Éthique et développement en période trouble

Dossier : Gérer en période de criseMagazine N°638 Octobre 2008
Par Diaa Alexandre ZÉNIÉ (68)

Le vent de la mon­dia­li­sa­tion souffle de plus en plus fort. D’autres vents, par­fois contraires, se lèvent aus­si : crise finan­cière inter­na­tio­nale, crise ali­men­taire, famine et explo­sions de vio­lence dans les pays les plus fragiles.

Cer­tains pensent, à l’instar de M. Fried­man, que l’entreprise n’a rien à voir avec ce qui arrive, car elle a pour seule mis­sion de ser­vir ses action­naires, le mar­ché per­met­tant de résor­ber natu­rel­le­ment les dés­équi­libres. Pour­tant des dérives appa­raissent, met­tant en cause la res­pon­sa­bi­li­té de cer­tains opé­ra­teurs (voir encadré).

Les limites des outils

Les approches clas­siques qui consi­dèrent la nature comme un stock infi­ni et les déchets comme des exter­na­li­tés sans coût ne per­mettent plus de fon­der une ges­tion ration­nelle de l’entreprise.

Des dérives inquiétantes
Fal­si­fi­ca­tion des comptes, même par de très grandes socié­tés (Enron, Nor­tel, Com­pu­ter Asso­ciates, World­com, Viven­di, Par­ma­lat qui, pour cer­taines, ont pure­ment et sim­ple­ment dis­pa­ru depuis), pol­lu­tions majeures par des sub­stances très toxiques (Meta­leu­rop en France, Bho­pal en Inde avec 30 000 morts), spé­cu­la­tion finan­cière sur des pro­duits ali­men­taires (inter­dite par l’Inde sur son ter­ri­toire à par­tir de mai 2008 pour quatre pro­duits), pra­tiques abu­sives des four­nis­seurs de grandes entre­prises comme Nike en Indo­né­sie dans les années quatre-vingt-dix, qui ont conduit au boy­cot­tage de ses produits.

Elles ne prennent pas non plus en compte la conscience gran­dis­sante des valeurs » éthiques » chez les par­ties pre­nantes : le client (Amar­tya Sen – prix Nobel en éco­no­mie – a pour­tant défen­du une concep­tion du consom­ma­teur qui inclut des valeurs morales dans ses pré­fé­rences de choix depuis les années soixante-dix), la socié­té civile en géné­ral et cer­taines ONG en par­ti­cu­lier, mais aus­si le per­son­nel employé et les can­di­dats poten­tiels à un emploi, et même les investisseurs.

Des outils de mana­ge­ment plus récents comme la maî­trise des risques ont aus­si mon­tré leurs limites, par exemple dans le monde finan­cier avec la récente crise des sub­primes, qui s’est pro­duite mal­gré l’exis­tence d’une mul­ti­tude d’a­gences de nota­tion finan­cière et la mise en place des nou­velles règles pru­den­tielles. Enfin, l’é­vo­lu­tion régle­men­taire met de plus en plus en cause la res­pon­sa­bi­li­té du mana­ge­ment. C’est le cas de la loi Sar­banes Oxley en 2002 aux USA et de plu­sieurs autres lois qui se mettent en place en Europe et dans le monde.

Pour affron­ter les » tour­billons » dans les­quels ils sont pris, les opé­ra­teurs et leur mana­ge­ment sont à la recherche de voies de déve­lop­pe­ment plus adap­tées, capables de mini­mi­ser l’im­pact des dérives éthiques et de mieux tenir compte des inté­rêts du plus grand nombre des par­ties prenantes. 

Le développement éthique, nouvelle voie de croissance

C’est une crois­sance plus sereine basée sur l’é­thique, dans laquelle cer­taines entre­prises se sont déjà engagées.

Des actions » éthiques »
– Réduire la pro­duc­tion de déchets ou l’é­mis­sion de pro­duits polluants ;
– limi­ter la consom­ma­tion d’éner­gie d’o­ri­gine fos­sile, d’eau et de matières pre­mières qui se raréfient ;
– res­pec­ter l’en­vi­ron­ne­ment et pré­ser­ver la biodiversité ;
– col­la­bo­rer avec les com­mu­nau­tés locales et enga­ger des pro­jets dans des zones en dif­fi­cul­té des pays pauvres ;
– mieux inté­grer des caté­go­ries de popu­la­tion en sous-emploi ou en dif­fi­cul­té, comme les jeunes et les seniors ;
– déve­lop­per et mettre en place des mesures anti­cor­rup­tion com­pre­nant, par exemple, des sys­tèmes d’alerte ;
– signer et mettre en appli­ca­tion des chartes éthiques, en tenant compte du rôle que peuvent y jouer les » anciens » ;
– se pro­je­ter dans le futur, pour anti­ci­per les régle­men­ta­tions et normes en pré­pa­ra­tion, tant au niveau natio­nal qu’eu­ro­péen et international ;
– encou­ra­ger la créa­ti­vi­té par un meilleur par­tage des res­pon­sa­bi­li­tés afin de faire émer­ger de nou­velles idées.

Citons à titre d’exemple Danone avec ses com­mu­ni­ties, pour la res­pon­sa­bi­li­té sociale, Gene­ral Elec­tric avec » Eco­ma­gi­na­tion » pour l’en­vi­ron­ne­ment, et les socié­tés qui signent le » Pacte mon­dial » pro­po­sé par les Nations unies, avec ses dix prin­cipes (droits de l’homme, droits du tra­vail, envi­ron­ne­ment et lutte contre la cor­rup­tion), et le mettent en appli­ca­tion. À ceux pour qui le déve­lop­pe­ment éthique est un oxy­more, il suf­fit de rap­pe­ler qu’a­vant même de déve­lop­per la théo­rie du » miracle de l’é­co­no­mie de mar­ché « , Adam Smith avait for­mu­lé une théo­rie des » sen­ti­ments moraux « . Plus récem­ment, mais dans le même ordre d’i­dées, Chris­tian de Duve, prix Nobel de méde­cine, consi­dère que » l’é­thique est un pro­duit de la sélec­tion natu­relle, qui aurait rete­nu des com­por­te­ments sociaux favo­rables au suc­cès évo­lu­tif des groupes « .

Il faut pré­ci­ser que l’é­thique en ques­tion ici est l’é­thique de la res­pon­sa­bi­li­té, qui tient compte des consé­quences pos­sibles des déci­sions du mana­ge­ment sur les dif­fé­rentes par­ties pre­nantes et l’en­vi­ron­ne­ment, tout en main­te­nant comme objec­tif pre­mier la créa­tion de richesses par l’en­tre­prise, sans laquelle il n’y a ni crois­sance, ni créa­tion d’emplois. Une entre­prise qui ne crée pas de richesses est d’ailleurs pure­ment et sim­ple­ment condam­née à disparaître. 

En pratique, le développement éthique conduit l’entreprise à mener des actions ciblées

Au moment de démar­rer de telles actions ou de mettre en place des plans de déve­lop­pe­ment » res­pon­sables « , l’en­tre­prise est sou­vent hési­tante. D’une part, l’a­dé­qua­tion par rap­port à sa stra­té­gie et les pers­pec­tives de ren­ta­bi­li­té n’ap­pa­raissent pas clai­re­ment. D’autre part, l’offre des pres­ta­taires dans ces nou­veaux déve­lop­pe­ments est quelque peu » confuse « . Il y a des inter­ve­nants de toutes sortes, avec des pro­po­si­tions qui se recouvrent et qu’il n’est pas facile de dif­fé­ren­cier : celles des écoles et des uni­ver­si­tés avec des pres­ta­tions opé­ra­tion­nelles, mais aus­si de grandes ONG qui offrent leurs ser­vices et attri­buent un label, de petites ONG avec des exper­tises poin­tues, des socié­tés de com­mu­ni­ca­tion, des socié­tés d’au­dit et de contrôle, des orga­ni­sa­tions professionnelles. 

Une source d’innovation et d’opportunités

Pour­tant, ces actions de déve­lop­pe­ment éthiques et res­pon­sables, qui repré­sentent une source d’in­no­va­tion et d’op­por­tu­ni­tés, devraient être abor­dées de manière glo­bale. Dans un article de la Har­vard Busi­ness Review, Michael E. Por­ter, auteur du best-sel­ler sur les avan­tages com­pé­ti­tifs, sou­ligne aus­si le fait que ce type d’ac­tions confère une nou­velle forme d’a­van­tages compétitifs.

Adam Smith avait for­mu­lé une théo­rie des sen­ti­ments moraux

Afin d’as­su­rer le maxi­mum d’ef­fi­ca­ci­té à cette démarche, quelques points méritent une atten­tion par­ti­cu­lière : iden­ti­fier les pro­jets cohé­rents avec la stra­té­gie de l’en­tre­prise, pour per­mettre d’ac­cé­der à de réelles sources de crois­sance ; mener une étude pros­pec­tive sur l’é­vo­lu­tion des par­ties pre­nantes : le client et ses pré­fé­rences, l’ac­tion­naire et ses arbi­trages, le per­son­nel et ses rela­tions au tra­vail, l’en­tre­prise et son image, les inves­tis­seurs et leur évo­lu­tion ; bien pré­pa­rer l’é­tude de fai­sa­bi­li­té, l’é­va­lua­tion de la ren­ta­bi­li­té, la recherche de finan­ce­ments tout en mobi­li­sant les moyens pour assu­rer la péren­ni­té de la démarche ; consa­crer les res­sources néces­saires au pilo­tage des pro­jets en liai­son avec les par­ties pre­nantes ; recher­cher des alliances avec des par­te­naires poten­tiels (entre­prises, ONG, milieu asso­cia­tif, four­nis­seurs expé­ri­men­tés) ; obte­nir des infor­ma­tions sur les meilleures pra­tiques en la matière ; et enfin, mettre en oeuvre des méthodes, des outils de sui­vi et de for­ma­tion, qui favo­risent le dia­logue au sein des équipes.

Commentaire

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nadia ban­na-cha­hinerépondre
17 octobre 2008 à 2 h 24 min

éthique et déve­lop­pe­ment
Enfin une lueur d’es­poir. il était temps de réflé­chir sérieu­se­ment et de four­nir des outils pour entra­ver les effets nocifs du déve­lop­pe­ment chao­tique qui a mené vers cette période trouble et dif­fi­cile. Mer­ci pour vos efforts et votre pers­pi­ca­ci­té. dans l’at­tente de vous lire dans d’autres articles et de décou­vrir vos pro­po­si­tions ain­si que l’ap­pli­ca­tion effec­tive de vos idées au sein des entre­prises et des institutions.

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