En passant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°524 Avril 1997Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Pas très classique

Pas très classique

Il est à la mode de faire canaille, en musique comme en cui­sine. Mais est-ce bien nou­veau, et que les musi­ciens habi­tués des salles de concert jouent de la musique de bras­se­rie ou de casi­no, voire pire, et où ils veulent (voire pire), n’était-il pas la norme, jusqu’à ce que les aca­dé­mistes pin­cés de l’après-guerre en décident autre­ment ? Ain­si le très bon vio­lo­niste Gilles Apap, de retour de Cali­for­nie, enre­gistre avec les “Tran­syl­va­nian Moun­tain Boys ” (alto, gui­tare, basse) un très joli méli-mélo où figurent pêle-mêle Stra­vins­ki, Djan­go Rein­hardt, Pro­ko­fiev, Ernest Bloch, Strauss (Johann), et des airs folk­lo­riques rou­mains et tzi­ganes. C’est remar­qua­ble­ment joué, très enle­vé, tout à fait ce que l’on aime : un vrai plai­sir (1).

Le fla­men­co est une de ces musiques magiques, dont on sent qu’elles vont bien au-delà de la per­cep­tion que l’on en a, et que l’on n’en péné­tre­ra jamais la réa­li­té pro­fonde, que l’on ne sera jamais un ini­tié (comme le blues, par exemple, le vrai). Mais écou­ter suf­fit à nous émou­voir for­te­ment, tant est grande la force presque para­nor­male de cette musique. Cha­no Loba­to est un des plus purs par­mi les inter­prètes vivants du Cante Jon­do et il vient d’enregistrer une dizaine de chants avec Pedro Bacan, un remar­quable gui­ta­riste dont les har­mo­nies rap­pellent où Ravel a pui­sé les siennes (2). Dans la même série, une très bonne antho­lo­gie de chan­teurs et gui­ta­ristes mar­quants, pour qui appro­che­rait le fla­men­co pour la pre­mière fois (3).

Inédits

D’avoir été le contem­po­rain de Mozart et d’avoir écrit le Chant du Départ, d’avoir été, sur­tout, com­po­si­teur offi­ciel sous la Révo­lu­tion, le Consu­lat et l’Empire, aura sans doute nui à la répu­ta­tion de Méhul, qu’on révèle presque, aujourd’hui, avec son opé­ra Stra­to­nice (1792) enre­gis­tré par William Chris­tie et les Cap­pel­la et Coro­na Colo­nien­sis (4). Musique vigou­reuse, car­rée et sans fio­ri­tures, bien construite, qu’admirèrent, paraît-il, Ber­lioz et Che­ru­bi­ni, et qui fleure toute une époque de sen­ti­ments binaires et d’événements forts.

Auguste Fran­chomme qui fut, lui, un musi­cien du second Empire, a le lyrisme plu­tôt tchaï­kovs­kien. On peut décou­vrir une dou­zaine de ses com­po­si­tions pour vio­lon­celle dans un disque récent (5). C’est très lyrique, très vir­tuose, le roman­tisme fran­çais même, et on l’écoute avec plai­sir, en son­geant à tous ces com­po­si­teurs fran­çais du XIXe siècle dont les oeuvres dorment peut-être dans les biblio­thèques des conser­va­toires, et qui attendent d’être redécouverts.

C’est du début de la troi­sième Répu­blique que datent les com­po­si­tions de Boëll­mann, orga­niste assez ori­gi­nal, qui rap­pelle par­fois Franck, et que Jacques Kauff­mann vient d’enregistrer (6) sur les grandes orgues Cavaillé-Coll de Mul­house. Ceux qui se pas­sionnent pour l’orgue trou­ve­ront là une musique très sub­tile, très tra­vaillée, qui rap­pelle par­fois Franck ; et qui mérite mieux que l’oubli dans lequel elle est tombée.

Romantiques

Brahms, tout d’abord, qui appa­raît aujourd’hui à la fois comme le plus grand des roman­tiques et le pre­mier des contem­po­rains, Brahms qui, à la dif­fé­rence de Bee­tho­ven, a rom­pu tout lien avec le XVIIIe siècle. Deux publi­ca­tions coup sur coup d’enregistrements de ses oeuvres pour pia­no Op. 116, 117, 118, 119, l’une par Dmi­tri Alexeev (7) (enre­gis­tre­ments de 1976 et 1979, pour l’essentiel), l’autre par Andrea Bonat­ta (enre­gis­tre­ment 1997) (8). C’est là ce que Brahms a écrit de plus fort pour le pia­no, et qui entre si bien en réso­nance avec nos pré­oc­cu­pa­tions (on se sou­vient que le film de Del­vaux Ren­dez-vous à Bray est entiè­re­ment construit sur les pièces de l’opus 119). Deux inter­pré­ta­tions assez proches, celle d’Alexeev plus dis­tante, peut-être. Ce der­nier joue sur les mêmes disques les Kla­vierstücke de l’Opus 76 et les Études Sym­pho­niques de Schu­mann, superbes, parfaites.

Le Qua­tuor Alban Berg aura réel­le­ment mar­qué la fin de ce siècle, et les enre­gis­tre­ments de Schu­bert réa­li­sés au cours des années 80 et qui res­sortent main­te­nant à l’occasion de l’année Schu­bert n’échappent pas à la règle : on n’a pas fait, on ne fera sans doute jamais mieux. Il y a là les qua­tuors 13, 14, 15 (dont La Jeune Fille et la Mort et Rosa­munde), le quin­tette La Truite, et le quin­tette pour cordes en ut majeur (9). On se rap­pelle que Rubin­stein disait de l’Adagio qu’il aime­rait l’entendre au moment de mou­rir. Écou­tez-le par les Alban Berg et rete­nez vos larmes – de joie, bien sûr : vous n’êtes pas très loin du nirvana.

(1) 1 CD SONY SK 62 838.
(2) 1 cas­sette AUVIDIS B 3840.
(3) 1 cas­sette AUVIDIS B 3824.
(4) 1 CD ERATO WE 810.
(5) 1 CD Har­mo­nia Mun­di 901 610.
(6) 1 CD SKARBO SK 1967.
(7) 2 CD EMI 5 695212.
(8) 1 CD AUVIDIS E 8599.
(9) 4 CD EMI 5 66144 2.

Poster un commentaire