Henri Vidal (44)

Dossier : ExpressionsMagazine N°636 Juin/Juillet 2008Par : Ivan Chéret (44) et Jean Cadot (44)

Notre pre­mière ren­contre, Hen­ri, remonte à 1942. Cela se pas­sait au lycée Thiers à Mar­seille. J’ar­ri­vais en taupe, d’un autre lycée, en externe, et tu étais là, dans une longue blouse d’in­terne, une écla­tante che­ve­lure rousse ondoyant fiè­re­ment sous le mis­tral. C’é­tait l’é­poque où tu ren­dais hom­mage à tes ancêtres corses en chan­tant l’a­jac­cienne et où tu pré­ten­dais apprendre le fran­çais au fils d’im­mi­gré russe que j’é­tais. Nous avons par­ta­gé plus tard la même cham­brée, dans la Mai­son des Mines et des Ponts, rue Saint-Jacques à Paris. On a beau­coup phi­lo­so­phé sur le métier d’in­gé­nieur, la beau­té, l’A­mour. J’ai déjà été très frap­pé par ta déter­mi­na­tion, ta convic­tion que le métier d’in­gé­nieur consiste à créer, et pas sim­ple­ment à mettre en oeuvre le savoir que nos maîtres nous avaient enseigné.

Que l’œuvre créée soit belle

Et puis le métier d’in­gé­nieur ne pou­vait te suf­fire, il fal­lait aus­si que l’oeuvre créée soit belle. Tu t’es ins­crit dans un ate­lier d’ar­chi­tec­ture de l’É­cole des beaux-arts. Tu as ter­mi­né tout le cur­sus et reçu ton diplôme d’ar­chi­tecte. Et l’on se retrou­vait par­fois, rêvant de repos sur les plages de sable fin de la Pro­vence, sous le soleil, à l’ombre des pins. C’est là, comme tu aimais à le racon­ter, que tu as inven­té la Terre Armée. N’est-ce pas curieux en effet, que la pente d’un tas de sable fin se redresse lors­qu’on y intro­duit des aiguilles de pin ? Mais ce constat, banal somme toute, tu l’as trans­fi­gu­ré dans un outil fan­tas­tique de sou­tè­ne­ment des terres. Il fal­lait tout faire, mettre au point l’i­dée, la trans­for­mer en un pro­jet réa­li­sable, trou­ver les maté­riaux adap­tés, dépo­ser les bre­vets, enga­ger des col­la­bo­ra­teurs, convaincre les clients. La Terre Armée, c’est la grande oeuvre de ta vie. Par­ti de ta Pro­vence natale, tu as, modeste PME » made in France « , séduit l’A­mé­rique puis le Japon, à une époque où c’é­tait si dif­fi­cile d’en­trer dans ce pays ; et tu as même gagné, un sujet de fier­té, en Grande-Bre­tagne, où tu as dû un moment batailler contre la » Cou­ronne » pour pro­té­ger tes bre­vets… et la Cou­ronne t’a fina­le­ment déco­ré ! Et tu n’as jamais ces­sé dans tous tes pro­jets de recher­cher l’a­dap­ta­tion au pay­sage local, à cacher l’ar­ti­fi­ciel et de faire res­sor­tir la nature, comme en témoignent par exemple les jar­dins sur­éle­vés du Paillon à Nice. 

Invisible à Porquerolles

Mais ton chef-d’œuvre, le pro­duit de ce que tu as pour­sui­vi toute ta vie, l’al­liance de la tech­nique et de la beau­té, c’est La Cour­tade : c’est vrai­ment ta mai­son, mijo­tée pen­dant des mois et des mois, et réa­li­sée par toi dans le moindre de ses détails. Sise dans l’un des val­lons de Por­que­rolles, admi­ra­ble­ment insé­rée dans le pay­sage, presque invi­sible mal­gré sa taille ; de loin on aper­çoit seule­ment le cha­toie­ment de mosaïques bleues du toit, sur un socle de ton pierre, sous les pins, entou­ré d’o­li­viers, comme un trait d’u­nion entre les tons bleus de la mer et du ciel. C’est là que tu avais orga­ni­sé des fêtes pour tous tes amis, c’est là que tu aimais rece­voir, c’est là que tu aimais vivre. C’est là que tu m’as ser­ré la main une der­nière fois, ce jour de fin novembre 2007. Tu as bien tra­vaillé, Hen­ri, repose en paix.

Ivan Chéret (44) (ex-Tcherepennikoff)

Je cosigne d’en­thou­siasme avec Ivan Ché­ret cette lettre à notre ami com­mun Hen­ri Vidal.

Mais, moi qui n’ai jamais rien inven­té, ni par­ti­cu­liè­re­ment cher­ché ni obte­nu de réus­site, je vou­drais dire aus­si, outre mon admi­ra­tion pour tout ce qu’­Hen­ri a réa­li­sé, que notre ami­tié s’est enri­chie du fait qu’il était, peut-être avant tout, pro­fon­dé­ment un artiste. Dans sa conver­sa­tion appa­rais­sait constam­ment sa pas­sion pour tout ce qui est beau, que ce soit en pein­ture, archi­tec­ture, sculp­ture ou dans la splen­deur de la Grèce, dont il s’est ins­pi­ré pour construire sa mai­son ou encore dans le charme de l’I­ta­lie où il retour­nait tou­jours. Même de sa fenêtre de Paris, il nous dési­gnait et nous fai­sait admi­rer les chefs-d’oeuvre de Gus­tave Eif­fel aus­si bien que ceux de Jules Har­douin-Man­sart. Il aimait aus­si nous citer quelques vers de Ver­laine, de Bau­de­laire, de Mal­lar­mé et d’autres, qu’il débi­tait sur un ton inimitable.

Les opi­nions péremp­toires, les expli­ca­tions fumeuses, les Grandes Théo­ries éveillaient chez lui un scep­ti­cisme sou­riant, tou­jours tein­té de tendresse.

Jean Cadot (44)

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