Diriger en période troublée, trouver les conseils pertinents

Dossier : Gérer en période de criseMagazine N°638 Octobre 2008
Par Jean-Paul SCHAER

Diri­ger en période trou­blée, c’est d’a­bord adop­ter un mode de gou­ver­nance radi­ca­le­ment dif­fé­rent du mode habi­tuel : déci­der et agir rapi­de­ment en fonc­tion des prio­ri­tés et des cir­cons­tances, com­mu­ni­quer auprès du per­son­nel et à l’ex­té­rieur pour assu­rer la cohé­rence des actions et ren­for­cer la confiance.

REPÈRES
Qu’est-ce qu’une crise ?
(Méde­cine) : Chan­ge­ment en bien ou en mal qui sur­vient dans le cours d’une mala­die et s’an­nonce par quelques phé­no­mènes particuliers.
(Figu­ré) : moment périlleux et déci­sif. Trouble dans le fonc­tion­ne­ment nor­mal d’une indus­trie ou d’un régime politique.

Un pis-aller : le branle-bas de combat

Les entre­prises confient sou­vent à un ges­tion­naire des risques la res­pon­sa­bi­li­té d’é­va­luer les risques prin­ci­paux, leur gra­vi­té et leur pro­ba­bi­li­té ; pré­pa­rer les plans d’ac­tion pour y parer ; pré­ve­nir les risques par des mesures adap­tées ; pré­voir les dan­gers et leurs consé­quences ; tirer le bilan des expé­riences. La ges­tion des risques à 5 mil­liards d’eu­ros ou plus (banque vic­time de fraude mas­sive, dis­tri­bu­teurs de cré­dits sub­primes, rehaus­seurs de cré­dit, agences de nota­tion) montre que les sys­tèmes en place sont impuis­sants face à l’a­veu­gle­ment col­lec­tif lors de bulles spé­cu­la­tives, dont cha­cun sait pour­tant qu’elles éclatent tôt ou tard. Consti­tuer une cel­lule de crise en pleine panique, inter­rompre toute com­mu­ni­ca­tion pen­dant quelques jours, éle­ver des bar­rages en catas­trophe sont des solu­tions de der­nière extré­mi­té par­fois lourdes de conséquences. 

À proscrire : la mobilisation permanente

La des­cente aux enfers de groupes indus­triels pres­ti­gieux (Alca­tel-Lucent, Thom­son) prouve si néces­saire que les diri­geants bar­dés de cer­ti­tudes et impa­tients de voir toutes leurs équipes ran­gées der­rière eux en ordre de bataille courent à l’échec.

Pire encore, en fai­sant des périodes trou­blées une situa­tion per­ma­nente, ils se condamnent à l’im­puis­sance lors­qu’une véri­table crise surgit.

Leur cré­di­bi­li­té est aus­si faible que celle des consul­tants qui agitent en per­ma­nence la menace de risques de tout genre.

Même lorsque la conjonc­ture est favo­rable, la ten­ta­tion est grande pour un diri­geant d’exer­cer une pres­sion extrême sur ses équipes pour sur­clas­ser défi­ni­ti­ve­ment les concur­rents. La chute n’en est que plus brutale.

Dans une éco­no­mie en bou­le­ver­se­ment per­ma­nent (inter­na­tio­na­li­sa­tion, concur­rence accrue, muta­tions tech­no­lo­giques, contraintes éco­lo­giques ou sociales), cer­tains consi­dèrent que la lutte pour la sur­vie est un impé­ra­tif de tous les ins­tants : c’est une erreur magis­trale, car la séré­ni­té est l’a­tout majeur de ceux qui réussissent. 

La bonne réponse : se préparer

Le diri­geant qui décrète le branle-bas de com­bat ou la mobi­li­sa­tion per­ma­nente pos­tule impli­ci­te­ment que les périodes trou­blées jus­ti­fient des mesures res­tric­tives : réduc­tion des coûts et des effec­tifs, ces­sion ou arrêt d’ac­ti­vi­tés, repli sur soi dans l’at­tente de cir­cons­tances plus favo­rables. Or, comme l’in­dique la défi­ni­tion médi­cale de la crise, les périodes trou­blées peuvent appor­ter des chan­ge­ments en bien comme en mal.

Le gar­dien de but face au penalty
Des études très sérieuses montrent que la majo­ri­té des gar­diens de but bon­dissent dans la direc­tion où ils pensent que le bal­lon va par­tir, avant même que le joueur adverse ait tiré. Alors que la posi­tion opti­male pour arrê­ter le penal­ty est au centre, jus­qu’au départ du ballon.
Les gar­diens de but le savent, mais la crainte de se voir repro­cher un bond trop tar­dif leur fait choi­sir une action pré­ma­tu­rée qui réduit la pro­ba­bi­li­té de succès.
Comme le gar­dien de but ration­nel, le diri­geant doit se méfier de ses intui­tions et de ses émo­tions, pour fon­der ses déci­sions sur l’a­na­lyse des faits et des don­nées d’expérience.

Mal­gré les res­tric­tions de cré­dit actuelles, les ces­sions d’ac­tifs vont bon train, prou­vant que les entre­prises prêtes à acqué­rir de nou­velles acti­vi­tés sont aus­si nom­breuses que celles qui en cèdent.

Se pré­pa­rer, c’est d’a­bord conce­voir une stra­té­gie qui intègre les scé­na­rios de crise : on ne change pas de stra­té­gie en période trou­blée, on accé­lère la mise en œuvre de déci­sions pré­pa­rées de longue date, et on véri­fie que la stra­té­gie résiste au choc.

On ne change pas le gar­dien de but au moment où un penal­ty va être tiré, il doit sim­ple­ment mobi­li­ser des res­sources dif­fé­rentes, ce qu’il a appris à maî­tri­ser lors de l’en­traî­ne­ment. Se pré­pa­rer c’est aus­si construire et main­te­nir en alerte un sys­tème de vigi­lance : vigi­lance tous azi­muts pour détec­ter les signaux faibles, obser­va­tion rap­pro­chée des signaux forts en rela­tion directe avec les enjeux clés de la stratégie.

Dès lors, toute crise est prévisible.

Enfin, se pré­pa­rer c’est for­mer tous les acteurs de l’en­tre­prise à affron­ter les situa­tions dans les­quelles ils peuvent jouer un rôle déci­sif, à exer­cer les res­pon­sa­bi­li­tés qui leur sont délé­guées. Car si le diri­geant est bien le res­pon­sable ultime des catas­trophes qui frappent son entre­prise, il ne sau­rait les pré­ve­nir à lui tout seul. 

La vraie question : comment investir ?

Quels que soient les efforts entre­pris pour faire coïn­ci­der les inté­rêts de l’en­tre­prise et ceux du diri­geant, par la rému­né­ra­tion ou par les stock-options, par les pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment ou par la menace de sanc­tions, la ges­tion en période trou­blée révèle au grand jour les diver­gences éven­tuelles. Et le diri­geant, entou­ré de sa garde rap­pro­chée, n’est pas tou­jours le mieux pla­cé pour éva­luer les pré­pa­ra­tifs utiles.

Savoir qu’on est prêt donne de l’as­su­rance et sti­mule les initiatives 

Pré­pa­rer l’en­tre­prise à affron­ter des périodes trou­blées est un inves­tis­se­ment lourd, quoique les dépenses ne soient pas immo­bi­li­sées. C’est aus­si un inves­tis­se­ment ren­table, même si cer­tains dis­po­si­tifs ne sont jamais uti­li­sés, les évé­ne­ments envi­sa­gés ne se pro­dui­sant pas : savoir qu’on est prêt donne de l’as­su­rance et sti­mule les initiatives.

Les prin­cipes à res­pec­ter sont ceux qui s’ap­pliquent clas­si­que­ment aux inves­tis­se­ments : quels sont les flux de tré­so­re­rie selon que la déci­sion est posi­tive ou néga­tive ? La dif­fé­rence entre les deux flux jus­ti­fie-t-elle la déci­sion ? Si la stra­té­gie vise à se concen­trer sur son coeur de métier par une série de ces­sions et d’ac­qui­si­tions, la tré­so­re­rie per­met-elle de faire face aux aléas, le bilan est-il favo­rable quelle que soit la conjonc­ture ? Si la stra­té­gie consiste à recru­ter mas­si­ve­ment pour maî­tri­ser toute une chaîne de valeur, ou au contraire à réduire les effec­tifs pour exter­na­li­ser au maxi­mum les tâches annexes, l’en­tre­prise résiste-t-elle aux coups de la concur­rence et aux varia­tions de la demande ? Si la noto­rié­té de l’en­tre­prise est un fac­teur-clé de son déve­lop­pe­ment, les dis­po­si­tifs de pré­ven­tion des risques (risques indus­triels, risques de san­té pour les consom­ma­teurs…) sont-ils effi­caces, la com­mu­ni­ca­tion de crise est-elle adaptée ?

L’en­tre­prise n’a pas néces­sai­re­ment les res­sources néces­saires pour se pré­pa­rer à toutes les éven­tua­li­tés. Dès lors, le diri­geant doit construire et mettre en oeuvre un plan d’in­ves­tis­se­ment cohé­rent avec la pers­pec­tive de voir se suc­cé­der des périodes trou­blées et des périodes de fonc­tion­ne­ment normal.

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