Du noyau atomique au réacteur nucléaire

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°689 Novembre 2013Par : Paul REUSS (60)Rédacteur : Pierre BACHER (52)Editeur : EDP Sciences – 2013

L’ouvrage de Paul Reuss se com­pose de deux par­ties bien dis­tinctes, sépa­rées par un inter­lude qui décrit et explique les réac­teurs natu­rels d’Oklo décou­verts en 1972.

Livre : DU NOYAU ATOMIQUE AU RÉACTEUR NUCLÉAIRE par Paul REUSS (60)La pre­mière par­tie donne les bases phy­siques de la neu­tro­nique, la science des neu­trons décou­verts en 1932 par Chad­wick. En quelques années, les décou­vertes de la fis­sion puis de la pos­si­bi­li­té de réac­tion en chaîne (Joliot-Curie) devaient conduire à la pre­mière « pile ato­mique », conçue et réa­li­sée par Fer­mi en 1942.

La deuxième par­tie est consa­crée à l’ère indus­trielle de la neu­tro­nique, et plus par­ti­cu­liè­re­ment à la place émi­nente jouée par les acteurs fran­çais dans ce déve­lop­pe­ment (réac­teurs ura­nium natu­rel gra­phite gaz (UNGG), réac­teurs à eau pres­su­ri­sée (REP) et réac­teurs à neu­trons rapides).

Peut-on inté­res­ser un public à une science aus­si spé­cia­li­sée que la neu­tro­nique ? C’est le pari un peu fou qu’a fait Paul Reuss dans cet ouvrage pas­sion­nant de bout en bout. Pour faci­li­ter la lec­ture et l’adapter au niveau de culture scien­ti­fique du lec­teur, l’histoire et les expli­ca­tions sont racon­tées sys­té­ma­ti­que­ment à deux niveaux.

Le pre­mier niveau, plus phy­sique, per­met de se faire une bonne idée qua­li­ta­tive des phé­no­mènes en jeu ; sans cacher la nature des pro­blèmes à résoudre et les dif­fi­cul­tés à sur­mon­ter, il per­met de com­prendre les ordres de gran­deur et de mesu­rer les pro­grès réa­li­sés au fil des ans.

Le second niveau, pré­sen­té sous forme d’encadrés, est clai­re­ment réser­vé à un public aver­ti. Il pré­sente les équa­tions fon­da­men­tales qui régissent le com­por­te­ment des neu­trons, les dif­fi­cul­tés liées au très grand nombre de don­nées phy­siques, aux maté­riaux dif­fé­rents qui consti­tuent les réac­teurs, aux géo­mé­tries com­plexes. Il décrit les méthodes uti­li­sées pour résoudre les équa­tions et vali­der les résultats.

La saga de la neu­tro­nique per­met de com­prendre le rôle de la neu­tro­nique, par­ti­cu­liè­re­ment fran­çaise, dans le déve­lop­pe­ment des réac­teurs nucléaires depuis trois quarts de siècle. Fer­mi, en 1942, avait su pré­voir la neu­tro­nique de la Chi­ca­go Pile. Joliot et ses col­la­bo­ra­teurs du CEA, dix ans plus tard, avaient su faire de même pour le réac­teur ZOE du fort de Châtillon.

Dans les années 1960, les neu­tro­ni­ciens du ser­vice de phy­sique mathé­ma­tique du CEA puis d’EDF sur­ent cal­cu­ler les cœurs des réac­teurs de la filière UNGG avec une simple règle à cal­cul. Alors, pour­quoi consa­crer tant de moyens, théo­riques et expé­ri­men­taux, à la neu­tro­nique encore aujourd’hui ?

La seconde par­tie du livre de Paul Reuss apporte un éclai­rage ori­gi­nal sur ce sujet : au fil des ans, les ingé­nieurs ont cher­ché à opti­mi­ser l’utilisation des com­bus­tibles, le recy­clage du plu­to­nium, l’adaptation de la puis­sance des réac­teurs à la consom­ma­tion d’électricité, etc., et cela en amé­lio­rant de façon conti­nue la sûre­té des installations.

L’auteur explique pour­quoi cha­cune de ces étapes a exi­gé de dis­po­ser d’outils de cal­cul tou­jours plus per­for­mants, mais aus­si d’outils vali­dés par l’expérience.

Du noyau ato­mique au réac­teur nucléaire – la saga de la neu­tro­nique fran­çaise n’est pas un ouvrage facile. Mais c’est un ouvrage qui illustre remar­qua­ble­ment le déve­lop­pe­ment paral­lèle des connais­sances expé­ri­men­tales et théo­riques, tout comme celui des connais­sances fon­da­men­tales et des appli­ca­tions industrielles.

Tout esprit curieux de l’histoire des sciences – par­ti­cu­liè­re­ment des sciences phy­siques – devrait le lire avec beau­coup d’intérêt. Paul Reuss, acteur majeur de cette saga pen­dant près d’un demi-siècle, nous apporte un témoi­gnage pré­cieux ; témoi­gnage enri­chi par un index des hommes et des femmes qui ont contri­bué au déve­lop­pe­ment de l’école fran­çaise de neu­tro­nique, un index des réa­li­sa­tions, un index des thèmes et notions phy­siques et une biblio­gra­phie en langue française.

Comme il le résume en conclu­sion : « La neu­tro­nique a su trou­ver la bonne syner­gie entre la phy­sique et le cal­cul numé­rique ; il faut qu’elle veille à la conserver. »

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