Épidémiologie environnementale

Dossier : ExpressionsMagazine N°679 Novembre 2012
Par Rémi SLAMA (94)
Par Pierre DUCIMETIÈRE (62)

Il existe dif­fé­rents types d’études épi­dé­mio­lo­giques. L’approche « cas-témoins » consiste à recru­ter sépa­ré­ment un groupe de sujets atteints de la patho­lo­gie d’intérêt et un groupe de sujets indemnes, avec une recons­ti­tu­tion rétros­pec­tive des expo­si­tions. Elle est limi­tée quand il s’agit d’étudier l’effet de fac­teurs de risque dont les niveaux varient rapi­de­ment dans le temps (moins dans le cas de pol­luants per­sis­tant dans l’organisme).

Mais toutes les études cas-témoins ne sont pas rétros­pec­tives ; cer­taines sont nichées dans des cohortes, ce qui leur per­met de s’appuyer sur des pré­lè­ve­ments bio­lo­giques réa­li­sés avant la sur­ve­nue de la mala­die, dans la fenêtre tem­po­relle bio­lo­gi­que­ment per­ti­nente, pour carac­té­ri­ser l’exposition.

L’autre prin­ci­pal type d’étude épi­dé­mio­lo­gique – le plus fré­quem­ment uti­li­sé pour les fac­teurs envi­ron­ne­men­taux – est celui de cohorte pros­pec­tive. Les prin­ci­paux résul­tats de l’épidémiologie envi­ron­ne­men­tale s’appuient sur cette approche, par­fois après qu’un effet a été sug­gé­ré par des études cas-témoins, plus légères à implémenter.

Défi­ni­tions
L’épidémiologie envi­ron­ne­men­tale carac­té­rise l’effet des fac­teurs envi­ron­ne­men­taux sur la san­té humaine. Elle iden­ti­fie les approches per­met­tant de limi­ter cet effet. Les fac­teurs envi­ron­ne­men­taux sont l’ensemble des fac­teurs exo­gènes aux êtres humains, incluant les expo­si­tions pro­fes­sion­nelles ou le taba­gisme en plus des conta­mi­nants de l’air, de l’eau de bois­son, de l’alimentation, les effets indé­si­rables des pro­duits de soin ou de san­té, les fac­teurs sociaux, etc.

Les biomarqueurs d’exposition

L’épidémiologiste s’appuie sur une très large palette d’outils pour carac­té­ri­ser les expo­si­tions envi­ron­ne­men­tales. Celle-ci va de don­nées sur les sources des conta­mi­na­tions envi­ron­ne­men­tales à des mesures ou modèles envi­ron­ne­men­taux (dis­per­sion des pol­luants atmo­sphé­riques) et à des mesures per­son­nelles d’exposition (dosi­mètres) ou de dose interne par des « bio­mar­queurs d’exposition ».

Chro­ma­to­gra­phie et spec­tro­mé­trie per­mettent de doser des conta­mi­nants environnementaux

Le déve­lop­pe­ment des méthodes de chro­ma­to­gra­phie et spec­tro­mé­trie per­met main­te­nant de doser des conta­mi­nants envi­ron­ne­men­taux (pes­ti­cides, métaux, per­tur­ba­teurs endo­cri­niens, etc.), ou leurs méta­bo­lites dans le sang ou les urines, à des coûts et avec des niveaux de sen­si­bi­li­té tou­jours plus bas.

L’erreur de mesure

Toute mesure est enta­chée d’erreur, mais toute erreur dans la carac­té­ri­sa­tion de l’exposition des sujets n’invalide pas l’estimation de la rela­tion dose-effet.

Télé­phones portables
Dans l’étude Inter­phone sur les effets de l’utilisation des télé­phones por­tables, la pro­blé­ma­tique de l’erreur de mesure sur l’exposition a été anti­ci­pée. Plu­sieurs sous-études sur les biais poten­tiels ont été pla­ni­fiées, incluant la vali­da­tion des réponses au ques­tion­naire à l’aide de don­nées d’opérateurs télé­pho­niques et de télé­phones modi­fiés, mon­trant une cor­ré­la­tion variant de 0,5 à 0,8 selon les pays (et non de 0,18 ou 0,34 comme rap­por­té) ; un ques­tion­naire sur les non-répon­dants pour éva­luer la repré­sen­ta­ti­vi­té des par­ti­ci­pants ; la véri­fi­ca­tion de la laté­ra­li­té d’utilisation des télé­phones, et la pla­ni­fi­ca­tion de nom­breuses ana­lyses de sen­si­bi­li­té et d’études simu­lant l’impact des biais sur les résultats.

L’impact de l’erreur de mesure sur la rela­tion dose-effet esti­mée dépend de la struc­ture de l’erreur de mesure (notam­ment de sa rela­tion avec l’exposition réelle) et de l’effectif de l’étude. Un arbi­trage entre « biais » et « pré­ci­sion » doit se faire. Sché­ma­ti­que­ment, soit on opte pour une mesure impar­faite de l’exposition, mais qui peut être mise en oeuvre pour un nombre impor­tant de sujets (pré­ci­sion impor­tante du fait de l’effectif, mais poten­tiel­le­ment biai­sée), soit pour une mesure plus exacte, mais géné­ra­le­ment plus lourde logis­ti­que­ment et qui impli­que­ra de recru­ter un nombre plus faible de sujets (varia­bi­li­té plus impor­tante, mais biais plus faible).

Devant l’utilisation, pour des rai­sons éthiques ou logis­tiques, d’approches impar­faites pour carac­té­ri­ser les expo­si­tions envi­ron­ne­men­tales, le recours à des outils sta­tis­tiques pour quan­ti­fier et cor­ri­ger l’impact de l’erreur de mesure sur la rela­tion dose-effet est une option cen­trale. Quand ils sont mis en oeuvre, ces outils sug­gèrent que l’erreur de mesure peut entraî­ner, en plus d’une sous-esti­ma­tion de l’incertitude autour de la rela­tion dose-effet, une erreur dans l’effet esti­mé de l’exposition (rela­tion dose-réponse, qui est sou­vent sous-esti­mée, mais peut aus­si être surestimée).

Méthodologie statistique

La ten­dance à com­mu­ni­quer trop tôt a été ampli­fiée par des précédents

La lit­té­ra­ture épi­dé­mio­lo­gique peut sem­bler semée d’études contra­dic­toires à qui ignore l’interprétation des tests d’hypothèses : dans la mesure où ces tests ne per­mettent, avec un cer­tain risque d’erreur, que de reje­ter l’hypothèse nulle (en géné­ral celle d’absence d’effet de l’exposition), le fait que deux études observent suc­ces­si­ve­ment une asso­cia­tion sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tive puis une autre non signi­fi­ca­tive n’a rien de contra­dic­toire. La pre­mière tend à faire reje­ter l’hypothèse d’une absence d’effet de l’exposition, la seconde ne per­met pas de reje­ter cette hypo­thèse, mais ne valide pas pour autant l’hypothèse contraire. Même pour un fac­teur envi­ron­ne­men­tal ayant réel­le­ment un effet, on s’attend à ce qu’une pro­por­tion non négli­geable d’études n’observe pas d’association sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tive, pro­por­tion d’autant plus éle­vée que les études seront de faible taille.

Quelques résul­tats
• Iden­ti­fi­ca­tion de l’eau de bois­son comme mode de trans­mis­sion du cho­lé­ra (John Snow, Londres, vers 1850).
• Impact du tabac sur la sur­ve­nue du can­cer du pou­mon (Richard Doll et Brad­ford Hill, vers 1950).
• Pol­lu­tion atmo­sphé­rique à forte dose et mor­ta­li­té (années 1950–1970).
• Pol­lu­tion atmo­sphé­rique à faible dose et mor­ta­li­té et mor­bi­di­té car­dio­res­pi­ra­toire (apport des séries tem­po­relles, à par­tir des années 1980–1990).
• Afla­toxine (myco­toxine pré­sente dans les céréales) et can­cer du foie.
• PCB et neu­ro­dé­ve­lop­pe­ment (catas­trophes de Yusho et Yu-Cheng au Japon et à Taïwan).
• Plomb et neu­ro­dé­ve­lop­pe­ment infantile.
• Iode et pré­ven­tion du goitre.
• Fac­teurs de risque de mort inat­ten­due du nourrisson.
• Rayon­ne­ments ioni­sants et can­cer (sur­vi­vants d’Hiroshima et de Naga­sa­ki, patients trai­tés par radio­thé­ra­pie, cohortes de mineurs et de tra­vailleurs, can­cer de la thy­roïde après l’accident de Tchernobyl).
• Radon et can­cer du poumon.

Risques et communication

La com­mu­ni­ca­tion et l’expertise en san­té envi­ron­ne­men­tale sont sou­vent réa­li­sées par des acteurs n’ayant pas pro­duit le tra­vail scien­ti­fique. Il serait injuste de rendre les épi­dé­mio­lo­gistes res­pon­sables des erreurs et sim­pli­fi­ca­tions pou­vant sur­ve­nir, et qui sont par­fois des consé­quences de carac­té­ris­tiques du monde des médias ou de notre socié­té. De même, on ne peut blâ­mer les cli­ni­ciens ou bio­lo­gistes plus fon­da­men­taux de l’existence dans la presse de titres sur « le vac­cin contre le can­cer ». Ce serait d’autant moins jus­ti­fié que la ten­dance des médias à com­mu­ni­quer trop tôt sur cer­tains résul­tats a pro­ba­ble­ment été ampli­fiée dans ce domaine de la san­té envi­ron­ne­men­tale par des pré­cé­dents lors des­quels les indus­triels (du tabac, de l’amiante) ont dura­ble­ment retar­dé la dif­fu­sion de connais­sances scien­ti­fiques et « pro­duit l’incertitude », entraî­nant un coût sani­taire et éco­no­mique majeur.

Un effort concerté

La carac­té­ri­sa­tion de l’impact des fac­teurs envi­ron­ne­men­taux sur la san­té humaine requiert l’effort concer­té de plu­sieurs dis­ci­plines com­plé­men­taires dans leurs approches et leurs limites, et en pre­mier lieu la toxi­co­lo­gie et l’épidémiologie. Si les moyens humains et finan­ciers et le temps leur sont don­nés, elles sau­ront, à l’aide d’outils en per­ma­nente évo­lu­tion, rele­ver ce défi de façon ouverte et rigoureuse.

Les auteurs remer­cient Syl­vaine Cor­dier (Inserm- IRSET, Rennes), Éli­sa­beth Car­dis (res­pon­sable du groupe Rayon­ne­ments au CREAL, Centre for research in envi­ron­men­tal epi­de­mio­lo­gy, Bar­ce­lone) pour leurs com­men­taires sur ce texte.

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