Évaluation économique et environnement dans les décisions publiques

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°534 Avril 1998Par : Michel COHEN De LARA (81) et Dominique DRONRédacteur : Claude HENRY, professeur d'économie publique à l'École polytechnique, directeur de recherche au CNRS

Ce qua­trième rap­port de la Cel­lule de pros­pec­tive et stra­té­gie du minis­tère de l’A­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire et de l’En­vi­ron­ne­ment exa­mine la place de l’é­va­lua­tion éco­no­mique dans les déci­sions publiques. Des­ti­né aux pra­ti­ciens de l’é­va­lua­tion, mais aus­si à ceux qui en uti­lisent les résul­tats, ce rap­port n’est pas une théo­rie éco­no­mique appli­quée à l’en­vi­ron­ne­ment. Il est le fruit de la coopé­ra­tion d’in­ter­ve­nants d’o­ri­gines diverses qui ont contri­bué à de nom­breux groupes de tra­vail s’ap­puyant sur des exemples de déci­sions notam­ment dans les champs des infra­struc­tures rou­tières, de l’ex­ten­sion urbaine, de l’é­pu­ra­tion des eaux rési­duaires, de la pol­lu­tion atmosphérique.

C’est un tra­vail qui répon­dra à de nom­breuses inter­ro­ga­tions car force est de consta­ter que, pour choi­sir comme pour argu­men­ter, les acteurs sol­li­citent de plus en plus l’é­va­lua­tion éco­no­mique, la moné­ta­ri­sa­tion des impacts, l’a­na­lyse coûts-avantages.

Com­bien coûte la pol­lu­tion de l’air ? Qui » gagne » et qui » perd » du fait d’une déci­sion ? Le rap­port fait le point sur les éva­lua­tions actuelles de quelques-uns des enjeux d “envi­ron­ne­ment : zones humides, pol­lu­tion atmo­sphé­rique, bruit, consom­ma­tion de res­sources non renou­ve­lables, effet de serre et chan­ge­ments cli­ma­tiques, etc.

Il ana­lyse les conven­tions et pos­si­bi­li­tés pro­po­sées par l’é­va­lua­tion éco­no­mique pour appré­cier les effets sani­taires et envi­ron­ne­men­taux dans l’é­la­bo­ra­tion des déci­sions publiques : méthodes de moné­ta­ri­sa­tion, cri­tères de cal­cul, actua­li­sa­tion et biens non renou­ve­lables, pré­sup­po­sés impli­cites, dis­sy­mé­tries d’ap­proche, concep­tion et uti­li­sa­tion des modèles, déci­sion en uni­vers incer­tain. Il exa­mine les causes des diver­gences et incom­pré­hen­sions sou­vent obser­vées dans les conflits, et pro­pose des pistes tant éco­no­miques qu’ins­ti­tu­tion­nelles pour sur­mon­ter l’op­po­si­tion appa­rem­ment récur­rente entre éco­no­mie et envi­ron­ne­ment , ce qui est l’une des condi­tions d’un déve­lop­pe­ment durable.

Ce rap­port est pré­cieux car il montre, en s’ap­puyant sur les tra­vaux des meilleurs éco­no­mistes fran­çais de l’en­vi­ron­ne­ment et de pra­ti­ciens aguer­ris, que la théo­rie éco­no­mique n’est pas aus­si anta­go­nique du sou­ci de l’en­vi­ron­ne­ment et du long terme que ce qu’une pra­tique cou­rante laisse trop fré­quem­ment croire. Réci­pro­que­ment, les pro­tec­teurs de l’en­vi­ron­ne­ment doivent être davan­tage conscients du fait que les fon­de­ments de l’é­co­no­mie per­mettent une prise en compte de leurs pré­oc­cu­pa­tions, mieux que la pra­tique cou­rante ne le laisse sou­vent ima­gi­ner. En effet, si tous les outils de média­tion sont mani­pu­lables, le cal­cul éco­no­mique peut tou­te­fois, moyen­nant cer­taines pré­cau­tions, pré­sen­ter des garan­ties par­ti­cu­lières de fia­bi­li­té. Rigou­reu­se­ment consi­dé­ré, il est en géné­ral plus ouvert aux enjeux sani­taires, envi­ron­ne­men­taux et de long terme que ce que des pra­tiques habi­tuelles de cal­cul et des dis­sy­mé­tries fré­quentes de rai­son­ne­ments, pour­tant non jus­ti­fiées par la théo­rie, peuvent lais­ser croire.

À quelles condi­tions les cal­culs éco­no­miques peuvent-ils donc rendre compte des pro­ces­sus qu’ils tentent d’é­va­luer, et jouer le rôle de média­tion que l’on en attend dans des déci­sions conflic­tuelles ? Com­ment en exploi­ter tout le poten­tiel ? Com­ment les cor­ri­ger ou les com­plé­ter lors­qu’ils s’a­vèrent insuf­fi­sants ? Quelles approches adop­ter en situa­tion d’in­cer­ti­tude, comme dans le cas du chan­ge­ment cli­ma­tique par exemple ? Le lec­teur devrait trou­ver des réponses dans cet ouvrage bien struc­tu­ré, intel­lec­tuel­le­ment sti­mu­lant, et écrit de manière à être utile dans des appli­ca­tions très variées. On a long­temps atten­du un pareil ins­tru­ment en France, et je me réjouis qu’il soit dis­po­nible pour éclai­rer les débats autour des rap­pro­che­ments entre éco­no­mie et envi­ron­ne­ment qu’im­pose un déve­lop­pe­ment durable. Voi­ci une excel­lente occa­sion d’in­ci­ter nos col­lègues anglo-saxons à lire un ouvrage en fran­çais ; dans le domaine explo­ré par M. Cohen de Lara et D. Dron, ce n’est pas si fréquent.

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