Histoire industrielle de l’Italie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°538 Octobre 1998Par : Florence VIDALRédacteur : Gérard de LIGNY (43)

Qui aurait pen­sé en France, il y a trente ans, à publier un livre sur l’his­toire indus­trielle de l’Italie ?

Le public ne connais­sait de l’I­ta­lie que sa très déce­vante his­toire poli­tique et mili­taire, et son inca­pa­ci­té, avant-guerre, à nour­rir sa popu­la­tion, l’o­bli­geant à s’ex­pa­trier mas­si­ve­ment. Les géo­graphes disaient en outre que ce pays était défi­ci­taire en éner­gie et en mine­rais. Et Max Weber l’a­vait clas­sé par­mi les ter­ri­toires de culture reli­gieuse et ecclé­siale impropre à l’ac­ti­vi­té marchande.

Or en 1996 la pro­duc­tion indus­trielle ita­lienne s’est trou­vée au même niveau que la pro­duc­tion fran­çaise et tout près de la dépasser.

L’ou­vrage de Flo­rence Vidal montre que ce rat­tra­page » mira­cu­leux » se pré­pa­rait depuis un siècle, por­té par un esprit d’en­tre­prise qui ne s’est jamais relâ­ché mal­gré de graves vicissitudes.

Flo­rence Vidal a iden­ti­fié six phases his­to­riques de 1876 à 1992, dans les­quelles se sont illus­trées une cen­taine de grands patrons har­dis, et ont tra­vaillé dans l’ombre des mil­lions de petits entre­pre­neurs ingénieux.

Mal­gré la pré­oc­cu­pa­tion per­ma­nente de son lec­teur fran­çais, Flo­rence Vidal, qui écrit une his­toire ita­lienne, se garde bien de faire des paral­lèles avec la situa­tion fran­çaise et plus encore d’en tirer des leçons pour son pays. Mais cela ne nous est pas inter­dit. Par exemple :

  • la mas­cotte des enfants ita­liens, depuis les années 1900, ce n’est pas Tin­tin mais Pinoc­chio, un petit per­son­nage réa­liste et intré­pide dont les maîtres mots sont andare (aller), vedere (voir) et por­ché ? (pour­quoi?);
  • comme en France, » on a tout essayé » en Ita­lie : depuis le régime des par­tis le plus chao­tique jus­qu’à la dic­ta­ture la plus auto­ri­taire, depuis la constel­la­tion de micro-entre­prises jus­qu’au consor­tium éta­tique englo­bant près de la moi­tié de l’in­dus­trie (IRI + ENI) ;
  • mais fina­le­ment c’est la mul­ti­tude des pôles d’i­ni­tia­tives et l’au­to­no­mie des entre­pre­neurs qui ont géné­ré l’ex­pan­sion géné­ra­li­sée. Fédé­ra­tion de pro­vinces à forte iden­ti­té, elles-mêmes décou­pées en com­munes dont les maires n’ont pas le droit de s’é­va­der (pas de cumul de man­dats), l’I­ta­lie est la somme de nom­breuses petites patries qui affirment toutes leur vou­loir vivre ;
  • le Sud lui-méme, aidé par les com­mandes de sous-trai­tance du Nord, et ense­men­cé par quelques entre­pre­neurs atti­rés par le soleil, est en train de sor­tir, avec son style propre, de la men­di­ci­té à l’é­gard de l’É­tat (le cas de la région de Syba­ris, évo­qué dans la conclu­sion, est savoureux);
  • dans cha­cune des régions et cha­cune des pro­fes­sions où l’in­dus­trie ita­lienne s’est affir­mée, on retrouve les trois mêmes moteurs : achar­ne­ment pro­fes­sion­nel, ouver­ture sur l’é­tran­ger, coopé­ra­tion locale inten­sive. Ain­si sont nés 70 dis­tricts indus­triels irri­gués par des réseaux de rela­tions indé­chif­frables. Ceci n’a pas empê­ché, dans les grands Centres indus­triels, des affron­te­ments sociaux d’une extrême vio­lence et des scan­dales finan­ciers reten­tis­sants. Mais assez vite, des négo­cia­tions construc­tives ont per­mis d’en sortir ;
  • quant à l’É­tat, à côté de mul­tiples inter­ven­tions inco­hé­rentes, il a fait l’es­sen­tiel de son métier : un superbe réseau de voies de com­mu­ni­ca­tion, une mani­pu­la­tion habile de la mon­naie, la pro­mo­tion d’une for­ma­tion de l’homme com­plet, n’ex­cluant ni le reli­gieux, ni l’art, ni le contact avec la matière. Il a sou­te­nu le sens inné du desi­gn qui carac­té­rise le concep­teur italien.

L’a­ve­nir nous dira si cette construc­tion encore fra­gile sau­ra faire face aux muta­tions cultu­relles et éco­no­miques du XXIe siècle, et si elle sau­ra sur­mon­ter l’ef­fon­dre­ment démo­gra­phique actuel de l’I­ta­lie. Mais le che­mi­ne­ment des cin­quante der­nières années est encourageant.

Flo­rence Vidal reste his­to­rienne, atten­tive à la pré­ci­sion des faits et à la qua­li­té des sources, mais son style est extrê­me­ment vivant, sans pour autant uti­li­ser les » trucs » jour­na­lis­tiques dont nous sommes aujourd’­hui rassasiés.

La typo­gra­phie de son livre dis­tingue d’une part le récit enchaî­né des évé­ne­ments signi­fi­ca­tifs, d’autre part les bio­gra­phies par­ti­cu­lières des per­son­nages mis en scène ain­si que les aven­tures propres à chaque branche pro­fes­sion­nelle ou chaque col­lec­ti­vi­té locale.

On s’y dis­trait tout en appre­nant beau­coup de choses utiles et stimulantes.

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