Le Groupe Inde-Espoir Bijapur 2004

Inde-Espoir Bijapur 2004

Dossier : ExpressionsMagazine N°602 Février 2005
Par Nicolas STUDER (03)

Il n’y a pas que l’humanitaire dans la vie ! C’est ce que me lan­ça il n’y a pas si long­temps encore un cama­rade, sans doute aga­cé que je m’appesantisse tou­jours autant sur mes sou­ve­nirs indiens. Et lui de décrire avec un égal enthou­siasme ses nom­breux pro­jets de voyage. Cela m’interpella. Pour­tant, per­sonne n’oserait dou­ter un seul ins­tant de l’évidente véra­ci­té de cette phrase : le groupe Inde-Espoir Bija­pur 2004 et moi-même ne sommes pas des “ pros ” de l’humanitaire, nous avons comme tout le monde des loi­sirs, et il nous arrive même de faire du tourisme.

Mais, si le sou­ve­nir de ces cinq semaines pas­sées en ter­ri­toire indien reste encore aus­si vivace dans nos esprits, si cha­cun d’entre nous s’émeut encore en regar­dant les pho­tos du chan­tier, si le besoin de témoi­gner se fait si pres­sant, c’est bien parce que nous avons tous l’impression d’avoir vécu une expé­rience excep­tion­nelle, qui dépasse de beau­coup ce qu’aurait pu nous appor­ter un simple voyage. On ne consomme pas du chan­tier de déve­lop­pe­ment. On s’y inves­tit beau­coup et on en retire encore davantage.

Mal­heu­reu­se­ment, cette plus-value est par­fois floue et émi­nem­ment per­son­nelle. Dif­fi­cile d’expliquer en quelques lignes ce qui m’a tant tou­ché dans ce gigan­tesque pays, ce que j’y ai décou­vert, ce que j’ai appris, sur les autres et sur moi-même. Je vais m’y atte­ler tout de même.

Inde-Espoir Bijapur 2004, sur le chantierAu com­men­ce­ment, il y avait un groupe. Un groupe hété­ro­gène consti­tué d’élèves de dif­fé­rentes grandes écoles mais aus­si de l’université. Un groupe qui s’est sou­dé lors des réunions pré­pa­ra­toires autour d’un objec­tif com­mun : réunir la somme néces­saire au finan­ce­ment des tra­vaux, condi­tion sine qua non au départ. Recherche de sub­ven­tions publiques ou pri­vées, en par­ti­cu­lier auprès de proches, vente de muguet, bro­cante, tous les moyens étaient bons pour amas­ser le pré­cieux pécule. Bien sûr, cer­tains se connais­saient déjà, mais la plu­part d’entre nous apprirent à se connaître au cours de ces dif­fé­rentes acti­vi­tés. Il y avait une grande diver­si­té de carac­tères, de tem­pé­ra­ments, de moti­va­tions entre nous, mais, et j’en fus le pre­mier sur­pris, la vie en com­mu­nau­té se pas­sa sans accroc. L’ambiance fut cha­leu­reuse et l’entente cor­diale tout au long du séjour, cha­cun essayant d’agir dans le plus grand res­pect de l’autre pour tirer le groupe vers le haut.

Inde-Espoir Bijapur 2004, construction de l'écoleAu-delà des condi­tions de vie dif­fi­ciles (enfin par rap­port à ce qu’on peut connaître ici…), c’est sur­tout le tra­vail qui nous réunis­sait. Car la construc­tion d’une école ou plu­tôt son agran­dis­se­ment, car c’est bien de cela qu’il s’agissait, est avant tout un tra­vail col­lec­tif. Témoin : ces “chaînes” de briques et de béton qui nous per­met­taient d’acheminer ces maté­riaux du rez-de-chaus­sée au pre­mier étage.

Nous tra­vail­lions comme manœuvres (coo­lies) au ser­vice d’un chef de chan­tier indien et sous l’œil quelque peu éton­né d’ouvriers indiens. La plu­part ne par­lant pas anglais, on com­mu­ni­quait sur­tout par gestes ce qui ne faci­li­tait pas le tra­vail. Cer­tains essayaient d’apprendre notre langue, et nous la leur. Ain­si, de réelles rela­tions s’installèrent, en par­ti­cu­lier avec le chef de chan­tier et l’architecte qui nous accom­pa­gnèrent lors des sor­ties que nous effec­tuions les jours de repos.

Le tra­vail était très fati­gant mais nous étions sans cesse encou­ra­gés par le regard amu­sé des enfants de l’école. La plu­part avaient tra­vaillé dans les champs dès leur plus jeune âge, cette école était leur der­nier espoir d’apprendre à lire et à écrire. Nous fûmes rapi­de­ment séduits voire sub­ju­gués par ces enfants, leur sim­pli­ci­té, leur beau­té, leurs sou­rires. Nous pas­sions de longues heures le soir à jouer, à chan­ter avec eux. Des moments merveilleux.

Mais l’école, c’était aus­si les sœurs qui nous héber­geaient et toutes les pré­no­vices qui veillaient à ce qu’on ne man­quât de rien. Accueillis comme des princes par un magni­fique spec­tacle de danses indiennes, nous fûmes au quo­ti­dien l’objet des atten­tions presque mater­nelles de ces sœurs à la gen­tillesse et au dévoue­ment sans égal. Nous eûmes éga­le­ment l’occasion de les accom­pa­gner dans les bidon­villes où elles se ren­daient chaque matin à la ren­contre des gens.

Inde-Espoir Bijapur 2004 : ferrayage du béton

Inde-Espoir Bijapur 2004 : les enfants

Expé­rience bou­le­ver­sante… la décou­verte d’un monde qui nous était com­plè­te­ment étran­ger jusque-là : celui de la grande pau­vre­té. Je dis pau­vre­té et non misère, car ces hommes et ces femmes, obli­gés de lut­ter chaque jour pour sur­vivre dans un grand dénue­ment, n’en gar­daient pas moins une grande digni­té. Et com­ment res­ter insen­sibles à la joie qu’ils ont de nous rece­voir chez eux, de nous mon­trer le peu qu’ils pos­sèdent, de nous offrir le thé alors qu’ils n’ont presque rien à manger.

Com­ment res­ter insen­sible devant ces enfants intou­chables qui accourent de par­tout pour vous ser­rer la main, pour tou­cher cet étran­ger qui s’intéresse à eux. Alors oui, j’ai vu la pro­mis­cui­té, la sale­té, la mal­nu­tri­tion, les mala­dies, j’ai vu tout ça mais c’est sur­tout la cha­leur humaine que j’ai rete­nue. Ces gens simples et accueillants, soli­daires et même gais par­fois. L’espoir enfin dans les yeux de cet ado­les­cent qui étu­die pour deve­nir ingé­nieur. Car, au fond, construire ces salles de classe, c’est avant tout don­ner à ces enfants les moyens de réa­li­ser leurs rêves.

Et quel plai­sir, quelle fier­té aus­si de pou­voir cou­ler nous-mêmes le toit de l’école ! Le contrat est rem­pli, cinq nou­velles salles de classe peuvent main­te­nant com­men­cer à accueillir les pre­miers élèves. Pour nous, l’heure du départ a déjà son­né et c’est non sans dou­leur que nous quit­tons les ouvriers indiens, les sœurs, les enfants avec qui nous avons par­ta­gé ce mois de labeur. Nous avons bien sûr éga­le­ment une pen­sée émue pour tous ces gens que nous avons ren­con­trés dans les bidon­villes et que nous n’oublierons pas de sitôt. Nous par­tons à la décou­verte d’un autre aspect de l’Inde, décou­verte cultu­relle de cette Inde aux mille cou­leurs, aux mille temples, aux mille pay­sages, mais où par­tout nous retrou­vons cette atmo­sphère par­ti­cu­lière, une agi­ta­tion sereine empreinte d’une grande spi­ri­tua­li­té, qui ne laisse per­sonne indif­fé­rent. C’est là le grand mys­tère de cet immense pays.

Qu’en reste-t-il une fois de retour en France, une fois retrou­vés tous les plai­sirs et les tra­cas de la vie occi­den­tale ? Je dirais d’abord le sen­ti­ment d’avoir été vrai­ment utile, d’avoir sou­te­nu à son niveau une noble cause : l’amélioration de la condi­tion des Intou­chables à laquelle tra­vaillent sans relâche les sœurs qui nous héber­geaient. Ensuite, celui d’avoir beau­coup appris au contact de ces gens repré­sen­ta­tifs d’une civi­li­sa­tion com­plè­te­ment dif­fé­rente de la nôtre, une fan­tas­tique ouver­ture d’esprit en quelque sorte, une leçon de vie qui mérite peut-être d’être méditée.

Mais notre rap­port à l’Inde et à cette expé­rience dépasse de beau­coup ces consi­dé­ra­tions, il est prin­ci­pa­le­ment affec­tif. Quelque chose de magique nous lie à ce pays, à ce qu’on y a fait, ce qu’on y a vu, les per­sonnes qu’on y a ren­con­trées. Il me serait dif­fi­cile de l’expliquer. Cette aven­ture, nous l’avons vécue en pro­fon­deur et elle reste gra­vée au plus pro­fond de nous-mêmes. Nous y serons fidèles, cha­cun à sa façon, dans le monde qui lui est propre.

C’est pour­quoi nous vou­lons expri­mer notre plus grande gra­ti­tude à l’égard de tous ceux qui nous ont sou­te­nus et aidés pour ce pro­jet. À com­men­cer par le Père Langue, fon­da­teur d’Inde-Espoir et aumô­nier de l’X depuis de nom­breuses années, qui nous a accom­pa­gnés sur place et sans qui rien n’aurait été possible.

Un grand mer­ci éga­le­ment à l’AX pour son impor­tant sou­tien finan­cier et à tous les géné­reux dona­teurs qui se recon­naî­tront. Sans vous non plus rien n’aurait été possible.

Enfin, pro­fon­dé­ment mar­qué par toutes les ren­contres que j’ai pu faire pen­dant les semaines pas­sées en Inde, je ne sau­rais ter­mi­ner cet article sans avoir une pen­sée émue, en ces moments dif­fi­ciles, pour les sinis­trés d’Asie du Sud-Est, dont les vil­lages ont par­fois été rayés de la carte, pour les familles des dis­pa­rus, et en par­ti­cu­lier celles du Tamil Nadu que cer­tains d’entre nous ont briè­ve­ment traversé.

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