François Valentin (32), 1913–2002

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003Par : Yves VIOTTE (32), général de corps d’armée (2s) et Michel FERRIER (62), ingénieur général des Mines

Fran­çois Valen­tin nous a quit­tés le 14 novembre à près de 90 ans…

Pour rap­pe­ler sa car­rière mili­taire, je ne puis que reprendre les termes de l’ar­ticle que lui a consa­cré le colo­nel Legrand dans l’Ob­jec­tif de jan­vier 2003, le bul­le­tin de la Fédé­ra­tion natio­nale de l’artillerie.

Mais, avant d’en don­ner le texte, je vou­drais rap­pe­ler que Fran­çois Valen­tin, à l’É­cole de la rue Des­cartes, a contri­bué à ani­mer les » repré­sen­ta­tions artis­tiques » de la pro­mo 32, qu’il était connu de tous, et qu’il a été un cava­lier émé­rite qui a pra­ti­qué l’é­qui­ta­tion long­temps après la fin de son ser­vice actif.

Ayant accé­dé au plus haut niveau mili­taire, il a conti­nué, à sa retraite, à se pas­sion­ner pour les pro­blèmes de Défense et s’est ren­du maintes fois à Palai­seau pour par­ler des ques­tions mili­taires aux élèves de l’É­cole, lors­qu’il pré­si­dait le groupe X‑Défense.

François VALENTIN (32)Ce fut aus­si un ami très fidèle qui nous manquera.

Et main­te­nant pour rap­pe­ler sa si belle car­rière dans l’ar­mée, voi­ci ce qu’en dit le colo­nel Legrand dans l’Ob­jec­tif :

Le géné­ral Valen­tin nous a quit­tés. C’est une grande figure de l’ar­tille­rie que nous per­dons avec lui. La brillante car­rière qu’il a sui­vie est bien illus­trée par les termes d’une de ses cita­tions : « Offi­cier de classe, alliant à une intel­li­gence remar­quable la plus grande bravoure. »

Il fait la cam­pagne de 1940 avec le 17e RA et il est cité. Fait pri­son­nier, il s’é­vade du camp d’E­ber­sheim et est affec­té au 2e RA. Rayé des cadres de l’ar­mée active, il sera réin­té­gré dans les cadres sans inter­rup­tion de ser­vice par la suite. En 1943, capi­taine, il s’é­vade de France par l’Es­pagne et gagne le Maroc où il sera affec­té au 63ème RAA. « Cher­chant tou­jours à se por­ter aux endroits les plus dan­ge­reux », comme le dit la cita­tion accom­pa­gnant sa croix de la Légion d’hon­neur, il fait les cam­pagnes d’I­ta­lie, de France et d’Al­le­magne où il se dis­tingue par­ti­cu­liè­re­ment à San Pie­tro, au Majo et à Bourbach-le-Bas.

Il sert suc­ces­si­ve­ment en 1945 et 1946 à l’é­tat-major géné­ral de la Défense natio­nale et à l’é­tat-major par­ti­cu­lier du Haut-Com­mis­saire de la Répu­blique en Indo­chine à Saï­gon avant de prendre, en 1947, comme chef d’es­ca­dron, le com­man­de­ment du 2ème groupe du RACM et de l’ar­tille­rie du sec­teur de Hai­phong, puis du sous-sec­teur de Haï-Duong. Sa par­ti­ci­pa­tion à la prise de Sept Pagodes, de Phu-Lang-Tuong, puis à la conquête du sec­teur de Dong Trieu, sa conduite à Ha Loan, à Chy Khe et à Haï-Duong ain­si que lors du net­toyage des zones rebelles de Maï Suu et de Ho Gia au Ton­kin lui valent trois nou­velles cita­tions, dont deux à l’ordre de l’armée.

Ren­tré en métro­pole, il est affec­té au Secré­ta­riat géné­ral per­ma­nent de la Défense natio­nale avant de suivre les cours de la 64e pro­mo­tion de l’É­cole de guerre, d’où il sort au 3e bureau de l’é­tat-major du com­man­de­ment en chef des forces ter­restres alliées Centre Europe.

Lieu­te­nant-colo­nel, il est nom­mé chef du Secré­ta­riat per­ma­nent de la Défense natio­nale à la Rési­dence géné­rale de France à Tunis, deve­nu Haut-Com­mis­sa­riat de France en Tuni­sie, puis ambas­sade extra­or­di­naire de France en Tuni­sie. En 1957 il est conseiller mili­taire et de Défense natio­nale à l’am­bas­sade extra­or­di­naire de France à Tunis, puis prend le com­man­de­ment de l’ar­tille­rie de la 2e divi­sion d’in­fan­te­rie et le sec­teur d’O­ran en Algé­rie. Il y obtien­dra une cita­tion pour ses résul­tats brillants dans l’œuvre de pacification.

En 1958, il prend comme colo­nel le com­man­de­ment de l’ar­tille­rie de la 1re divi­sion blin­dée de Trèves, puis devient sous-chef d’é­tat-major opé­ra­tions du com­man­de­ment en chef des Forces fran­çaises en Alle­magne. En 1962, il est nom­mé chef d’é­tat-major du com­man­de­ment supé­rieur des forces armées fran­çaises en Algérie.

Géné­ral de bri­gade en 1962, il com­mande l’É­cole d’ap­pli­ca­tion de l’ar­tille­rie à Châ­lons-sur-Marne. En 1967, géné­ral de divi­sion, il est adjoint au géné­ral com­man­dant en chef les Forces fran­çaises en Alle­magne, puis adjoint au chef d’é­tat-major des armées, il passe géné­ral de corps d’ar­mée et devient, en 1970, gou­ver­neur mili­taire de Metz, com­man­dant de la 6e région militaire.

Géné­ral d’ar­mée en 1971, il est nom­mé en 1972 com­man­dant de la 1re armée et gou­ver­neur mili­taire de Stras­bourg. Il achève ses acti­vi­tés mili­taires dans ce poste le 14 juillet 1974 en entrant dans sa soixante-deuxième année.

Mais il ne cesse pas pour autant à se livrer à de nom­breuses occu­pa­tions : confé­rences, col­loques, rédac­tion de maints articles pour diverses publi­ca­tions, jus­qu’à ces excel­lents Regards sur la poli­tique de défense de la France de 1958 à nos jours, qu’il publie en 1995, à la veille de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de l’ar­mée et qui res­tent un puis­sant outil de réflexion sur notre ave­nir militaire.

Le géné­ral Valen­tin était grand offi­cier de la Légion d’hon­neur, grand-croix de l’ordre natio­nal du Mérite, com­man­deur du Nicham Ifti­khar, com­man­deur de l’ordre du Mil­lion d’É­lé­phants et du Para­sol blanc, com­man­deur de l’Ordre natio­nal de la Côte-d’I­voire. Médaille des Éva­dés, il était titu­laire de 9 cita­tions dont 3 à l’ordre de l’armée.

Il reste pour nous un exemple et un modèle. »

Yves VIOTTE (32),
géné­ral de corps d’ar­mée (2s)

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S’il était un géné­ral d’ar­mée, ancien com­man­dant de la pre­mière armée et signa­taire de l’ac­cord fran­co-alle­mand épo­nyme, le géné­ral Valen­tin n’é­tait pas que géné­ral. Le hasard de quelques enga­ge­ments asso­cia­tifs m’a per­mis de décou­vrir d’autres facettes de sa per­son­na­li­té, de ses enga­ge­ments et de ses compétences.

Qui l’eût cru ? C’é­tait un fin connais­seur de la lit­té­ra­ture du XVIIe siècle : j’ef­face, à cet égard, mon juge­ment der­rière celui de mon épouse, pro­fes­seur à la Sor­bonne, pré­ci­sé­ment dans cette dis­ci­pline et pour ce siècle. Le géné­ral Valen­tin a fini par céder à la ten­ta­tion d’é­crire ce qu’il avait à dire sur le drame raci­nien, dans un petit livre que les pré­ju­gés de notre époque ont des­ser­vi, car les édi­teurs et les étu­diants n’i­ma­ginent pas qu’un offi­cier puisse avoir com­pris la lit­té­ra­ture clas­sique autre­ment qu’en potache.

Il était aus­si un véri­table pas­sion­né de l’É­cole poly­tech­nique, atta­ché à son sta­tut et à son rayon­ne­ment, dépen­sant son temps sans comp­ter pour atti­rer des jeunes à la voca­tion mili­taire, c’est-à-dire, non pas tant à l’u­ni­forme, qu’au ser­vice très direct des inté­rêts essen­tiels du pays.

Il pro­met­tait aux élèves la décou­verte rapide de res­pon­sa­bi­li­tés humaines comme on en a peu, vers 25 ans, dans les entre­prises d’in­for­ma­tique, et un pou­voir sur le monde, à 50, au-delà de celui des pré­si­dents de mul­ti­na­tio­nales. Sa capa­ci­té à ne pas se décou­ra­ger quel­que­fois devant un amphi presque vide où il avait ame­né une per­son­na­li­té de pre­mier plan, à com­mu­ni­quer son enthou­siasme et à dire la réa­li­té de l’É­cole telle qu’elle est for­çait l’ad­mi­ra­tion. Toute mani­fes­ta­tion du groupe X‑Défense asso­ciait de jeunes cama­rades et leur per­met­tait de tou­cher du doigt les grandes ques­tions du moment.

L’in­té­rêt de l’É­tat ne pou­vait aller sans sa tra­duc­tion poli­tique, tant il est vrai que ce champ peut gâcher les meilleures apti­tudes d’un pays. Évi­tant les actions polé­miques, aux côtés du géné­ral Michel Four­quet (33), il a consa­cré beau­coup de temps à mettre en pers­pec­tive l’es­sen­tiel des consi­dé­ra­tions stra­té­giques à une époque où les bou­le­ver­se­ments poli­tiques ris­quaient de faire oublier les fon­da­men­taux de défense et où les stra­té­gies indi­vi­duelles por­taient la plu­part des acteurs à la cour­ti­sa­ne­rie plus qu’à la for­mu­la­tion de l’exi­gence de l’in­té­rêt national.

Nul doute que la péren­ni­té de la doc­trine fran­çaise de dis­sua­sion ne lui doive beaucoup.

Michel FERRIER (62),
ingé­nieur géné­ral des Mines

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