­rents aspects d’un débat dif­fi­cile dans un ouvrage facile d’accès, Her­vé Le Treut et Jean-Marc Jan­co­vi­ci contri­buent à la néces­saire prise de conscience du citoyen et ouvrent ain­si un espace de réflexion poli­tique, au sens noble du terme, car tel est bien l’enjeu de ce pro­blème planétaire.

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