Employabilité et polytechniciens : le regard d’un DRH

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Thierry SMAGGHE (78)

REPÈRES

REPÈRES
À tout moment, un chan­ge­ment d’ac­tion­naire, une réor­ga­ni­sa­tion liée par exemple à une fusion-acqui­si­tion ou la nomi­na­tion d’un nou­veau patron sont sus­cep­tibles de remettre en cause la nature de son poste voire son exis­tence. Cepen­dant, on n’est mal­heu­reu­se­ment pas tou­jours » pro­té­gé » par ses com­pé­tences, l’at­teinte des objec­tifs fixés et l’at­ta­che­ment à son entre­prise. On peut alors se retrou­ver confron­té à la pers­pec­tive d’un départ non dési­ré et qu’on n’a­vait en aucune manière anti­ci­pé. Dans cer­tains cas, cela se pro­duit sans aucun égard pour le tra­vail réa­li­sé dans le pas­sé et sans logique appa­rente, ce qui désta­bi­lise un peu plus la per­sonne en cause.

La plu­part des X ont une approche ration­nelle de la vie en entre­prise et ils se com­portent donc géné­ra­le­ment en » bons élèves « , ce qui n’a rien d’é­ton­nant compte tenu de leur for­ma­tion initiale.

La vie en entre­prise n’est pas tou­jours « juste »

Ils ont sou­vent la convic­tion que, s’ils accom­plissent cor­rec­te­ment les tâches qui leur sont confiées, ils sont à l’a­bri de tout inci­dent de car­rière. Cela les conduit à se consa­crer plei­ne­ment à leur entre­prise sans res­ter connec­tés avec le monde exté­rieur et sans s’as­su­rer qu’ils sont en phase avec l’é­vo­lu­tion du mar­ché de l’emploi.

Il ne s’a­git pas bien sûr ici de cri­ti­quer l’in­ves­tis­se­ment qu’on doit avoir dans son tra­vail quo­ti­dien et la néces­saire conscience pro­fes­sion­nelle. L’exer­cice de res­pon­sa­bi­li­tés requiert une grande dis­po­ni­bi­li­té et le sou­ci de main­te­nir un niveau d’exi­gence éle­vé dans la réa­li­sa­tion de ses mis­sions. Par ailleurs, la fidé­li­té à une entre­prise dans laquelle on se sent bien demeure une qua­li­té appréciable.

Savoir tourner la page

Pro­jet professionnel
L’X en repo­si­tion­ne­ment pro­fes­sion­nel fait part de son envie d’oc­cu­per des postes très dif­fé­rents les uns des autres et par­fois déca­lés par rap­port à ceux qu’il a tenus pré­cé­dem­ment. S’y ajoute d’ailleurs une dif­fi­cul­té à expli­ci­ter son métier : lors­qu’on est direc­teur admi­nis­tra­tif et finan­cier, cha­cun com­prend ce dont il s’a­git, quand on est mana­ger « géné­ra­liste », comme c’est le cas de beau­coup d’X, c’est sou­vent moins clair, d’où une impres­sion de confusion.

Les X ne consti­tuent donc pas la popu­la­tion la mieux pré­pa­rée à ce genre d’é­vé­ne­ment, en tout cas pour ceux d’entre eux qui le vivent pour la pre­mière fois.

La remarque pré­cé­dente n’est pas une consi­dé­ra­tion théo­rique mais s’ap­puie sur des faits réels, obser­vés lors d’en­tre­tiens avec des X qui tra­versent un épi­sode de ce type.

Ils mani­festent un sen­ti­ment d’in­com­pré­hen­sion face à une situa­tion qui ne semble pas cohé­rente puis­qu’ils n’ont (en géné­ral) pas démé­ri­té et donc admettent avec dif­fi­cul­té que ce n’est plus le sujet et qu’il convient main­te­nant de tour­ner la page. Ce n’est pas l’a­pa­nage des X mais ceux-ci ont peut-être moins que d’autres inté­rio­ri­sé le fait que la vie en entre­prise n’est pas tou­jours » juste » et que, contrai­re­ment à un concours, des bonnes notes aux épreuves ne suf­fisent pas for­cé­ment à garan­tir le succès.

Entretiens à préparer

La mau­vaise pré­pa­ra­tion des entre­tiens est éton­nante : même si on n’est pas dans le cadre d’un entre­tien de recru­te­ment for­mel pour une entre­prise, il serait nor­mal de s’être ren­sei­gné sur cette entre­prise, ses métiers, son mar­ché, son actua­li­té. Or, la plu­part du temps, ce tra­vail amont qui semble évident n’a pas été fait. Cela donne une impres­sion de dilet­tan­tisme et si, avec quel­qu’un de bien­veillant, lors d’un entre­tien » réseau « , les consé­quences sont limi­tées, l’ef­fet peut être désas­treux avec un recru­teur éventuel.

Retour à la réalité

Para­doxe
On relève sou­vent une contra­dic­tion éton­nante avec le sté­réo­type de l’X ration­nel et ana­ly­tique : pas ou peu de métho­do­lo­gie dans la démarche. À titre d’exemple quand on demande à un(e) cama­rade s’il (elle) a consul­té métho­di­que­ment la liste des entre­prises du SBF 120 en repé­rant celles qui ont une acti­vi­té iden­tique ou connexe à la sienne et en défi­nis­sant une stra­té­gie d’ap­proche, la réponse est sou­vent non.

Une autre obser­va­tion que j’ai pu faire est le manque de réa­lisme par rap­port au mar­ché de l’emploi et, en tout cas en début de recherche, ce sen­ti­ment que, compte tenu de sa valeur, on n’a pas d’ef­fort par­ti­cu­lier à faire pour qu’une entre­prise recon­naisse nos com­pé­tences, répu­tées grandes, par construc­tion, puis­qu’on est poly­tech­ni­cien. Cer­tains émaillent la conver­sa­tion des noms de tous les diri­geants qu’ils connaissent (et avec les­quels ils ont une proxi­mi­té réelle ou sup­po­sée telle) et donnent donc mal­adroi­te­ment l’im­pres­sion à leur inter­lo­cu­teur qu’ils n’ont pas vrai­ment besoin de ses conseils.

L’at­ten­tion por­tée aux tech­niques de base néces­saires pour sa recherche est par­fois insuf­fi­sante : pas de CV à jour ou CV mal rédi­gé avec des acro­nymes incom­pré­hen­sibles pour quel­qu’un d’ex­té­rieur à son entre­prise, dif­fi­cul­té à se pré­sen­ter de manière concise en expli­quant ses prin­ci­pales com­pé­tences et ce qu’on peut appor­ter à une entre­prise, qua­si-inexis­tence d’un réseau pro­fes­sion­nel externe à l’en­tre­prise, mécon­nais­sance des cabi­nets de recru­te­ment de son secteur.

Réseau mal exploité

Cour­toi­sie et efficacité
Après avoir été reçu en entre­tien, la cour­toi­sie (et l’ef­fi­ca­ci­té) requiert d’en­voyer un mail de remer­cie­ment et de tenir au cou­rant de l’a­van­cée de sa recherche, en par­ti­cu­lier auprès des contacts qui auraient été com­mu­ni­qués lors de cet entretien.

Enfin, le réseau, com­po­sante fon­da­men­tale d’une recherche d’emploi effi­cace, est par­fois mal uti­li­sé. On a le réflexe natu­rel de contac­ter d’a­bord des per­sonnes que nous connais­sons bien mais, sauf si ce sont des amis proches, cela ne dis­pense en rien de se pré­pa­rer soi­gneu­se­ment avant l’en­tre­tien (voir obser­va­tions précédentes).

Pour en avoir dis­cu­té avec des col­lègues DRH, nous connais­sons un cer­tain nombre d’exemples d’X qui se sont conduits de manière désin­volte dans une situa­tion de ce type et se sont ensuite éton­nés du carac­tère infruc­tueux de l’entretien.

Une employabilité à cultiver

En conclu­sion, toutes les remarques pré­cé­dentes paraissent sim­plistes mais elles cor­res­pondent néan­moins à une réa­li­té vécue, et comme toute acti­vi­té, notre employa­bi­li­té demande une atten­tion par­ti­cu­lière et se déve­loppe rare­ment spontanément.

Ne pas hési­ter à avoir de temps en temps des entre­tiens externes exploratoires

Il ne s’a­git pas de chan­ger de poste constam­ment car, pour pou­voir démon­trer des réa­li­sa­tions concrètes, un mini­mum de constance est néces­saire, mais de se ména­ger un peu de temps en dehors du quo­ti­dien opé­ra­tion­nel qui nous happe sans cesse.

Ce temps doit être mis à pro­fit pour avoir une vision claire de son métier et de ce qu’on sait faire, s’as­su­rer que ses com­pé­tences sont expor­tables dans une autre entre­prise, vali­der auprès de son réseau en sol­li­ci­tant des feed-back sur son par­cours, ne pas hési­ter à avoir de temps en temps des entre­tiens externes exploratoires.

Ces pré­cau­tions d’u­sage étant effec­tuées, on peut d’au­tant mieux s’in­ves­tir dans son entre­prise : tant que tout se passe bien, qu’on par­ti­cipe à un pro­jet moti­vant et qu’on prend du plai­sir dans son poste, avec son patron, ses col­lègues et ses col­la­bo­ra­teurs, il n’y a en effet aucune rai­son d’en changer.

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