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Examiner les brevets d’invention : une fonction clé

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Pierre LOISELEUR (96)

REPÈRES

REPÈRES
Ça y est, vous l’avez trou­vée, l’idée géniale qui va vous rap­por­ter des mil­lions. Ou peut-être une inven­tion toute bête en appa­rence, mais si simple que per­sonne n’y avait pen­sé aupa­ra­vant. Per­sonne ? En êtes-vous si sûr ? C’est sans doute un pléo­nasme, mais toute inven­tion doit être nou­velle. Sans quoi on a inven­té l’eau chaude, ou réin­ven­té la roue. C’est là tout le tra­vail d’un exa­mi­na­teur de bre­vets : arri­ver à un cer­tain degré de cer­ti­tude qu’une inven­tion est vrai­ment nou­velle, et la défi­nir clai­re­ment par rap­port à ce qui était connu auparavant.

Recherche d’antériorité

Il existe aujourd’hui des outils infor­ma­tiques per­fec­tion­nés pour la recherche d’antériorité

La recherche d’antériorité res­semble à la recherche d’une aiguille dans une meule de foin. Il existe aujourd’hui des outils infor­ma­tiques per­fec­tion­nés pour cher­cher un cer­tain concept dans des bases de don­nées. Ce n’est pas un luxe, vu la crois­sance sou­te­nue de la lit­té­ra­ture « bre­vets » et scien­ti­fique ces der­nières années. Un exa­mi­na­teur en « mode recherche » est content de trou­ver une anté­rio­ri­té très sem­blable. Après tout, c’est pré­ci­sé­ment son rôle.

Si le deman­deur peut être déçu d’apprendre qu’une inven­tion iden­tique ou simi­laire a déjà été divul­guée aupa­ra­vant, il a tout inté­rêt à prendre connais­sance le plus tôt pos­sible de tels docu­ments, afin de déter­mi­ner sa stra­té­gie « bre­vets » : retrait de la demande (et éco­no­mie des frais y affé­rents) ou modi­fi­ca­tions (dans le cadre limi­té de ce qui est per­mis par la pro­cé­dure) afin d’obtenir quand même un titre, mais de por­tée plus res­treinte ; exten­sion à l’international ou non.

L’art de l’interprétation

L’examen du fond relève de l’art de l’interprétation. Ayant à sa dis­po­si­tion les docu­ments anté­rieurs les plus per­ti­nents, l’examinateur en « mode exa­men » va pous­ser les limites de l’interprétation dans ses retran­che­ments, pour s’assurer que l’invention est défi­nie clai­re­ment et répond aux cri­tères légaux, prin­ci­pa­le­ment de la nou­veau­té et de l’activité inventive.

Par exemple, si le deman­deur parle d’un « véhi­cule » en pen­sant à une voi­ture, il faut pen­ser qu’une trot­ti­nette, une loco­mo­tive, mais aus­si un bateau ou un avion sont autant de véhi­cules. Il fau­dra donc sou­vent pré­ci­ser cer­tains termes pour échap­per à des objec­tions de nou­veau­té. Concer­nant l’activité inven­tive, toute la ques­tion est de savoir si, dans une sorte de fic­tion tech­ni­co-légale, un « homme du métier » (le terme anglais, skilled per­son, est moins sexiste) arri­ve­rait de façon évi­dente à l’invention s’il cher­chait à résoudre le pro­blème tech­nique sous-jacent. S’il est convain­cu de la bre­ve­ta­bi­li­té de l’invention, l’examinateur pour­ra alors pro­cé­der aux for­ma­li­tés de délivrance.

Consé­quences du niveau d’exigence requis pour obte­nir un brevet
Si l’examen est trop lâche (flèche a), cela accorde un mono­pole trop impor­tant à un seul acteur. S’il est trop exi­geant (flèche b), on ne génère pas suf­fi­sam­ment de béné­fices pour finan­cer l’innovation. Un niveau équi­li­bré, entre ces deux extrêmes, donne une pro­tec­tion jus­ti­fiée par les inves­tis­se­ments en R&D.

Brevet de qualité

Pour un exa­mi­na­teur, il existe tou­jours la pos­si­bi­li­té ten­tante de se « débar­ras­ser » d’un dos­sier en citant quelques docu­ments res­sem­blant vague­ment à l’invention et en rédi­geant un argu­men­taire vrai­sem­blable. Un bre­vet déli­vré indû­ment consti­tue une double fraude. Envers les tiers contre qui le titre peut être oppo­sé, qui devront payer des royal­ties ou des frais de jus­tice pour annu­ler le bre­vet. Mais aus­si envers le pro­prié­taire lui-même, qui va enga­ger des frais (tra­duc­tion, annui­tés) pour un bout de papier qui pour­ra fina­le­ment être annu­lé devant le tribunal.

Un bre­vet déli­vré indû­ment consti­tue une double fraude

Cela étant, même une recherche très appro­fon­die ne peut cou­vrir exhaus­ti­ve­ment l’ensemble des divul­ga­tions anté­rieures, et un « bre­vet de qua­li­té » peut quand même se faire annu­ler après la déli­vrance si une nou­velle anté­rio­ri­té fait surface.

Enfin, il faut sou­li­gner que la qua­li­té ne signi­fie pas de pla­cer aus­si haut que pos­sible le niveau d’exigence requis pour obte­nir un bre­vet (paten­ta­bi­li­ty bar), mais de le pla­cer à un niveau rai­son­nable et sur­tout pré­vi­sible. La juris­pru­dence joue ici un rôle essen­tiel pour har­mo­ni­ser l’interprétation du droit des bre­vets. Si l’exigence de bre­ve­ta­bi­li­té est trop haute, les bre­vets ne rap­portent pas suf­fi­sam­ment d’argent pour ren­ta­bi­li­ser les inves­tis­se­ments de R&D. Si au contraire elle est trop basse, cela confère un mono­pole trop large à un seul acteur, et décou­rage donc au final l’innovation. Il est impor­tant de trou­ver le bon équi­libre entre ces deux positions.

Ran­çons
En 2006, une petite socié­té d’avocats ayant pour prin­ci­pal actif un por­te­feuille de bre­vets a obte­nu 600 M$ de RIM, le fabri­cant des télé­phones Black­Ber­ry, sur la base d’une poi­gnée de bre­vets à la vali­di­té incer­taine. Cela a géné­ré des cri­tiques contre une uti­li­sa­tion des bre­vets qui décou­rage les socié­tés inno­vantes en exi­geant une ran­çon de celles qui réus­sissent le mieux.
L’importance d’un exa­men de qualité
La loi des bre­vets fut annu­lée aux Pays-Bas en 1869, car elle était consi­dé­rée comme une entrave au com­merce. Néan­moins, le sys­tème des bre­vets fut remis en place en 1910, avec un exa­men de haute qua­li­té. Obte­nir un bre­vet à l’Office néer­lan­dais des bre­vets était un argu­ment de poids pour pro­té­ger son inven­tion dans d’autres pays. L’Institut inter­na­tio­nal des bre­vets, et main­te­nant l’OEB, à Munich, Ber­lin et La Haye, ont repris le flam­beau d’un exa­men de qualité.

Les atouts de l’OEB

L’Office euro­péen des bre­vets pos­sède deux atouts majeurs vis-à-vis de la qua­li­té : il pos­sède la plus grande col­lec­tion de bre­vets au monde (70 mil­lions), orga­ni­sés selon un sché­ma très fin de clas­si­fi­ca­tion ; et les déci­sions (déli­vrance ou refus) sont prises par un col­lège de trois exa­mi­na­teurs, qui viennent sou­vent de dif­fé­rents pays euro­péens, appor­tant une richesse de points de vue et une plus grande exi­gence. Avec le temps, ces atouts ont don­né à l’Office une répu­ta­tion de qua­li­té1 qui pousse cha­cun de ses agents à la main­te­nir, sinon l’améliorer encore.

1. Voir l’enquête IAM Maga­zine, 48, juillet-août 2011, page 72.

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