Il faut croire en nos jeunes entreprises

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Bernard DAUGERAS (63)

Pour exé­cu­ter les pro­grammes de recherche et déve­lop­pe­ment de ses entre­prises de tech­no­lo­gie, la France forme une res­source humaine de grande qua­li­té. Ses ingé­nieurs, cher­cheurs, tech­ni­ciens se com­parent très favo­ra­ble­ment à leurs concur­rents étrangers.

REPÈRES

Pour les jeunes entreprises de technologie, la recherche et le développement sont le coeur de leur projet d’entreprise. Ils forment le plus souvent la base des innovations à mettre sur le marché même si des assemblages astucieux de techniques connues ou développées par d’autres peuvent aussi conduire à des innovations de rupture par des fonctionnalités et des usages nouveaux, voire des esthétiques attractives comme l’a démontré Apple par exemple.
Cette recherche, souvent de haut niveau comme on l’observe dans les meilleures équipes publiques, a cependant une finalité essentielle : rencontrer un marché, ou même le créer. Dès lors, la rapidité, l’efficacité, l’optimisation des coûts et l’adaptation aux besoins anticipés des marchés futurs sont indispensables à la réussite du projet.

J’ai néan­moins quel­que­fois obser­vé que les cher­cheurs publics, même brillants, qui rejoignent les socié­tés qu’ils ont contri­bué à créer ont un peu de mal à s’adapter aux exi­gences des entre­prises ; s’il est rela­ti­ve­ment facile de consti­tuer des équipes effi­caces de mana­ge­ment pour les phases de démar­rage très orien­tées tech­no­lo­gie, il est beau­coup plus dif­fi­cile de faire évo­luer les équipes de mana­ge­ment et d’attirer des mana­geurs confir­més prêts à prendre le risque de rejoindre ces jeunes socié­tés pour les faire évo­luer vers la pro­duc­tion, le mar­ke­ting, la vente et le financement.

C’est un réel han­di­cap pour notre pays.

La propriété intellectuelle, précieux patrimoine

Une inno­va­tion bien pro­té­gée est la seule véri­table dif­fé­ren­cia­tion qui pro­tège la jeune socié­té de ses concur­rents plus puis­sants et déjà bien éta­blis ; la pro­prié­té intel­lec­tuelle et en par­ti­cu­lier un por­te­feuille bre­vets bien construit est un patri­moine essentiel.

Seule une innovation bien protégée protège la jeune société de ses concurrents plus puissants

Si les jeunes socié­tés bien sen­si­bi­li­sées à cette pro­blé­ma­tique gèrent cor­rec­te­ment la pro­tec­tion de leurs inno­va­tions, le trans­fert des bre­vets de la recherche publique, source impor­tante d’innovations tech­no­lo­giques, vers les jeunes socié­tés est encore très pro­blé­ma­tique ; les délais de négo­cia­tion sont exa­gé­ré­ment longs et les exi­gences des bailleurs publics sou­vent irréalistes.

Il est dom­mage que cette situa­tion bien connue de tous les acteurs du trans­fert de tech­no­lo­gie et du sys­tème d’innovation ne s’améliore pas plus vite.

Création florissante

Glo­ba­le­ment, le nombre de créa­tions d’entreprises de tech­no­lo­gie est très éle­vé ; dans le domaine de l’Internet, par exemple, les entre­prises foi­sonnent, en rai­son bien sûr des talents dis­po­nibles, mais aus­si des besoins finan­ciers modestes au départ sou­vent appor­tés par l’environnement proche : busi­ness angels, fonds locaux, etc. Le risque tech­nique est limi­té, l’enjeu réside dans le réa­lisme du modèle éco­no­mique. En contre­par­tie, la sélec­tion natu­relle est sévère.

Dans les domaines à la fois plus tech­niques et plus capi­ta­lis­tiques, il se crée sans doute (les sta­tis­tiques pré­cises sont rares) plu­sieurs cen­taines d’entreprises par an dont beau­coup sont fon­dées sur des modèles éco­no­miques de ser­vice à haute valeur ajou­tée ; elles génèrent donc des reve­nus assez rapi­de­ment et réus­sissent à s’autofinancer après des inves­tis­se­ments de l’ordre de quelques cen­taines de mil­liers d’euros, voire de quelques mil­lions pour les plus ambitieuses.

Par ailleurs, quelques dizaines d’entreprises se créent avec des objec­tifs plus ambi­tieux, des modèles éco­no­miques indus­triels et la voca­tion d’opérer sur les mar­chés inter­na­tio­naux. Cer­taines peuvent même viser à deve­nir lea­der dans leur domaine ; les mon­tants à inves­tir sont beau­coup plus éle­vés de plu­sieurs mil­lions d’euros à plu­sieurs dizaines de mil­lions d’euros.

Réussites françaises

Lorsque l’on parle de start-ups ou de spin-off réussies, on pense immédiatement à des entreprises américaines qui, quelques années après leur création, ont été introduites en Bourse et ont des capitalisations de plusieurs milliards d’euros : HP, Intel, Microsoft, Apple, Yahoo, Facebook, Twitter, etc.
On oublie ou on ignore qu’il y a également de belles réussites en France : Dassault Systèmes, STMicroelectronics, Soitec, Gemalto (ex-Gemplus, maintenant dans le CAC 40), Criteo, Neolane, Price- Minister, Free, Laboratoires Théa, Pixmania, Meetic, Dailymotion, etc.
Ces entreprises ne sont pas pour la plupart issues de la recherche publique ou n’ont pas de gènes technologiques, mais c’est le cas aussi des entreprises américaines. L’innovation, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas forcément fille de la recherche et touche de nombreux domaines.

Le nerf de la guerre

Le finan­ce­ment de ces socié­tés est évi­dem­ment le pro­blème le plus cru­cial. La recherche est une acti­vi­té ris­quée et de son suc­cès dépendent la sur­vie et la crois­sance de la socié­té. Elle doit donc se finan­cer prin­ci­pa­le­ment par des fonds propres ou par des sub­ven­tions. La plu­part des pays déve­lop­pés ont mis en place des méthodes de finan­ce­ment pour limi­ter les risques encou­rus par les entre­prises et en par­ti­cu­lier les plus jeunes.

La recherche est une activité risquée et de son succès dépend la survie de la société

La France a un dis­po­si­tif assez com­plet et qui a fait ses preuves de cofi­nan­ce­ment de la recherche des jeunes entre­prises, main­te­nant regrou­pé au sein de la BPI. À cela s’ajoutent des méca­nismes ori­gi­naux per­ti­nents pour les jeunes entre­prises : le cré­dit d’impôt recherche, le sta­tut des jeunes entre­prises inno­vantes, les CIFRE, etc., qui sont des contri­bu­teurs signi­fi­ca­tifs à la tré­so­re­rie des entre­prises et qui ont le mérite d’être neutres vis-à-vis de leurs pro­grammes de recherche.

Cepen­dant, ces cofi­nan­ce­ments ne couvrent évi­dem­ment pas la tota­li­té des besoins et donc, in fine, l’accès au mar­ché des capi­taux est indispensable.

Fragiles entreprises

À cet égard, la situa­tion en France est contras­tée. Dans les domaines répu­tés peu capi­ta­lis­tiques comme les logi­ciels et l’Internet, où en plus la recherche est moins ris­quée et l’accès au mar­ché assez rapide, les fonds de capi­tal inves­tis­se­ment recom­mencent à se lever et à investir.

Recours à la Bourse

La Bourse est devenue un moyen de financement très important pour les jeunes sociétés de technologie. Ce marché est devenu particulièrement actif sur les deux compartiments Alternext et Euronext compartiment C, plusieurs dizaines de sociétés de technologie se cotent tous les ans et lèvent des montants d’une dizaine de millions d’euros jusqu’à 50 millions d’euros ou plus, et leur capitalisation boursière peut atteindre, en cas de développement favorable, plusieurs centaines de millions d’euros, voire dépasser le milliard d’euros.

Dans les domaines plus capi­ta­lis­tiques comme les com­po­sants, le hard­ware, les tech­no­lo­gies bio­mé­di­cales et plus encore les bio­tech­no­lo­gies, la situa­tion est plus déli­cate. Plu­sieurs fonds d’amorçage lan­cés dans le cadre des inves­tis­se­ments d’avenir couvrent assez bien les besoins des très jeunes socié­tés mais leur taille réduite (de 30 à 40 mil­lions d’euros) ne leur per­met­tra pas de suivre les tours de finan­ce­ment sui­vants ; en sciences de la vie, par exemple, la phase d’amorçage dure envi­ron trois à cinq ans et coûte de 6 à 10 mil­lions d’euros, voire beau­coup plus ; les tours sui­vants de capi­tal inno­va­tion s’élèvent pour leur part à plu­sieurs dizaines de mil­lions d’euros.

Comme les fonds de capi­tal inno­va­tion dans ces domaines se lèvent beau­coup plus dif­fi­ci­le­ment, il y a un risque réel de rup­ture de la chaîne de finan­ce­ment et donc de dis­pa­ri­tion d’entreprises de qua­li­té. Des mesures fis­cales adap­tées à la rému­né­ra­tion du risque pour atti­rer des capi­taux pri­vés dans ces domaines seraient très utiles.

Plu­sieurs études récentes estiment à envi­ron 2 mil­liards d’euros par an les fonds sup­plé­men­taires qui seraient néces­saires pour irri­guer en fonds propres le tis­su des jeunes entre­prises de tech­no­lo­gie et les faire croître. Ce mon­tant est à com­pa­rer à une capa­ci­té d’épargne en France d’environ 200 mil­liards par an et à un encours des contrats d’assurance-vie de l’ordre de 1 400 mil­liards d’euros.

La tâche ne devrait pas être insur­mon­table, d’autant plus que ces entre­prises visées sont la base du renou­veau indus­triel tant recher­ché du pays.

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