En marge de la Protection Sociale : le SMIC est-il le salaire minimum institutionnalisant le chômage ?

Dossier : L'Europe socialeMagazine N°530 Décembre 1997Par : Michel GOUIX (50)

Pourquoi « En marge de la protection sociale » ?

Le terme de « Pro­tec­tion sociale », cou­vrant une liste pré­cise de risques, n’in­clut pas la notion de salaire mini­mal cen­sé pro­té­ger du risque de rému­né­ra­tion insuf­fi­sante. À cet oubli on peut voir deux rai­sons liées par l’op­por­tu­ni­té politique :

  • Jus­qu’à un pas­sé récent, l’É­tat, bien que légi­fé­rant en matière de Salaire Mini­mum Inter­pro­fes­sion­nel de Crois­sance et en en décré­tant le niveau pério­di­que­ment, confiait aux employeurs le soin d’as­su­rer cette forme de redis­tri­bu­tion des reve­nus. Il ne fai­sait donc appa­raître aucun poste bud­gé­taire à ce titre. Il a dû pour­tant se résoudre à sub­ven­tion­ner pro­gres­si­ve­ment les coûts des « Smi­cards » mais, par adresse de pré­sen­ta­tion, il ne l’a pas fait de façon ouverte. Il a pré­fé­ré pra­ti­quer des allé­ge­ments de charges ou d’im­pôt ciblés, d’a­bord sur cer­taines embauches puis, de façon plus récente, sur l’en­semble des salaires infé­rieurs à 1,2 Smic. Ain­si le pro­blème clef posé par le prin­cipe et le niveau du Smic est-il res­té hors du débat sur le finan­ce­ment de la pro­tec­tion sociale.
  • Le chô­mage, lui, fait bien par­tie des risques cou­verts par la pro­tec­tion sociale. Dans la mesure où le niveau du SMIC l’in­fluence, on s’at­ten­drait à voir effec­tuer de sérieuses éva­lua­tions du coût indi­rect de ce der­nier. Il n’en est rien et un consen­sus géné­ral paraît aujourd’­hui éta­bli pour ne pas évo­quer cet « acquis » de base. Lorsque des auteurs fran­çais se risquent à en par­ler1 et 2 ils le font avec pré­cau­tion, presque à voix basse, redou­tant de voir leur répu­ta­tion défi­ni­ti­ve­ment ter­nie par une éti­quette d’an­ti­so­ciaux indif­fé­rents aux notions de soli­da­ri­té voire sim­ple­ment de charité.


Il faut donc aller à l’é­tran­ger, en Grande-Bre­tagne et plus par­ti­cu­liè­re­ment aux États-Unis pour voir le sujet abor­dé fran­che­ment, sans peur et sans reproche, par dif­fé­rents auteurs les­quels, à l’oc­ca­sion, paraissent très sur­pris de la posi­tion des Fran­çais en la matière. Une recherche docu­men­taire sur Inter­net est ins­truc­tive à ce pro­pos : l’aug­men­ta­tion déci­dée cou­rant 1996 par le gou­ver­ne­ment Clin­ton du « Fede­ral Mini­mum Wage » de 4,25 à 4,70 $/h (il n’a­vait pas été modi­fié depuis 1991 et une deuxième étape le por­tant à 5,15 $/h est pro­gram­mée) a fait l’ob­jet d’in­nom­brables prises de posi­tions cri­tiques dans les jour­naux amé­ri­cains. Il s’a­gis­sait pour­tant de fixer un mini­mum bien modeste (24 à 27 F/h sui­vant le cours du $, soit envi­ron les deux tiers du SMIC à même date).

Dans le pré­sent article, pro­fi­tant de la pos­si­bi­li­té qui nous est don­née d’é­mettre une libre opi­nion, nous abor­de­rons le sujet du SMIC sous ses dif­fé­rents aspects. Nous le ferons avec la fran­chise amé­ri­caine seule sus­cep­tible de dépas­ser les préjugés.

D’abord des faits

1. L’origine du SMIC et son évolution dans le temps

Le pre­mier mini­mum sala­rial natio­nal paraît avoir été créé aux États-Unis où on en trouve trace dès 1933 et qui, par une loi du 24 octobre 1938, le fixaient à 25 cents/h (Hoo­ver, pré­sident en 1932, avait déjà, paraît-il, une véri­table fas­ci­na­tion pour ce principe).

Concer­nant notre pays, le Salaire Mini­mum Garan­ti (SMIG) fut ins­ti­tué par la loi du 11 février 1950 comme résul­tant d’un bud­get type « mini­mum vital ». Il était dif­fé­rent sui­vant les régions, ceci jus­qu’à 1968 date à laquelle les zones d’a­bat­te­ments furent supprimées.

La loi du 2 jan­vier 1970 réfor­mait le SMIG en créant le « Salaire Mini­mum Inter­pro­fes­sion­nel de Crois­sance » appli­cable en métro­pole et dans les dépar­te­ments d’outre-mer. Ce taux horaire, au-des­sous duquel aucun sala­rié de plus de dix-huit ans ne peut être payé et auquel s’ap­pliquent les majo­ra­tions d’heures sup­plé­men­taires, était fixé au niveau du SMIG à sa date de mise en appli­ca­tion, le 5 jan­vier 1970. Il est revu chaque année : indexé à l’in­dice des prix à la consom­ma­tion, son aug­men­ta­tion doit par ailleurs repré­sen­ter au moins la moi­tié de l’ac­crois­se­ment de pou­voir d’a­chat du salaire horaire moyen. D’ex­pé­rience, de nom­breux « coups de pouce » lui ont été don­nés à l’oc­ca­sion de ces révisions.

Date SMIG à 100%
puis SMIC
Indice des prix SMIG ou SMIC
en indice
Indice salaire SMIG et SMIC en Francs constants
0950
0955
1060
0965
0168
01/70​
0970
0975
0980
0985
0990
0995
0996
78 AF
126
1,6385 NF
2,0075
2,22
3,27
3,5
7,71
14,29
26,04
31,28
36,98
37,91
100
128
172
205
221,5
245
258
395
653
1 022
1 192
1 333
1 360
100
161
210
257
284
419
448
988
1 832
3 338
4 010
4 741
4 860
100
168
264
378
434
543
 
 
 
 
 
 
 

 
Le tableau ci-des­sus résume l’é­vo­lu­tion du SMIG (zone d’a­bat­te­ment nul) puis du SMIC au cours de l’en­semble de la période couverte.

On voit donc qu’il a été lar­ge­ment reva­lo­ri­sé, sur­tout depuis 1968 : pour repré­sen­ter le même pou­voir d’a­chat qu’en 1950 – cor­res­pon­dant à ce que l’on jugeait alors être le « mini­mum vital » – il serait aujourd’­hui de 10,6 F à Paris et sen­si­ble­ment moins en pro­vince (les régions sup­por­taient des abat­te­ments impor­tants allant jus­qu’à 18 %). On ver­ra plus loin qu’il a même crû plus vite que le salaire moyen ouvrier pour en repré­sen­ter, depuis 1986, 67 % au lieu de 63 % en 1983.

2. Situation dans les autres pays européens

Il serait trop long de rap­por­ter en détail l’en­semble des dis­po­si­tifs natio­naux. On peut tou­te­fois clas­ser gros­siè­re­ment les pays en deux groupes : ceux à salaire mini­mal natio­nal appli­cable à toutes les pro­fes­sions, ceux dont les mini­mums sala­riaux sont fixés au niveau des sec­teurs d’ac­ti­vi­tés fai­sant l’ob­jet d’une négo­cia­tion. On obser­ve­ra que, dans ce der­nier cas, les Conven­tions col­lec­tives s’in­té­res­sant d’a­bord à l’in­dus­trie, de nom­breuses pro­fes­sions échappent vrai­sem­bla­ble­ment à la contrainte d’un mini­mum de coût. Ceci doit être souligné.

Pays pos­sé­dant un salaire mini­mum légal 

Outre la France, ce sont les Pays-Bas, le Luxem­bourg, l’Es­pagne et le Por­tu­gal. Bel­gique et Grèce peuvent être rat­ta­chées à ce groupe, les pou­voirs publics y approu­vant la Conven­tion col­lec­tive natio­nale qui, dès lors, a force obli­ga­toire. (On note­ra la par­ti­cu­la­ri­té de la Grèce où le mini­mum est fonc­tion de l’an­cien­ne­té et du sta­tut marital.)

L’é­vo­lu­tion de ces mini­mums, en règle géné­rale indexés au coût de la vie, est contras­tée comme le montrent les deux gra­phiques sui­vants repré­sen­tant leurs valeurs en écus constants et leurs rap­ports aux salaires moyens ouvriers des pays concer­nés3. Dans les deux figures la France se dis­tingue par une crois­sance, ceci face à une ten­dance géné­rale à la réduc­tion chez ses par­te­naires. Elle est ain­si aujourd’­hui la seule à res­pec­ter la recom­man­da­tion de la Charte sociale du Conseil de l’Eu­rope concer­nant un rap­port salaire minimal/salaire moyen égal à 68 %.

Pays ne pos­sé­dant pas de mini­mum légal salarial

Ce sont l’Al­le­magne, l’I­ta­lie, l’An­gle­terre, le Dane­mark et l’Irlande :

  • Les salaires mini­mums conven­tion­nels par sec­teurs sont fixés par le méca­nisme nor­mal de la négo­cia­tion col­lec­tive annuelle. Ils couvrent direc­te­ment et indi­rec­te­ment 90 % des sala­riés en Alle­magne et au Danemark.
  • En Irlande, en outre, une ordon­nance régle­men­tant l’emploi (ERO), dans les sec­teurs où la den­si­té syn­di­cale est faible, fixe annuel­le­ment un taux de l’E­RO après consul­ta­tion dans les Conseils pari­taires du Tra­vail. Cet ERO couvre 12 % de la main-d’oeuvre. Nous ne dis­po­sons pas de don­nées sur son niveau.
  • En Angle­terre, jus­qu’en 1992 au moins, des orga­nismes pari­taires com­pre­nant des experts (Conseils de salaires) fixaient des mini­mums visant les sec­teurs non cou­verts par des conven­tions. Ils tou­chaient envi­ron 2,5 mil­lions de sala­riés. Nous n’a­vons pas de don­nées sur leurs niveaux. Nous men­tion­ne­rons sim­ple­ment à leur pro­pos le der­nier congrès des Trade- Unions, en sep­tembre 1996, au cours duquel le gou­ver­ne­ment fan­tôme tra­vailliste, en conclu­sion d’un débat fri­sant la rup­ture, a refu­sé le chiffre de 4,26 £/heure (34 F à cette date, 39 aujourd’­hui) fixé par les syn­di­cats pour le salaire mini­mum et annon­cé un chiffre de 3,5 £ (32 F)4.
     

3. Effet sur la hiérarchie des salaires

Un effet du SMIC, mécon­nu en géné­ral même s’il est très connu des spé­cia­listes en Res­sources humaines, est l’é­cra­se­ment de la hié­rar­chie sala­riale. Celui-ci s’ex­plique notam­ment par la crois­sance du SMIC plus rapide que celle du salaire moyen (voir plus haut). Il est ain­si ame­né à « noyer » de plus en plus les mini­mums que, sans lui, les conven­tions auraient fixés. Pour le res­pec­ter, ces der­nières sont alors contraintes d’é­cra­ser la hié­rar­chie en remon­tant la par­tie basse de la courbe des rému­né­ra­tions minimales.

Cet effet n’est pas mineur. Le gra­phique ci-des­sous en donne une repré­sen­ta­tion par la courbe des mini­mums de l’UIMM que l’on peut com­pa­rer à la hié­rar­chie fixée au moment de la mensualisation.

On y voit que la hié­rar­chie sala­riale entre un pro­fes­sion­nel 1er éche­lon (170 points) qui entre dans l’en­tre­prise avec un CAP et le plus bas des Ouvriers spé­cia­li­sés (140 points) est rame­née, par l’ef­fet « dénoyage » men­tion­né, de 1,21 qui était le rap­port exis­tant en 1971 (conforme aux coef­fi­cients rete­nus) à seule­ment 1,06 aujourd’hui.

4. Constatation générale concernant la France

Il res­sort de l’ex­po­sé pré­cé­dent que, en matière de mini­mums sala­riaux, la France se dis­tingue par­mi tous les autres :

  • elle est un des rares pays à salaire mini­mum fixé par la loi et appli­cable à tout emploi ;
  • par­mi ceux-ci :

– elle a le ratio salaire minimum/ salaire moyen le plus éle­vé (67 %) ;
– en consé­quence, elle est vrai­sem­bla­ble­ment le seul pays où le mini­mum natio­nal soit supé­rieur aux mini­mums qui seraient nor­ma­le­ment négo­ciés dans le cadre de Conven­tions col­lec­tives de branches, entraî­nant de ce fait un écra­se­ment de la hié­rar­chie salariale ;
– si l’on néglige le Luxem­bourg, elle est seule à valo­ri­ser ce mini­mum par rap­port à l’écu.

Analyse de sa justification

Les prin­cipes jus­ti­fiant le SMIC peuvent s’énoncer :

  • sui­vant Jean-Mar­cel Jean­ne­ney, le tra­vail humain ne peut être trai­té comme une mar­chan­dise. Ceci est en fait une reven­di­ca­tion constante des orga­ni­sa­tions syndicales,
  • on doit assu­rer un reve­nu mini­mal à celui qui travaille,
  • la soli­da­ri­té veut qu’il n’existe pas un trop grand écart entre reve­nus d’un même groupe, nation ou entreprise.


Que pen­ser de ces prin­cipes quant à leur validité ?

1. D’abord, jusqu’où peut-on dissocier le travail humain de l’économique ?

Certes, et heu­reu­se­ment, au niveau que l’on peut appe­ler « micro­so­cial », par ana­lo­gie aux termes employés en économie :

  • au plan indi­vi­duel, le tra­vail n’a pas le reve­nu pour seule moti­va­tion ; obser­vons tou­te­fois que ceci est d’au­tant plus vrai que l’on s’é­carte des reve­nus modestes,
  • au sein de l’en­tre­prise, d’autres rap­ports qu’é­co­no­miques s’é­ta­blissent et, à capa­ci­té égale, la moti­va­tion peut faire la dif­fé­rence. Ce constat entraîne d’ailleurs d’in­tenses recherches en matière de ges­tion des res­sources humaines, y com­pris de modes de rému­né­ra­tions inté­grant l’in­té­res­se­ment. On ajou­te­ra que le paie­ment du tra­vail humain en fonc­tion du temps d’oc­cu­pa­tion paraît aujourd’­hui dépas­sé s’il a eu un jour une jus­ti­fi­ca­tion en dehors des chaînes taylorisées.


Minimum salariauxMais que reste-t-il de psy­cho­lo­gie et rap­ports sociaux au niveau « macro­so­cial » où cha­cun regarde l’en­tre­prise de l’ex­té­rieur ? Pra­ti­que­ment rien ; elle n’y appa­raît plus que comme four­nis­seur sur un mar­ché, connu par ses pro­duits au sein de la concur­rence (com­bien de consom­ma­teurs s’in­té­ressent-ils seule­ment au label « made in France » ?). L’as­pect humain du tra­vail est alors tota­le­ment effa­cé et seul compte pour l’a­che­teur le rap­port qualité/prix de la mar­chan­dise ou du ser­vice offert. Vu par lui, le tra­vail est maté­ria­li­sé dans cette mar­chan­dise ou ce ser­vice. Le prix entier d’un pro­duit n’est-il d’ailleurs pas fait de rému­né­ra­tion du tra­vail, l’a­mor­tis­se­ment comme l’in­té­rêt du capi­tal n’en étant que des élé­ments différés ?

Il faut accep­ter cette réa­li­té : la valeur éco­no­mique du tra­vail est telle que le consom­ma­teur la recon­naît au tra­vers du prix qu’il accepte de payer compte tenu du ser­vice atten­du et de l’offre concur­rente. Son prix se fixe donc, comme pour un simple bien, par la loi d’é­qui­libre entre offre et demande, loi que le légis­la­teur n’a pas le pou­voir d’a­bro­ger pas plus que celle de Joule. Chas­sez le natu­rel il revient au galop ! L’en­tre­prise, base de la vie éco­no­mique, rému­nère le tra­vail en cher­chant à satis­faire ses offres d’emplois, avec toutes les carac­té­ris­tiques atten­dues des employés recher­chés, au plus bas coût des per­sonnes dis­po­nibles sur le mar­ché (y com­pris les auto­mates sus­cep­tibles de les rem­pla­cer). Toute autre poli­tique la condui­rait à la ruine.

2. La rémunération minimale ne doit-elle s’appliquer qu’aux seuls travailleurs ?

Nous l’a­vons vu, le SMIC avait été conçu à l’o­ri­gine comme le « mini­mum vital » et ceci à une époque où cha­cun trou­vait aisé­ment un emploi. Le chô­meur a, depuis lors, chan­gé de sta­tut. Il n’est plus quel­qu’un refu­sant de tra­vailler mais une vic­time du manque d’emploi. C’est un tra­vailleur poten­tiel en droit de pré­tendre que la com­mu­nau­té fran­çaise, par la loi, lui impose de ne pas accep­ter un salaire infé­rieur au SMIC. On peut donc s’at­tendre à voir naître, au sein du groupe des deman­deurs d’emplois, la reven­di­ca­tion d’un reve­nu mini­mal proche du SMIC.

3. À quel niveau situer le minimum salarial ?

L’é­ten­due de l’é­chelle des reve­nus est incon­tes­ta­ble­ment une carac­té­ris­tique impor­tante concer­nant la cohé­sion d’une socié­té. À la lais­ser trop s’é­ti­rer on risque la déchi­rure du groupe humain concer­né. Ceci est vrai pour un groupe réduit, une socié­té indus­trielle par exemple, comme pour la nation. Si le pelo­ton a besoin de lea­ders il a besoin que cha­cun s’emploie au maxi­mum et, dans ce sens, des écarts sala­riaux trop impor­tants ne consti­tuent pas un fac­teur de soli­da­ri­té et d’ef­fi­ca­ci­té. On peut, par contre, pré­tendre que les dif­fé­rences de rému­né­ra­tion sont par­fai­te­ment jus­ti­fiées si elles ont un effet tel sur la crois­sance qu’elles contri­buent à l’é­lé­va­tion du niveau de vie de tous, y com­pris des bas revenus.

Il y a là un vrai pro­blème de direc­tion au sein des socié­tés comme au niveau de l’É­tat. Com­ment, sous cet angle, appro­cher l’op­ti­mum d’ef­fi­ca­ci­té de cha­cun des groupes ? Cela tient du sens poli­tique plus que du rai­son­ne­ment. On peut tou­te­fois émettre deux remarques à ce pro­pos (sans comp­ter celles que l’on pour­rait faire, à l’autre bout de l’é­chelle, sur le décou­ra­ge­ment ou au moins l’ab­sence d’en­cou­ra­ge­ment des lea­ders indis­pen­sables, les entre­pre­neurs pre­neurs de risques et par­ti­cu­liè­re­ment les créa­teurs d’en­tre­prises inno­va­trices5 ceci dans un contexte fran­çais où la terre et l’im­mo­bi­lier repré­sentent les valeurs de base ; on élar­gi­rait par trop le pré­sent sujet) :

  • l’ac­crois­se­ment, consta­té en France, du ratio SMIC/salaire moyen va à contre­sens à la fois de la ten­dance euro­péenne et de celle que la concur­rence avec les pays indus­triels émer­gents (à bas salaires et à capa­ci­té tech­no­lo­gique) nous impose5. Comme nous l’a­vons vu, il conduit à un écra­se­ment de la hié­rar­chie alors que les autres pays euro­péens dotés d’un équi­valent du SMIC ont lais­sé glis­ser ce ratio ; ce fai­sant ceux-ci tenaient compte de la mon­dia­li­sa­tion qui tend à déva­lo­ri­ser les postes « expo­sés », à com­men­cer par les moins qualifiés ;
  • les entre­prises, par leurs conven­tions col­lec­tives de sec­teurs, fixaient des hié­rar­chies accep­tées par leurs per­son­nels. On ne voit aucune rai­son pour que, au niveau de la nation, on res­sente le besoin de les res­ser­rer. L’é­las­ti­ci­té du tis­su natio­nal serait-elle infé­rieure à celle de cha­cun de ses groupes plus étroits ? Seul un mini­mum qui n’au­rait noyé aucun de ceux fixés par les conven­tions pou­vait avoir un sens. C’est l’at­ti­tude adop­tée par cer­tains pays fixant un mini­mum légal appli­cable aux emplois non cou­verts par ailleurs.

Inventaire et analyse de ses effets pervers

Nous avons vu que, du point de vue éco­no­mique, le tra­vail est trai­té comme une mar­chan­dise. Aug­men­ter le prix d’un pro­duit, à qua­li­té et ser­vice inchan­gés, en réduit inévi­ta­ble­ment le volume vendu.

Rele­ver le prix du tra­vail au-delà de ce que le mar­ché est prêt à payer (sous l’ef­fet conju­gué de la concur­rence et de l’é­las­ti­ci­té de la demande par rap­port au prix) revient donc à en limi­ter volon­tai­re­ment la vente. Fixer un SMIC c’est, au plan natio­nal, refu­ser les postes qui ne peuvent se ren­ta­bi­li­ser au moins à son niveau.

Pré­ci­sons les consé­quences de ce ren­ché­ris­se­ment dans la pra­tique, ceci sans perdre de vue l’a­na­lyse sta­tis­tique du chô­mage fran­çais à savoir6 a et c :

  • depuis 1968, le taux de chô­mage des per­sonnes très qua­li­fiées s’est main­te­nu au-des­sous de 7 % alors que celui des non qua­li­fiées atteint aujourd’­hui près de 20 % ;
  • pour un taux de chô­mage moyen de 12,1 % les jeunes de 15 à 24 ans ont un taux propre de 26,3 % (dont 31,9% pour les élé­ments féminins).

1. Perte d’emplois industriels non compétitifs au niveau du SMIC

Un pre­mier effet tient évi­dem­ment au manque de déve­lop­pe­ment des entre­prises, voire à leur fer­me­ture, lors­qu’elles se trouvent han­di­ca­pées face à la concur­rence inter­na­tio­nale ou sim­ple­ment au prix accep­table par la clien­tèle pour leurs produits.

De plus, cher­chant de toute façon à réduire les coûts, les entre­pre­neurs trou­ve­ront un inté­rêt crois­sant avec le prix de la main-d’oeuvre à auto­ma­ti­ser leur pro­duc­tion et même à la délo­ca­li­ser en pays étran­ger lorsque ceci est possible.

La créa­tion du SMIC conduit ain­si natu­rel­le­ment à réduire l’offre d’emplois peu qua­li­fiés par rap­port à ce qu’elle serait sans le ren­ché­ris­se­ment qu’il impose par rap­port au mar­ché. A‑t-on des élé­ments per­met­tant d’é­va­luer cette perte ?

  • Sur l’aug­men­ta­tion des coûts

Une éva­lua­tion faite dans une entre­prise fai­sant lar­ge­ment appel à de la main-d’oeuvre sans qua­li­fi­ca­tion de départ indique une majo­ra­tion des salaires bruts ouvriers de 9 % par rap­port à ce qu’ils auraient été sans » dénoyage » de la conven­tion appli­cable. Ceci se tra­duit par une majo­ra­tion d’en­vi­ron 3 % du total de valeur ajou­tée par l’u­ni­té de pro­duc­tion. Ce sur­coût est ain­si une frac­tion impor­tante du béné­fice de l’en­tre­prise. C’est impor­tant même si ce n’est pas déterminant.

En outre, bien enten­du, les conven­tions négo­ciées peuvent elles-mêmes et en dehors du SMIC avoir figé par trop la situa­tion vis-à-vis de la concur­rence inter­na­tio­nale (6b).

  • Sur l’au­to­ma­ti­sa­tion de la production

Rien n’in­dique une avance de l’in­dus­trie fran­çaise, dans ce domaine, sur ses concur­rents étran­gers. Ceci laisse pen­ser que le taux de retour sur inves­tis­se­ment d’un robot intègre de nom­breux autres para­mètres, le coût de main-d’oeuvre n’en consti­tuant fina­le­ment qu’un élé­ment plu­tôt mineur : la flexi­bi­li­té de son emploi dans les lignes à flux ten­du, son ser­vice inéga­lable (par exemple, pré­ci­sion et vitesse dans le cas des machines d’in­ser­tion de com­po­sants élec­tro­niques, dis­po­ni­bi­li­té à toute heure et dans la rue pour les dis­tri­bu­teurs de billets aux portes des banques), etc. L’exis­tence du SMIC n’au­rait donc ici qu’une influence seconde.

  • Sur la concur­rence étran­gère et les délocalisations

Des ana­lyses rétros­pec­tives ont cher­ché à mesu­rer les pertes d’emplois liées à l’ou­ver­ture crois­sante aux échanges inter­na­tio­naux. Elles concluent toutes, à des degrés divers, au carac­tère limi­té de ces des­truc­tions d’emplois. Nous résu­mons en annexe l’é­tude menée par Mon­sieur Vimont7 sur le « Com­merce exté­rieur fran­çais créa­teur ou des­truc­teur d’emplois, cas des pro­duits indus­triels et des ser­vices ». Il en res­sort que :
– la balance se révèle béné­fi­ciaire pour la France : si le solde de l’emploi indus­triel était, en 1991, défi­ci­taire de 207 000 (sou­li­gnons que la balance com­mer­ciale cor­res­pon­dante, celle des pro­duits, était elle-même défi­ci­taire de 42,6 mil­liards de francs) il était plus que com­pen­sé par les soldes des ser­vices et sur­tout du tou­risme. Au total le chiffre deve­nait posi­tif de 106 000 emplois et ceci sans comp­ter les pro­duits agri­coles et agro-ali­men­taires cor­res­pon­dant à une balance com­mer­ciale spé­ci­fique excé­den­taire de 54 mil­liards de francs. On trou­ve­rait cer­tai­ne­ment aujourd’­hui des chiffres encore plus ras­su­rants compte tenu d’une balance des échanges qui n’a fait, depuis lors, que croître pour atteindre 122 mil­liards de francs en 1996 à com­pa­rer à – 30 en 1991 ;
– l’é­tude mon­trait en outre une fai­blesse fran­çaise : son défi­cit indus­triel en emplois, comme en mon­tants, pro­ve­nait essen­tiel­le­ment de ses concur­rents les plus déve­lop­pés tels que Europe (- 159 000 emplois), US (- 101 000 emplois), Japon et « dra­gons » (- 173 000 emplois). Les jour­naux n’en foca­li­saient pas moins l’at­ten­tion sur la « délo­ca­li­sa­tion » de pro­duc­tions vers les pays à bas salaires nous pous­sant ain­si à nous trom­per de com­pé­ti­tion. Chez ceux-ci, seule la Chine pré­sen­tait un chiffre signi­fi­ca­tif ; la plu­part des autres nations peu déve­lop­pées nous appor­taient au contraire plus de tra­vail qu’elles ne nous en prenaient.

Est-ce à dire que les « délo­ca­li­sa­tions » vers les pays à bas salaires peuvent être ran­gées au rayon des fausses craintes. Cer­tai­ne­ment pas ! Mau­rice Lau­ré8 comme Pierre-Noël Giraud pré­sentent des argu­ments suf­fi­sam­ment forts pour nous inci­ter à une grande vigi­lance. Les pays émer­gents aux­quels ils se réfèrent – la Chine, l’Inde, l’URSS – sont carac­té­ri­sés non seule­ment par de bas salaires mais, ce qui est d’au­tant plus mena­çant, par des popu­la­tions gigan­tesques et crois­santes, de civi­li­sa­tions anciennes ayant démon­tré leurs apti­tudes et menées par des élites à fort poten­tiel tech­nique. Ils ont, de sur­croît, des régimes poli­tiques par­ti­cu­liers dont on ne peut dire s’ils ne visent pas une crois­sance de leur PNB par expan­sion externe (ne serait-ce pas aus­si notre cas, incons­ciem­ment ?). Il ne s’a­git donc plus de petits dra­gons ou de pays très sous-déve­lop­pés. Le risque est bien, comme le dit Mau­rice Lau­ré, que le bar­rage rete­nant plus de 2 mil­liards de per­sonnes à bas salaires soit en train de céder9.

Face à cet immense dan­ger poten­tiel le SMIC ne repré­sente évi­dem­ment pas le han­di­cap prin­ci­pal. En l’a­bais­sant de quelques points on ne ren­drait pas les ouvriers fran­çais com­pé­ti­tifs face à des popu­la­tions dont la rému­né­ra­tion est de l’ordre de 5 à 10 % de la leur (5). Seul le réta­blis­se­ment de bar­rières aux portes de l’Eu­rope – dans la mesure où leur effi­ca­ci­té est encore cré­dible après tant d’ef­fon­dre­ments catas­tro­phiques des iso­la­tion­nismes divers, ligne, mur ou rideau – serait une mesure à la hau­teur du pro­blème posé. Il s’a­git là d’un débat de poli­tique éco­no­mique et sur­tout étran­gère débor­dant lar­ge­ment le pré­sent sujet.

Pour conclure sur le cha­pitre de l’in­dus­trie et de la concur­rence inter­na­tio­nale, nous ne pou­vons dire que le SMIC repré­sente aujourd’­hui pour la France, par son coût direct, un han­di­cap majeur condui­sant à des pertes mas­sives d’emplois. S’il entraîne de telles pertes elles sont dues au seul frei­nage du mar­ché interne et externe des pro­duc­tions fran­çaises par rap­port à ce qu’il serait sans ren­ché­ris­se­ment cor­res­pon­dant au SMIC. Cette réduc­tion de consom­ma­tion par­ti­cipe très pro­ba­ble­ment à la fai­blesse du mar­ché. Elle ne paraît pas pou­voir être la cause majeure du sous-emploi dans son ensemble même si elle en déforme le conte­nu en défa­veur des indus­tries employant de la main-d’oeuvre peu qualifiée.

2. Effet indirect sur la sous-qualification

L’af­fir­ma­tion pré­cé­dente s’a­vère d’au­tant plus que l’on constate, dans tous les pays déve­lop­pés, un emploi indus­triel en réduc­tion quan­ti­ta­tive et aban­don­nant de plus en plus la place aux emplois de ser­vices10. En somme, la « qua­li­té totale » indus­trielle amé­liore le rap­port qualité/prix des pro­duits par l’in­no­va­tion, la concep­tion, la fia­bi­li­té et le ser­vice géné­ral ren­du. Elle l’emporte pro­gres­si­ve­ment, dans la com­pé­ti­ti­vi­té, sur la réduc­tion des coûts élé­men­taires de pro­duc­tion anté­rieu­re­ment consti­tués à majo­ri­té de main-d’oeuvre peu qualifiée.

Le per­son­nel atta­ché à l’in­dus­trie est donc appe­lé à être de plus en plus per­for­mant afin que celle-ci reste com­pé­ti­tive. Comme le rap­pelle Pierre-Noël Giraud (5), c’est d’elle que dépend la pros­pé­ri­té natio­nale géné­rale y com­pris l’aug­men­ta­tion des bas revenus.

Sous cet angle, la pré­sence d’un SMIC éle­vé, écra­sant la hié­rar­chie alors que tout pous­se­rait à l’ac­croître, repré­sente un frein sérieux. Rap­pe­lons les élé­ments vus plus haut : un jeune issu du CAP ne gagne que 6 % de plus qu’un ouvrier sans for­ma­tion ; il fini­ra en prin­cipe sa car­rière au niveau « pro­fes­sion­nel 3e éche­lon » avec 30 % de plus que lui. Consi­dé­rant un tel fac­teur de démo­ti­va­tion ouvrière on ne peut s’é­ton­ner de consta­ter la désaf­fec­tion pour l’ap­pren­tis­sage alors même que l’in­dus­trie, tout comme les ser­vices à bases tech­niques, manque tou­jours de per­son­nel qualifié !

Nous ajou­te­rons que la hié­rar­chie sala­riale ouvrière ne se trouve évi­dem­ment pas réta­blie lorsque l’É­tat, visant à réduire le coût des « smi­cards », réduit les charges rela­tives à leurs salaires.

3. Perte d’emplois dans les services par manque de demande au niveau du SMIC

Si, pour l’in­dus­trie, la per­for­mance d’é­quipe du per­son­nel, tenant à sa com­pé­tence d’en­semble, peut par­ve­nir à com­pen­ser les sur­coûts de ce qu’il reste de main-d’oeuvre à faible qua­li­fi­ca­tion favo­ri­sée par le SMIC, tel n’est pas le cas pour la majo­ri­té des ser­vices. Or on sait (10) qu’au­jourd’­hui, ce sont eux qui font ou défont le chô­mage, par­ti­cu­liè­re­ment en don­nant du tra­vail aux per­sonnes peu qua­li­fiées. Aux US, sur 28 mil­lions d’emplois créés entre 70 et 86, les ser­vices en repré­sentent 27. En Europe ceci est encore plus fla­grant comme le montre le tableau pro­duit en annexe : on y voit que seuls les ser­vices ont appor­té des emplois et que les « mar­chands » (ceux qui se vendent, par oppo­si­tion aux « non mar­chands » essen­tiel­le­ment consti­tués de fonc­tion­naires) occupent actuel­le­ment le double des effec­tifs industriels.

Il est néces­saire d’in­sis­ter sur ce fait essen­tiel tant il paraît mécon­nu de l’en­semble de la popu­la­tion fran­çaise. Elle paraît en effet convain­cue que l’emploi est, en majo­ri­té écra­sante, de type indus­triel et que la réduc­tion de ce der­nier, par délo­ca­li­sa­tion et robo­ti­sa­tion, explique le chô­mage. Nous sou­li­gne­rons donc que :

  • pour la France, de 1970 à 1993, l’emploi total n’a crû que de 1,2 mil­lion, chiffre bien insuf­fi­sant pour absor­ber l’aug­men­ta­tion de popu­la­tion active (pas­sée de 21 à 25 mil­lions sur la période) par­ti­cu­liè­re­ment fémi­nine (10 mil­lions contre 7 il y a vingt-cinq ans). Les emplois « mar­chands » ont, quant à eux, aug­men­té de 2,7 mil­lions (soit + 43 %) et ceci mal­gré l’a­mé­lio­ra­tion de pro­duc­ti­vi­té dans leur domaine par­ti­cu­liè­re­ment concer­né par l’in­for­ma­tique. Qu’au­rait été le chô­mage sans ces créa­tions d’emplois ? On n’ose y penser !
  • pour les autres pays de l’U­nion euro­péenne et dans la même période, cette crois­sance des effec­tifs de ser­vices mar­chands a été de 3,7 mil­lions en Alle­magne (soit + 46 %), 4,1 en Ita­lie (+ 70 %), et, insis­tons sur le chiffre, 7,5 en Grande-Bre­tagne (+ 82 %), trois pays où le SMIC natio­nal n’existe pas. Qu’au­rait été le chô­mage avec une telle créa­tion d’emplois ? On rêve à y pen­ser ! Une opé­ra­tion arith­mé­tique sim­pliste le don­ne­rait nul. C’est, bien enten­du, trop beau pour être tota­le­ment vrai mais ça l’est cer­tai­ne­ment en partie !


Quels freins ont empê­ché la popu­la­tion fran­çaise de créer autant d’emplois de ser­vices que l’an­glaise ou au moins l’i­ta­lienne ? Phi­lippe d’I­ri­barne (2) répon­drait, pour le deman­deur d’emploi : « l’exi­gence de digni­té maté­ria­li­sée par le SMIC ». Il a rai­son ! Mais on pour­rait affir­mer, côté offre : « l’im­pos­si­bi­li­té, pour l’employeur poten­tiel, d’of­frir le SMIC pour l’emploi à rem­plir ». Le SMIC sert ain­si de bar­rage entre employeur et employés poten­tiels, d’élé­ment de décon­nexion entre offre et demande.

En tout cas et même sans preuve, nous pou­vons être convain­cus qu’une étude menée à par­tir des élé­ments en pos­ses­sion du minis­tère du Tra­vail montrerait :
– par le pro­lon­ge­ment de la courbe des fré­quences de salaires réels pra­ti­qués, et ceci à dif­fé­rentes époques y com­pris celles où un SMIC bas régnait, une offre d’emplois impor­tante à des niveaux infé­rieurs au SMIC actuel ;
– une demande de tra­vail encore notable à des niveaux infé­rieurs au SMIC pour, évi­dem­ment, chu­ter bru­ta­le­ment aujourd’­hui en se rap­pro­chant du RMI.

Par ailleurs, concer­nant l’in­no­va­tion en matière de ser­vices, des idées sont cer­tai­ne­ment aban­don­nées par leurs pro­mo­teurs poten­tiels redou­tant que leur expé­ri­men­ta­tion ne puisse garan­tir les salaires mini­maux impo­sés. Ici les pays sans autres obli­ga­tions que conven­tion­nelles, appli­cables aux seuls métiers exis­tants, laissent davan­tage de champ à la création.

Et pour en ter­mi­ner sur ce point, nous pose­rons quelques ques­tions insolites :

  • que compte-t-on faire des 10 % de semi-illet­trés qui sortent actuel­le­ment, paraît-il, de nos écoles ? Des com­pé­ti­teurs indus­triels ? Autant deman­der au Paris-Saint-Ger­main d’in­cor­po­rer des boi­teux dans son équipe !
  • com­bien de ménages aux reve­nus modestes aime­raient se faire aider et, faute de pou­voir payer le prix de per­sonnes recom­man­dées que peuvent s’of­frir les reve­nus éle­vés (du reste sub­ven­tion­nés en cela par un dégrè­ve­ment fis­cal contes­table) se conten­te­raient d’une assis­tance limi­tée mais bon mar­ché ? Com­bien de per­sonnes peu évo­luées pré­fé­re­raient, au chô­mage, appor­ter cette aide qui exploi­te­rait leurs qua­li­tés humaines à défaut de com­pé­tences accomplies ?
  • quelle esti­ma­tion fait-on de l’emploi cor­res­pon­dant aux « petits bou­lots » exé­cu­tés « au noir » pour échap­per tant à la contrainte du SMIC qu’aux charges sociales ?


Pour toutes ces rai­sons, on peut consi­dé­rer le SMIC, à son niveau, comme un des freins majeurs à l’in­dis­pen­sable créa­tion d’emplois dans les ser­vices mar­chands et en par­ti­cu­lier dans les « ser­vices de proxi­mi­té ». Il est donc un créa­teur incon­tes­table de chô­mage, les per­sonnes peu qua­li­fiées en étant les pre­mières vic­times ; loin de leur assu­rer un salaire décent, il les rejette mas­si­ve­ment vers le sta­tut de sans-emploi à vie, à reve­nu nul par­fois amé­lio­ré par le RMI depuis qu’il existe11. En der­nier res­sort et pour cari­ca­tu­rer, ima­gi­nons ce que devien­drait la situa­tion fran­çaise en matière d’é­qui­libre éco­no­mique et social si, par exemple, pous­sant sa « géné­ro­si­té », le gou­ver­ne­ment dou­blait la valeur du SMIC.

4. Frein à l’entrée sur le marché du travail et effet sur le chômage des jeunes

Les articles amé­ri­cains aux­quels il est fait allu­sion ci-des­sus et qui s’op­po­saient à un relè­ve­ment du « Mini­mum Wage » met­taient en exergue la réduc­tion des oppor­tu­ni­tés d’en­trées dans le mar­ché du tra­vail tou­chant les per­sonnes peu qua­li­fiées mais aus­si les jeunes en général.

Il est cer­tain que :

  • quel­qu’un sans for­ma­tion et n’ayant jamais tra­vaillé a peu de chances de ren­ta­bi­li­ser son coût au niveau du SMIC. Il aura donc bien peu de chances d’être embau­ché et d’ob­te­nir ain­si la pos­si­bi­li­té de se valo­ri­ser par l’ex­pé­rience. Com­bien d’au­to­di­dactes en puis­sance sont-ils ain­si tués dans l’oeuf ? Dieu sait pour­tant que l’é­cole n’a pas le mono­pole de la for­ma­tion, l’ac­tion ayant en elle-même bien d’autres mérites !
  • de toute façon on ne doit pas confondre diplôme et com­pé­tence, cette der­nière ajou­tant à la for­ma­tion ini­tiale le fac­teur expé­rience pro­fes­sion­nelle irrem­pla­çable tant d’un point de vue tech­nique qu’­hu­main. L’é­cra­se­ment de la hié­rar­chie entraî­né par le SMIC conduit à ce que les employeurs pré­fèrent des anciens en pleine pos­ses­sion de leurs moyens à des novices aux poten­tia­li­tés impor­tantes mais emprun­tés ou au contraire sus­cep­tibles de graves bévues.


Ray­mond Barre résu­mait la situa­tion : « Par­lez à des chefs d’en­tre­prises, ils vous diront qu’ils n’ont aucun inté­rêt à embau­cher des jeunes au niveau du SMIC et ce n’est pas le fait de réduire les charges sociales pen­dant un cer­tain temps qui les inci­te­ra à embau­cher de façon durable. »

Ain­si, le SMIC et ses consé­quences sont consi­dé­rés, par les déci­deurs, comme de très sérieux freins à l’embauche des inex­pé­ri­men­tés, par­ti­cu­liè­re­ment des jeunes. Ils peuvent même repré­sen­ter pour eux une inter­dic­tion de tra­vailler, les moins for­més à l’é­cole se trou­vant dans l’in­ca­pa­ci­té d’a­bor­der le mar­ché de l’emploi et d’y acqué­rir le métier qui les ferait ulté­rieu­re­ment grim­per la hié­rar­chie des salaires peut-être très au-delà du mini­mum imposé.

On ne doit donc pas s’é­ton­ner de voir la France battre tous les records en matière de sous-emploi des jeunes comme des non-qua­li­fiés. Ne détient-elle pas le record du SMIC ?

En guise de conclusion

Je ne m’en cache­rai pas : je suis convain­cu de très longue date que le « Salaire Mini­mum Inter­pro­fes­sion­nel de Crois­sance » fait par­tie des mesures qui marchent à 180 degrés du but géné­reux qu’elles pour­suivent ; qu’il existe un seul salaire mini­mum éco­no­mi­que­ment défen­dable, le salaire zéro ; que la soli­da­ri­té natio­nale devrait être orga­ni­sée sur une base natio­nale, lais­sant aux socié­tés par­ti­cu­lières l’i­ni­tia­tive du trai­te­ment de leur soli­da­ri­té interne.

Je n’en suis pas moins convain­cu que la socié­té fran­çaise, blo­quée dans sa louable recherche d’in­no­va­tion sociale par les rai­sons his­to­riques énon­cées par Jacques Lesourne (1), n’est pas prête à adop­ter une telle posi­tion. Le gou­ver­ne­ment serait donc bien témé­raire de vou­loir, aujourd’­hui, sup­pri­mer le SMIC. Il s’ex­po­se­rait à déclen­cher une révolution.

La France doit néan­moins se convaincre qu’en adop­tant un SMIC de haut niveau elle a fait le choix du chô­mage – par­ti­cu­liè­re­ment des per­sonnes peu qua­li­fiées, des jeunes, y com­pris diplô­més, et des femmes – contre les bas salaires. Pour être cohé­rente elle doit assu­mer les consé­quences de ce choix :

  • ne pas craindre, encore moins s’é­ton­ner et se plaindre, d’at­teindre des records en matière de chômage,
  • s’ap­prê­ter à consa­crer une part rapi­de­ment crois­sante du reve­nu national :

– d’a­bord à la for­ma­tion rému­né­rée des per­sonnes dont la qua­li­fi­ca­tion peut être amé­lio­rée, afin de les rendre com­pé­ti­tives au niveau du mini­mum sala­rial décrété ;
– à l’en­tre­tien, avec un reve­nu de plus en plus proche de ce mini­mum et sans espoir de leur retour à l’ac­ti­vi­té, de celles que la for­ma­tion com­plé­men­taire est peu sus­cep­tible de faire progresser.

Elle serait bien avi­sée, paral­lè­le­ment et pour ne pas trop accroître la charge de l’É­tat et les consé­quences sociales du chô­mage, d’a­ban­don­ner son modèle de crois­sance conti­nue du SMIC.

Elle pour­rait se conten­ter, fai­sant une pause comme l’y invite le consen­sus géné­ral des auteurs cités, de l’a­dap­ter au seul coût de la vie au lieu de le reva­lo­ri­ser en fonc­tion du salaire moyen. Ce fai­sant elle res­te­rait encore dans le pelo­ton des pays euro­péens les plus avan­cés en matière de mini­mums salariaux.

Annexes

1. Quelques réfé­rences d’au­teurs ayant cepen­dant trai­té ouver­te­ment des effets du SMIC :

  • Vou­loir l’emploi, par Jean-Mar­cel Jean­ne­ney (page 105).
  • Le com­bat de la France, par Chris­tian Saint-Étienne.
  • Le grand men­songe, par Michel Godet dont nous extra­yons le pas­sage sui­vant ren­dant compte de l’hé­si­ta­tion à évo­quer le sujet : « Comme me l’a confié Jacques Lesourne lors d’un entre­tien sur les causes spé­ci­fiques du chô­mage fran­çais : La France est une socié­té héri­tée du chris­tia­nisme et du mar­xisme ; le pre­mier défend le plein emploi et le juste salaire ce qui est contra­dic­toire ; quant au mar­xisme, le salaire, pour lui ne tra­duit pas les rare­tés rela­tives mais peut être fixé à n’im­porte quel niveau car il résulte des rap­ports de force. Face à cela, on conçoit que la socié­té fran­çaise ne veuille pas entendre par­ler du lien entre le coût du tra­vail et l’emploi. C’est un lien qu’elle n’a jamais accep­té, le consi­dé­rant comme immoral. »
  • Véri­tés et men­songes sur le chô­mage, par Jacques Lesourne.
     

2. Voir » La per­sis­tance du chô­mage fran­çais « , par Phi­lippe d’I­ri­barne dans La Jaune et la Rouge d’août 1991.

3. Don­nées issues de Por­trait social de l’Eu­rope, édi­tion Euro­stat (Office sta­tis­tique des Com­mu­nau­tés européennes).

4. Voir Le Figa­ro du 13.9.96.

5. Voir Pierre-Noël Giraud : L’i­né­ga­li­té du Monde – Éco­no­mie du monde contem­po­rain. Nous en extra­yons les élé­ments par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tifs sui­vants : – Théo­rème : « Si, face à la des­truc­tion inévi­table d’emplois « expo­sés » pro­vo­quée par l’ac­crois­se­ment des échanges, même équi­li­brés, entre pays riches et PBSCT (pays à bas salaires et capa­ci­tés tech­no­lo­giques), le rythme de créa­tion d’emplois com­pé­ti­tifs dans les pays riches par une crois­sance qua­li­ta­tive (due à l’in­no­va­tion qui ne peut aller sans for­ma­tion) n’est pas assez rapide, alors le chô­mage ne peut y être évi­té que par l’ac­crois­se­ment des inéga­li­tés de reve­nus. » – « Si les “com­pé­ti­tifs” d’un pays riche perdent en com­pé­ti­ti­vi­té rela­tive, la richesse moyenne de ce ter­ri­toire aug­mente moins vite que celle des autres et les inéga­li­tés internes s’y accroissent plus rapidement. »

6a. INSEE, Enquête emploi de mars 1996.
6b. Yvon Gat­taz : « Une jeune mon­teuse-câbleuse en élec­tro­nique coûte 9 500 F par mois à Gre­noble, 6 000 F dans le Connec­ti­cut et 5 500 F dans la ban­lieue de Londres ».
6c. Don­nées issues de « Tableaux de l’É­co­no­mie fran­çaise 1995–1996 », taux de chô­mage en %.

Formation 03/91​ 03/94​
Sans diplôme
CAP, BEP, BEPC
Baccalauréat
Bac+2
Supérieur
12,8
8,3
6,7​
4
4
17,8
11,6​
11,2
7,9
6,4
Âge Hommes Femmes
ans​ 1985 1994 1985 1994
<25
25«49​
>50
Total
24,5
6,2
5,9
8,5
24,2
9,8
7,5
10,8
30,5
9,7
7,1
12,6
30,7
13,5
8,1
14,3


7. Claude Vimont (Ins­ti­tut de l’En­tre­prise) : « Le Com­merce exté­rieur fran­çais, créa­teur ou des­truc­teur d’emplois. Le cas des pro­duits indus­triels et des ser­vices ». Nous en extra­yons les deux tableaux de résul­tats suivants :

1. Équi­va­lences en emplois frança​is du com­merce de la France en 1991, hors pro­duits agro-ali­men­taires, par caté­go­rie pro­fes­sion­nelle (en milliers).
Emplois correspondan​t à Pro­duits industrie Ser­vices Tou­risme Total gén.
Export Import Solde Export Import Solde Export Import Solde
Cadres tech­ni­ciens
Per­son­nel qualifié
Per­son­nel non qualifié
700
1595
830
715
1680
937
- 15
– 85
– 107
204
137
30
183
123
26
21
14
4
79
316
252
45
182
146
34
134
106
40
63
3
Total​ 3125 3332 - 207 371 332 39 647 373 274 106

2. Expor­ta­tions et impor­ta­tions fran­çaises de pro­duits indus­triels (en mil­liards de francs) hors pro­duits agro-ali­men­taires, et équi­va­lences en emplois fran­çais (en mil­liers), par régions.
RÉGIONS ÉCHANGES EMPLOIS
Export Import Solde Export Import Solde
Europe​ 678 727 -48 2263 2423 -159
Amé­rique 103 119 -16 327 372 -44
US
Latine
68
24
103
9
- 34
14
214
78
315
34
- 101
43
Asie + MO 94 120 -26 303 447 -143
Japon
Chine
Autres Asie
MO
20
7
40
26
53
14
49
3
- 32
– 7
– 8
22
68
21
129
85
173
62
197
13
- 105
– 41
– 68
71
Afrique 64 20 43 210 84 125
Total 946 989 -42 3125 3332 -207

8. Voir « La fin de l’a­van­tage com­pa­ra­tif de la révo­lu­tion indus­trielle » par Mau­rice Lau­ré dans La Jaune et la Rouge de jan­vier 1997.

9. Le pire n’é­tant pas obli­ga­toi­re­ment le plus natu­rel, même s’il s’a­vère qu’en France il est moins ris­qué à pré­dire que le meilleur, on pour­rait, entre autres variantes d’i­mages, pro­je­ter la sui­vante tout aus­si vrai­sem­blable : des pays repré­sen­tant d’im­menses mers mortes jus­qu’i­ci iso­lées de l’o­céan, qui viennent de s’ou­vrir sur lui par un étroit canal, sus­cep­tible de s’é­lar­gir par éro­sion, et des­ti­nées à se mettre len­te­ment à son niveau. À défaut de pou­voir tran­cher, citons la vitesse de mise en com­mu­ni­ca­tion des­dits réservoirs :

Évo­lu­tions des expor­ta­tions chi­noises et indiennes
(en % des expor­ta­tions mon­diales, après neu­tra­li­sa­tion des expor­ta­tions internes à l’U­nion euro­péenne) d’a­près édi­tion 1995 de Le Com­merce inter­na­tio­nal, docu­ment édi­té par l’OMC
Évolutions des exportations chinoises et indiennes

On voit que les expor­ta­tions chi­noises aug­mentent à grande vitesse, supé­rieure à celle de la crois­sance de son PNB. Elles n’en res­tent pas moins encore très faibles rela­ti­ve­ment à la popu­la­tion (avec une balance posi­tive mais dans une pro­por­tion rai­son­nable, entre les pour­cen­tages fran­çais et alle­mand, mon­trant ain­si des besoins inté­rieurs impor­tants). De leur côté, les indiennes stag­nent à très bas niveau.
On ajou­te­ra que les impor­ta­tions fran­çaises en pro­ve­nance de la Chine s’é­le­vaient en 1994 à 4,11 mil­liards de $ (pour 2,17 d’ex­por­ta­tions) soit à 4,45 % des impor­ta­tions fran­çaises hors UE. Ces der­nières s’é­le­vaient à 92,47 mil­liards de $ tan­dis que les impor­ta­tions en pro­ve­nance de l’UE s’é­le­vaient à 135,8 mil­liards de $.
S’il y a dan­ger poten­tiel en pro­ve­nance de Chine ou d’Inde il n’est donc pas encore réel­le­ment mena­çant ! Notre pro­blème paraît être aujourd’­hui, d’a­bord et comme le fait le Japon, d’é­qui­li­brer nos échanges avec ces pays, ain­si qu’a­vec les pays les plus déve­lop­pés, avec des biens qu’ils ne pro­duisent pas ou qu’ils pro­duisent en quan­ti­té insuf­fi­sante : le solde néga­tif fran­çais face à la Chine est en effet du même ordre que ceux enre­gis­trés face aux US (3 mil­liards de $) ou au Japon (4 milliards).

10. Évo­lu­tions des emplois par sec­teurs pour les pays de l’U­nion euro­péenne (en mil­liers), d’a­près « Comptes Natio­naux SEC, Tableaux détaillés par branche, 19701994 », docu­ment Euro­stat, ci-dessous.

11. Le Figa­ro : fin 1994, 59 % des deman­deurs d’emploi étaient indem­ni­sés par l’as­su­rance chô­mage contre 62,5 % un an aupa­ra­vant, y com­pris ceux tou­chant l’Al­lo­ca­tion Spé­ci­fique de Soli­da­ri­té prise en charge par l’État.

P.-S. concer­nant la note n° 7 : depuis la rédac­tion de cet article est parue la nou­velle étude menée par Claude Vimont et Fran­çois Fah­ri inti­tu­lée Concur­rence inter­na­tio­nale et Balance en emplois. Les échanges de pro­duits indus­triels (édi­tions Éco­no­mi­ca). Elle confirme les don­nées pré­cé­dentes et montre une balance d’emplois indus­triels deve­nue posi­tive depuis 1993.

Secteur France Allemagne Grande-Bretagne Italie U.E.
1970​ 1993 1970​ 1993 1970​ 1993 1970​ 1993 1983 1993
Agro-alimentaire 2785 1107 2246 874 757 558 3781 1975 11731 11680
Industrie 5549 4055 9713 8181 8202 5707 5406 4640 30346 27114
Bâtiment 2058 1471 2362 1993 1310 895 2024 1669 8098 7598
Ser­vices marchands 6305 9051 8077 11793 9132 16650 5784 9860 52974
Ser­vices non mar. 3893 6040 3619 5741 4262 2774 4329 25361
Total 20900 22127 26560 29005 24848 25110 19949 22660
Industrie % 100 73 100 84 100 70 100 86 100 89
Ser­vices march./industrie 1,13 2,23 0,83 1,44 1,11 2,91 1,07 2,12 1,95
Ser­vices march. % 100 143 100 146 100 182 100 170

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