Jean-Pierre RAMPAL

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°706 Juin/Juillet 2015Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Le temps passe, ou plu­tôt nous pas­sons dans l’espace-temps. Ten­tant d’échapper à la peur de l’inconnu qui nous attend in fine, nous recher­chons sans cesse « du nou­veau », comme disait Bau­de­laire. Nous cou­rons de concert d’hiver en fes­ti­val d’été, fei­gnant de nous exta­sier devant tels solistes qui, dit-on, renou­vellent les inter­pré­ta­tions de Bee­tho­ven, Brahms, Ravel.

Mais l’édition musi­cale nous ramène à la réa­li­té en réédi­tant de grands inter­prètes du pas­sé et nous nous ren­dons alors à l’évidence : qui joue­ra jamais les Sonates de Bee­tho­ven mieux qu’Yves Nat, le Concer­to de Brahms de manière aus­si émou­vante que Chris­tian Fer­ras, la Sona­tine de Ravel aus­si bien que Sam­son Fran­çois, pour ne citer que des musi­ciens français ?

Le Mar­seillais Jean-Pierre Ram­pal aura mar­qué le XXe siècle de manière indé­lé­bile, recon­nu de l’Europe à la Chine, de l’Amérique à l’Australie, comme un flû­tiste unique, comme « le » flûtiste.

C’est que son jeu pos­sé­dait des qua­li­tés dont cha­cune peut être retrou­vée, indi­vi­duel­le­ment, chez tel ou tel inter­prète, mais dont la réunion chez un seul musi­cien est ines­pé­rée : maî­trise tech­nique bien sûr, mais aus­si fraî­cheur, brio, élé­gance, dis­tinc­tion, grâce, poé­sie, palette qua­si infi­nie des couleurs.

Era­to a entre­pris de réédi­ter les nom­breux enre­gis­tre­ments que Ram­pal a réa­li­sés au cours du temps pour cette firme et dont elle publie aujourd’hui le deuxième volume, plus de cent œuvres enre­gis­trées entre 1963 et 19691 : Concer­tos et Sonates en trio de Jean-Sébas­tien Bach et de Carl Phi­lipp Ema­nuel Bach ; Concer­tos de Vival­di, Tele­mann, Haen­del, Hoff­meis­ter, Leclair, Galup­pi, Cor­rette, Tar­ti­ni, Plat­ti, Devienne, Bodin de Bois­mor­tier, Holz­bauer, Sta­mitz ; Sonates et Sonate en trio de Haen­del et Pur­cell ; un Concert royal de Cou­pe­rin (le qua­trième) ; Quin­tettes de Johann Chris­tian Bach. Concer­tos de Mozart, pièces de Schu­mann, Schu­bert, Reinecke.

Il y a aus­si, pour notre plus grand plai­sir, des œuvres du XXe siècle : Debus­sy (Syrinx), Fau­ré, Bar­tok, Pro­ko­fiev (la superbe Sonate en ré majeur), sans oublier ces com­po­si­teurs déli­cieux et sub­tils qui émergent de la chape de plomb dont les avaient recou­verts les aya­tol­lahs de la musique dodé­ca­pho­nique, avec des œuvres bien connues comme la jolie Sonate de Pou­lenc et d’autres injus­te­ment oubliées d’Henry Bar­raud, Jacques Ibert, André Joli­vet, Jean Rivier, Jean-Michel Damase, Paul Arma.

Jean-Pierre Ram­pal est ser­vi par des par­te­naires-com­plices excep­tion­nels, par­mi les­quels Robert Vey­ron- Lacroix au pia­no et au cla­ve­cin et Lily Las­kine à la harpe dans le Concer­to pour flûte et harpe de Mozart, dont l’enregistrement légen­daire a fait le tour du monde.

Au-delà de la quin­zaine d’œuvres fami­lières, il y a de mul­tiples décou­vertes et pas seule­ment de com­po­si­teurs oubliés : ain­si, les dix Sonates de Haen­del pour flûte et conti­nuo, qui ne le cèdent en rien à celles de Bach.

Beau­coup de grâce mais nulle affè­te­rie dans ces musiques, mar­quées du sceau de la joie de vivre. Écou­tez le mou­ve­ment lent du Concer­to pour flûte et harpe de Mozart et fer­mez les yeux : n’est-ce pas là cette « vie simple et tran­quille » qu’évoquait Ver­laine, tout sim­ple­ment le bonheur ?

_______________________________
1. 1 cof­fret de 20 CD Erato.

Poster un commentaire