Faut-il encore investir en R & D ?

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006
Par Jean ESTIN

La R & D n’est pas néces­sai­re­ment créa­trice de valeur dans les indus­tries mûres et consti­tue sou­vent un surin­ves­tis­se­ment. Dans les indus­tries en forte crois­sance, elle n’est pas créa­trice de valeur pour tous les acteurs et en par­ti­cu­lier pour les suiveurs.

Dans tous les cas, elle n’est qu’un levier de com­pé­ti­ti­vi­té par­mi d’autres, pas tou­jours le plus impor­tant – c’est-à-dire dif­fé­ren­ciant -, et cer­tai­ne­ment pas la bar­rière ultime face aux concur­rents des pays à bas coûts de facteurs.

La ques­tion n’est donc pas seule­ment celle de l’op­ti­mi­sa­tion des objec­tifs, de l’or­ga­ni­sa­tion, et de l’al­lo­ca­tion des res­sources de la R & D à l’in­té­rieur d’é­quipes et de bud­gets plus ou moins inchan­gés, c’est celle du rôle et du dimen­sion­ne­ment de la R & D au sein de l’en­semble de la stra­té­gie de l’entreprise.

Cinq évidences

1. On ne peut inventer plus vite que la courbe d’expérience de l’industrie

Les inven­tions majeures, inno­va­tions de rup­ture, modi­fi­ca­tions tech­no­lo­giques majeures…, ne dépendent pas seule­ment du talent des cher­cheurs et des moyens finan­ciers mis en œuvre. Elles sont liées struc­tu­rel­le­ment à la courbe d’ex­pé­rience d’une industrie.

Dans les indus­tries jeunes à forte crois­sance, les inno­va­tions de rup­ture sont fré­quentes. Dans les mar­chés mûrs, à faible crois­sance, les inno­va­tions de rup­ture sont rares. Par exemple, la puis­sance des semi-conduc­teurs conti­nue à dou­bler tous les vingt-quatre mois, dans une indus­trie en crois­sance à envi­ron 15 % par an, et où l’ex­pé­rience cumu­lée de l’in­dus­trie double tous les sept ans. Inver­sement, dans la sidé­rur­gie, il n’y a plus eu d’inno­va­tion majeure depuis trente ans (mini­mil­ls). L’in­dus­trie croît de 3 % par an envi­ron et l’ex­pé­rience cumu­lée de cette indus­trie double tous les qua­rante ans (cf. tableau 1).

Les bud­gets moyens de R & D en pour­cen­tage du chiffre d’af­faires dans les indus­tries sont d’ailleurs inver­se­ment liés à l’ex­pé­rience cumu­lée de ces indus­tries, en moyenne, et seg­ment par seg­ment (cf. tableau 2).

La R & D de rup­ture tech­no­lo­gique et de recherche d’in­no­va­tions fortes a donc une jus­ti­fi­ca­tion dans les indus­tries en forte crois­sance. Elle peut consti­tuer en revanche un surin­ves­tis­se­ment des­truc­teur de valeur dans les indus­tries mûres, que les direc­tions géné­rales doivent challenger.

2. Les fabricants de diligence n’ont pas inventé le chemin de fer

Il y a pour­tant de temps à autre de grandes rup­tures dans les métiers mûrs qui per­mettent de sub­sti­tuer une tech­no­lo­gie, voire une indus­trie entière à une autre. Trou­ver ces rup­tures est le fan­tasme de nom­breux acteurs dans ces indus­tries, qu’ils soient dans des posi­tions concur­ren­tielles mar­gi­nales et cherchent à modi­fier fon­da­men­ta­le­ment les règles du jeu à leur pro­fit, ou qu’ils soient en posi­tion de lea­der­ship et cherchent des sources de crois­sance pour relan­cer le marché.

Mais les fabri­cants de dili­gence n’ont pas inven­té le che­min de fer. L’i­Pod n’a pas été inven­té par les fabri­cants de DVD ; la machine à expres­so avec doses de café est une inven­tion mar­ke­ting des fabri­cants de café (Nest­lé) et non une rup­ture tech­no­lo­gique ini­tiée par les fabri­cants d’élec­tro­mé­nager ; les jeux vidéo n’ont pas été inven­tés par les fabri­cants de jeux de socié­té ou par les stu­dios d’Hol­ly­wood ; les PC et le sys­tème d’ex­ploi­ta­tion Win­dows n’ont pas été inven­tés par IBM ; Micro­soft n’a pas inven­té le moteur de recherche d’In­ter­net ; etc.

Les grandes rup­tures remet­tant en cause les tech­no­lo­gies sous-jacentes aux indus­tries mûres pro­viennent tou­jours d’autres métiers en crois­sance rapide, qui dif­fusent leur tech­no­lo­gie dans des domaines en appa­rence éloi­gnés. Il faut donc féro­ce­ment chal­len­ger les équipes de recherche (et leurs bud­gets) qui, au sein de grands groupes et sur des mar­chés en faible crois­sance, pré­tendent qu’elles vont révo­lu­tion­ner leur indus­trie au lieu de sim­ple­ment amé­lio­rer la valeur des pro­duits ou la com­pé­ti­ti­vi­té des pro­ces­sus de production.Les grands groupes nord-amé­ri­cains gèrent d’ailleurs de plus en plus leurs acti­vi­tés en can­ton­nant leurs équipes internes à l’ex­ploi­ta­tion du busi­ness « as usual » et en acqué­rant des petites socié­tés inno­vantes là où de nou­velles tech­no­lo­gies ou de nou­veaux modèles d’ac­ti­vi­té leur paraissent prometteurs.

3. Les suiveurs n’ont pas intérêt à fortement investir en R & D

Dans les acti­vi­tés en forte crois­sance, la R & D est clé et est une arme concur­ren­tielle dans les mains des lea­ders. En revanche, les sui­veurs s’as­phyxient le plus sou­vent en ten­tant de suivre fron­ta­le­ment les lea­ders sur le ter­rain de l’in­no­va­tion technologique.

En R & D, comme dans d’autres domaines, il existe en effet des éco­no­mies d’é­chelle impor­tantes. Par exemple, dans l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, les dépenses en R & D des lea­ders repré­sentent envi­ron 15 % de leur chiffre d’af­faires ; elles repré­sentent jus­qu’à 25 % pour des chal­len­gers (cf. tableau 3). Le constat est le même dans l’in­dus­trie des jeux vidéo. Le lea­der EA dépense envi­ron 20 % de son chiffre d’af­faires en déve­lop­pe­ment ; les sui­veurs sup­portent des dépenses en déve­lop­pe­ment d’en­vi­ron 35 % de leur chiffre d’affaires.

De même, dans les micro­pro­ces­seurs, Intel, le lea­der du mar­ché avec plus de 85 % de parts de mar­ché, inves­tit 4 mil­liards d’eu­ros dans la R & D (13 % de son chiffre d’af­faires). Il dis­pose de quatre labo­ra­toires de recherche tra­vaillant en paral­lèle, cela lui per­met­tant de ne jamais man­quer un cycle du mar­ché. AMD, son prin­ci­pal concur­rent, ne dis­pose que d’un bud­get R & D proche de 1 mil­liard d’eu­ros (19,5 % de son chiffre d’affai­res) et concentre ses efforts de recherche sur le desi­gn pro­duit (par rap­port à la recherche fon­da­men­tale) et sur l’opti­mi­sa­tion du pro­ces­sus de fabri­ca­tion. Cyrix, fon­dé en 1988 par d’an­ciens ingé­nieurs de Texas Ins­tru­ments, a inves­ti lour­de­ment pen­dant dix ans dans la R & D pour être indé­pen­dant d’In­tel dans le desi­gn de micro­pro­ces­seurs. Dès 1999, il pei­nait à aug­men­ter la vitesse de ses pro­ces­seurs à 300 MHz alors que ses concur­rents étaient à 450 MHz et plus. En quelques années, ses pro­ces­seurs sont deve­nus des pro­duits de milieu et d’en­trée de gamme et il a dû fina­le­ment sor­tir du marché.

Com­ment dépen­ser dif­fé­rem­ment, ou de façon plus foca­li­sée, ou en sous-trai­tant et en par­ta­geant les inves­tis­se­ments ? Une seule chose est sûre. Dans les indus­tries en forte crois­sance, la concur­rence fron­tale en R & D est mor­telle pour les suiveurs.

4. La R & D n’est pas toujours le meilleur levier d’innovation

Dans les mar­chés mûrs, les besoins d’in­no­va­tion pour se dif­fé­ren­cier des concur­rents, de renou­vel­le­ment des gammes de pro­duits pour entre­te­nir le mar­ché, ou d’a­dap­ta­tion pour répondre à des niches de clients de plus en plus pré­cises ne sont pas néces­sai­re­ment rem­plis au mieux par la R & D.

Une grande par­tie de ces besoins est éga­le­ment ou mieux satis­faite par les inno­va­tions mar­ke­ting, de nou­veaux posi­tion­ne­ments, de nou­velles asso­cia­tions de pro­duits ou de ser­vices, de nou­veaux concepts de dis­tri­bu­tion, etc. Les chan­ge­ments de modèle d’ac­ti­vi­té peuvent créer des rup­tures aus­si fortes que les inno­va­tions technologiques.

Par exemple, Phi­lips a lan­cé en 2001 SENSEO (un nou­veau concept de cafe­tière à dosettes) en par­te­na­riat avec le fabri­cant et dis­tri­bu­teur de café Douwe Egberts. Ce sys­tème a ren­con­tré un suc­cès impor­tant (plus de 8 mil­lions d’u­ni­tés ven­dues entre 2001 et 2004). En trois ans, Phi­lips a qua­si­ment dou­blé sa part de mar­ché dans les pays où SENSEO a été lan­cé. Le suc­cès de ce sys­tème ne repo­sait pas tant sur une rup­ture tech­no­lo­gique que sur une offre adap­tée aux évo­lu­tions de consom­ma­tion (indi­vi­dua­li­sa­tion accrue, réduc­tion de la taille des ménages et évo­lu­tions des goûts en matière de consom­ma­tion de café). Ce pro­duit pou­vait de plus s’ap­puyer sur un desi­gn réus­si et le réseau com­mer­cial de Douwe Egberts.

La ques­tion fon­da­men­tale dans ces mar­chés mûrs, rare­ment réel­le­ment trai­tée compte tenu des cloi­son­ne­ments orga­ni­sa­tion­nels, de la dif­fi­cul­té de faire évo­luer les effec­tifs et les com­pé­tences, et des luttes poli­tiques internes, est celle de l’al­lo­ca­tion des res­sources entre les dif­fé­rents leviers. Vaut-il mieux allouer les res­sources à la R & D, au mar­ke­ting, etc. ? Dans quelle pro­por­tion ? Com­ment faire évo­luer cette pro­por­tion en fonc­tion de l’é­vo­lu­tion de l’indus­trie ? Quel est le bud­get maxi­mum de la R & D néces­saire pour entre­te­nir les gammes et les tech­no­lo­gies, déve­lop­per celles-ci au moins au même rythme que celui de la concur­rence et au-delà duquel on surin­ves­tit ? Au-delà du sui­vi natu­rel de l’é­vo­lu­tion d’en­semble de l’in­dus­trie, où se feront les dif­fé­rences clés face aux concurrents ?

5. L’innovation peut être une digue de sable face à la concurrence des pays émergents

Les entre­prises occi­den­tales misent beau­coup sur la R & D et sur l’in­no­va­tion pour demeu­rer com­pé­ti­tives face aux concur­rents des pays à bas coûts de fac­teurs. Dans les indus­tries mûres, cette bar­rière est struc­tu­rel­le­ment faible : le poids de la R & D est faible ; les inno­va­tions de rup­ture sont rares (cf. tableau 2). La bar­rière (lors­qu’elle existe) est davan­tage liée à des inno­va­tions mar­ke­ting (cf. ci-des­sus). Cette inno­va­tion n’est d’ailleurs pas tou­jours valo­ri­sée com­plè­te­ment par les clients : le coût direct de l’inno­va­tion et indi­rect de la com­plexi­té de gamme qu’elle induit est par­fois dif­fi­ci­le­ment réper­cu­té dans les prix.

Dans tous les cas, lors­qu’elle est uni­que­ment tech­no­lo­gique, cette bar­rière est tran­si­toire : le délai de rat­tra­page des concur­rents chi­nois en termes de qua­li­té et de tech­no­lo­gie se réduit pro­gres­si­ve­ment. Par exemple, Haier est deve­nu lea­der mon­dial dans les réfri­gé­ra­teurs en vingt ans, lea­der mon­dial dans les cli­ma­ti­seurs en quinze ans et lea­der mon­dial de la machine à laver en dix ans. Il est aujourd’­hui un des prin­ci­paux acteurs de gros élec­tro­mé­nager avec des pro­duits à la pointe des avan­cées tech­no­lo­giques. Dans la télé­vi­sion, il a péné­tré en moins de trois ans le mar­ché de la télé­vi­sion haute défi­ni­tion avec écran LCD, et a intro­duit la pre­mière télé­vi­sion haute défi­ni­tion à écran LCD sans câble inté­grant la tech­no­lo­gie UWB (Ultra Wide­Band) en 2006.

Cette bar­rière risque même de s’in­ver­ser dans plu­sieurs indus­tries : les bud­gets de R & D des grands groupes chi­nois croissent et dans cer­tains domaines se rap­prochent pro­gres­si­ve­ment de ceux de leurs concur­rents occi­den­taux. Dans les indus­tries où ils ont net­te­ment le lea­der­ship mon­dial, ce sont eux qui déve­loppent les tech­no­lo­gies de pointe.Dans les télé­com­mu­ni­ca­tions, par exemple, le lea­der chi­nois Hua­wei a for­te­ment accru sa tech­ni­ci­té au cours des dix der­nières années. En 1995, il ne fabri­quait que des com­mu­ta­teurs digi­taux pour lignes fixes ; en 2000, il four­nis­sait des réseaux mobiles 2G ; aujourd’­hui, il fabrique des réseaux mobiles 3G et détient 5 % des bre­vets essen­tiels de la norme UMTS du monde. Tous les pro­duits de Hua­wei sont basés aujourd’­hui sur les chips ASIC (Appli­ca­tion Spe­ci­fic Inte­gra­ted Cir­cuit) qui est la tech­no­lo­gie fon­da­men­tale de l’in­dus­trie des télécommunications.

Aujourd’­hui, Hua­wei est le lea­der mon­dial de cette tech­no­lo­gie en termes de capa­ci­té de concep­tion et de rétro- ingénierie.

L’in­no­va­tion est donc un fac­teur de com­pé­ti­ti­vi­té impor­tant, mais tran­si­toire, et pas tou­jours suf­fi­sam­ment dif­fé­ren­ciant. Elle ne pal­lie pas à long terme le manque de com­pé­ti­ti­vi­té com­mer­ciale ou indus­trielle. Cou­plée à des posi­tions com­pé­ti­tives et ren­for­çant celles-ci, c’est un levier posi­tif. Repo­sant sur des posi­tions non com­pé­ti­tives, c’est une digue poreuse et donc une dilu­tion de ressources.

Trois enjeux

1. Le rôle et le dimensionnement

L’en­jeu n’est pas, bien sûr, de sup­pri­mer la R & D ou les efforts d’inno­va­tion, de renou­vel­le­ment ou d’a­dap­ta­tion. C’est de défi­nir le vrai rôle de la R & D dans la stra­té­gie de l’en­tre­prise, le bon dimen­sion­ne­ment des inves­tis­se­ments néces­saires et leur bonne allocation.

Une ana­lyse menée dans plu­sieurs sec­teurs indus­triels montre que, indé­pen­dam­ment de ce qui vient d’être dit ci-des­sus, les inves­tis­se­ments R & D au sein des entre­prises sont sou­vent cor­ré­lés à un seul para­mètre : la ren­ta­bi­li­té. Lorsque celle-ci est éle­vée, la part des inves­tis­se­ments de R & D aug­mente ; lorsque celle-ci est faible, elle baisse.

En fait, le dimen­sion­ne­ment ration­nel de la R & D devrait être fonc­tion de la matu­ri­té de l’in­dus­trie, de la posi­tion concur­ren­tielle de l’en­tre­prise, des objec­tifs fon­da­men­taux recher­chés (rup­ture tech­no­lo­gique, inno­va­tion, sup­port tech­nique à l’inno­va­tion mar­ke­ting, simple renou­vel­le­ment des gammes de pro­duits, amé­lio­ra­tion des pro­ces­sus de pro­duc­tion…), et de la valeur rela­tive des dif­fé­rents leviers (R & D, mar­ke­ting, com­mer­cial, coûts de pro­duc­tion, qua­li­té, ser­vice…) sur la com­pé­ti­ti­vi­té et la croissance.

C’est une ques­tion fon­da­men­tale de rôle de la R & D et d’al­lo­ca­tion des res­sources au sein de l’en­tre­prise. Comme pour les autres enjeux stra­té­giques, la com­pa­rai­son avec les concur­rents est fal­la­cieuse. Il faut faire plus, ou moins, ou mieux ou dif­fé­rem­ment. Faire à l’i­den­tique est tou­jours une dilu­tion des ressources.

2. Le financement et la localisation

Là où la R & D demeure un bud­get impor­tant, et lorsque les marges se tendent, la ques­tion clé est celle du finan­ce­ment. Dans les métiers indus­triels, cette ques­tion devient inti­me­ment liée à la loca­li­sa­tion des outils de pro­duc­tion.

Les indus­triels ont sou­vent une vision res­treinte du lien devant exis­ter entre R & D et pro­duc­tion, à tort : pour­ra-t-on encore faire de la R & D, si l’on ne maî­trise plus le pro­ces­sus indus­triel car on sous-traite l’es­sen­tiel de la pro­duc­tion, ou si les usines sont délo­ca­li­sées dans des pays émergents ?

Le pro­blème est en fait que dans de nom­breuses indus­tries, compte tenu du niveau de la concur­rence et des prix, et en par­ti­cu­lier compte tenu de la mon­tée en puis­sance des pays émer­gents, on ne peut plus finan­cer la R & D avec les marges pro­ve­nant d’ou­tils de pro­duc­tion à coûts sala­riaux éle­vés.

Le main­tien d’une R & D signi­fi­ca­tive dans les pays déve­lop­pés néces­site des marges struc­tu­relles éle­vées et donc une pro­duc­tion dans des pays à bas coûts de facteurs.

Les grands acteurs qui conti­nuent à inves­tir lour­de­ment en R & D suivent donc deux stra­té­gies alternatives :

a) l’as­so­cia­tion d’une R & D de pointe dans les pays avan­cés (États-Unis, Europe, Japon) avec la pro­duc­tion des pro­to­types et petites séries de début de cycle ou de fin de cycle de pro­duits dans ces mêmes pays d’une part, et la pro­duc­tion de grandes séries sta­bi­li­sées de milieu de cycle dans les pays émer­gents d’autre part (cf. tableau 4) ;

b) l’as­so­cia­tion de la R & D et de la pro­duc­tion dans les pays émer­gents, dans les métiers où il est cri­tique d’asso­cier de façon intime les deux pro­ces­sus. Par exemple, Alca­tel a créé son pre­mier centre de R & D à Shan­ghai en 2002 près de son prin­ci­pal centre de pro­duc­tion en Chine, sui­vi de deux centres à Cheng­du en 2003 et 2005 pour répondre aux évo­lu­tions constantes du mar­ché chi­nois. Ses acti­vi­tés en R & D en Chine recouvrent tous les sec­teurs clefs des télé­com­mu­ni­ca­tions tels que la 3G mobile, la nou­velle géné­ra­tion de réseaux, l’op­tique et les ser­vices « triple play » (voix, don­nées, vidéo).

Ces stra­té­gies peuvent éga­le­ment se dif­fé­ren­cier en fonc­tion de la com­plexi­té et du degré tech­no­lo­gique des pro­duits ; R & D des pro­duits com­plexes ou encore très avan­cés tech­no­lo­gi­que­ment en Europe, aux USA ou au Japon, et R & D (ou déve­lop­pe­ment seul) des pro­duits plus simples délo­ca­li­sée avec la pro­duc­tion dans les pays à bas coûts de facteurs.

3. La cohérence

Le cime­tière des affaires est rem­pli d’in­no­va­tions mal mar­ke­tées, insuf­fi­sam­ment sou­te­nues par les bud­gets publi­ci­taires et les équipes com­mer­ciales, arri­vant sur le mar­ché au mau­vais moment, ajou­tant de la com­plexi­té (et des coûts) aux gammes de pro­duits et rédui­sant leur lisibilité.

À taux de suc­cès don­né, les bud­gets de R & D et le flux d’in­no­va­tion doivent être adap­tés à ce que les équipes com­mer­ciales et les bud­gets mar­ke­ting peuvent pro­mou­voir. Les nou­veaux pro­duits doivent donc être suf­fi­sam­ment dif­fé­ren­ciants, en nombre limi­té, et doivent chas­ser une part des anciens de façon à ce que la gamme aug­mente sa valeur et non sa complexité.

La R & D doit donc être foca­li­sée et caden­cée en fonc­tion des res­sources glo­bales et de la stra­té­gie d’en­semble de l’en­tre­prise et non seule­ment en fonc­tion de sa dyna­mique propre. (La R & D d’IBM sous Lou Gest­ner a géné­ré plus d’in­no­va­tions ayant un impact majeur sur le chiffre d’af­faires et les marges que pen­dant les années pré­cé­dentes, avec un bud­get réduit de moitié.)

Dans chaque seg­ment d’in­dus­trie, et pour chaque concur­rent, il y a un ratio « idéal » entre le mon­tant des dépenses de R & D, celui des dépenses de mar­ke­ting et celui des dépenses com­mer­ciales. Les inves­tis­se­ments de R & D en deçà ou au-delà de ce ratio sont inef­fi­caces (cf. tableau 5).

Conclusion

Faut-il encore inves­tir en R & D ? Oui, mais :

• pas au-delà de ce que l’in­dus­trie et la posi­tion concur­ren­tielle jus­ti­fient structurellement,
• en l’o­rien­tant sur des objec­tifs per­ti­nents compte tenu du cycle de l’indus­trie et du posi­tion­ne­ment de l’en­tre­prise (rup­ture tech­no­lo­gique, inno­va­tion, simple renou­vel­le­ment de gamme, amé­lio­ra­tion du pro­cessus de production…),
• en fonc­tion de ce que le tuyau com­plet (R & D, mar­ke­ting, commer­cial…) per­met de pro­mou­voir avec le bon timing,
• en allouant les res­sources de façon opti­male au sein de ce tuyau entre les dif­fé­rents leviers (R & D, mar­ke­ting, commercial…),
• et uni­que­ment à par­tir de bases de coût com­pé­ti­tives, toutes choses égales par ailleurs.

Beau­coup de condi­tions sont ain­si à rem­plir pour défi­nir une stra­té­gie de R & D compétitive !

Mais la R & D n’a de valeur que comme ingré­dient de la stra­té­gie, qu’il faut ana­ly­ser et défi­nir pré­ci­sé­ment comme tel, en cohé­rence avec les autres leviers et inves­tis­se­ments de l’en­tre­prise, au-delà de la simple opti­mi­sa­tion de son orga­ni­sa­tion et de ses pro­ces­sus internes.

Estin & Co est un cabi­net inter­na­tio­nal de conseil en stra­té­gie basé à Paris, Londres, Genève et Shan­ghai. Le cabi­net assiste les direc­tions géné­rales de grands groupes euro­péens et nord-amé­ri­cains dans leurs stra­té­gies de crois­sance, ain­si que les fonds de pri­vate equi­ty dans l’a­na­lyse et la valo­ri­sa­tion de leurs investissements.

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